Orrù Mar Rocha Live at Mia 2015
Endtitles
Emballé dans
une feuille de papier gris clair pliée
judicieusement et marquée au centre par l’inscription Orrù Mar Rocha Live at Mia 2015, ce beau document nous fait
entendre un très remarquable trio d’improvisation contemporaine. Le
contrebassiste Adriano Orrù muni
aussi d’objets, la violiniste Maria do
Mar et le clarinettiste Luiz Rocha
concertent leurs efforts en se concentrant avec beaucoup d’empathie sur
plusieurs aspects : les formes, l’écoute mutuelle, le sens de l’épure,
l’équilibre entre chaque instrument, la construction collective, une qualité
« musique de chambre » alliant dynamique sonore et énergie,
indépendance et une interactivité subtilement tangentielle. Il y a un passage
où le lyrisme est exalté et le decrescendo qui suit mène au silence. Le public
applaudit et rappelle ensuite : on a droit à des coups d’archets fouettés
sur les cordes et la voix de do Mar qui s’égosille abruptement. La suite est
intense, bruissante, le souffleur vocifère dans le tube de la clarinette basse,
l’origine des sons est peu descriptible, si ce n’est le violon qui vrille les
aigus quasi en sottovoce. Cela conduit à
des notes tenues, quelques notes répétées, un aigu de clarinette proche du flutiau
et partant de là un beau trilogue exprimant un sentiment d’hésitation, de
réitération d’une conclusion dont on retarde l’aboutissement. Subtil, lumineux.
Comme le concert (et l’enregistrement, très bon vu les circonstances) a eu lieu
dans une église, les trois musiciens doivent restreindre leurs actions pour
rester lisibles et éviter la saturation. On apprécie le jeu de contrebasse
puissant d’Adriano Orrù, le contrôle sonore et l’audace de Luis Rocha et la
subtilité délicieusement réservée de Maria do Mar. Chaque séquence développe
une idée commune et puis enchaîne vers une réalité différente. On n’étale pas,
on concentre… un dosage inné de la répartie, du commentaire, de la relance se
fait jour. De nombreuses figures de style qu’on croirait être empruntée à
l’écriture théâtrale sont dévoilées par le jeu collectif. En fait, c’est
exemplaire : la conviction et l’efficacité de cette musique la rend
indispensable.
Spontaneous Music Ensemble
Familie & Oliv
Emanem 5033
Rassemblant Trevor Watts, Derek Bailey, le pianiste Peter
Lemer, les chanteuses Pepi Lemer
et Norma Winstone, ou Maggie Nicols et Carolann Nicholls, les bassistes Jeff Clyne et Dave Holland
ou Johny Dyani mais aussi Evan Parker ou Kenny Wheeler dans deux sessions de studio sous la houlette de John Stevens, guide- catalyseur du Spontaneous
Music Ensemble, Familie & Oliv, enregistrés
respectivement en janvier 1968 et février 1969, documentent la période
initiatrice du groupe autour de procédés d’écriture, de passages obligés et d’organisation
orchestrale à la fois proches et éloignés du free jazz ouvert de l’époque. Un
parallèle peut être tiré avec les compositions de Bill Dixon dans November 64 ou Intents and Purposes ou de Sound,
le premier album paru de Roscoe Mitchell. Une anecdote concernant la
qualité excellente des enregistrements studios : les deux versions de la
composition Familie (plages 1 &
4) ont été mises en boîte par Eddie
Kramer, l’ingé-son de Jimi Hendrix et les sessions d’Oliv le furent par Eddie Offord qui fut le technicien du groupe Yes au début des années 70. On sait
aussi que le bassiste de Yes, Chris
Squire, était un collègue de Trevor Watts chez Boosey & Hawkes, l’éditeur musical pour qui ils réalisaient la
copie au net des partitions. Trevor et Stevens avaient en effet décidé d’effectuer
un travail rénumérateur hors de la scène musicale afin de conserver une liberté
d’expression totale et de ne pas être obligés de se plier aux desiderata des patrons
de club. Les deux versions de Familie font respectivement
19 : 42 et 11 : 33, la deuxième étant une seconde section
alternative. Ces deux enregistrements ne furent jamais publiés et une autre
version est parue dans l’album « posthume » du SME, Frameworks (Emanem 4134). Quant à Oliv (1 et 2), il s’agit
des deux faces de l’album Spontaneous Music Ensemble publié
par Marmalade, le label de Giorgio Gomelsky. GG et Marmalade firent d’ailleurs connaître la chanteuse Julie Driscoll,future Julie Tippetts, laquelle chanta dans le SME en 1971. Ce sont des enregistrements intéressants voire
passionnants avec la remarque importante que les enregistrements du SME de
l’époque et leurs concerts quasi journaliers sont des choses relativement
différentes. Par exemple, John Stevens a invité Kenny Wheeler et Derek Bailey
systématiquement dans trois enregistrements publiés à l’époque : le
légendaire Karyobin sur le label rock
Island, le présent Oliv I & II publié par Marmalade
en 1969 (Spontaneous Music Ensemble)
et le moins connu, So, What Do You Think ?
