Quelques super LP's produits avec amour !!
Monk’s Casino Die Enttaüschung & Alexander von Schlippenbach live vom 6.11.2011 im Au Topsi Pohl Berlin Two-Nineteen Records 2-19-007.
Alexander von Schlippenbach, Axel Dörner, Rudi Mahall, Jan Roder, Michael Griener.
https://dieenttaeuschung.org/
Monk’s Casino est aussi le titre de l’intégrale des compositions de Thelonious Monk enregistrée par ces mêmes musiciens pour le label Intakt dont c’était la centième publication en 2005. Avec ce triple CD d’il y a vingt ans, les quatre de Die Enttäuschung, le clarinettiste (basse) Rudi Mahall, le trompettiste Axel Dörner, le bassiste Jan Roder et le batteur Uli Jennessen ont acquis un solide début de reconnaissance. Cela leur a permis de tourner et d’avoir au catalogue Intakt avec quelques albums passionnants avec la musique de leur cru . Présenté alors par les chroniqueurs comme un projet sous la houlette d’Alex von Schlippenbach, ccela revenait à méconnaître le talent et le travail du quartet Die Enttäuschung (la Déception) qui travaillait d’arrache-pied toutes les compositions de Monk depuis des années en créant des arrangements – collisions avec trompe l’œil narquois et dérapages concertés déconcertants depuis plus de dix ans. En témoigne le premier double album vinyle de Die Enttäuschung enregistré en 1995 entièrement consacré entièrement aux compositions de Thelonious Monk avec pas moins de 16 morceaux … de connaisseurs, parmi lesquelles on trouve Ask Me Now, Let’s Cool One, Humph, Hornin’In, Coming on the Hudson, Let’s Call This, Four In One, Think of One, Evidence, Shuffle Boil. Ça nous change des hommages où on récite benoîtement Round Midnight, Straight No Chaser ou Blue Monk comme à l’école. Tout Monk, un sacré défi de 68 compositions, jouées dans ce merveilleux coffret CD , Monk’s Casino InTakt 100 ! C’est une musique qui demande un aplomb rythmique essentiel. Le grand maître du Monkisme des années 50 au niveau saxophone n’était personne d’autre que Sonny Rollins : Newk était présent aux répétitions lorsqu’un nouveau saxophoniste s’initiait aux mystères du Moine pour expliquer par l’exemple le moindre détail de chaque partie, accents, rythmes, intonations, doigtés... On retrouve aussi des compositions de Monk dans leur vinyle suivant paru sur le label US Crouton. Avec le batteur Uli Jenessen et ensuite, Michael Griener, et le bassiste Jan Roder, le quartet a une assise rythmique solide, fluctuante, attentive à tous les écarts et les fulgurances des deux souffleurs tant Rudi Mahall à la clarinette basse qu’Axel Dörner à la trompette. Celui-ci s’est révélé être un avant-gardiste réductionniste « lower case » époustouflant en inventant une nouvelle pratique instrumentale et musicale radicale, implosant le jeu de la trompette dans un « bruitage » permanent qui, à l’écoute attentive, se révèle tout aussi complexe que celle de la génération précédente des Evan Parker, Günter Christmann, Bailey ou Paul Lovens. On l’a entendu avec John Butcher et Xavier Charles, Mark Sanders, Jim Denley, Keith Rowe, Burkhard Beins, Tony Buck, Fred Lonberg-Holm dans des concerts et des albums carrément « anti-jazz » au point que plusieurs improvisateurs libres patentés dénigraient cette démarche. Mais Axel est un excellent trompettiste et un solide musicien, il suffit pour les amateurs de jazz « moderne » stricto sensu d’écouter les enregistrements de Monk’s Casino. Rudi Mahall, lui s’affirme comme un jazzman dans le fil de la tradition avec une vision anarchiste free, une éthique anti show-biz et pas mal d’humour. Il a un seul privilège : être le seul clarinettiste basse qui incarne le dolphysme tout en avouant qu’Eric Dolphy reste toujours imbattable sur son terrain depuis sa mort en 1964. Il swingue à mort en sursautant avec une vivacité extraordinaire et un souffle déchirant avec un sens de la répartie immédiate qui est la marque des grands improvisateurs. Axel et Rudi s’entendent comme des larrons en foire pour synchroniser leurs efforts, dialoguer un instant et parfois disrupter l’ordonnancement des riffs et embranchements mélodiques en télescopages et collisions ubuesques. Tous deux conçoivent des arrangements des morceaux de Monk pleins de malice et basés sur des « mistakes » (erreurs !). Rudi est déjà un virtuose qui transgresse ses propres limites sonores et de souffle en n’hésitant pas à encanailler le son, grailler les graves et mordiller avec délice et rage les aigus dans des écarts d’intervalles audacieux avec sens du rythme phénoménal. La présence profondément acoustique de Michael Griener entretient une sonorité de batterie à l’ancienne et un style éminemment personnel directement reconnaissable surtout en quartet. Leur batteur précédent, Uli Jenessen, un maillon essentiel de l’équipe, avait malheureusement quitté le groupe et Mahall s’est alors tourné vers Michael Griener, son ami d’adolescence avec qui il improvisait régulièrement. Le jeune Griener découvrit Paul Lovens dans les concerts organisés par Günter Christmann à Hanovre et fut entièrement convaincu : il devint dès lors un des collaborateurs les plus proches de Christmann. Jan Roder et son flair de bassiste puissant et lucide assure la continuité du flux tout en se concentrant sur les aléas rythmiques peu