23 décembre 2022

Ivo Perelman & Joe Morris/ Trevor Watts John Stevens Keith Rowe Colin McKenzie Liam Genockey/ Tom Jackson Dirk Serries Kris Vanderstraeten/ Sabu Toyozumi Lao Dan Hisaharu Teruuchi /

Elliptic Time Ivo Perelman & Joe Morris Mahakala Music
https://mahakalamusic.bandcamp.com/album/elliptic-time

Le label Mahakala Music ne chôme pas, empilant les titres récents du saxophoniste Brésilien Ivo Perelman, cette fois-ci en duo avec le guitariste U.S. Joe Morris. Tous deux ont travaillé avec les mêmes musiciens :William Parker, Matthew Shipp, Whit Dickey, Mat Maneri etc… et ont déjà enregistré un album en duo : Blue / Leo Records 2016 et de remarquables trios avec le pianiste Matt Shipp (Shamanism) et l’alto Mat Maneri (Counterpoint) lesquels découlent de leurs duos respectifs. Une affaire de famille qui suit un but commun, celui de faire du sens et créer des émotions sincères en improvisant toute leur musique du début à la fin de chaque morceau. C’est d’ailleurs avec Ivo Perelman que je préfère écouter Joe Morris, un guitariste de jazz au départ, qui tente très adroitement de dériver les structures d’accord et de rythmes, l’inspiration mélodique et les doigtés vers le dodécaphonisme, le sérialisme et une forme d’abstraction tout en conservant un jeu clair et précis à la fois quasi-acoustique et amplifié sans effets. À l'écoute, le lien avec le jazz est évident. On va dire que les références question saxophone ténor d’Ivo Perelman évoquent Albert Ayler et l’Archie Shepp de la fin des années ‘60, début ’70, mais que son but est le dialogue intégral avec des duettistes basé sur une écoute mutuelle intense, et entièrement improvisé (ou en trio). Même au risque de la redondance et de l’épuisement de l’imagination, ces deux-là se démènent pour renouveler et étendre leur inspiration avec une foi inébranlable et un savoir faire étonnant sur quarante huit minutes en cinq improvisations. Joe Morris est un guitariste très remarquable parmi les deux ou trois piliers de l’instrument dans le free-jazz américain « à risques » librement improvisé et un cultivateur obstiné de l’improvisation collective non hiérarchique où chaque musicien joue sur un pied d’égalité avec son ou ses partenaires avec une volonté de cohérence orchestrale. Il a trouvé son meilleur alter - ego auprès d’Ivo Perelman, un champion de cette vision de la musique improvisée libre total. Leurs interventions individuelles (« solos ») sont plus que remarquables par le déploiement des sons, des phrasés et de leur idiome personnel. Rien que les enchevêtrements d’accords et de lignes cristallines du guitariste sont de la dentelle pour mélomane et les impossibles glissandi dans le suraigu et les harmoniques du sax ténor à la fois expressionniste et attentif au sens mélodique « inné » constituent un vrai délice pour les papilles de la fringale des oreilles avisées ou surprises par tant de charme. Mais la dimension auditive et interactive de leur merveilleux duo sublime et enrichit leurs jeux conjoints dans des faisceaux de motifs, d’élans, de contrepoints instantanés, de fragments mélodiques, d’intuitions créatives. Le souffle du saxophone oscille dans de multiples articulations, accents marqués et anche chauffée à blanc qui se livrent dans de multiples nuances, brûlantes ou nuageuses, explosives ou évanescentes, notes distendues, sonorités de la saudade brésilienne. La logique vif-argent labyrinthique à l’œuvre à la six-cordes basique de Joe aiguillonne, entoure, souligne, recycle les cascades vibratoires expressives et les spirales d’Ivo et nourrit son imagination. Et c’est tout aussi réciproque. Leur «confrontation » n’est pas frontale, mais tangentielle et elliptique; leurs courses en avant se croisent en permanence dans l’absorption mutuelle des trouvailles de l’autre et défilent en toute indépendance selon leur propre instinct. Contextualité de l’écriture spontanée. Les morceaux longs de 15 à 7 minutes avec un final de 3 minutes sont intitulés Elliptic Time, Invisible Mass, Gravitationnal Pull, Palpable Energy et Cosmic Rays Music et suggérés par une idée force ou une observation a posteriori. Même si votre résistance à cette plongée dans les tourbillons de l’improvisation et ses calmes plats inspirés a quelques limites, vous trouverez là matière au ravissement ne fût-ce qu’en abordant ce Temps Elliptique à petites doses. Si, par contre, les longues durées ne vous effraient pas, Mahakala propose une suite de douze duos d’Ivo avec des saxophonistes - clarinettistes : Murray, Lovano, Golia, Liebman, Irabagon, Carter, Mitchell, Mc Phee, Berne, Stetson, Vandermark, Anker, etc… L’embarras du choix , mais quel choix !

The Yorkshire Suite : Amalgam – Trevor Watts Colin McKenzie Liam Genockey Keith Rowe John Stevens Hi4Head records digital
https://hi4headtrevorwatts.bandcamp.com/album/the-yorkshire-suite

