Peter Kowald – Daunik Lazro – Annick
Nozati instants chavirés FOU Records FR
CD 07
Groupe “de circonstance” et rencontre de fortes personnalités enregistré en
février 2000 à l’espace des Instants
chavirés dans la banlieue parisienne
peu avant la disparition inopinée de deux d’entre eux (Nozati et Kowald),
cet album “FOU” est vraiment FOU ! Personne ne s’attendait à ce que sorte un
jour un témoignage aussi vivant de l’art d’ une chanteuse – actrice
inoubliable, d’une véritable bête de scène, Annick Nozati et en compagnie de
deux des plus purs camarades de l’improvisation totale, deux
irréductibles : le saxophoniste baryton et alto Daunik Lazro , pilier
incontournable de la scène hexagonale et le contrebassiste Peter Kowald, globe
- trotter infatigable dont le cœur a lâché, trop tôt. L’enregistrement ,
réalisé par Jean-Marc Foussat, reproduit
fidèlement le développement du concert en duos et trios avec au milieu un solo
absolu de la chanteuse. C’est bien le meilleur souvenir que je garderai d’elle,
avec ses incroyables gesticulations , éructations et murmures en compagnie du
pianiste Fred Van Hove , il y a … 30 ans à Bruxelles et ce bel album solo
« La Peau des Anges »
publié par Vandoeuvre. Annick avait une
voix très puissante qu’elle poussait jusqu’au cri désespéré en glissant
immédiatement de l’explosion du larynx au sussurement intimiste d’une seule
portée de voix. Une maîtrise supérieure de l’organe vocal et une résistance… au
propre et au figuré ! Parfois ,
suite à l’excès durant quelques minutes enfiévrées et vécues comme si sa vie en
dépendait, le timbre de sa voix se fêlait ensuite légèrement. Mais jamais on ne
l’entendait lâcher le port de sa voix et le son. Un phénomène transfuge du
théâtre qui ayant dû se mettre à chanter /vocaliser pour des créations
dramatiques , s’est révélée être une vraie improvisatrice , une chanteuse, une
sorte de cant’actrice. . . Annick Nozati c’est plus que de la musique,
qu’une « porteuse de projet », un C.V. , une discographie etc..
C’était un être vivant qui ne s’encombrait pas de faux semblant ni de
demi-mesure. On pense à son amie Maggie
Nicols avec qui elle partageait cette faconde insatiable et un véritable sens pédagogique avec quiconque
se présentait et essayait de musiquer. Bref, elle n’était pas coincée. Elle
exprimait la rage et la raison, une extrême spontanéité et une réflexion
profonde, le babil couineur et forcené ou
l’art du crescendo dans la nuance avec une voix qui ne devait rien à
l’entraînement vocal d’un genre musical défini. Derrière la folie audacieuse,
une maîtrise impressionnante, même si sa tessiture ne lui permettait pas de
faire le rossignol du sol aigu. Et avec tout ça, pas de système, de schéma, de
balise, rien que du pur jus, celui du peuple des marchés et des manifs. Bien
sûr , je me rappelle les réflexions de collègues germaniques tâtillons et
sérieux que ses débordements expressionnistes terrorisaient. Mais quelques
géants de la scène improvisée étaient pleins d’admiration pour son art unique.
Le pianiste Fred Van Hove (pianist number one in free improvisation) fit équipe
avec elle depuis 1983 jusqu’à sa mort qui advint malheureusement cinq mois
après ce gig. Fred et Annick
enregistrèrent plusieurs albums communs. En duo : Uit sur Nato (LP) et en trio avec Fred et Hannes Bauer sur les
labels Amiga (LP) et FMP CD (Organo Pleno). Peter Kowald et Daunik Lazro
étaient parmi ses camarades inconditionnels et, dois- je le rappeler (?), Kowald joua un rôle primordial dans la
découverte de cette autre chanteuse exceptionnelle : Sainkho Namchylak. J’aime aussi beaucoup ce disque car on entend
Daunik Lazro fragmenter des boucles à l’alto de manière super réussie et les
pousser de son souffle intransigeant.
Dans le premier morceau, son baryton s’ébroue dans des harmoniques et un
grain pictural reprenant le point de vue plastique sonore d’un Brötzmann de
manière profondément originale, non saxophonistique. La vie quoi !! En trio, les musiciens
évoluent avec une indépendance individuelle assumée : vitesses , débits , intentions, émotions
différentes dans une véritable cohérence scénique, gestuelle, spatiale et
imaginative. L’appel à l’imaginaire, au secret , à la poésie est intense.