prévisibles du quartet en action – réaction. Aussi, on l'entend dans plusieurs groupes "locaux" d'allumés d'envergure. À ces joyeux drôles, s’adjoint ici le légendaire pianiste Alexander von Schlippenbach, un pionnier incontournable du free-jazz à l’européenne, un expert en piano classique et contemporain ainsi qu'en jazz moderne. Et quel compositeur ! Comme improvisateur « free », il est un pianiste hors du commun alliant un sens des pulsations, des harmonies et un toucher rares avec une imagination déconcertante et une énergie exponentielle, spécialement en trio ou quartet avec Paul Lovens et Evan Parker, groupe à la fructueuse longévité. Sa présence ajoute « un peu de sérieux » et une assise puissante à Monk’s Casino, sous – titré « Die Enttäuschung & Alexander von Schlippenbach ». Tout au long de sa longue carrière (il est né en 1937), Alex a toujours joué des pièces de Thelonious Monk. Soit avec le Globe Unity Orchestra : Evidence dans Globe Unity Special 1975 avec Steve Lacy, le monkien par excellence et Ruby My Dear dans Pearls avec Braxton à l’alto. Ou en trio avec Sunny Murray et Nobuyoshi Ino, Light Blue - Schlippenbach Plays Monk (Enja) et en solo, Schlippenbach Plays Monk (InTakt. Il choisit souvent les pièces de Monk les moins jouées par d’autres. Avec Die Enttäuschung, il joue les thèmes monkiens avec une belle fermeté et souplesse et improvise dans un style voisin des pianistes contemporains de Monk,comme Sonny Clark par exemple, tout en adhérant imperturbablement aux fluctuations du tandem rythmique et aux « erreurs » , fulgurances, errements et pied-de-nez endiablés ou narquois des deux souffleurs, sans parler des emboîtements saugrenus entre deux compositions. Comme toujours les pochettes de leurs disques ou cd’s sont ornées par les collages abracadabrant de Katja Mahall.
Le programme de Monk’s Casino n°2 en vinyle :
Side 1 : Thelonious, Locomotive, Trinkle Trinkle, Let’s Cool One, Let’s Call This.
Side 2 : Coming on the Hudson, Bemsha Swing, 52nd Street Theme, Pannonica, Friday the 13th.
Side 3 : Evidence, Misterioso, Sixteen, Skippy.
Side 4 : Green Chimneys, Little Rootie-Tootie, Off Minor, Hackensack, San Francisco Holiday.
Au vu de ces titres, on constate qu’ils ont tenu à enregistrer d’autres morceaux que ceux qui figurent dans le double album inaugural Two Nineteen 001 de 1995 (sans Schlippenbach). On mesure aussi l’évolution de leur savoir-faire et la maturité de leur inspiration. Un des groupes de jazz contemporain les plus remarquables dont les autres albums « 4 », « 5 », Vier Halbe et Lavaman publiés par Intakt en cd et les CD’s 2-19 Music Minus One et Die Komplette Enttaüschung (inclus dans un catalogue des pochettes - collages colorés de Katja Mahall) nous font découvrir une musique d’une finesse rare, plus improvisée et free qui se révèle être un enchantement pour ceux qui connaissent bien le jazz pointu et le free-jazz créatif. Il faut entendre Rudi Mahall joindre les deux bouts en intégrant le message dolphyen, des soupçons d’héritage konitzo-tristanien et l’improvisation sonore radicale. Chacune de leurs interventions individuelles s’imbriquent dans l’instant avec celles des autres avec une dynamique, un dynamisme, la surprise de l'instant et une écoute hyper active.
Ces musiciens sont surtout connus en Allemagne et comme ils ne courtisent pas les musiciens les plus en vue provenant des USA ou d’ailleurs qui alimentent les médias spécialisés et les festivals importants, afin de multiplier les opportunités en invitant X ou Y etc… Préférant leurs potes de la riche scène locale ,Die Enttaüschung demeure un groupe trop méconnu par rapport à leur cohérence, leur talent et leur humour. NB pas de lien audio pour ce double LP et les autres albums 2-19, mais acheter les disques Two Nineteen directement, ils ne sont pas distribués. Adressez-vous à https://dieenttaeuschung.org/
Kris Vanderstraeten Daniel Duchamp Luis Ferin Timo Van Luyck Traces du Hasard La Scie Dorée scie 3824
https://lasciedoree.be/shop/lp/timo-van-luijk-kris-vanderstraeten-daniel-duchamp-luis-ferin-traces-du-hasard-lp/
https://timovanluijkkrisvanderstraeten.bandcamp.com/album/traces-du-hasard
Cet album Traces du Hasard relate la première rencontre de l’artiste sonore Timo Van Luyck avec un bel échantillon des fanatiques de la free music de la région de Bruxelles. Kris Vanderstraeten est un curieux percussionniste inventeur – bricoleur de son propre kit truffé d’accessoires et d’objets comme vous n’en trouvez plus aujourd’hui. Un échappé de la mouvance Paul Lovens Paul Lytton John Stevens et Andrea Centazzo. Lui et son pote Daniel Duchamp ont commencé à jouer ensemble lors de leur service militaire : ils jouaient dans le placard de leur chambrée, Kris du sax et Daniel du cornet, pour ne pas importuner le sergent. Daniel, je crois était alors un fan de Leo Smith et un ferré de Derek Bailey, Peter Kowald et cie, tout comme Kris. Ils ne rataient aucun concert ou festival, y compris Moers à la grande époque ou Actual 1980. Par la suite, Kris a inventé ses batteries successives tout en prenant un cours du soir de percussion et Daniel a exploré la contrebasse. Parmi leurs copains, le saxophoniste Luis Ferin, originaire de Madère, a opté pour le sax soprano. Ici, à la guitare