Vous avez bien lu : le groupe Amalgam de Trevor Watts réunissant ses deux acolytes réguliers le bassiste électrique « funk » Colin McKenzie et le batteur « rock » Liam Genockey avec Keith Rowe (d’AMM) à la guitare électrique « noise » et le batteur John Stevens avec qui Watts a intensément collaboré au sein du Spontaneous Music Ensemble et d’Amalgam, justement. Amalgam, au départ un groupe free-jazz dont Trevor composait la musique, a effectué un virage « rock-free-jazz-funk » avec guitares et basses électriques et rythmes binaires. Stevens et Watts sont repartis ensuite de leur côté bien que jouant encore ensemble en trio avec Barry Guy (LP No Fear etc…). Et cette collaboration à l’occasion de cette excellente session studio du 21.02.1979 , et produite par Peter Ritzema, devrait bien être la dernière. Aussi, quelques temps plus tard, Keith Rowe devient membre à part entière d’Amalgam pour une folle tournée britannique immortalisée par le coffret vynile Wipe Out (Impetus) avant que McKenzie s’enfuie, sans doute déstabilisé par le capharnaum sonore de Rowe. Venons-en à cette Yorkshire Suite composée par Watts et interprétée deux fois et de manière assez différente l’une en 25:58 et la deuxième, plus libre en 30 :26. L’intérêt de cette session particulière réside dans la présence de deux batteurs, ce qui profile l’assise rythmique de manière originale et, je dirais unique. Et la qualité de la prise de son est cristalline, on distingue très clairement le travail des deux batteurs, Stevens et Genockey, même s’il faut écouter très attentivement en se concentrant sur les deux batteries pour comprendre le rôle joué par chacun d’eux. C'est rare et passionnant pour les afficionados, d'écouter deux batteurs coopérer de la sorte avec autant de classe que d'invention. La basse serpente en rebondissant et facilite grandement la propulsion du souffleur qui livre ici des improvisations flamboyantes au sax alto. À mi – chemin de la suite , le tempo change et la musique s’aère et s’étale plus dans l’espace sonore avec de subtiles séquences de free-drumming étincelantes, raffinées, aériennes. On entend aussi assez brièvement le cornet ou la trompette de poche (non créditée dans les notes) de John Stevens et Trevor Watts empoigner ses sax alto et soprano à la fois pour souffler simultanément dans les deux becs. Le souffle impétueux et très inspiré de Trevor Watts fait ici merveille : son invention mélodique est saissante et les zig-zags de son articulation sont chargées de rage et d'émotion. Exceptionnel souffleur et sonorité merveilleuse et reconnaissable entre mille!! Et que vient faire Keith Rowe dans ce hors-bord rebondissant sur les lames de l’océan ? Du noise ! Hachant menu le son de sa guitare électrique amplifiée avec effets et objets, il tente adroitement de s’insérer dans le tohu-bohu polyrythmique de la section rythmique. Ça a l’air étrange. Mais ces free-improvisateurs britanniques ont toujours voulu très pragmatiquement la raison rationnelle. Le résultat est saisissant même si Pete Ritzema a dû se poser quelques questions. La bande magnétique originale a été transférée en digital par John Thurlow de Jazz In Britain qui a déjà publié un coffret intrigant du super groupe Splinters (Wheeler, Tubby Hayes, Trev Watts, Stan Tracey, Jeff Clyne, John Stevens et Phil Seamen). Je pense que The Yorkshire Suite mérite vraiment une publication distribuée, car je viens seulement de la découvrir sue le site de Hi4Head, le label de Nick Dart, largement dédié aux superbes enregistrements de "Trev". Un bon CD, s'il vous plaît ! À mon avis, c’est sans doute l’enregistrement le plus flatteur et le plus entier de la saga électrique d’Amalgam.

Dandelion Tom Jackson Dirk Serries Kris Vanderstraeten New Wave of Jazz nwoj056
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/dandelion

Guitare acoustique (Dirk Serries), clarinette (Tom Jackson) et percussions (Kris Vanderstraeten) au menu de Dandelion, la fleur pissenlit dernier-née du label New Wave of Jazz enregistré au Sunny Side Studio à Anderlecht le 6 octobre 2021. Musique improvisée radicale ancrée dans l’écoute mutuelle et l’invention spontanée en utilisant les ressources sonores des trois instruments. Avec son attirail percussif fait maison, ses mini-tambours, métaux rares, une caisse claire, des tambours chinois, râcloirs, objets, moteurs, globe terrestre, pièces métalliques, ressorts, archets, fagot de baguettes disproportionnées, Kris Vanderstraeten personnifie le puriste de la percussion improvisée de l’ère bric-à-brac des Jamie Muir, Terry Day, Paul Lytton et Roger Turner. Il explore les surfaces et recoins de son improbable installation, une œuvre d’art en soi, arpentant secousses, frémissements et silences. Ses frappes menues et discrètes et toutes ses manipulations bruissante d’objets insolites offrent un champ d’action à ses deux acolytes, son volume sonore réduit et la dynamique de son jeu surréaliste contextualisent le modus opératoire du souffleur, majestueux et elliptique et du six-cordistes frénétique. Il faut bien du tempérament à Dirk Serries pour construire sa toile arachnéenne au travers des frettes, clusters volatiles et zig-zags. Striant les cordes d’un plectre ravageur, il fait éclater les armatures harmoniques comme les électrons, protons et neutrons de métaux rares en désintégration kinesthésique. Tournoyant comme un oiseau de proie fait d’air sifflant dans un mystérieux chalumeau, le clarinettiste Tom Jackson projette les volutes chantantes et lunaires au lyrisme oblique et les diffractions de sonorités en lorgnant le fatras bruitiste de ces deux partenaires affairés avec un regard en coin : contraste improbable qui rend leurs pirouettes désopilantes. L’intérêt réside dans les changements de dynamique et les incidences aléatoires ou prises en vol de la configuration interactive, tuilée ou de leurs actions musicales. Actions musicales comme on parlait d’action painting à propos de Pollock. Après la mise en bouche de 1/ Carnation Pink, les choses décollent sérieusement dans le déchaînement pointilliste de 2/ Dandelion, fleur traduite en français par Pissenlit mais dont le nom provient de Dent de Lion, soit en dents de scie – zig-zags entrecroisés et distordus. 3/ Violet Blue entame une autre perspective quasi visuelle, agitatrice, face au jeu flegmatique du souffleur pépiant comme un oiseau, lui-même, face aux facéties des deux autres garnements jusqu’à s’enrhumer le bocal où son anche douce est littéralement torturée ou son aura floutée. 4/ Dark Green enchaîne encore une autre narration bien distincte des précédentes, démontrant ainsi que la musique « abstraite » acquiert sous leurs doigts et avec leur sensibilité toute une imagerie imaginaire et imaginative qu’on n’a aucune peine à reconnaître et identifier d’une improvisation à l’autre. Une ludique fantaisie. Et le finale 5/ Bright Yellow démontre que l’attention des trois improvisateurs à renouveler la trame de leurs inventions est toujours aussi concentrée. Une session eemarquable et très réussie. Signalons sur le même label le trio de Kris Vanderstraeten avec John Russell et Stefan Keune (On Sunday), le duo de Tom Jackson avec le saxophoniste Colin Webster (the Other Lies) en ajoutant que Tom Jackson et Dirk Serries collaborent étroitement avec le violiste (alto) Benedict Taylor : Hunt at the Brook pour le premier et Puncture Cycle pour le deuxième, créant ainsi un esprit de famille ‘nwoj’. Ces quelques titres figureront en bonne place sous le sapin, rien de plus normal pour une musique pointue à aiguilles.