(janvier 1971 label Tangent), alors
que ces deux musiciens étaient des contributeurs occasionnels du groupe. De
même, David Holland fut invité pour Karyobin,
So What et Familie. Le SME est un
groupe qui a énormément travaillé, répété, investigué et fait évoluer sa démarche
au point que chaque témoignage enregistré doit être entendu comme le révélateur
d’une phase particulière parfois assez éloignée de la pratique du concert. On
retrouve un fil conducteur : la pratique d’exercices musicaux collectifs
conçus pour permettre une véritable communion sonore et qui servent de guides
pour créer ces pièces musicales, une forme d’improvisation à la fois très libre
et semi-dirigée. Aussi, John Stevens décidait fréquemment des changements de
direction dans la musique du groupe et cette progression en dents de scie fait
du SME le groupe le plus complexe à cerner musicalement. Je lui ai d’ailleurs
consacré une étude en 2007 d'une quarantaine de pages parue dans le magazine Improjazz et traduite dans Oro
Molido.
Dans la
première et plus longue version de Familie
(19 : 42), les voix de Pepi Lemer et de Norma Winstone, la flûte, le piccolo et le sax soprano (Brian
Smith, Trevor Watts et Evan Parker), le violoncelle et les deux contrebasses de
Jeff Clyne et David Holland jouent un drone (le « sustain » des
pièces d’ateliers) dans une première section alors que John Stevens, Derek Bailey et
le pianiste Peter Lemer se mettent successivement à improviser à partir de la
deuxième minute. Le batteur souligne, le guitariste tranche et le pianiste
introduit d’abord des lueurs tonales qu’il abandonne sous la pression de
l’improvisation collective pour parcourir le clavier en montagnes russes. Cette
section augmente ou varie d’intensité au fur et à mesure que les improvisations
prennent de l’importance dans la masse de l’orchestre. C’est alors que les voix
chantent des glissandi impressionnants et que
se distingue brièvement la flûte dans des brisures de la masse sonore (5 ‘). Les
chanteuses improvisent sur des changements de tonalité tout en conservant l’émission
vocale des drones. On revient ensuite vers le
sustain où les voix dominent ou alternent avec les flûtes. Le piano improvise
modalement et la guitare plutôt à mi-chemin entre le sonique et le sériel. Une
autre section de Familie pointe vers
les 11’ et les musiciens s'y lancent dans une improvisation collective en
conservant l’esprit de ce qui a été joué auparavant lors de la première version. Principalement les voix,
la flûte et le piccolo, la batterie, aérienne avec les cymbales, les deux
contrebasses et le piano. Des connivences et des interactions
successives entre chaque instrumentiste apparaissent créant une sorte de tapisserie tissée par le foisonnement des lignes et et accents de chaque improvisateur et où l’auditeur peut visualiser leurs
imbrications dans le détail. Cette deuxième section se termine en decrescendo
que vient souligner un remarquable glissando des voix. C’est un peu avec un
procédé similaire mais plus travaillé que débute Oliv I (19:25) : les trois chanteuses à l’unisson (Maggie
Nicols, Pepi Lemer et Carolann Nicholls
avec des nuances tonales subtiles et des effets de glissando, Derek Bailey égrène des notes en arrière-plan
tout comme le pianiste. Par dessus, Kenny Wheeler délivre une remarquable
improvisation quasiment durant toute la composition. On y retrouve l’effet sustain de Familie enrichi par d'autres procédés qu’il faut écouter avec attention pour en saisir la richesse. Lorsque la contrebasse
de Johny Dyani et le piano de Peter Lemer entrent en scène après les 8’ pour se
retrouver dans une walking bass secondée par la batterie de John Stevens alors que
