13 septembre 2014

FOU FOU FOU Kowald Lazro Nozati / Bailey Léandre Lewis Parker / Dean Dunmall Rogers Bianco/ Perelman Maneri

Peter Kowald – Daunik Lazro – Annick Nozati instants chavirés  FOU Records FR CD 07

Groupe “de circonstance”  et rencontre de fortes personnalités  enregistré en  février 2000 à l’espace des Instants chavirés dans la banlieue parisienne  peu avant la disparition inopinée de deux d’entre eux (Nozati et Kowald), cet album “FOU” est vraiment FOU ! Personne ne s’attendait à ce que sorte un jour un témoignage aussi vivant de l’art d’ une chanteuse – actrice inoubliable, d’une véritable bête de scène, Annick Nozati et en compagnie de deux des plus purs camarades de l’improvisation totale, deux irréductibles : le saxophoniste baryton et alto Daunik Lazro , pilier incontournable de la scène hexagonale et le contrebassiste Peter Kowald, globe - trotter infatigable dont le cœur a lâché, trop tôt. L’enregistrement , réalisé par Jean-Marc Foussat,  reproduit fidèlement le développement du concert en duos et trios avec au milieu un solo absolu de la chanteuse. C’est bien le meilleur souvenir que je garderai d’elle, avec ses incroyables gesticulations , éructations et murmures en compagnie du pianiste Fred Van Hove , il y a … 30 ans à Bruxelles et ce bel album solo « La Peau des Anges » publié par Vandoeuvre.  Annick avait une voix très puissante qu’elle poussait jusqu’au cri désespéré en glissant immédiatement de l’explosion du larynx au sussurement intimiste d’une seule portée de voix. Une maîtrise supérieure de l’organe vocal et une résistance… au propre et au figuré !  Parfois , suite à l’excès durant quelques minutes enfiévrées et vécues comme si sa vie en dépendait, le timbre de sa voix se fêlait ensuite légèrement. Mais jamais on ne l’entendait lâcher le port de sa voix et le son. Un phénomène transfuge du théâtre qui ayant dû se mettre à chanter /vocaliser pour des créations dramatiques , s’est révélée être une  vraie improvisatrice , une chanteuse, une sorte de cant’actrice. . . Annick Nozati c’est plus que de la musique, qu’une «  porteuse de projet », un C.V. , une discographie etc.. C’était un être vivant qui ne s’encombrait pas de faux semblant ni de demi-mesure. On pense à  son amie Maggie Nicols avec qui elle partageait cette faconde insatiable et  un véritable sens pédagogique avec quiconque se présentait et essayait de musiquer. Bref, elle n’était pas coincée. Elle exprimait la rage et la raison, une extrême spontanéité et une réflexion profonde, le babil couineur et forcené ou  l’art du crescendo dans la nuance avec une voix qui ne devait rien à l’entraînement vocal d’un genre musical défini. Derrière la folie audacieuse, une maîtrise impressionnante, même si sa tessiture ne lui permettait pas de faire le rossignol du sol aigu. Et avec tout ça, pas de système, de schéma, de balise, rien que du pur jus, celui du peuple des marchés et des manifs. Bien sûr , je me rappelle les réflexions de collègues germaniques tâtillons et sérieux que ses débordements expressionnistes terrorisaient. Mais quelques géants de la scène improvisée étaient pleins d’admiration pour son art unique. Le pianiste Fred Van Hove (pianist number one in free improvisation) fit équipe avec elle depuis 1983 jusqu’à sa mort qui advint malheureusement cinq mois après ce gig.  Fred et Annick enregistrèrent plusieurs albums communs. En duo : Uit sur Nato (LP) et en trio avec Fred et Hannes Bauer sur les labels Amiga (LP) et FMP CD (Organo Pleno). Peter Kowald et Daunik Lazro étaient parmi ses camarades inconditionnels et, dois- je le rappeler (?),  Kowald joua un rôle primordial dans la découverte de cette autre chanteuse exceptionnelle : Sainkho Namchylak.  J’aime aussi beaucoup ce disque car on entend Daunik Lazro fragmenter des boucles à l’alto de manière super réussie et les pousser de son souffle intransigeant.  Dans le premier morceau, son baryton s’ébroue dans des harmoniques et un grain pictural reprenant le point de vue plastique sonore d’un Brötzmann de manière profondément originale, non saxophonistique.  La vie quoi !! En trio, les musiciens évoluent avec une indépendance individuelle assumée :  vitesses , débits , intentions, émotions différentes dans une véritable cohérence scénique, gestuelle, spatiale et imaginative. L’appel à l’imaginaire, au secret , à la poésie est intense. J’aime aussi ce disque parce que l’aventure d’un soir est assumée jusqu’au bout des doigts, de l’archet, du gosier et du bec. Et pour finir , je dirai que Peter Kowald  n’a jamais aussi bien joué qu’à la fin de sa carrière. Ici il crée un  véritable  espace pour laisser la voix humaine se mouvoir en toute liberté. Comme FOU vient aussi de publier un quartet de Derek Bailey Joëlle Léandre George Lewis et Evan Parker à Dunois en 1982 et des collaborations de son responsable, Jean Marc Foussat avec Joe Mc Phee, Ramon Lopez et Evan Parker, je décrète que ce label FOU est à suivre à la trace. FOU FOU FOU , FOU je vous dis ! Que vive la folie et que se taisent les rabat-joie formalistes et autres rats de conservatoire. L’art conversatoire de Nozati nous-a-dit ce qu’il fallait entendre : la VIE !!