Five Ring Secrets Sabu Toyozumi Lao Dan Hisaharu Teruuchi CPCD-023.
https://www.chapchap-music.com/chap-chap-records/cpcd-023/

Un bel assemblage de trois duos entre le percussionniste nippon Sabu Toyozumi et le saxophoniste alto chinois Lao Dan, de deux trios avec le pianiste Hisaharu Teruuchi, lequel joue aussi un duo avec Lao Dan qu'on entend par ailleurs à la flûte de bambou. Enregistrées les 5 et 6 Juillet 2019 au légendaire club Aketa de Tokyo et à l’Airegin de Yokohama, ces 6 improvisations collectives de «hard free - free jazz » énergiques se clôturent par un trio de quinze minutes avec Hisaharu Teruuchi, Musashi you are late. Le précédent album de Sabu Toyozumi avec Lol Coxhill, John Russell et Veryan Weston pour Chap-Chap Records s’intitule Musashi The Water. Musashi est le nom du meilleur des escrimeurs dans toute la tradition historique japonaise. Et sans doute, Sabu Toyozumi a acquis une réputation de fabuleux manieur de baguettes et de balais à la batterie au Japon, félicité publiquement par John Coltrane et Charlie Mingus et jouant avec l’Art Ensemble of Chicago … à Chicago vers 1971. Musashi ? Souvent sollicité par les Brötzmann, Mengelberg, Barre Phillips, John Zorn, Leo Smith, John Russell, Mats Gustafsson, Paul Rutherford, Peter Kowald ainsi que ses compatriotes Kaoru Abe et Jojo Masayuki Takayanagi, Sabu aime tout autant jouer avec des musiciens basés en Asie comme Rick Countryman (Manille) ou tout récemment avec le saxophoniste chinois Lao Dan et en fait de nombreux artistes dont il croise la route. Si Sabu part jouer en Chine avec Lao Dan, il n’hésite pas un instant à lui faire faire la tournée des Grands – Ducs (Musashi) dans des clubs légendaires de Tokyo (Aketa) et Yokohama (Airegin). Une légende. On a peine à croire que cet homme de petite taille âgé de presque 80 ans puisse dégager autant d’énergie et de puissance sur sa batterie. Son style personnel est fait de tournoiements de pulsations aux tempi élastiques et mouvants et de coups de boutoir contrastés par de subtiles rafales sonores. Dès la première écoute, Sabu est immédiatement reconnaissable qu’il explose ou qu’il s’esquive en douceur . En Lao Dan et son souffle mordant et brûlant quasi-mystique, il a reconnu immédiatement un esprit libre, un shaman qui se consume littéralement sur scène soulevé par ses roulements fracassant et ses coups de fouets sur les cymbales. On peut entendre aussi Lao Dan à la flûte en bambou à six trous traditionnelle. Son jeu au commencement de l’album torture littéralement une mélodie impromptue avec un growl forcené de laquelle il décale les intervalles dans des mini- variations successives (Water Traveller). Efficace et sauvage, autant que la furia du batteur qui se déchaîne pour propulser son collègue et ses chapelets de notes brûlantes dans la stratosphère variant constamment les figures croisées polyrythmiques trépidantes . Et une fois bien allumé par le premier brûlot de 6 minutes (Water Traveller) et intimidé par les sifflements de l’anche et les morsures obsédantes du bec alternant avec des brins de phrase évasive de Gaia Tornade (6 minutes), le pianiste Hisaharu Teruuchi s’introduit en trio (Jimbraid) et leur apporte une dimension orchestrale poussant le jeu collectif dans une interaction plus sophistiquée, inversant la perspective de la prise de son. Le duo piano saxophone de Foots Yin & Yang nous ramène sur terre et c’est une autre facette de la musique en forme d’adroit dialogue entre le souffle et les touches révélant la sonorité de Lao Dan et ses dégringolades d’escaliers chromatiques entamées par ses morsures. Non seulement, Sabu est un batteur fétiche qui n’hésite pas à gratter adroitement ses cymbales dans Reverse Musashi où Lao Dan joue de la flûte et que se répand une subtile poésie, mais il est aussi un artiste graphique à-la-japonaise aspergeant délicatement des gouttes d’aquarelles colorées bleue encre, vert printemps, rose fleur de cerisier et jaune banane sur une feuille blanche pour décorer artistiquement le recto et le verso de la pochette. Y sont inscrits au pinceau chargé de noir anthracite le titre en Japonais et les trois prénoms Sabu, Teru et Dan ainsi que le patronyme et le prénom plus le titre en anglais au crayon épais rouge : Five Rings Secret. Secret des Cinq Anneaux. Lesquels ? Ceux de l’écoute, de la force expressive, de la liberté, de la foi et de l’amitié. Reverse Musashi est une pièce où sa science des rythmes devient transcendante et il faut écouter Musashi you are late en trio pour savoir pourquoi il faut se lever tôt, le secret de vie de Sabu Toyozumi. Je vous promets aussi de lui demander ce que vient faire ce Musashi dans le Secret des Cinq Anneaux.

18 décembre 2022

Recommended albums of free improvisation with electro-acoustic sounds - interactions

Recommended albums of free improvisation with electro-acoustic sounds interactions
not finished page : i am not a specialist of electro-acoustic - electronics and so on but I appreciate it aurally . This is not exhaustive.
Bark ! Contraption Paul Obermayer Rex Casswell Phil Marks psi 07.03
Bark ! Fume of Sighs psi 12.04
Furt Dead or Alive psi 04.09
Furt Richard Barrett & Paul Obermayer Omnivm psi 06.09
Essex Foam Party Grutronic David Ross Stephen Grew Nick Grew + Paul Obermayer, Orphy Robinson psi 09.07
Hiss and Viscera Audrey Chen & Richard Scott Sound Anatomy SA0004