Wheeler accélère le tempo de son improvisation, alors, les voix forment un
drone en arrière-plan. Un peu plus tard, le trompettiste interrompt brièvement
son solo pour laisser la place au pianiste. Il reprend son tour de force alors
que le tandem rythmique intensifie ses balancements jusqu’à leurs dislocations. Dès
les 15’, c’est la guitare perçante de Derek Bailey (harmoniques et suraigus)
qui se détache ici et là. Curieusement le sax alto de Trevor Watts reste très
discret. Derek Bailey, alors membre à part entière d’un des groupes les plus
radicaux de la scène londonienne, Music Improvisation Company, tranche par son aspect sonore austère et
« non-idiomatique ». Final en roulement de batterie et d’incursions
chromatiques sur le registre médium et aigu du piano au moment où le volume
de l’orchestre diminue progressivement et s’éteint. Pas tout à fait satisfait par le déroulement de la composition Oliv lors de l’enregistrement, Stevens proposa alors d’enregistrer en quartet : Maggie Nichols, Trevor Watts,
Johny Dyani et John Stevens. Il s’ensuit une improvisation de 15 :57 qui
compte parmi les meilleures choses enregistrées par le groupe. Ce quartet avec
Dyani était en fait le Spontaneous Music
Ensemble « de concert » et une équipe composée de Stevens, Watts,
Maggie Nicols et Carolann Nicholls s’est produite au premier Total Music Meeting à Berlin en novembre
1968. Ils furent rejoints sur scène par John Mc Laughlin en personne, lequel
habitait d’ailleurs dans le même immeuble que la famille Stevens à Ealing. Mongezi
Fesa remplaça Nichols par la suite et ce deuxième SME quartet joua au festival de
Kongsberg en Suède, mais ne fit aucun enregistrement même s’il laissa un
souvenir inoubliable. Plusieurs choses sont très pertinentes dans ce magnifique
essai d’improvisation collective d’OlivII
. Trevor Watts joue enlaissant des espaces de silence et en se mettant au niveau sonore de la voix de
la chanteuse afin d’inclure complètement Maggie Nicols dans le son et la dynamique de
l’ensemble. Celle-ci est encore à ses débuts, mais fait preuve d’une très grande
sensibilité. Il lui est demandé de vocaliser avec une voix blanche sans forcer
l’expression. On est là très loin du jazz. Certains intervalles demandent de la
précision pour une vocaliste et malgré l’apparente simplicité de la musique, il
s’agit du fruit d’un travail intense car le S.M.E.
de Stevens et Watts répète quasi journellement. Avec Jeanne Lee à la même
époque, Maggie Nicols se révèle déjà comme une innovatrice de la voix humaine dans la musique improvisée. Le jeu de John Stevens est ici plus proche de celui d’une batteur de jazz « même
free » par rapport à celui d’autres enregistrements où sa (mini) batterie
minimaliste révolutionne la percussion. Quelques passages chantés ou joués sont écrits et s’intègrent
naturellement dans le flux des improvisations comme s’ils en faisaient. On y
trouve le Sustain et une des premières manifestations enregistrées de
la Click piece qui, elle, clôt Oliv II. Dans ce final où chaque musicien essaie de
jouer une seul son isolé dans son propre rythme personnel un peu comme une
goutte d’eau qui tombe sur le sol, l'émission de chacun de ces sons est très légèrement
décalée par rapport à celle des autres. Cet infirme décalage dans le temps est une instruction de Stevens, logique car il était obsédé par le feeling la précision rythmique de manière naturelle. Tout l’intérêt de la pièce réside dans
le fait que les improvisateurs internalisent leur feeling du temps en relation
avec celui des autres en vue d’approfondir cet aspect de l’improvisation. Où
commence la musique per se et ou finit la pédagogie est un des mystères
insondables de la musique du S.M.E.