Derek Bailey Joëlle Léandre George Lewis Evan Parker 28 rue Dunois juillet 82 Fou records CD06


Fou Fou Fou, Fou ! C’est Fou !  Voici que de façon tout à fait follement inattendue ce CD arrive dans ma boîte aux lettres en compagnie d’un autre CD tout aussi FOU,  « instants chavirés » millésimé 2000 de nos chers disparus : Peter Kowald et la cant-actrice chanteuse Annick Nozati avec notre ami Daunik Lazro aux saxophones. Je n’avais pas la moindre idée que Jean- Marc Foussat  qui suit ces musiques à la trace depuis plus de trente ans allait publier un tel trésor ( eh oui !!)
On me dira Evan Parker – Derek Bailey , on connaît pfff … , que Joëlle Léandre  est tout aussi documentée … et George Lewis nettement moins en ce qui concerne cette direction musicale, improvisée libre. Que les labels Incus , Psi, Emanem etc… ont produit ce genre d’albums à tour de bras
Soyons honnête, par rapport aux flux de cd’s de ces presque vingt dernières années, les enregistrements parus documentant l’improvisation libre radicale du début des années 80 se comptent sur les doigts d’une main par tête de pipe. Surtout des quartets ou quintets aussi généreusement homogènes. Gérard Rouy mentionne une série d’albums où nos quatre mousquetaires se croisent. Il a omis de citer l’extraordinaire duo « From Saxophone and Trombone » de Parker et Lewis publié à cette époque par Incus et réédité par Psi. Oui cet album FOU 28 Rue Dunois est FOU ! FOU , FOU , FOU !
Il nous permet d’entendre du début jusqu’à la fin une tentative de création collective totalement improvisée qui se déroule sur plus de 70 minutes dans un lieu parisien incontournable fréquenté par les afficionados de l’époque (Lê Quan Ninh, Jacques Oger, Jean-Marc Foussat). Si Parker et Bailey sont « Compatibles » (Compatible Recording and Publishing était le nom de la maison d’éditions de leur label commun Incus), l’ajout de George Lewis au trombone et surtout de Joëlle Léandre soulève plusieurs problèmes d’équilibre, de cohérence etc.. Trouver un champ commun , un partage qui dépasse le fait que des  personnalités d’envergure soient rassemblées un même soir de 1982 et soient sensées créer un chef d’œuvre.  Une communion réelle… Joëlle Léandre venait seulement de faire la rencontre de Derek Bailey et de George Lewis à New York l’année précédente et  elle commençait à s’investir dans l’improvisation libre après avoir déjà travaillé la composition contemporaine en tant qu’interprète de compositeurs tels que Cage et Scelsi , personnalités qu’elle a rencontré et fréquenté intensivement. Joëlle n’a alors pas encore les planches (expression du métier signifiant l’expérience) ni la technique ébouriffante (inégalée) de ses trois compagnons. Derek Bailey et Evan Parker font alors figure de chefs de file de l’improvisation radicale made in London mais dont l’influence et l’aura s’exporte de Berlin à Rome  et New York. Quant à George Lewis, il est considéré comme étant le tromboniste « jazz » numéro un après avoir travaillé intensivement avec Anthony Braxton dès 1976. Si elle n’a pas encore acquis l’expérience et l’aura de ses compagnons d’un soir, c’est une profonde musicienne qui sait ce qu’elle veut. On l’entend ici, ses propositions s’intègrent vraiment bien à l’ensemble, l’assemblage parfait de la spontanéité débridée et de la musicalité réfléchie, tour à tour et simultanément. Et même quand il lui prend l’idée de chanter, ce n’est pas en vain. C’est une touche bienvenue, rafraîchissante qu’une harmonique providentielle de la guitare de Derek prolonge et s’en fait l’écho instantané avec une précision et  une inspiration suprenantes. Et donc,  dans ce superbe album , nous avons l’occasion d’entendre un éventail insoupçonnable de possibilités , d’explorations variées avec une forme d’intensité sensuelle, une émotion supérieure à certains des premiers Company où Derek et Evan jouaient avec Anthony Braxton, par exemple, (Company 2 Incus). Moins abrupt que le mythique concert du Spontaneous Music Ensemble à l’ICA, « the Quintessence » qui, en 1974, rassemblait en  Stevens, Trevor Watts , Bailey, Parker et Kent Carter (Emanem) dans un continuum imprévisible, 28 Rue Dunois se « compose » de cinq parties :  intro de 7 minutes et quatre mouvements entre 11, 15 et 26 minutes, partagées par la pause entre les deux sets.