Auslanders Richard Scott Lightning Ensemble R Scott David Birchall Phil Marks Jon Rose VR001 - SA006
Richard Scott Tales from the Voodoo Box Sound Anatomy SA12
Bark! That Irregular Galvanic Twitch SA15
Die Schauber Hans Tammen Joker Nies De Vega aha0701
Corpus Callosum Georg Wissel Joker Nies acheulian handaxe aha 1301
Adhara Lars Bröndum Per Gärdin Creative Sources Recordings CS 599 CD
D'où vient la lumière ? Jean-Marc Foussat - Jean-Luc Petit FOU Records FR-CD 13
Dans les Courbes Xavier Camarasa - Jean-Marc Foussat FOU Records FR-CD 26
Spiegelungen Jean-Marc Foussat Urs Leimgruber FOU Records FR-CD 31
Face to Face Jean-Marc Foussat & Thomas Lehn FOU Records FR-CD 32/33
Marteau Rouge & Keiji Haino, J-M Foussat, Jean-Marc Pauvros, Makoto Sato FR-CD 45
Several Circles Richard Scott Cusp 003
Concert in Iwaki Evan Parker Electroacoustic Quartet Evan Parker Uchimizu 02
Set Evan Parker Richard Barrett Paul Obermayer Barry Guy Paul Lytton Lawrence Casserley Walter Prati Marco Vecchi Psi 09.09
Furt Richard Barrett Paul Obermayer Live in Amsterdam 1994 X-OR FR2
Schnack 3 Paul Hubweber & Ulli Böttcher Nur Nicht Nur
Rot Roh Ulli Böttcher Martin Klapper Nur Nicht Nur
Maxwells Dämon Ulrich Böttcher Uwe Buhrdorff Ulrich Phillip Nefastis Machine Hybrid CD 12
Maxwells Dämon Rand Mitte Nur Nicht Nur 11 03 09
URL Konrad Doppert Joker Nies Wolfgang Schliemann Joachim Zoepf Nur Nicht Nur
"Do they do those in Red ?" Lytton/ Nies/ Scott/Wissel SA16
Alan Silva Burton Greene Parallel Words Long Song Records LSRCD 125
Old Paradise Airs Steve Beresford - John Butcher Illuso Records.
Startle the Echoes Matt Hutchinson & Phil Wachsmann Bead Records
Garuda Phil Wachsmann - Lawrence Casserley Bead Records
Though The Rings of Saturn Electro Phonic Art Trio Casserley Wachsmann Trevor Taylor FMRCD540-0519
Integument Lawrence Casserley – Adam Linson psi
MouthWind Lawrence Casserley – JM Van Schouwburg HEyeRMEarS / DISCORBIE HD CD 012
Isla Decepción Lawrence Casserley Yoko Miura J-M Van Schouwburg Setola di Maiale
On the Validity of Tractors Valid Tractor Pat Thomas Dominic Lash Lawrence Casserley FMRCD515-1018
Feldstärken Thomas Lehn Random Acoustics RA 027
Achtung Thomas Lehn Paul Lovens GROB 537
Temps Durée Thomas Lehn Günter Christmann Editions Explico Explico 10
Snake Eyes Pair A’ Dice Jeffrey Morgan Joker Nies Random Acoustics RA010
Near Vanha Pair A’ Dice Morgan – Nies Ninth World Music NWM 015
Hyperpunkt Richard Scott’s Lightning Ensemble Scott Marks Birchall + San Andreae SA013
Certain Questions Pat Thomas Charlotte Hug Unit UTR 4134
An established color and cunning Tender Buttons Tania Chen Tom Djill Gino Robair Rastascan RR BRD 072
fORCH Furt - Obermayer & Barrett - Phil Minton Ute Wassermann Lori Freedman John Butcher Rhodri Davies Paul Lovens Spukhafte Fernwirkung Treader trd 020
Hugh Davies performances 1969 – 1977 another timbre ltd ed cdr
An Alphabet of Fluctuation Gerard Lebik - Burkhard Beins inexhaustible editions ie-042
Quatuor Qwat Neum Jerome Noetinger Daunik Lazro Sophie Agnel Michael Nick Sixx Amor Fati Fatum 017
Electric Chair + Table MIMEO Christian Fennesz Marcus Schmickler Kaffe Matthews Matthews Phil Durrant Cor Fuhler Gert-Jan Prins Keith Rowe Rafael Toral Marcus Wettstein Thomas Lehn Jerome Noetinger GROB 206/7
Beinhaltung Phil Durrant Thomas Lehn Radu Malfatti Fringes 03
Evan Parker Electro Acoustic Ensemble : Towards The Margin/ Drawn Inward/ The Eleventh Hour/ Memory - Vision/ The Moments' Energy ECM CD.

9 décembre 2022

Tobias Delius Daniele D'Agaro Giovanni Maier Zlatko Kaucic/ Rick Countryman Christian Bucher Johnny Alegre Tetsuro Hori/ Richard Scott/ Maria Radich Maria Do Mar Anna Piosik Carla Santana Helena Espvall Joana Guerra

Disorder at The Border Plus Tobias Delius Daniele D'Agaro Giovanni Maier Zlatko Kaucic Kataklisma Fundacja Sluchaj/ Klopotec
https://sluchaj.bandcamp.com/album/kataklisma

Disorder at the Border est le trio du saxophoniste et clarinettiste Daniele D’Agaro et du contrebassiste Giovanni Maier, tous deux italiens, avec le batteur slovène Zlatko Kaucic et le saxophoniste Néerlandais Tobias Delius en invité "Plus". J’ai déjà couvert le précédent album de Disorder at the Border « Plus » en compagnie du bassiste Ewald Oberleitner, il y a presqu’un an. Voici mon impression d’alors : « C’est bien justement ce qui se passe dans ce merveilleux trio de jazz improvisé « modal – free » sans prétention peut – être, mais ô combien communicatif, chaleureux et finalement réussi. Un jazz libre de partage, d’émotions sincères et d’ouverture ». Je ne vais pas me répéter, mais plutôt insister. Leur manière d’envisager le jazz libre est aventureuse et lyrique que ce soit dans la longue suite de 40 :11 (The Spartno Odissey) que dans les trois improvisations concentrées qui suivent : Calls From Ithaca (7:32), Polypheumus (5 :09) et Kataklisma (4 :03). Leur musique libre est basée sur le dialogue pour lequel chaque improvisateur, qu’il soit souffleur, contrebassiste ou batteur, se place sur un pied d’égalité , l’autorisant à prendre l’initiative en inventant entièrement sa partie dans un flux d’échanges, d’interactions et une mise en commun des idées et propositions qui circulent et se relaient de main en main. Pour ce faire, non seulement, chacun est profondément indépendant des autres tout en cherchant à faire coïncider les lignes, courbes, spirales et pulsations dans un puzzle vivant et kaléïdoscopique. Le trio développe une narration évolutive, haussant graduellement la tension, imprimant morsures et déchirures dans les fils de la pâte sonore ou se focalisant sur un partage délicat et aéré (cfr minute 27 et suivantes du n°1) qui décolle vers des échanges plus vifs, sursauts mordants, pépiements volatiles, étirements dans l’aigu de la clarinette et atterrit dans une polyphonie fracturée par de multiples rebonds . Un vecteur est déterminant : le free drumming de Zlatko Kaucic construit flottements, cascades, frottements discrets, coups épars, actions pointillistes et détaillées sur ses accessoires percussifs, polyrythmie éclatée, etc... (cfr intro de n°2 Calls for Ithaca). Dans ce morceau les deux souffleurs au jeu anguleux et saturé à souhait entremêlent leurs accents, bribes mélodiques, intensités lyriques et volutes fragmentées. Les voix de Tobias Delius et Daniele D’Agaro s’interpénètrent dans une trame toute en rebondissements, contrechants et torsions des motifs créés en poussant les articulations vivaces de leurs coups de becs et d’anches jusqu’au growl giratoire truffé d’harmoniques suggérant un thème imaginaire camouflé par leur rage de jouer et entraîné inexorablement par le drive glouton du batteur. D’Agaro a tout à gagner en se commettant avec un puncheur comme Delius. Dans ce contexte, le travail obstiné du contrebassiste prend tout son sens, ancrant tant les subtilités et les embardées de ses trois collègues dans les limons d’une terrienne réalité et une perspective orchestrale suggérée par les improvisations des deux souffleurs. Une attention est accordée à diversifier les formes, les affects et les trouvailles individuelles par un sens très sûr de l’intermezzo, de l’interruption abrupte, ou d’une évolution créative de la continuité jusqu’à ce que son paysage soit entièrement transformé. Leur méthode est très inspirante. De véritables improvisateurs aux prises avec les cul-de-sac de l’inventivité qu’ils subliment et évitent à merveille. Cette maestria et ce savoir-faire élèvent la qualité leur musique collective bien au-delà de leur originalité individuelle intrinsèque d’artisans sincères du jazz libre improvisé dans l’instant. Rien de tel que le travail d’équipe.