et au sax, Luis était de la bande des créatifs de la défunte Médiathèque de Belgique. Qu’est-il devenu ? Daniel s’est orienté par la suite brillamment dans la musique électronique après avoir officié dans le Van Trio avec Kris et moi-même. Lorsque vous êtes comme Kris et moi des chercheurs avides de trente-trois tours de free-music, impossible d’éviter Timo Van Luyck, qui trônait au comptoir de Pêle-Mêle, la plus antique source bruxelloise de raretés discographiques de nos collections naissantes puis encombrantes. Le voici , crédité auto-harp, sound effects, percussion. Au début des années nonante, Timo cherchait sa voie et collaborait avec Peter Faes, le sonorisateur d’Univers Zéro, au sein du légendaire Noise Maker’s Fife. Puis sont venus Af Ursin, Asra, Andrew Chalk (In Camera ) , Christoph Heemann (Elodie), son label vinyle la Scie Dorée, High Noon, le duo avec Kris (+50 concerts !) et son extraordinaire label Metaphon qui documente des artistes sonores expérimentaux et des compositeurs atypiques dans de somptueux albums ou coffrets CD’s. Timo est un producteur d’albums perfectionniste et de haut vol. Dans la foulée, il n’a pas hésité à se plonger dans ses archives pour faire revivre cette première rencontre hasardeuse mais néanmoins réussie, enregistrée dans le hangar de la gare de Zichem, village fétiche de la culture littéraire flamande (cr De Witte d’Ernest Claes). Mystères, acoustique un peu caverneuse , développement spontané d’improvisations instantanées dont Timo a sélectionné des les extraits les plus évidents. Les musiciens étaient réunis pour chercher, s'essayer à inventer, s’écouter, dériver poétiquement avec autant de cohérence que d’indépendance, à l’abri du show, du besoin de convaincre, dans une quête introspective voire introvertie et tout autant expressionniste. Un document finalement éclairant, sans prétention, mais reflétant la volonté affirmée de s’exprimer sans frein ni arrière-pensée avec un intense plaisir de jouer. Pochette ornée d'un beau collage de Timo Van Luyck. J'ajoute encore que Daniel Duchamp est un excellent photographe et Kris, un graphiste et dessinateur talentueux, exposé à plusieurs reprises.
Pierre Michel Zaleski et Antoine Herran Le paysage réservé LP vinyle auto-produit
Pierre Michel Zaleski est un vocaliste autodidacte avec du coffre et une voix de basse démentielle. Il a commencé à improviser suite à une expérience dans le blues, un travail artistique théâtral et un autre comme caméraman vidéo de talent en Pologne, puis en Belgique. On lui doit d’ailleurs un documentaire sur Mats Gustafsson. Au fil d’expériences avec le contrebassiste Peter Jacquemyn, la danseuse Sofia Kakouri, le guitariste Valentin Becmann et plusieurs rencontres et ateliers, il s’est affirmé comme un vocaliste improvisateur de scène impressionnant. Nous nous sommes tous deux commis en duo à Bruxelles et à Londres et dans des ateliers d’improvisation. Il avait dans l’idée de réaliser un album vocal en solitaire et il s’est adressé à Antoine Herran pour l’enregistrer. Ce qui fut fait dans une vieille maison d’Ixelles. Antoine se trouvait en Roumanie lorsque la pandémie s’est déclenchée et a été forcé d’y rester. Comme il avait les enregistrements à portée de la main, il s’est mis à concevoir méticuleusement une trame musicale avec des guitares, une mandoline, un tambour, des objets pour essayer de coïncider avec le flux vocal, les mélodies, les accents de la vocalité de Pierre Michel. Celui-ci chante en « yaourt » (sans paroles ou dans un langage imaginaire) avec son énorme voix grave, graveleuse, growlante à souhait, créant exhortations chamaniques, diplophonies dignes de celles des montagnards bouriates ou des pasteurs mongols. Il grogne, éructe, murmure, halète. On décèle comme une saveur, des échelles de notes qui proviendraient d’une musique d’une contrée d’Asie Centrale et, heureusement une belle coïncidence se dessine dans les gammes « primitives » non tempérées du jeu de guitare et de mandoline déjanté d’Antoine Herran. Celui-ci a la sensibilité et l’inspiration requises pour ne pas dénaturer le travail de Zaleski, mais l’enrichir, l’ensauvager plus encore et transformer cette aventure en OSNI. Une manière de « folk » free extra-européen alimenté par le blues frappadingue des trous perdus du Mississipi et un Orient inconnu imaginaire ou fantasmé, mais authentique, au-delà du ressenti superficiel ou de l’emprunt anecdotique. Certains morceaux sont parsemés d’effets de guitare électrique qui ajoute une touche punk ou noise, sans doute pour familiariser les auditeurs biberonnés au rock « expérimental ou expérimétal » (que sais-je ?). Une bien belle réussite et un travail de production de haut niveau : pochette du LP double encart, présentation, son, mixage et les multi-pistes réussis du dernier morceau d’anthologie de la fin de la face B. Pour acquérir le disque 33T Le paysage réservé, s'adresser à Pierre Michel Zaleski : pmichel.zaleski@gmail.com
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
28 septembre 2024
Monk’s Casino Die Enttäusschung & Alexander von Schlippenbach live/ Kris Vanderstraeten Daniel Duchamp Luis Ferin Timo Van Luyck/ Pierre Michel Zaleski & Antoine Herran
Free Improvising Singer and improvised music writer.