Bien sûr les duos de Bailey et Parker avec X Y et Z sont incontournables, mais  «leurs » très rares quartets enregistrés dans leur intégralité impliquant d’autres personnalités sont inoubliables même s’ils semblent moins réussis pour le comptable de la musicalité intégrale. Surtout, ils ont un surcroît d’âme. La part d’inconnues et de risques , les contingences ( histoire de chacun, instrument particulier, sentiments individuels, appétit musical ) sont nettement plus fortes, intenses. Les surprises sont surprenantes et corrigent l’idée qu’on a pu se faire de leur pratique en fonction des disques publiés à l’époque. Une telle rencontre pourrait déboucher sur un fiasco ou des ronds de jambe, mais ici il n’y a rien d’autre que l’approche de l’excellence. L’auditeur transite dans une multiplicité de paysages musicaux : explosions, irruptions de particules sonores inouïes du sax ténor de Parker, fractals de l’amplification baileyienne, réponses de Lewis, ses effet sonores sur les joues et les lèvres, langage fragmenté et ferraillant de Bailey le pied enfonçant la pédale de volume, courses poursuites effrénées ou stase introspective minimaliste, boucles mélodiques qui tournoient ou éclatement des notes, hachures surlignées  et courbes infinies, passages de relai dans un duo mouvant, répétitions d’intervalles distordus, fausses hésitations, proposition contrariante et avisée de Léandre, musique de chambre initimiste ou charge monstrueuse. Bien sûr, il y a deux ou trois flottements, une ou deux digressions superflues, quelques longueurs, mais sur plus de 75 minutes, on est largement récompensé d’une écoute attentive, fascinée. Et quel bonheur !! Moi-même, j’avais organisé la rencontre en quartet avec Evan Parker, Paul Rutherford, Hannes Schneider et Paul Lytton en 1985 et ensuite relancé Martin Davidson et Evan Parker  en connaissance de cause (avoir suivi et écouté la free – music européenne et américaine etc.. durant une vingtaine d’années finit par créer une sorte de sixième sens) pour que ce concert de ce groupe optimal soit publié. Il se trouve dans le CD Emanem 4030 « Waterloo 85 »  dans son entièreté. « Mon quartet de rêve » était une occurrence inespérée et ici le rêve de rencontre magique et de communion complète de Jean-Marc  FOUssat se matérialise en un beau miracle inattendu auquel je souscris à 200%. FOU , FOU, FOU,  je vous dis !

PS. Mise au point « historique » : dans les notes de pochette, Gérard Rouy fait mention de la rupture entre Parker et Bailey qui aurait eu lieu en 1985. Il y avait déjà un contentieux relationnel et « administratif » entre les deux compères (collaborant ensemble depuis 1966 !) à cette époque. Mais cela ne les avait pas empêché d’organiser ensemble deux éditions du festival Incus en avril 1985 et 1986 durant une semaine complète avec une affiche exceptionnelle. Outre les deux « directeurs » d’Incus, on y a entendu Han Bennink , Misha Mengelberg, Paul Lovens, Alex Schlippenbach, George Lewis, John Zorn, Steve Lacy, Phil Wachsmann, Maarten Altena, Paul Lytton, Barry Guy, Paul Rutherford, Kenny Wheeler, Alvin Curran, AMM au grand complet ! , les Alterations, soit Steve Beresford, Pete Cusack, David Toop et Terry Day, Ernst Reyseger et un tout jeune Steve Noble en duo avec Alex Mc Guire. Le tout enregistré par le génial Michael Gerzon, l’inventeur du micro Soundfield et le précurseur de la technique Surround 5.1. En outre, Evan Parker avait publié son dernier album solo « The Snake Decides » chez Incus et cet album avait été enregistré au début de l’année 1986 et vendu lors de ce festival. Ayant été en contact avec DB et EP à cette époque, je pense que la rupture finale est advenue dans le courant de 1987.