River People Sol Expression Rick Countryman Christian Bucher Johnny Alegre Tetsuro Hori Chap-Chap Records CPCD-024
https://chapchaprecords.bandcamp.com/album/river-people-sol-expression

Le batteur Suisse Christian Bucher et le saxophoniste alto américain Rick Countryman n’en sont pas à leur premier coup d’essai chez Chap Chap Records dans leur démarche free – jazz . Leur trajectoire enregistrée a débuté en 2016 sous les auspices du label Improvising beings de Julien Palomo en compagnie du contrebassiste Simon Tan : Acceptance – Resistance ib 53, un beau témoignage d’un free jazz intense et calibré « made in Philippines Islands ». En effet, Rick Countryman provient de la galaxie Bert Wilson – Sonny Simmons (SoCal) et est établi à Manille depuis des années. Sur place, lui et ses camarades se sont construits un espace vital attirant bien des spectateurs enthousiasmés par l’énergie et l’engagement physique et spirituel de leur musique libre. Très vite, plusieurs enregistrements live incandescents en trio ont suivi avec le légendaire batteur Sabu Toyozumi et Simon Tan, sur le label Chap Chap de Takeo Suetomi, le supporter number one du batteur nippon : the Center of Contradiction (CPCD-012), Prelude and Prepositions (CPCD-013). Chap Chap s’est ensuite emballé avec le tandem Rick- Sabu : Blue Incarnation avec la joueuse de Kulintang Tusa Montes (CPCD-015), Future of Change avec le saxophoniste Yong Yandsen (CPCD-017) et le binôme Bucher-Countryman avec Simon Tan et le tromboniste Isla Antinero dans « Extremely Live in Manila » (CPCD-014). L’hémorragie continue avec les brûlots comme Misaki Castle Tower (duo Rick- Sabu), Chasing The Sun (Sabu en Solo), The First Bird (Rick Solo). Jya-Ne (No Label avec la mention Manilla Free Jazz) de Sabu Toyozumi avec Countryman et Simon Tan auxquels s’ajoutent Isla Antinero et la chanteuse Stella Ignacio pour une longue et intense demi-heure. Sont publiés aussi une série de CD’s chez le britannique FMR : Empathy, reAbstraction, Blue Spontaneity, I Am Village, Once, Turtle Bird, The Malaysia Live Fact Session et Once, albums où les deux batteurs, Sabu Toyozumi et Christian Bucher interviennent alternativement avec d’autres comparses comme Simon Tan ou Yong Yandsen au saxophone ténor. Je ne vous dis que cela. L’album Future of Change en trio avec Sabu et Yong Yandsen est sûrement le plus intensément allumé / hallucinant de toute cette saga countrymanienne.
Saxophoniste alto volubile avec une belle sonorité, Rick Countryman s’insère dans le continuum afro-américain, la lingua franca post-Bird / Ornette / Dolphy / Mc Lean exacerbant le timbre de leur instrument fétiche pour incarner le blues cosmique, étirant les notes, les vocalisant, incarnant le cri avec sensibilité et un lyrisme forcené avec autant d’outrances que de logique. Au fil de ses enregistrements successifs, on perçoit clairement une fuite en avant abrasive, complètement libertaire avec autant de hargne que de fluidité. Dans cette formation avec la contrebasse de Tetsuro Hori, la guitare de Johnny Alegre et la batterie de Christian Bucher, le souffle impétueux se situe au centre de l’attention, focalisant toute l’énergie sur le fil du rasoir de l’anche chauffée à blanc et la puissante vibration de la colonne d’air aux traits marqués par le blues et des altérations ataviques authentiquement afro-américaines. Le déchiquetage de l’élan mélodique avec une articulation décalée et virulente du phrasé, est accentuée par des effets sonores aigu-grave mordants et maniaques, accents désespérés de la dernière chance, et une facilité lyrique brûlante. L’urgence incarnée !! Le batteur accumule traits souples et élastiques, attentif aux variations d’intensité du souffleur au bord de la rupture, ou disruptif avec ses rafales de frappes et de roulements coordonnés librement au feeling ou à contre-courant, tel un rouleau compresseur, alternant le chaud et le froid en attisant les braises du délire. Le contrebassiste Tetsuro Hori fignole des doigtés souples et entiers dans les interstices , en contrepoint des embardées et envolées de la paire Countryman – Bucher, alors que le jeu du guitariste Johnny Alegre tisse une toile mouvante faite d’empilements d’accords troubles avec dérapages de single note et renversements de grappes de notes comme éjectées d’un ventilateur, fluidifiant les échanges sans excès de décibels, que du contraire. Son jeu électrique au début de Sol Expression (n°1) et dans deux autres morceaux sonne étrangement comme un orgue cosmique (Sun Ra ?). Les canevas multi-dimensionnels de la triade Alegre - Hori - Bucher fonctionnent comme un écrin ou une toile de fond animée colorée où s’inscrivent les arabesques rebelles et argentées et les outrances du souffle déchirant du saxophoniste. Cohérence et défiance. L’ensemble se fraie une dérive poétique sans concession dans un continuum spatio-temporel éclaté. Vraiment physique et attachant.