15 septembre 2024
Urs Leimgruber Duos w : Joëlle Léandre Magda Mayas Dorothea Schurch/ Karoline Leblanc Paulo J Ferreira Lopes/ Mia Zabelka Yoko Miura Lawrence Casserley
AIR Vol 2 Urs Leimgruber Duo with : Joëlle Léandre Magda Mayas Dorothea Schurch 3CD Creative Works CW1076
https://www.creativeworks.ch/home/cd-shop/cw1076ccd/
Le Volume deux du projet AIR du souffleur Urs Leimgruber au sax soprano en compagnie de trois musiciennes improvisatrices essentielles : la contrebassiste Joëlle Léandre, la pianiste Magda Mayas ici au « clavinet » et la vocaliste Dorothea Schurch qui joue aussi de la scie musicale ou singing saw en anglais. Le 1er volume d’Air en 4 CD réunissait Thomas Lehn, Hans Peter Pfammatter, Jacques Demierre et Gerry Hemingway, chacun en duo avec Urs. Suite au travail intense de Steve Lacy, le saxophone soprano a acquis droit de cité dans les sphères du jazz contemporain ainsi que du « jazz libre » et/ou de l’improvisation libre collective. Steve a effectué une recherche novatrice sur la technique et la philosophie de ce saxophone particulier en en étendant son registre au-delà de « l’aigu » en maîtrisant ses harmoniques et en créant une grammaire sonore, une nouvelle syntaxe et des formes musicales révolutionnaires qu’il synthétisait dans un système de compositions ouvertes et polytonales, tout en étant inscrites dans la trajectoire du jazz moderne et de souffleurs aussi incontournables que Lester Young et Sonny Rollins. Ce dernier point mérite sans doute une explication de ma part. Mais passons. La génération suivante a vu l’éclosion de saxophonistes soprano de très haut niveau qui ont élargi et transcendé ce territoire lacyen avec d’autres techniques, d’autres intentions esthétiques, d’autres sensibilités dans le cadre de l’improvisation totale. Parmi les praticiens de cet instrument difficile qu’est le sax soprano dans le contexte de son évolution, il faut absolument citer Lol Coxhill, Evan Parker, Michel Doneda et Urs Leimgruber, mais aussi Trevor Watts au sein du Spontaneous Music Ensemble et Larry Stabbins qui fut le premier improvisateur de cette énorme scène londonienne à prester une performance de saxophone solo à l’étage du Ronnie ‘s Scott Club en 1973, à la même époque que les premiers concerts solo de Steve Lacy. (Théâtre du Chêne Noir, Avignon). Il y en a d’autres comme John Butcher, Adrian Northover ou Martin Küchen et au sopranino, JJ Duerinckx et Dirk Marwedel. Aussi, dès 1967, John Stevens a assigné une place particulière au sax soprano, joué respectivement et successivement par Evan Parker et Trevor Watts en duo avec sa mini batterie dans une démarche d’exploration sonore, et d'écoute mutuelle intense dans une dimension rythmique libre et télépathique. C’est à la suite de ce long cheminement musical qu’Urs Leimgruber a été amené construire sa musique dans l’instant en se servant d’un large éventail des possibilités soniques et expressives de cet instrument difficile à maîtriser. Si la démarche d’un Steve Lacy consiste à jouer ses nombreuses compositions et celle d’un Evan Parker est de créer des compositions instantanées en multipliant les boucles et les harmoniques émises en souffle « circulaire » avec l’ « illusion d’une polyphonie », celle de Leimgruber s’apparente à celle d’un poète des signes et des gestes comme s’il dérivait à travers ses impressions et ses émotions instantanées sans se fier à une quelconque logique ou un plan déterminé. C’est devenu très clair avec ses récents albums AIR Vol1 et le solo magique de Now and Always.
Joëlle Léandre initie les 7 pièces de leur duo comme si elle voulait établir spontanément une structure, une suite dans les idées avec une belle expressivité face aux sonorités extrêmes soufflées au creux du silence et du bout des lèvres. Torsades à l’archet qui veulent coïncider un instant avec le battement de la langue sur le bord de l’anche ou d’harmoniques évasives. Dialogues précis et écarts nourrissant de nouvelles recherches. Une qualité intime dans l’expression, prendre tout son temps pour joue. Qualité du son de la contrebasse et souffle racé au soprano qui s’évanouit dans l’air quand le frottement de l’archet gronde et fait vibrer ces graves magnifiques ou éclate en morsures incisives, puis résorbées dans des boucles à deux notes et des étirements de textures. Mais au fil des morceaux improvisés, la contrebassiste se laisse prendre au jeu et réagit spontanément dans l’instant aux incursions sonores d’Urs dans les recoins de son soprano, ses nuances infinies, laissant les traces de sa personnalité entière et de sa rage de jouer du tac-au-tac. Que voulez-vous faire quand le souffle consiste à grogner et bruiter dans le bec ou le pavillon ou à se livre à des interjections subites et intermittentes ? Point de politesses, ni de façons, on est dans le vif du sujet de l’improvisation libre et dans son devenir imprévisible, musique à la fois sincère, sauvage et sans détour, attirant l’ouïe et la sensibilité des auditeurs dans leur intimité profonde, celle des deux musiciens en dialogue et celle de celui qui découvre au même instant que ces deux-là. On oublie alors qui fait quoi et quoi faire quand survient ceci ou cela : l’indépendance est totale mais l’écoute aussi Une belle aventure ouverte sur l’inconnu.