L’album finit par une belle et intrigante version de la deuxième section de Familie où la voix de Norma Winstone
étonne par son port de voix d’une discrétion absolue avec des choix de notes et
de durées qui attirent irrésistiblement l’écoute même si le timbre de sa voix
est en retrait par rapport au volume des instruments. L’ensemble collectif se
répand dans l’atmosphère en laissant à chacun l’espace pour être entendu ou
deviné. J’ajoute encore que ces enregistrements on été repiqués d’un acétate
personnel de John Stevens pour Familie et de copies vinyles pour Oliv.
Ils ont fait l’objet d’un travail très soigné de nettoyage et d’amélioration du
son, Martin Davidson ayant acquis
une maîtrise remarquable en la matière. Même si cette musique est datée de
presque cinquante ans, certaines choses dans son contenu forcent l’écoute par
son actualité, entre autres, l’effort incessant d’écoute mutuelle des musiciens
et des idées mélodiques brillantes, autant que celles de l’Art Ensemble of
Chicago (en quartet sans batterie), groupe révélé la même année. Il faut souligner le bond en avant au niveau de la finesse et la recherche musicale de John Stevens et Trevor Watts par rapport aux enregistrements des années précédentes (cfr Withdrawal 1966/67 ou Summer 67). Stevens et Watts sont aussi des compositeurs en quelque sorte car ils ont incorporé des nuances musicales d'une grande subtilité au niveau des intervalles des timbres de la dynamique (Oliv II). Si quelques plages d’albums du trio de
Schlippenbach, de l’Unit de Cecil Taylor, de Braxton en solo ou de Music Improvisation Company peuvent
résumer leurs musiques respectives, celles du
Spontaneous Music Ensemble
nécessitent un véritable travail exégétique ardu pour percer le sens de leur démarche. Sans cela, l’auditeur pourrait se faire une idée fausse de son cheminement et de perspectives créatives par rapport à l'évolution du groupe. Une des raisons qui ont poussé Emanem à en
publier le maximum des enregistrements disponibles. On attend encore la
réédition de So What Do You Think ?
(Stevens Bailey Holland Watts Wheeler). Martin Davidson m’a communiqué, il y
a une dizaine d’années, ne pas vouloir le rééditer parce qu’il n’appréciait le jeu
de batterie « trop formel » de Stevens dans cette session de janvier
71, époque durant laquelle il a découvert le groupe au Little Theatre Club,
découverte qui l’a définitivement conquis. On espère que MD changera d’avis. Pour
conclure : des instants de magie qui surviennent dans des tentatives
atypiques pour transformer la pratique de l’improvisation.
Spontaneous Music Ensemble Withdrawal Emanem 5040
Réédition de
l’album Emanem 4020 accompagnée de notices signées Martin Davidson et de photos
d’ Evan Parker et de Jak Kilby. Ces enregistrements datent de 1966 et 67 et
réunissent John Stevens Paul Rutherford et
Trevor Watts, les trois fondateurs
du groupe ainsi que Kenny Wheeler, Evan Parker, Derek Bailey et Barry Guy
dans une tentative réussie de libération et d’affranchissement des modèles
(même « free-jazz) vers une nouvelle musique. Outre les instruments pour
lesquels ils sont connus (Stevens, batterie, Watts, sax alto, Rutherford,
trombone, Wheeler, trompette et bugle, Bailey, guitare, Parker, sax ténor et
soprano, Guy contrebasse) cinq d’entre eux interviennent aux petites
percussions additionnelles, Guy au piano, Watts au hautbois, à la flûte et à la
voix. Les quatre premiers morceaux de l’album sont consacrés à la bande son
d’un film jamais réalisé sensé décrire une expérience de détachement d’une
addiction à la drogue. Trois pièces Part 1A, 1B et 1C se succèdent (5’ et 7’)
et débouchent sur une Part 2 de 13’.