Richard Scott - Everything is Always at Once Discus
https://discusmusic.bandcamp.com/album/everything-is-always-at-once-133cd-2022

Incontournable artiste électronique que ce Richard Scott, un fana du Spontaneous Music Ensemble de John Stevens, groupe séminal de l’improvisation libre et un chercheur de sons de synthèse traité d’un point de vue rythmique intense et de la dynamique sonore. Son matériel consiste en des synthés modulaires analogiques d’un autre temps dont les différentes sources sont reliées par des touffes de câbles pinch multicolores. Interviennent aussi un Buchla 200, catArt et Max-Msp et que sais-je. Ne m’en demandez pas plus : il y a une description précise de son installation dans les notes incluses que ce soit dans la version CD et la digitale. Je mentionne le Spontaneous Music Ensemble, car non seulement Richard Scott a réalisé une brillante et profonde interview du percussionniste John Stevens, il a adopté des concepts « rythmiques » similaires à ceux qui sous-tendent la musique du duo Face To Face (cfr enreg. Emanem LP 303 – CD 4003) où le jeu très précis sur les pulsations devient spontanément millimétré jusqu’à l’obsession dans les échanges percussion – sax soprano entre Stevens et Trevor Watts. Bref , certains morceaux semblent incarner des boîtes à rythmes dans des spirales de pulsations dont la complexité et l’extraordinaire variétés de timbres dépassent l’entendement. Dans chaque morceau, Richard Scott a visiblement préparé ses matériaux avec une ou plusieurs idées de départ, mais la réalisation des pièces est entièrement improvisée dans l’instant. Cela sursaute, rebondit, ruisselle, tournoie, siffle, enfle avec une extrême lisibilité à travers plusieurs canaux (voix) qui s’interpénètrent, se croisent, se superposent simultanément dans un flux organique où textures, timbres, colorations, pulsations, densités, formes évoluent sans cesse avec une belle logique et un sens inné de la construction . Il ne craint pas de fissurer et démanteler ses extraordinaires édifices jusqu’à la rupture totale. Les facettes de son art sont démultipliées quasi à l’infini. Richard Scott est vraiment, à mon avis, un improvisateur – compositeur électronique incontournable dont il faut patiemment explorer la musique tant elle a à nous offrir d’inconnues et de trouvailles au niveau des formes. S’il s’affirme en solitaire avec une démarche « orchestrale » impressionnante, Richard Scott est aussi un improvisateur collectif dans l’âme depuis des décennies (déjà) auprès de personnalités telles que la chanteuse Ute Wassermann, le percussionniste Michael Vorfeld, le saxophoniste Frank Gratkowski, le guitariste Kasuhisa Uchihashi, le trompettiste Axel Dörner, la chanteuse Audrey Chen etc… et au sein des groupes Grutronic et Richard Scott’s Lightnin’ Ensemble. À suivre à la trace.

Lantana : Maria Radich Maria Do Mar Anna Piosik Carla Santana Helena Espvall Joana Guerra Elemental Cipsela CIP 011
https://cipsela.bandcamp.com/album/elemental
Un beau collectif « féminin » loué par Joëlle Léandre qui signe ici les notes de pochette : Lantana. Place aux femmes après autant de siècles durant lesquels la musique fut l’affaire des hommes. La contrebassiste a tout – à - fait raison d’insister et en partie grâce à son travail et celui de personnalités comme Maggie Nicols ou Irene Schweizer, les musiciennes ont commencé à trouver une place dans les cercles de la scène musique improvisée. Cela dit, mon opinion se situe dans la qualité, l’urgence et la musicalité de ce qu’on écoute et découvre au-delà des styles, des notoriétés, du sexe, du genre, de l’âge, de la nationalité, des préjugés. Six musiciennes portugaises prometteuses issues de cette scène lusitanienne vivace et florissante : la chanteuse Maria Radich, la violoniste Maria Do Mar, la trompettiste et vocaliste Anna Piosik, l’électronicienne Carla Santana, les deux violoncellistes Joana Guerra et Helena Espvall qu’on entend aussi à l’électronique. J’avais déjà entendu Helena Espvall et Maria Do Mar au sein d’albums particulièrement réussis : Helena dans Turquoise Dream avec Carlos Zingaro, Marta Warelis et Marcelo Dos Reis, Maria dans Live at MIA 2015 avec Adriano Orrù et Luis Rocha et toutes les deux dans des projets d’Ernesto Rodrigues. Joëlle Léandre évoque le « deep listening » car effectivement il y a une belle écoute et une empathie assumée dans cette musique de chambre à la fois équilibrée et fugace. Les improvisatrices ont pris le parti pour « un jeu continu » précis, poétique et fleuri en se focalisant sur l’aspect collectif et un recours partiel à une échelle modale . Jeu continu signifie que l’action instrumentale et vocale est quasi permanente tout au long des cinq pièces présentées ici. Dans Akalian, les deux vocalistes se lancent dans une manière de thème qui plane au-dessus du jeu des cordistes dont le col legno répété d’une violoncelliste, la ligne mélodique, instable étant reprise un instant par la trompettiste, les éléments modaux circulent d’un instrument à l’autre sous différentes formes et intensités. Un effet d’écho – résonance est ajouté et qu’on retrouve Dlonie Ducha. Ce deuxième morceau plus long repose sur des filetages d’aigus des cordes et un effet de bourdon proche d’un drone où la voix vient se loger dans un mode intime, alors que les trois archets font crisser les cordes en se rapprochant des sons électroniques émis par Carla Santana avec des effets de giration. La fabrique des sons est maintenant collective avec des glissandi délicats camouflés dans la pâte sonore de Lantana et la trompette d’Anna Piosik et la voix (au micro) de Maria Radich ajoutent des touches délicates qui font modifier le jeu orchestral des autres partenaires. Suites organiques évolutives aux facettes multiples qui se génèrent l’une de l’autre presqu’ insensiblement avec une belle sensibilité. Om Sagro débute avec un brouillard électronique soulevé par un agrégat de cordes et de sons indéterminés jusqu’à ce qu’une belle intervention à la trompette (ah (aïe), les effets !) secondée par un discret violoncelle introduise une improvisation collective en crescendo. Il y a une part de théâtralité (la voix), une écoute et une certaine cohérence plutôt qu’une interaction pointilliste « graphique » avec points, lignes, angles, courbes. Néanmoins, l’ensemble Lantana a une belle classe, un solide potentiel parmi les musiciennes: je pense spécialement au travail très fin des cordistes qui s’affirment de plus en plus au fur et à mesure que les morceaux défilent. La chanteuse trouve sa place dans des interventions variées qui relancent l’attention et la trompette place régulièrement son chant à bon escient dans chaque morceau. Le n° 4 offre encore une autre prespective bienvenue (I am an Ice, some kind of brightness). Voilà qui ferait un concert réussi pour exprimer « c’est quoi la musique improvisée collective ? » pour ceux qui n’ont jamais entendu cela et pourront s’orienter avec les repères misés adroitement tout au long de la performance. Une belle réalisation