Le jeu de Magda Mayas, personnalité musicale bien différente de Léandre, se sert du piano en grattant, grinçant ou pinçant les cordes, celui-ci devient harpe mécanique, machine à bruits, objet résonnant, méconnaissable, un chambre résonnante et vibrante. La contrepartie d’Urs Leimgruber s’envole en spirales tronquées, fragments mélodiques saturés, harmoniques effeuillées, hyper-aigus surréels jouées avec d’exquises nuances acides, perçantes ou corrosives. De multiples changements de registre se font jour et leur duo s’enrichit de leur imaginaire instantané et sautes d’humeurs existentielles. Le caractère improbable de leurs interactions voilées et tangentielles se prolongent dans le duo avec la vocaliste Dorothea Schurch avec laquelle Urs a travaillé au sein de l’Ensemble 6ix (avec Lehn et Demierre avec qui il a gravé AIR Vol 1 et collabore dans le trio LDL, Roger Turner, son partenaire duettiste et Okkyung Lee). Dorothea incarne un véritable phénomène vocal intensément sonore hors des sentiers battus de la vocalité free : un véritable exploratrice aussi explosive qu’elle peut se révéler introvertie. La photographie sur la pochette la montre avec une sorte de porte-voix déformant et amplifiant de curieuses occurrences sonores fragiles, murmurantes, sifflantes, hullulantes, bourdonnantes jusqu’à ce que son gosier éructe, grogne outrageusement, émet des borborygmes, la vocalité sauvage brutalise et râcle les cordes vocales qui vibrent comme une machinerie découpant du métal ou broyant du granit. Le morceau suivant un filet de voix sifflant évasivement - ou est ce la scie musicale (?)- fait écho au souffle doucement flûté des harmoniques du saxophoniste. On est autant dans le bruitage éruptif, expressionnisme brut que dans un rêve éveillé tout en délicatesse et poésie au creux d’un silence hanté. Des musiques organiques, spontanées, ouvertes à la recherche de sons : un intense vécu !
Karoline Leblanc Paulo J Ferreira Lopes Edge Once Fractured atrito afeito 013
https://karolineleblanc.bandcamp.com/album/edged-once-fractured
Ce n’est pas la première fois que la pianiste Canadienne Karoline Leblanc et le percussionniste Paulo J Ferreira Lopes enregistre : The Way Wends Round, un album solo de Leblanc pour lequel Ferreira joue sur trois morceaux comme batteur et pour le même label. Edge Once Fractured contient seule longue improvisation superbement enregistrée de 32 :36 où fusionnent complètement les sonorités produites par l’activité instrumentale exploratoire dans un véritable pandémonium sonique « méta-musical » (cfr AMM). Les deux acolytes trustent une douzaine d’instruments : K.L. , clavecin, piano, orgue à tuyaux, hochets en bois, corne en coquillage, bulbul tarang et taal ; P.J.F.L. , gongs, tinplates, ressorts, cymbales et cloches. C’est lui aussi qui a réalisé la décoration de la pochette. Pour information, un bulbul tarang est un instrument indien à cordes et clavier connu au Balouchistan sous le nom de benju et provient du Japon où il sert d’instrument pédagogique. Un remarquable CD Buda – Musiques du Monde produit par Jean During, un expert reconnu des musiques d’Asie Centrale, contient de magnifiques morceaux où le benju rivalise avec la vièle sorud (Balouchistan Bardes du Makran). Le piano de Karoline et toutes les nuances et trouvailles sonores dans les cordes du piano avec son infinie résonance occupe une place centrale dans cet enregistrement superlatif. Leur musique est si minutieusement bien intégrée qu’on a la sensation qu’il n’y a qu’une seule personne, une seule voix. Cela me fait songer au titre du premier album de l’extraordinaire duo de Paul Lovens et Paul Lytton , « Was It Me » ? (Po Torch – jwd 1) enregistré en 1976. Bien sûr on devine que c’est bien Karoline Leblanc qui actionne les cordes du piano dans de multiples facettes. Mais tout ce qui est joué ici participe d’une mise en commun totale d’une qualité rare. Il n’y a pas de « rythmes » , de pulsations, d’harmonies etc… seulement des sons qui s’étendent dans l’espace, suspendus, vibrants, s’éteignant, se complétant avec une intensité relâchée. Un déroulement infini dans le temps de strates sonores métalliques, crissantes, réverbérantes, scintillantes, sourdes , irisées, qui naissent les unes des autres comme par enchantement dans un souffle aussi ténu que puissant. Edge Once Fractured est un album cinq étoiles où les musiciens subliment l’acte de jouer et de partager sans doute au-delà de leurs limites musicales et instrumentales. Frémissant! Fabuleux !