J’aime aussi ce disque parce que l’aventure d’un soir est assumée jusqu’au bout
des doigts, de l’archet, du gosier et du bec. Et pour finir , je dirai que
Peter Kowald n’a jamais aussi bien joué
qu’à la fin de sa carrière. Ici il crée un
véritable espace pour laisser la
voix humaine se mouvoir en toute liberté. Comme FOU vient aussi de publier un
quartet de Derek Bailey Joëlle Léandre George Lewis et Evan Parker à Dunois en
1982 et des collaborations de son responsable, Jean Marc Foussat avec Joe Mc
Phee, Ramon Lopez et Evan Parker, je décrète que ce label FOU est à suivre à la
trace. FOU FOU FOU , FOU je vous dis ! Que vive la folie et que se
taisent les rabat-joie formalistes et autres rats de conservatoire. L’art
conversatoire de Nozati nous-a-dit ce qu’il fallait entendre : la
VIE !!
Derek Bailey Joëlle Léandre George
Lewis Evan Parker 28 rue Dunois juillet 82 Fou records
CD06
Fou
Fou Fou, Fou ! C’est Fou !
Voici que de façon tout à fait follement inattendue ce CD arrive dans ma
boîte aux lettres en compagnie d’un autre CD tout aussi FOU, « instants chavirés » millésimé
2000 de nos chers disparus : Peter Kowald et la cant-actrice chanteuse
Annick Nozati avec notre ami Daunik Lazro aux saxophones. Je n’avais pas la
moindre idée que Jean- Marc Foussat qui
suit ces musiques à la trace depuis plus de trente ans allait publier un tel
trésor ( eh oui !!)
On
me dira Evan Parker – Derek Bailey , on connaît pfff … , que Joëlle Léandre est tout aussi documentée … et George Lewis
nettement moins en ce qui concerne cette direction musicale, improvisée libre.
Que les labels Incus , Psi, Emanem etc… ont produit ce genre d’albums à tour de
bras
Soyons
honnête, par rapport aux flux de cd’s de ces presque vingt dernières années,
les enregistrements parus documentant l’improvisation libre radicale du
début des années 80 se comptent sur les doigts d’une main par tête de pipe.
Surtout des quartets ou quintets aussi généreusement homogènes. Gérard Rouy
mentionne une série d’albums où nos quatre mousquetaires se croisent. Il a omis
de citer l’extraordinaire duo « From Saxophone and Trombone » de
Parker et Lewis publié à cette époque par Incus et réédité par Psi. Oui cet
album FOU 28 Rue Dunois est FOU ! FOU , FOU , FOU !
Il
nous permet d’entendre du début jusqu’à la fin une tentative de création
collective totalement improvisée qui se déroule sur plus de 70 minutes dans un
lieu parisien incontournable fréquenté par les afficionados de l’époque (Lê
Quan Ninh, Jacques Oger, Jean-Marc Foussat). Si Parker et Bailey sont « Compatibles » (Compatible Recording
and Publishing était le nom de la maison d’éditions de leur label commun
Incus), l’ajout de George Lewis au trombone et surtout de Joëlle Léandre soulève
plusieurs problèmes d’équilibre, de cohérence etc.. Trouver un champ commun , un
partage qui dépasse le fait que des
personnalités d’envergure soient rassemblées un même soir de 1982 et
soient sensées créer un chef d’œuvre. Une communion réelle… Joëlle Léandre venait
seulement de faire la rencontre de Derek Bailey et de George Lewis à New York
l’année précédente et elle commençait à
s’investir dans l’improvisation libre après avoir déjà travaillé la composition
contemporaine en tant qu’interprète de compositeurs tels que Cage et Scelsi ,
personnalités qu’elle a rencontré et fréquenté intensivement. Joëlle n’a alors
pas encore les planches (expression du métier signifiant l’expérience) ni la
technique ébouriffante (inégalée) de ses trois compagnons. Derek Bailey et Evan
Parker font alors figure de chefs de file de l’improvisation radicale made in
London mais dont l’influence et l’aura s’exporte de Berlin à Rome et New York. Quant à George Lewis, il est
considéré comme étant le tromboniste « jazz » numéro un après avoir
travaillé intensivement avec Anthony Braxton dès 1976. Si elle n’a pas encore
acquis l’expérience et l’aura de ses compagnons d’un soir, c’est une profonde
musicienne qui sait ce qu’elle veut. On l’entend ici, ses propositions
s’intègrent vraiment bien à l’ensemble, l’assemblage parfait de la spontanéité
débridée et de la musicalité réfléchie, tour à tour et simultanément. Et même
quand il lui prend l’idée de chanter, ce n’est pas en vain. C’est une touche
bienvenue, rafraîchissante qu’une harmonique providentielle de la guitare de
Derek prolonge et s’en fait l’écho instantané avec une précision et une inspiration suprenantes. Et donc, dans ce superbe album , nous avons l’occasion
d’entendre un éventail insoupçonnable de possibilités , d’explorations variées
avec une forme d’intensité sensuelle, une émotion supérieure à certains des
premiers Company où Derek et Evan jouaient avec Anthony Braxton, par exemple,
(Company 2 Incus). Moins abrupt que le mythique concert du Spontaneous Music
Ensemble à l’ICA, « the Quintessence » qui, en 1974, rassemblait
en Stevens, Trevor Watts , Bailey,
Parker et Kent Carter (Emanem) dans un continuum imprévisible, 28 Rue Dunois se
« compose » de cinq parties : intro de 7 minutes et quatre mouvements entre
11, 15 et 26 minutes, partagées par la pause entre les deux sets.