2 décembre 2022

Seppe Gebruers Playing with Standards/ Christoph Gallio Dominique Girod & Dieter Ulrich/ Guilherme Rodrigues Acoustic Reverb

Playing with Standards Seppe Gebruers el Negocito Records 3CD eNR 116,117 & 118
https://elnegocitorecords.com/
L'album est enfin ligne sur le compte bandcamp d'el Negocito : https://www.elnegocitorecords.com/releases/eNR116+.html
Voici de quoi vous informez un peu plus :
https://rataplanvzw.be/e/seppe-gebruers-playing-with-standards
https://www.youtube.com/watch?v=xgzLkVvNZ14&t=5s

Rassurez – vous ! Vous avez bien lu : Playing with Standards ! Mais ce n’est pas ce que vous pourriez penser ou imaginer. Une explication s’impose. Pianiste improvisateur pointu et engagé dans « l’avant-garde » , le belge Seppe Gebruers a enregistré ce projet de longue haleine avec DEUX pianos accordés au quart de ton. Cela veut dire que l’ensemble des cordes de chacun des deux pianos est accordé à un quart de ton l’un de l’autre, créant ainsi une curieuse dissonance. On l’a entendu récemment à Gand lors d’un concert en duo avec le pianiste Charlemagne Palestine, tous deux aux prises avec quatre pianos accordés en quart de ton, une occasion unique de rentrer dans cet univers de claviers microtonaux. Se dit microtonale, une échelle de notes utilisant des intervalles plus courts que le demi-ton. Il se fait que j’invite personnellement le guitariste Pascal Marzan et sa guitare microtonale dix cordes accordée au tiers de ton (et sixième de ton, bien sûr) à Bruxelles pour un concert le 6 décembre prochain !. Donc je me sens un peu concerné.
Si j’ai beaucoup aimé le concert en duo de Gand, rien ne me préparait à ce magnifique ouvrage en trois albums compacts. C’est tout simplement, un des événements discographiques les plus convaincants de l’histoire des musiques improvisées concernant le piano lui-même. J’ai beaucoup écouté live et en disque Fred Van Hove, un phénomène extraordinaire et quand j’entends d’autres pianistes qui ont une démarche voisine je me dis que j’ai eu la chance peu commune de l’avoir rencontré et écouté au fil des décennies.
Et ce que j’apprécie dans la démarche radicale de Seppe Gebruers, un homme modeste et un peu introverti, c’est son indépendance d’esprit par rapport aux "-ismes" et que sa trajectoire qui s’annonce dans ce projet, ne ressemble à aucune autre.
D'ailleurs, il existe un Playing with Standards Trio avec Paul Lytton himself à la batterie, c'est tout dire. Dans ces trois albums, Seppe « ne joue pas les standards », mais il joue « avec ». Commençant à enfoncer les touches une à une ou deux à deux avec précaution, il entend un enchaînement de notes et, soudainement, les intervalles de la mélodie ou des fragments des harmonies d’un Standard du répertoire jazz lui viennent à l’esprit. Sous ses doigts, on en perçoit le « fantôme », une partie de la trame, un zeste de mélodie suggérée au milieu des dissonances, des clusters, en travers du phrasé et des interactions entre ces notes microtonales qui font coïncider fugacement des intervalles tempérés. Parfois, il faut faire un effort d’imagination ou de perceptions, ou alors, comme dans la « version » de Just A Gigolo, c’est Monk lui-même qui apparaît, et là, c’est digne de, ou même plus fort que, notre cher Misha Mengelberg disparu il y a quelques temps. En ce qui me concerne, c’est contagieux. Avec When You wish Upon a Star, et In The Wee Small Hours qui inaugurent le CD 1, c’est le répertoire de la période swing, l’époque de Billie et Lester. Après Just a Gigolo , on a droit à trois « versions » de You and the Night and The Music à la suite l’une de l’autre . Il joue aussi (Playing With) avec des intermezzos, Just Friends et, curieusement, La Vie En Rose chantée autrefois par Satchmo. Le CD 2 contient 8 fois une évocation de Never Let Me Go dont la première est enmanchée avec l’idée de What Is This Thing Called Love, mais il la ratrappe à chaque fois et encore 7 fois de suite en se posant encore la question What is This Thing Called Love ? Sous son dehors de bon élève rangé, Seppe a une forme d’humour à froid qui se décèle comme il se doit chez un Gantois pur jus. Distingué, le gentleman. Bye Bye Blackbyrd et The Folks Who Live On The Hill pour (en) finir. Chaque "version" ludique d'un de ces Standards est souvent très différente des précédentes. Au fil des plages, la sauce prend de mieux en mieux et la musique épaissit son mystère, enfume ses arcanes, délivre son message empoisonné. Never Entered My Mind : c’est bien ce qui se passe ici littéralement, on est médusé et … Born To Be Blue après The Days of Wine and Roses, car Everything Happens To Me. Un hymne de Bird coup sur coup en tryptique maudit : Donna Lee et soudainement des fantômes ressurgissent : Everything Happens To Me et Never Let Me Go à nouveau au milieu des touches et des résonnances. Car, c’est bien un des points importants de son travail : Seppe laisse résonner les cordes des deux pianos créant des empathies de sonorités décoiffantes, surréelles, vibrantes au bord du grincement métallique ou d'un brouillard polytonal. Il y a bien sûr des moments plus grisants que d’autres, mais pour arriver à ces résultats incontournables et irrévocables, l’artiste a dû se mettre en péril, solliciter toutes ses ressources, écouter les deux instruments simultanément et leurs vibrations parfois imprévisibles, tergiverser, communier avec elles, découvrir l’étendue de potentialités qui s’échappent, s’en souvenir, tâcher de les recontextualiser, laisser venir à lui les souvenirs de ces chansons d’un autre temps, celui de son apprentissage du jazz et de sa pratique journalière, celui des disques entendus, parfois entrevus en ouvrant une porte… Un cheminement improbable, obsessionnel, exhaustif comme s’il ne voulait rien en perdre. Le Petit Poucet et ses nombreux petits galets usés par le ressac et serrés au fond de ses poches.
Je conseille à tous les fadas de musique contemporaine ou improvisée, les fanas des pianistes hors-cadre tels Paul Bley, Misha Mengelberg, Ran Blake, Fred Van Hove, Jacques Demierre, les expérimentateurs de tout poil, d’essayer d’acquérir ce triple CD Playing with Standards et surtout d’en écouter ne fut ce que quelques morceaux un instant et puis un des CD’s à la file (et le 2ème , enfin le 3ème) et y revenir de temps à autre jusqu’à ce que l’ensemble de l’oeuvre s’insinue définitivement dans votre perception et transforme votre imagination, votre jeu de références. Parce que l’aspect le plus authentiquement « free-music » radicale, c’est le son ! Une sonorité fluide (cfr I Wish Upon a Star en ligne ici plus haut)mais qui peut souvent se révéler brute, terrienne, magmatique, assonnante - dissonnante ... Et une technique qui évacue le virtuosisme pour laisser vibrer les sons dans toutes leurs occurrences, leurs interférences troubles,sauvages comme si les deux carcasses métalliques de cordes tendues à craquer faisaient partie d’un environnement où l’industrie pianistique est revenue à l’état de nature. On peut découvrir un esprit voisin dans les recherches du pianiste Suisse Jacques Demierre. J’imagine encore Paul Lovens (avec qui Seppe a enregistré) déjeunant très à son aise et, quatre heures durant, passant et repassant vingt-trois fois Just a Gigolo et douze fois Everything Happens To Me en comptant les mesures avec ses doigts refermés percutant la surface de la table.
Un triple album indispensable à toute discothèque de « free-music » qui ne tolère que l’essentiel, le magique et l’imprévu. Une somme ! Il faut absolument que Seppe Gebruers puisse jouer un peu partout et ailleurs car son travail apporte de l'eau au grand moulin de la créativité la plus pointue pour qu'il puisse bonifier au fil des performances.
PS : Et chapeau à el Negocito Records et à Rogé pour la publication de ce recueil, emballé très originalement avec trois œuvres d’art inclues) …