Derek Bailey n’intervient pas encore, car il ne faisait pas encore
partie du groupe. S’il y a un musicien dont on reconnaît indubitablement le
style, c’est Kenny Wheeler mis largement en évidence dans chaque section comme
s’il était le soliste accompagné par les sons des autres : Barry Guy joue
avec l’archet dans les graves, on distingue le hautbois pépiant de Watts et la
batterie reste quasi silencieuse pour créer cet effet d’arythmie. Il semble que
l’enregistrement date de septembre 1966. La quatrième plage, Part 2 est
nettement plus intéressante : les musiciens tentent de créer des dialogues
par deux ou trois et les interventions individuelles s’alternent successivement
chacune dans des dynamiques variées en obtenant des timbres et des sons
recherchés et peu usuels. Il y a une formidable sens de l’espace et une
concentration sur le son dans l’instant avec une volonté de créer une musique
originale, suspendue, jouée au ralenti. Ceux qui s’attendent au déluge de notes
et à cette vitesse d’exécution très virtuoses de ces musiciens seront étonnés.
Suivent aux plages 5, 6 et 7, Withdrawal
Sequence 1, 2 et 3 « C4 »
respectivement de 11:22, 10:52 et 2:35 et enregistrées en mars 1967. Avec la
présence de Derek Bailey à la guitare et le jeu plus présent de John Stevens,
on a droit à une improvisation collective où intervient un glockenspiel vraisemblablement
joué par Watts ou Parker. Rutherford et Wheeler alternent leurs interventions
et se répondent en inventant constamment. Barry Guy fait résonner la
contrebasse avec des pizz disruptifs. On n’entend guère Evan Parker qui a avoué
plus tard s’être senti en présence de musiciens de trop haut niveau pour lui.
La Sequence 2 débute par des notes de
flûte de Trevor Watts avec des effets de timbre remarquables, Barry Guy plongé
dans les cordes du piano tirant les cordes comme une harpe ou les faisant
résonner comme une cymbale avec les commentaires percussifs de Stevens. Le
trombone de Rutherford intervient, le piano et la percussion se maintenant au
centre et Watts vocalise dans sa flûte. Quand Rutherford fait silence par
intermittence la guitare et la trompette ajoutent des couleurs, Barry Guy passe
à l’archet de sa contrebasse et obtient des effets sonores aux moyens
d’harmoniques qui suggère l’envol d’une bourdon. La séquence 2 s’agite :
Bailey ponctue avec des clusters complexes, la trompette dans le suraigu et le
sax alto free de Watts. On a vraiment l’impression que naît ici l’improvisation
libre comme elle va se développer par la suite avec ces musiciens et ceux qui
vont être entraînés dans leur sillage. C’est bien sûr la dimension interactive
« call and response » car il ne faut pas oublier qu’à la même époque
le groupe AMM investiguait l’option « laminaire » où les sons
individuels s’aggrègent de manière compacte (et un volume sonore plus élevé).