MYL trio Mia Zabelka Yoko Miura Lawrence Casserley Parallel Universes. Setola di Maiale SM 4760
https://miazabelka.bandcamp.com/album/parallel-universes
La violoniste Mia Zabelka apporte sa voix à ce trio d’improvisation peu commun qui réunit la pianiste Yoko Miura et le signal processing instrument de Lawrence Casserley, une extraordinaire installation de transformation du son en temps réel dont Lawrence est le créateur. Chacune des trois personnalités est bien différente avec son univers personnel qui comme m’indique le titre de l’album évoluent dans de curieux parallélismes, arcanes d’interactions pas directement évidentes. Les sonorités issues du processing de Lawrence peuvent s’incarner dans une multitude de textures, dynamiques, transformations inouïes de l’enveloppe sonore, vitesses, glissandi, harmonies surréelles dans une plasticité surprenante. Quand on songe qu’il ne fait que capter les sons de ses acolytes pour les métamorphoser immédiatement… 6 improvisations enregistrées en tournée à Göteborg, Stockholm et Ostrava à la fin de l’été 2023 aux durées longues (15 et 22 minutes) ou écourtées et concentrées entre 3 :48 et 6 :37. S’y développent l’intuition de l’instant, l’infini et l’indéfini, l’imagination réactive, les échanges fructueux. On procède autant au dialogue qu’à l’étagement, on exprime l’étonnement et des fuites en avant instrumentales happées soudainement par les micros du signal processing de Casserley qui en distille de complexes métamorphoses ou alors s’insère subrepticement entre les fréquences de ses deux collègues. Yoko Miura est la prêtresse d’haikus polymodaux cristallins où consonnance et dissonance interfèrent subtilement avec des passages soufflés et languissants au mélodéon (une sorte de mélodica). Quand elle ne hulule des vocaux contorsionnés, l’archet de Mia Zabelka fait osciller des spasmes texturaux boisés dont Casserley transforme l’enveloppe sonore en en projetant le trafic du processing instantané en décalage. Mia est « complètement free » tant au violon qu’avec sa vocalité complètement éclatée alors que Yoko est attachée à une pratique du piano « plus conventionnelle », ou cristalline. Chacune des deux instrumentistes, cordes ou clavier, gravite dans son propre univers parallèle (cfr le titre Parallel Universes) comme si elles jouaient chacune leur propre musique sans essayer de faire coïncider ou se rencontrer leurs actions, harmonies, pulsations ou alors de très loin grâce à leur sens précis du timing. Tout au crédit de Lawrence Casserley, cet art inné (et expérimenté) de créer des sons, des formes, des dynamiques, des actions (cascades, vents, tourbillons, nappes en constante évolution, sifflements, grondements. qui rassemblent et intègrent ses collègues dans une totalité qui révèle petit à petit toute sa cohérence. Il y a là des moments éphémères iridescents ou fantomatiques, élégiaques ou centrifuges, des paysages sonores qui se distinguent tant par leur originalité, leur clarté ou l’art achevé de clairs – obscurs. Sans doute un des projets les plus réussis que ces trois artistes ont mené à bien.
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Le Volume deux du projet AIR du souffleur Urs Leimgruber au sax soprano en compagnie de trois musiciennes improvisatrices essentielles : la contrebassiste Joëlle Léandre, la pianiste Magda Mayas ici au « clavinet » et la vocaliste Dorothea Schurch qui joue aussi de la scie musicale ou singing saw en anglais. Le 1er volume d’Air en 4 CD réunissait Thomas Lehn, Hans Peter Pfammatter, Jacques Demierre et Gerry Hemingway, chacun en duo avec Urs. Suite au travail intense de Steve Lacy, le saxophone soprano a acquis droit de cité dans les sphères du jazz contemporain ainsi que du « jazz libre » et/ou de l’improvisation libre collective. Steve a effectué une recherche novatrice sur la technique et la philosophie de ce saxophone particulier en en étendant son registre au-delà de « l’aigu » en maîtrisant ses harmoniques et en créant une grammaire sonore, une nouvelle syntaxe et des formes musicales révolutionnaires qu’il synthétisait dans un système de compositions ouvertes et polytonales, tout en étant inscrites dans la trajectoire du jazz moderne et de souffleurs aussi incontournables que Lester Young et Sonny Rollins. Ce dernier point mérite sans doute une explication de ma part. Mais passons. La génération suivante a vu l’éclosion de saxophonistes soprano de très haut niveau qui ont élargi et transcendé ce territoire lacyen avec d’autres techniques, d’autres intentions esthétiques, d’autres sensibilités dans le cadre de l’improvisation totale. Parmi les praticiens de cet instrument difficile qu’est le sax soprano dans le contexte de son évolution, il faut absolument citer Lol Coxhill, Evan Parker, Michel Doneda et Urs Leimgruber, mais aussi Trevor Watts au sein du Spontaneous Music Ensemble et Larry Stabbins qui fut le premier improvisateur de cette énorme scène londonienne à prester une performance de saxophone solo à l’étage du Ronnie ‘s Scott Club en 1973, à la même époque que les premiers concerts solo de Steve Lacy. (Théâtre du Chêne Noir, Avignon). Il y en a d’autres comme John Butcher, Adrian Northover ou Martin Küchen et au sopranino, JJ Duerinckx et Dirk Marwedel. Aussi, dès 1967, John Stevens a assigné une place particulière au sax soprano, joué respectivement et successivement par Evan Parker et Trevor Watts en duo avec sa mini batterie dans une démarche d’exploration sonore, et d'écoute mutuelle intense dans une dimension rythmique libre et télépathique. C’est à la suite de ce long cheminement musical qu’Urs Leimgruber a été amené construire sa musique dans l’instant en se servant d’un large éventail des possibilités soniques et expressives de cet instrument difficile à maîtriser. Si la démarche d’un Steve Lacy consiste à jouer ses nombreuses compositions et celle d’un Evan Parker est de créer des compositions instantanées en multipliant les boucles et les harmoniques émises en souffle « circulaire » avec l’ « illusion d’une polyphonie », celle de Leimgruber s’apparente à celle d’un poète des signes et des gestes comme s’il dérivait à travers ses impressions et ses émotions instantanées sans se fier à une quelconque logique ou un plan déterminé. C’est devenu très clair avec ses récents albums AIR Vol1 et le solo magique de Now and Always.
