23 octobre 2022

Jean-Marc Foussat Emmanuelle Parrenin Quentin Rollet/ Stan Maris Andreas Bral Viktor Perdieus/ Richard Duck Baker/ Gabriele Cancelli Cene Resnik Giorgio Pacorig Stefano Giust

Haut-Cœur Jean-Marc Foussat Emmanuelle Parrenin Quentin Rollet FOU Records
https://fourecords.bandcamp.com/album/haut-c-ur
https://www.fourecords.com/FR-CD42.htm

Encore un bel enregistrement de musique utopiste, improvisée certes, et où deux instrumentistes opiniâtres, le saxophoniste Quentin Rollet et la joueuse de vielle à roue – chanteuse Emmanuelle Parrenin s’infiltrent dans les vagues et strates électroniques de l’antique synthé AKS de Jean-Marc Foussat. JMF intervient aussi avec sa voix dont il transforme le son électroniquement, EP vocalise majestueusement comme une fée venue d’un autre temps, terrienne et éthérée à la fois. QR qui souffle dans son alto et son sopranino de curieux effets sonores agrémente l’ensemble de « petite électronique » laquelle crée des correspondances texturales avec le flux du synthé et les résonances cordiales et sympathiques de la vielle à roue. Pour rappel, c’est la giration d’une roue par-dessous les cordes qui les met en vibration sonore avec ce timbre nasillard caractéristique. Emmanuelle se concentre sur un jeu oscillant ou tournoyant comme un murmure dans les feuilles des arbres tout en livrant quelques surprises sonores. L’étendue des registres du synthé de Jean – Marc s’est singulièrement étoffée, et offre souvent des effets inouïs qu’ils soient sourds et orageux, frémissants ou diffus, parfois au bord de murmures simulant des glissandi offrant à ces camarades à l’écoute de créer des sonorités en empathie qui touche au sensible magique. Le saxophoniste alterne des froissements de la colonne d’air et des boucles de notes en vrille. Une atmosphère planante truffée de riches agrégats sonores, de scories bruissantes, de tournoiements imperceptibles Quatre improvisations nommées « à Fleur » , « à Corps », « à Vif » , « Amour » s’étageant dans des durées de 8 à 16 minutes dans une poésie de partage, de collusion, d’improbables cohérences dans un no man’s land de formes qui s’évanouissent ou aboutissent aux instants de chaos de l’Amour. Dans la pochette intérieure, l’auditeur peut lire des lignes du poète Robert Desnos, extraites de son « La Poésie ou l’Amour ». On ne pourrait trouver un texte aussi proche de la musique qui s’est jouée ce 23 avril 2022 à la Boutique des Allumés du Jazz. Ce n’est pas le premier album réunissant ces trois artistes l’un à l’autre avec l’un ou l’autre collègue inspiré (Foussat – Christian & Q. Rollet dans "Entrée des Puys de Grêle" et Bopp-Foussat-Parrenin dans "Nature Still", parus tous deux chez FOU Records), et ce dernier, Haut-Cœur, peut-être plus convaincant apporte sa part de mystères, face cachée d’un astre inconnu, mais bien présent.
Je ne peux m’empêcher de reproduire ici les mots de Desnos :
Qu’une catastrophe tumultueuse ruine tous les paravents et les circonstances et les voilà, grains de sable perdus dans une plaine plate, réunis par l’imaginaire ligne droite qui relie tout être à n’importe quel autre être. Le temps ni l’espace, rien ne s’oppose à ces relations idéales. Vie bouleversée, contraintes mondaines, obligations terrestres, tout s’écroule. Les humains n’en sont pas moins soumis aux mêmes dés arbitraires.
Dans le désert, perdu, irrémédiablement perdu, l’explorateur casqué de blanc se rend compte enfin de la réalité des mirages et des trésors inconnus, les faunes rêvées, les flores invraisemblables constituent le paradis sensuel où il évoluera désormais, épouvantail sans moineaux, tombeau sans épitaphe, homme sans nom, tandis que, formidable déplacement, les pyramides révèlent les dés cachés sous leur masse pesante et posent à nouveau le problème irritant de la fatalité dans le passé et de la destinée dans le futur.
Un beau projet !!

Ocean Eddie Stan Maris Andreas Bral Viktor Perdieus el Negocito eNR 106
https://elnegocito.bandcamp.com/album/ocean-eddie