Il y a une volonté de travail sur la dynamique au point où le silence devient
une composante majeure de la musique mettant en évidence les couleurs sonores
et les détails du jeu des membres du groupe. Les quatre dernières plages
forment la suite de Seeing Sounds & Hearing Colours. C’est après s’être
rendu à Copenhagen avec Evan Parker vers décembre 1966 que John Stevens imagina
de nouvelles idées en relation avec cette expérience danoise. Les deux
musiciens ont pu jouer avec le groupe de John Tchicaï. Entre autres, John
Stevens fut séduit par un des musiciens qui improvisait à la scie musicale et
cela l’a conduit à aller de l’avant dans sa recherche. Ainsi Seeing
Sounds & Hearing Colours, soit quatre morceaux de 4, 4, 5 et 7
minutes, tente avec succès d’exploiter systématiquement les couleurs sonores
que recèlent les instruments en relation avec la sensibilité propre à chaque
musicien. La musique commence à s’éloigner du free-jazz et se rapproche des
sonorités de la musique contemporaine écrite même si on réalise en écoutant que
la musique est totalement improvisée, superbement imagée. Comme le suggère le
titre, les musiciens tracent des images sonores dans l’espace. Le titre du
premier morceau est Introduction « Puddles, Raindrops & Circles, et la
musique visualise ces indications. Naît ainsi une musique faite d’interactions,
d’écoute mutuelle et de construction collective où la spontanéité dans
l’instant est la qualité la plus frappante. Alors que ces musiciens seront
connus plus tard pour leur virtuosité déroutante, ils se concentrent ici
exclusivement pour faire du sens et acquérir ces qualités d’écoute, d’esprit d’à
propos et la fantaisie, indispensables
pour développer cette musique improvisée radicale alors naissante. Plutôt que se lancer dans des solos, on veille à improviser de manière interactive dans une sorte de course relais où chacun réagit ou poursuit les sons de ces collègues en alternance. Un excellent
document enregistré par Eddie Kramer (l’ingénieur du son de Jimi Hendrix était
aussi un vrai fan du SME !). Qui
plus est, accompagné de photos vintage des jeunes musiciens en cravate et
chemise blanche et de notes indispensables pour déchiffrer le contexte. Même si
cette musique a 50 ans d’âge, elle s’écoute encore avec plaisir.
Soul Ivo
Perelman Matthew Shipp Michael Bisio Whit Dickey Leo Records. CD LR 739
Chaque
nouvel album d’ Ivo Perelman est une
vraie perle, un ouvrage travaillé avec amour, amoureusement spontané. Un
saxophoniste ténor lyrique, charnu,
éthéré, extrêmement sensible et dont la logique de jeu échappe totalement aux
poncifs et autres exercices issus des nombreux bouquins et cours de jazz qui
foisonnent. Comme Lester Young, Chet Baker ou Art Pepper bien avant lui, Ivo Perelman est un grand lyrique qui
improvise comme un chanteur avec un timbre qui évoque la voix humaine. Son
style est profondément original et personnel. Après s’être distingué par un
expressionnisme surprenant et dévastateur, notre homme s’est plongé dans un
exploration aussi intuitive que méthodique des méandres et volutes sonores que
lui permettent sa superbe technique et son timbre particulier, sûrement un des
plus émouvants qui soient. L’expression de la sincérité musicale. Ces dernières
années, il enregistre intensivement de nombreux albums avec le pianiste Matthew Shipp, le batteur Whit Dickey, le contrebassiste Michael Bisio et d’autres musiciens
comme le guitariste – contrebassiste Joe
Morris, le violoniste alto Mat
Maneri, le batteur Gerald Cleaver
dans toutes les formations possibles, duos, trios, quartets pour le label Leo.
Cette série sans fin offre toujours un grand plaisir d’écoute, de fréquentes
surprises et cet album en est une très belle confirmation. Tout comme un Evan
Parker, Ivo Perelman dépasse le sens commun du saxophone ténor et témoigne
activement de cet esprit collectif par lequel chaque musicien du quartet ici
présent, est l’égal des trois autres et dispose de tout l’espace d’intervention
dans les structures de la musique jouée. Bien sûr la voix du saxophone ténor
prédomine car elle survole les élans du piano et les vibrations de la
contrebasse et de la batterie. Mais chaque musicien peut développer à souhait
toutes les variations et angles de jeu jusqu’à plus soif dans une construction
musicale élaborée faites de multiples dialogues, correspondances, connexions
d’idées. Une véritable merveille, le jazz libre idéal, lisible, aéré,
profondément intense ou entièrement décontracté, à la fois sobre et expansif.
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