Joëlle Léandre initie les 7 pièces de leur duo comme si elle voulait établir spontanément une structure, une suite dans les idées avec une belle expressivité face aux sonorités extrêmes soufflées au creux du silence et du bout des lèvres. Torsades à l’archet qui veulent coïncider un instant avec le battement de la langue sur le bord de l’anche ou d’harmoniques évasives. Dialogues précis et écarts nourrissant de nouvelles recherches. Une qualité intime dans l’expression, prendre tout son temps pour joue. Qualité du son de la contrebasse et souffle racé au soprano qui s’évanouit dans l’air quand le frottement de l’archet gronde et fait vibrer ces graves magnifiques ou éclate en morsures incisives, puis résorbées dans des boucles à deux notes et des étirements de textures. Mais au fil des morceaux improvisés, la contrebassiste se laisse prendre au jeu et réagit spontanément dans l’instant aux incursions sonores d’Urs dans les recoins de son soprano, ses nuances infinies, laissant les traces de sa personnalité entière et de sa rage de jouer du tac-au-tac. Que voulez-vous faire quand le souffle consiste à grogner et bruiter dans le bec ou le pavillon ou à se livre à des interjections subites et intermittentes ? Point de politesses, ni de façons, on est dans le vif du sujet de l’improvisation libre et dans son devenir imprévisible, musique à la fois sincère, sauvage et sans détour, attirant l’ouïe et la sensibilité des auditeurs dans leur intimité profonde, celle des deux musiciens en dialogue et celle de celui qui découvre au même instant que ces deux-là. On oublie alors qui fait quoi et quoi faire quand survient ceci ou cela : l’indépendance est totale mais l’écoute aussi Une belle aventure ouverte sur l’inconnu.
Le jeu de Magda Mayas, personnalité musicale bien différente de Léandre, se sert du piano en grattant, grinçant ou pinçant les cordes, celui-ci devient harpe mécanique, machine à bruits, objet résonnant, méconnaissable, un chambre résonnante et vibrante. La contrepartie d’Urs Leimgruber s’envole en spirales tronquées, fragments mélodiques saturés, harmoniques effeuillées, hyper-aigus surréels jouées avec d’exquises nuances acides, perçantes ou corrosives. De multiples changements de registre se font jour et leur duo s’enrichit de leur imaginaire instantané et sautes d’humeurs existentielles. Le caractère improbable de leurs interactions voilées et tangentielles se prolongent dans le duo avec la vocaliste Dorothea Schurch avec laquelle Urs a travaillé au sein de l’Ensemble 6ix (avec Lehn et Demierre avec qui il a gravé AIR Vol 1 et collabore dans le trio LDL, Roger Turner, son partenaire duettiste et Okkyung Lee). Dorothea incarne un véritable phénomène vocal intensément sonore hors des sentiers battus de la vocalité free : un véritable exploratrice aussi explosive qu’elle peut se révéler introvertie. La photographie sur la pochette la montre avec une sorte de porte-voix déformant et amplifiant de curieuses occurrences sonores fragiles, murmurantes, sifflantes, hullulantes, bourdonnantes jusqu’à ce que son gosier éructe, grogne outrageusement, émet des borborygmes, la vocalité sauvage brutalise et râcle les cordes vocales qui vibrent comme une machinerie découpant du métal ou broyant du granit. Le morceau suivant un filet de voix sifflant évasivement - ou est ce la scie musicale (?)- fait écho au souffle doucement flûté des harmoniques du saxophoniste. On est autant dans le bruitage éruptif, expressionnisme brut que dans un rêve éveillé tout en délicatesse et poésie au creux d’un silence hanté. Des musiques organiques, spontanées, ouvertes à la recherche de sons : un intense vécu !