Elton Dean Paul Dunmall Paul Rogers Tony Bianco Remembrance No Business Records 2cd

Remembrance . Souvenir. Souvenir d’Elton Dean qui nous a quitté. Souvenir d’une session de 2004. Remémoration des sons et des gestes, des émotions d’une session oubliée qui surgit ici comme un formidable témoignage. Energie, partage de l’espace sonore et temporel entre les deux souffleurs dans un morceau sublime où aucun n’est « soliste » mais se complète avec la moindre note. Quatre morceaux : l’album s’ouvre sur un trio Dunmall, Rogers et Bianco sax ténor – contrebasse – percussion qui évoque les espaces Interstellaires… ( Coltrane – Ali Impulse)….  s’ensuit ce sublime quartet où la cohésion intime et les contrechants / invites réciproques des Deux Dean ‘n Dun ont quelque chose d’unique et de profondément touchant. Sur le deuxième cd, une duo contrebasse à sept cordes et batterie permettent à Paul Rogers d’imprimer sa marque. Fabuleux travail à l’archet… Energie et nuances … Le drumming de Tony Bianco foisonnant et intensément polyrythmique s’incarne avec une touche encore plus subtile et sensuelle qu’à l’ordinaire.
Pour finir, un trio caractéristique avec Elton Dean / Paul Rogers et Tony Bianco. Leur musique renouvelle un genre défini par le vocable free jazz qu’ils investissent en improvisant sans interruption de la première minute à la dernière. Le Coltranisme est Dunmallisé une fois pour toutes  ! Roger(s), je vous reçois cinq sur cinq !!  Ces quatre-là font B(i)anco !! Elton Dean s’en est allé il y a quelques années et cet album est un moyen incontournable de se souvenir de lui. Ce quartet qui figure dans le premier cd est absolument exemplaire du jouer et vivre ensemble qui est au cœur du jazz authentique et des musiques improvisées.  Le reste n’est que passion…..

Ivo Perelman Mat Maneri Two Men Walking Leo records CD LR 696

Souvenez vous, si vous y étiez déjà. Three Men Walking, paru sur ECM, il y a vingt ans nous faisait déjà découvrir Mat Maneri avec son père Joe , aujourd’hui disparu et le guitariste aventureux Joe Morris. Les torsions et glissements microtonaux des Maneri père et fils. Aujourd’hui, Two Men Walking réunit Mat Maneri avec le superbe saxophoniste brésilien Ivo Perelman. 10 morceaux intitulés Part 1 , Part 2 etc.. nous font découvrir le mystère infini des notes étirées, glissées, fractionnées dans une entente symbiose absolument merveilleuse. Une véritable communion microtonale.  C’est absolument sublime. « On » accusera le saxophoniste ténor Ivo Perelman de ressasser « le free –jazz » , mais c’est à tort, faute d’avoir écouté ces deux hommes promenants. Ça commence comme du Sonny Rollins mâtiné de Frank Lowe, et l’alto (violon !) électrique de Mat Maneri s’insère. Bien sûr, ce n’est pas tellement « musique de chambre car ces deux improvisateurs ont un cambrure rythmique, un drive même quand le timbre se fait lunaire. Je ne vais pas passer mon temps à vous décrire les pièces consécutives par le menu. Ce que je peux affirmer c’est la pertinence et la connivence du saxophoniste brésilien et du violoniste alto de Boston. Ils ont un talent fou pour enchâsser les idées communes et les associations de timbre,  d’intervalles, les sautes d’humeur et de rythme, les cris distendus et les glissandi les plus improbables. Cela respire, transpire et conspire la musique obstinément, gravement, lègèrement. Voici donc un superbe album qui vous fera entendre une face cachée des deux instruments respectifs. On oublie souvent qui joue du sax ou du violon tant le partage des volutes, des contrepoints, des accelerandi et du flux microtonal fonctionne dans une véritable osmose, une entente parfaite. Ces deux-là sont faits l’un pour l’autre comme par exemple l’étaient , dans notre jeunesse, Evan Parker et Derek Bailey dans the London Concert 1975 (Psi). Merveilleux !!


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