Bien
sûr les duos de Bailey et Parker avec X Y et Z sont incontournables, mais
«leurs » très rares quartets enregistrés dans leur intégralité
impliquant d’autres personnalités sont inoubliables même s’ils semblent moins
réussis pour le comptable de la musicalité intégrale. Surtout, ils ont un
surcroît d’âme. La part d’inconnues et de risques , les contingences (
histoire de chacun, instrument particulier, sentiments individuels, appétit
musical ) sont nettement plus fortes, intenses. Les surprises sont surprenantes
et corrigent l’idée qu’on a pu se faire de leur pratique en fonction des
disques publiés à l’époque. Une telle rencontre pourrait déboucher sur un
fiasco ou des ronds de jambe, mais ici il n’y a rien d’autre que l’approche de
l’excellence. L’auditeur transite dans une multiplicité de paysages
musicaux : explosions, irruptions de particules sonores inouïes du sax
ténor de Parker, fractals de l’amplification baileyienne, réponses de Lewis,
ses effet sonores sur les joues et les lèvres, langage fragmenté et ferraillant
de Bailey le pied enfonçant la pédale de volume, courses poursuites effrénées
ou stase introspective minimaliste, boucles mélodiques qui tournoient ou
éclatement des notes, hachures surlignées
et courbes infinies, passages de relai dans un duo mouvant, répétitions
d’intervalles distordus, fausses hésitations, proposition contrariante et
avisée de Léandre, musique de chambre initimiste ou charge monstrueuse. Bien
sûr, il y a deux ou trois flottements, une ou deux digressions superflues,
quelques longueurs, mais sur plus de 75 minutes, on est largement récompensé
d’une écoute attentive, fascinée. Et quel bonheur !! Moi-même, j’avais
organisé la rencontre en quartet avec Evan Parker, Paul Rutherford, Hannes
Schneider et Paul Lytton en 1985 et ensuite relancé Martin Davidson et Evan
Parker en connaissance de cause (avoir
suivi et écouté la free – music européenne et américaine etc.. durant une
vingtaine d’années finit par créer une sorte de sixième sens) pour que ce
concert de ce groupe optimal soit publié. Il se trouve dans le CD Emanem 4030
« Waterloo 85 » dans son
entièreté. « Mon quartet de rêve » était une occurrence inespérée et
ici le rêve de rencontre magique et de communion complète de Jean-Marc FOUssat se matérialise en un beau miracle
inattendu auquel je souscris à 200%. FOU , FOU, FOU, je vous dis !
PS.
Mise au point « historique » : dans les notes de pochette, Gérard Rouy fait mention de la
rupture entre Parker et Bailey qui aurait eu lieu en 1985. Il y avait déjà un
contentieux relationnel et « administratif » entre les deux compères
(collaborant ensemble depuis 1966 !) à cette époque. Mais cela ne les
avait pas empêché d’organiser ensemble deux éditions du festival Incus en avril
1985 et 1986 durant une semaine complète avec une affiche exceptionnelle.
Outre les deux « directeurs » d’Incus, on y a entendu Han Bennink ,
Misha Mengelberg, Paul Lovens, Alex Schlippenbach, George Lewis, John
Zorn, Steve Lacy, Phil Wachsmann, Maarten Altena, Paul Lytton, Barry Guy, Paul
Rutherford, Kenny Wheeler, Alvin Curran, AMM au grand complet ! , les
Alterations, soit Steve Beresford, Pete Cusack, David Toop et Terry Day, Ernst
Reyseger et un tout jeune Steve Noble en duo avec Alex Mc Guire. Le tout
enregistré par le génial Michael Gerzon, l’inventeur du micro Soundfield et le
précurseur de la technique Surround 5.1. En outre, Evan Parker avait publié son
dernier album solo « The Snake Decides » chez Incus et cet album
avait été enregistré au début de l’année 1986 et vendu lors de ce festival.