Christoph Galio Dominique Girod Dieter Ulrich Day and Bus Creative Sources CS 720 CD
https://www.gallio.ch/percasogallioon-otherlabels/other-labels/day-bus/
Day and Bus est dans la lignée continuation du trio Day and Taxi, une incontournable enseigne du free helvétique animé depuis des lustres par le saxophoniste – compositeur Christoph Gallio, avec, entre autres, Girod et Ulrich. Gallio y joue comme d’habitude les saxophones soprano et alto, plus le C-melody. Deux saxophones et deux faces de son talent, le couineur anguleux et pointu-pointilliste au soprano quasi coxhillien dont les doigtés se chevauchent plus que de raison et le rentre-dedans expressionniste à l’alto chauffé à blanc et l’anche sans doute chauffée au briquet pour en durcir le tranchant. Car sa sonorité tranche comme la lame d’un bûcheron et les deux acolytes le poussent et le taraudent. Et surgit ensuite le C-melody sax, un ténor contrefait. Contrebassiste puissant et efficace, à ses côtés depuis des décennies (Day and Taxi), Dominique Girod soutient les incartades du souffleur comme du pain béni et le batteur, Dieter Ulrich, est un homme à tout faire de talent dans la free-music helvétique, subtil, à l’écoute et tout terrain. Une longue suite improvisée enregistrée le 18 mai 2021 au studio The Zoo à Berne durant une performance mémorable de 32 minutes 32 secondes. Fort heureusement, cette heureuse initiative est publiée avec son allure bon enfant, ses déchirures et sa superbe. Le « free » free-jazz ne supporte pas la complaisance, la redondance, la fausse liberté pour en revendiquer sa raison d’être. Day and Bus, sous sa dénomination anodine , cache bien son jeu : arcbouté, dru, sauvage, mordant, subtil et sans façon, le trio incarne cette musique vivante, rebelle, entière qui improvise sa survie, collective, cohérente mais délirante, obstinée et explosive sans forcer le trait. Les variations, changements de cap et de décor renouvellent constamment son orientation et la moëlle des os, la candeur des gestes et leur inspiration instantanée. Je vote pour !

Acoustic Reverb Guilherme Rodrigues solo Creative Sources CS 762 CD
https://guilhermerodrigues.bandcamp.com/album/acoustic-reverb

Ce n’est pas le premier album solo du violoncelliste portuguais Guilherme Rodrigues. Acoustic Reverb,tout un programme, fait suite à Cascata (chroniqué dans ces lignes) et se compose de 58 (oui, cinquante huit) miniatures enregistrées dans onze églises de Berlin : Passionskirche, Magdalenenkirche, Christuskirche, Herz-Jesu-Kirche, Evangelische Stephanus-Kirchegemeinde, St Christophorus Kirche, Ms Heimatland, Zwinglikirche, Sophienkirche, Zionskirche and Marthakirche. Chaque morceau porte le nom de la Kirche où elle a été enregistrée et est numérotée en chiffres romains jusque LVIII. Il s’agit d’un beau travail sur la qualité du son, de son grain particulier dans l’espace réverbérant de l’Église avec ses dalles de pierre ou de marbre et ses voûtes. Une multiplicité de formes, une qualité de silence et les résonnances particulières qui ronronnent lorsque les notes graves sont frottées par – dessus la touche ou vrillent l’acoustique lorsque l’archet frotte tout près du chevalet. La manière et la pratique de Guilherme Rodrigues sillonnent plusieurs domaines musicaux : minimaliste, expérimental, classique, improvisé; ou elles évoquent le polyphonique, le médiéval, le chant naturel ou ce que vos références suggéreront. Disons qu’il s’agit du violoncelle universel et d’un tour de force. En effet, concevoir instantanément autant de pièces réussies, dont la forme est concentrée dans une durée brève entre une et deux minutes, dans un laps de temps relativement court (Mai 2022) est la marque d’un grand talent et d’une belle inspiration. On peut s’hasarder à citer Telemann, Bach, Webern, Scelsi, Xenakis et les créations de Sigfried Palm il y a un demi-siècle, mais aussi, pourquoi pas, le chant des baleines ou Terry Riley. Le chant de l’âme en tout cas. J’aime ces staccatos flûtés, ces fragments de mélodie qui s’élancent le long d’une colonne, ces graves vibrants et ces aigus crissant maîtrisés comme un chant d’oiseau. Voilà de quoi écouter en profondeur, réécouter et piocher au hasard des 58 plages de l'album. Un bijou aux très nombreuses facettes qui révèlent leurs secrets au goutte à goutte. Bravo !