El Negocito est le bras armé digital – discographique de l’organisation gantoise Citadelic – Negocito animée par l’infatigable Rogé « Negocito » , patron de brasserie tourné allumé du Jazz et des musiques improvisées. Le catalogue du label est relativement éclectique entre jazz contemporain pointu, free-jazz sans concession, folklore imaginaire, improvisation libre, et aussi à mi-chemin entre toutes ces tendances. Un peu à l’image de la programmation diversifiée des concerts et festivals « Citadelic » qui ont lieu régulièrement au Citadelle Park de Gand à l'intérieur du SMAK, le très remarquable musée d’art contemporain communal ou dans d’autres lieux. Ocean Eddie réunit un trio atypique pour une musique aérée, subtile, pleine d’ambiances mystérieuses. L’accordéoniste Stan Maris (fils de Bart, le super trompettiste national), le pianiste Andreas Bral, aussi à l’harmonium, et le saxophoniste Viktor Perdieus nous livrent ici onze compositions - improvisations multiformes qui brassent plusieurs inspirations (jazz « konitzien », folk européen, classique contemporain, improvisation aventureuse, imagination sonore) autour de l’idée d’une île au milieu de l’océan et des forces maritimes des courants océaniques. Ocean Eddie signifie ici , je cite : When circular currents coexist within larger ocean movements, they are sometimes referred to as eddies. Equal bodies competing for limited space and impact.. J’ai moi-même initié un album intitulé Isla Decepcion avec notre trio Sverdrup Balance avec Lawrence Casserley et Yoko Miura, Sverdrup étant l’unité de mesure du déplacement des courants océaniques, pour faire court. Il y a donc une similitude dans les approches respectives d’un point de vue conceptuel. Ces courants qui se croisent dans l’océan font allusion à l’imbrication des jeux respectifs de chacun en jouant les parties écrites dont l’exécution ludique s’alterne et s’échange organiquement et spontanément d’un instrumentiste à l’autre au fil de chaque morceau dans sa durée. Cela peut paraître compliqué, mais en fait ce processus au sein du groupe se révèle tout à fait musical, naturel, les paysages mélodiques s’interpénétrant aussi bien visuellement qu’auditivement. Si le matériau est principalement mélodique, c’est la combinaison toujours renouvelée des éléments « composés » dans des formes composites, tournoyantes et en mouvement perpétuel (avec un zeste de swing) qui fait de leurs curieuses et inventives métamorphoses, bien plus qu’un exercice de style : l’affirmation d’une poésie musicale. L’accordéon est rendu à sa condition d’instrument de souffle en symbiose avec le timbre dégagé et suave du saxophone doublant les comptines irrésolues du pianiste dans une dimension orchestrale (de chambre). L’excellente coordination du trio et leur inspiration collective crée une belle musique populaire qui si elle doit sembler relativement familière au commun des mortels peu au fait de « l’avant-garde », leur musique les emmène irrésistiblement dans un beau voyage entre vagues, embruns, nuages, brises, alizés, îles inconnues et l’horizon toujours repoussé. Remarquable !

Costa Contra Dance Richard Duck Baker confront recordings confront core series 26
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/contra-costa-dance

Étonnament, Confront Recordings,le label d’avant-garde “improvisation radicale » et art sonore du violoncelliste – multi instrumentiste Mark Wastell, publie u superbe album solo du guitariste « fingerstyle » Richard Duck Baker. Ce très rare guitariste aux cinq doigts de la main droite joue un éventail extraordinaire de musiques folk (irlandais etc…), jazz en couvrant tout le spectre stylistique du ragtime au swing, du bebop monkien au free-jazz, de l’improvisation contemporaine, ayant joué et enregistré avec Roswell Rudd, John Zorn, Michael Moore, Derek Bailey, Eugene Chadbourne, Ben Goldberg etc…. Il fit partie du cercle étroit des guitaristes folk – blues – ragtime Stefan Grossmann et Bert Jansch… et enregistra deux albums solo de compositions de Thelonious Monk et du pianiste Herbie Nicols (à la demande de John Zorn), un exercice ardu s’il en est. Son répertoire jazz à lui seul est absolument œcuménique. Mais ô combien musical ! Jelly Roll Morton, Duke Ellington, Horace Silver, Dollar Brand, Ornette Coleman, Benny Golson, Tina Brooks, Clifford Brown, Oscar Pettiford, Eddie Durham (le premier guitariste électrique chez Basie), et le Take the A Train de Billy Strayhorn ! Son Duck Baker trio avec le contrebassiste John Edwards et le clarinettiste Alex Ward a gravé les albums de jazz moderne parmi les plus curieux de la planète (Amnesia in Trastevere et Déjà Vouty) avec ses compositions originales étonnamment swinguantes et alambiquées inspirées par le fabuleux Herbie Nicols (encore lui). Confront venait de publier Cumino in My Cucina en duo avec le guitariste Mike Cooper (un compagnon de Lol Coxhill !) est une merveille de dialogue improvisé libre à deux guitares. Duck a publié deux albums « improvisés free » en solitaires dont un chez Emanem (outside) avec ses remarquables compositions. Emanem a encore réédité avec des bonus pantelants le légendaire Guitar Trio (acoustique) avec Eugene Chadbourne et Randy Hutton, trio qui apparaît dans un tout récent CD Tzadik de John Zorn (Fencing 1978 Game Pieces) chroniqué plus haut. Alors, ici, nous retournons aux sources de son art.
Costa Contra Dance offre des compositions jamais enregistrées et deux versions neuves de ses chevaux de bataille , comme ce mystérieux Holding Pattern à couper le souffle et ce fantastique Keep It Under Your Heart (cfr l’album Opening the Eyes of Love/ Acoustic Music) qui accroche l’oreille avec son swing infernal. Le toucher des cordes nylon du bout des doigts nus sans plectre est raffiné au maximum même à des cadences virevoltantes. Clarté cristalline de chaque note ciselée avec l’intensité voulue qui ,elle-même, confère une autre identité à ces reprises de standards et magnifie leur incarnation, joyeuse et mélancollique à la fois. Comptines, ballades, blues swingant joués avec une assurance magistrale et naturelle. Il suffit d’écouter son Holding Pattern pour se convaincre de son jeu cristallin qui se joue de tous les changements abrupts de tempos et les accélère de manière échevelée en respectant les césures implacables des barres de mesure tout en conservant imperturbablement l’expressivité suave et précieuse de ses doigtés. Le jeu fingerstyle a été il y a longtemps une technique partagée par les premiers guitaristes (souvent) afro-américains « folk » - « blues » - « ragtime » - « blue grass », il y a une centaine d’années (Blind Blake, par exemple). Au fil des décennies, cette approche de la guitare aux doigts nus de la main droite a été quasiment abandonnée au profit de l’usage systématique des plectres attachés aux phalanges ou maintenus entre l’index et le pouce dans la pratique des musiques populaires en standardisant la notion « d’accompagnement » en séparant les rôles de la rythm guitar et de la lead guitar. Les guitaristes jazz et blues « fingerstyle » sont devenus une espèce rarissime que notre ami Duck fédère avec son talent visionnaire. La question du rythme est primordiale et il faut l’assurer en la coordonnant au micron près avec la base harmonique et les éléments mélodiques avec les cinq doigts de la main gauche appliqués sur trois ou quatre frettes . Ce faisant, Duck est forcé, par exemple, à reconstruire des compositions de jazz ou de musiques populaires de toutes les époques , en leur conférant une vie indépendante. Par rapport à la guitare folk acoustique, l'utilisation de la six cordes nylon par Duck Baker dans l'interpération des morceaux qu'il joue en donne des sentiments, des couleurs, des suggestions imagées, un langage du coeur, soit une expression toute différente qu'avec une Martin aux cordes d'acier. Fascinant !
Mark Wastell a été bien inspiré de sortir ce très beau témoignage de l’art fingerstyle de Duck Baker, un artiste contemporain qui a commencé sa carrière dans les années 70, car quoi qu’il fasse il est un artiste unique en son genre (difficile à définir) et un génie de la guitare qui swingue ou avec laquelle il écartèle les conventions et les automatismes, ce qui justifie sa présence dans mon blog. Hugh !