Ayant été en contact avec DB et EP à cette époque, je pense que la rupture
finale est advenue dans le courant de 1987.
Elton Dean Paul Dunmall Paul Rogers Tony Bianco Remembrance No Business Records 2cd
Remembrance
. Souvenir. Souvenir d’Elton Dean qui nous a quitté. Souvenir d’une session de
2004. Remémoration des sons et des gestes, des émotions d’une session oubliée
qui surgit ici comme un formidable témoignage. Energie, partage de l’espace
sonore et temporel entre les deux souffleurs dans un morceau sublime où aucun
n’est « soliste » mais se complète avec la moindre note. Quatre
morceaux : l’album s’ouvre sur un trio Dunmall, Rogers et Bianco sax ténor
– contrebasse – percussion qui évoque les espaces Interstellaires… ( Coltrane –
Ali Impulse)…. s’ensuit ce sublime
quartet où la cohésion intime et les contrechants / invites réciproques des
Deux Dean ‘n Dun ont quelque chose d’unique et de profondément touchant. Sur le
deuxième cd, une duo contrebasse à sept cordes et batterie permettent à Paul
Rogers d’imprimer sa marque. Fabuleux travail à l’archet… Energie et nuances …
Le drumming de Tony Bianco foisonnant et intensément polyrythmique s’incarne
avec une touche encore plus subtile et sensuelle qu’à l’ordinaire.
Pour
finir, un trio caractéristique avec Elton Dean / Paul Rogers et Tony Bianco.
Leur musique renouvelle un genre défini par le vocable free jazz qu’ils
investissent en improvisant sans interruption de la première minute à la
dernière. Le Coltranisme est Dunmallisé une fois pour toutes ! Roger(s),
je vous reçois cinq sur cinq !! Ces
quatre-là font B(i)anco !! Elton Dean s’en est allé il y a quelques années
et cet album est un moyen incontournable de se souvenir de lui. Ce quartet qui
figure dans le premier cd est absolument exemplaire du jouer et vivre ensemble
qui est au cœur du jazz authentique et des musiques improvisées. Le reste n’est que passion…..
Ivo Perelman Mat Maneri Two Men
Walking Leo records CD LR 696
Souvenez
vous, si vous y étiez déjà. Three Men Walking, paru sur ECM, il y a vingt ans
nous faisait déjà découvrir Mat Maneri avec son père Joe , aujourd’hui disparu
et le guitariste aventureux Joe Morris. Les torsions et glissements microtonaux
des Maneri père et fils. Aujourd’hui, Two
Men Walking réunit Mat Maneri avec le superbe saxophoniste brésilien Ivo
Perelman. 10 morceaux intitulés Part 1 , Part 2 etc.. nous font découvrir le
mystère infini des notes étirées, glissées, fractionnées dans une entente
symbiose absolument merveilleuse. Une véritable communion microtonale. C’est absolument sublime. « On »
accusera le saxophoniste ténor Ivo Perelman de ressasser « le free
–jazz » , mais c’est à tort, faute d’avoir écouté ces deux hommes promenants.
Ça commence comme du Sonny Rollins mâtiné de Frank Lowe, et l’alto
(violon !) électrique de Mat Maneri s’insère. Bien sûr, ce n’est pas
tellement « musique de chambre car ces deux improvisateurs ont un cambrure
rythmique, un drive même quand le timbre se fait lunaire. Je ne vais pas passer
mon temps à vous décrire les pièces consécutives par le menu. Ce que je peux
affirmer c’est la pertinence et la connivence du saxophoniste brésilien et du
violoniste alto de Boston. Ils ont un talent fou pour enchâsser les idées
communes et les associations de timbre,
d’intervalles, les sautes d’humeur et de rythme, les cris distendus et
les glissandi les plus improbables. Cela respire, transpire et conspire la
musique obstinément, gravement, lègèrement. Voici donc un superbe album qui
vous fera entendre une face cachée des deux instruments respectifs. On oublie
souvent qui joue du sax ou du violon tant le partage des volutes, des
contrepoints, des accelerandi et du flux microtonal fonctionne dans une
véritable osmose, une entente parfaite. Ces deux-là sont faits l’un pour
l’autre comme par exemple l’étaient , dans notre jeunesse, Evan Parker et Derek
Bailey dans the London Concert 1975 (Psi). Merveilleux !!
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