Karoline Leblanc Paulo J Ferreira Lopes Edge Once Fractured atrito afeito 013
https://karolineleblanc.bandcamp.com/album/edged-once-fractured
Ce n’est pas la première fois que la pianiste Canadienne Karoline Leblanc et le percussionniste Paulo J Ferreira Lopes enregistre : The Way Wends Round, un album solo de Leblanc pour lequel Ferreira joue sur trois morceaux comme batteur et pour le même label. Edge Once Fractured contient seule longue improvisation superbement enregistrée de 32 :36 où fusionnent complètement les sonorités produites par l’activité instrumentale exploratoire dans un véritable pandémonium sonique « méta-musical » (cfr AMM). Les deux acolytes trustent une douzaine d’instruments : K.L. , clavecin, piano, orgue à tuyaux, hochets en bois, corne en coquillage, bulbul tarang et taal ; P.J.F.L. , gongs, tinplates, ressorts, cymbales et cloches. C’est lui aussi qui a réalisé la décoration de la pochette. Pour information, un bulbul tarang est un instrument indien à cordes et clavier connu au Balouchistan sous le nom de benju et provient du Japon où il sert d’instrument pédagogique. Un remarquable CD Buda – Musiques du Monde produit par Jean During, un expert reconnu des musiques d’Asie Centrale, contient de magnifiques morceaux où le benju rivalise avec la vièle sorud (Balouchistan Bardes du Makran). Le piano de Karoline et toutes les nuances et trouvailles sonores dans les cordes du piano avec son infinie résonance occupe une place centrale dans cet enregistrement superlatif. Leur musique est si minutieusement bien intégrée qu’on a la sensation qu’il n’y a qu’une seule personne, une seule voix. Cela me fait songer au titre du premier album de l’extraordinaire duo de Paul Lovens et Paul Lytton , « Was It Me » ? (Po Torch – jwd 1) enregistré en 1976. Bien sûr on devine que c’est bien Karoline Leblanc qui actionne les cordes du piano dans de multiples facettes. Mais tout ce qui est joué ici participe d’une mise en commun totale d’une qualité rare. Il n’y a pas de « rythmes » , de pulsations, d’harmonies etc… seulement des sons qui s’étendent dans l’espace, suspendus, vibrants, s’éteignant, se complétant avec une intensité relâchée. Un déroulement infini dans le temps de strates sonores métalliques, crissantes, réverbérantes, scintillantes, sourdes , irisées, qui naissent les unes des autres comme par enchantement dans un souffle aussi ténu que puissant. Edge Once Fractured est un album cinq étoiles où les musiciens subliment l’acte de jouer et de partager sans doute au-delà de leurs limites musicales et instrumentales. Frémissant! Fabuleux !
MYL trio Mia Zabelka Yoko Miura Lawrence Casserley Parallel Universes. Setola di Maiale SM 4760
https://miazabelka.bandcamp.com/album/parallel-universes
La violoniste Mia Zabelka apporte sa voix à ce trio d’improvisation peu commun qui réunit la pianiste Yoko Miura et le signal processing instrument de Lawrence Casserley, une extraordinaire installation de transformation du son en temps réel dont Lawrence est le créateur. Chacune des trois personnalités est bien différente avec son univers personnel qui comme m’indique le titre de l’album évoluent dans de curieux parallélismes, arcanes d’interactions pas directement évidentes. Les sonorités issues du processing de Lawrence peuvent s’incarner dans une multitude de textures, dynamiques, transformations inouïes de l’enveloppe sonore, vitesses, glissandi, harmonies surréelles dans une plasticité surprenante. Quand on songe qu’il ne fait que capter les sons de ses acolytes pour les métamorphoser immédiatement… 6 improvisations enregistrées en tournée à Göteborg, Stockholm et Ostrava à la fin de l’été 2023 aux durées longues (15 et 22 minutes) ou écourtées et concentrées entre 3 :48 et 6 :37. S’y développent l’intuition de l’instant, l’infini et l’indéfini, l’imagination réactive, les échanges fructueux. On procède autant au dialogue qu’à l’étagement, on exprime l’étonnement et des fuites en avant instrumentales happées soudainement par les micros du signal processing de Casserley qui en distille de complexes métamorphoses ou alors s’insère subrepticement entre les fréquences de ses deux collègues. Yoko Miura est la prêtresse d’haikus polymodaux cristallins où consonnance et dissonance interfèrent subtilement avec des passages soufflés et languissants au mélodéon (une sorte de mélodica). Quand elle ne hulule des vocaux contorsionnés, l’archet de Mia Zabelka fait osciller des spasmes texturaux boisés dont Casserley transforme l’enveloppe sonore en en projetant le trafic du processing instantané en décalage. Mia est « complètement free » tant au violon qu’avec sa vocalité complètement éclatée alors que Yoko est attachée à une pratique du piano « plus conventionnelle », ou cristalline. Chacune des deux instrumentistes, cordes ou clavier, gravite dans son propre univers parallèle (cfr le titre Parallel Universes) comme si elles jouaient chacune leur propre musique sans essayer de faire coïncider ou se rencontrer leurs actions, harmonies, pulsations ou alors de très loin grâce à leur sens précis du timing. Tout au crédit de Lawrence Casserley, cet art inné (et expérimenté) de créer des sons, des formes, des dynamiques, des actions (cascades, vents, tourbillons, nappes en constante évolution, sifflements, grondements. qui rassemblent et intègrent ses collègues dans une totalité qui révèle petit à petit toute sa cohérence. Il y a là des moments éphémères iridescents ou fantomatiques, élégiaques ou centrifuges, des paysages sonores qui se distinguent tant par leur originalité, leur clarté ou l’art achevé de clairs – obscurs. Sans doute un des projets les plus réussis que ces trois artistes ont mené à bien.
Free Improvising Singer and improvised music writer.
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