Gabriele Cancelli Cene Resnik Giorgio Pacorig Stefano Giust Mahakaruna Quartet life practice Setola di Maiale SM 4360
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4360

Les notes de pochette indiquent : Free Improvised Quartet Music. À l’écoute, on pourrait qualifier cet enregistrement de « free » free-jazz où les deux souffleurs, Cene Resnik au sax ténor et Gabriele Cancelli, le trompettiste, alternent leurs interventions échevelées dans un dialogue constant, imbriquant leurs spirales brisées et leurs fragments mélodiques en échangeant idées et inspirations désarticulant comme un pantin, l’ordonnancement du phrasé jazz moderne. Le batteur, Stefano Giust fractionne et décale des tempi imaginaires en roulements / battements déconcertés et d’élastiques pulsations mouvantes, alors que le claviériste, Giorgio Pacorig, muni de son piano Rhodes (+ électronique) invoque – évoque le Zawinul psyché de chez Miles électrique et un Sun Ra énigmatique. Ce concert du 6 septembre 2020 au Jazzmatec Festival s’étale dans un territoire où l’expérimental rejoint le jazz libre et le désordre instigué trouve son point de gravité (listen – sniff)) au-delà d’une perception « normale », suggérant ainsi un équilibre précaire, un univers utopique où les forces centrifuges se rejoignent à travers une écoute aléatoire. Ces aléas impromptus se résolvent auditivement dans la paisible communion inventive de savor (10 :12) ou d'offer (6:10), point de départ vers une recherche plus aiguë, une présence spontanée, contradictoire et angulaire ou porte vers l'indéfini. Ce qui aurait pu aboutir à un album « free » de plus, devient petit à petit un testament onirique, un essai de débrouillardise, un sentiment marqué par l’improvisation… questions sans réponses, échappées vers l’inconnu, lointain ou proche. Le batteur se fait discret créant un espace pour les volutes insistantes des soufflants et les dérapages électrogènes raffinés et sauvages du claviériste tout en donnant le tournis déconstructeur avec ce drumming free particulier, constamment et sciemment déséquilibré. Une belle équipée comme souvent chez Setola di Maiale (oeuvre utopiste du génial Stefano Giust). Life Practice !

1 commentaire:

  1. "Mes amis ont beaucoup apprécié les albums Fou que je leur ai fait acheter avec ma recommandation. Ils ne me suivent pas toujours."
    Ma Me Mi Mo Mu !
    Je Ja Ji Jo Ju !

    RépondreSupprimer

Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......