Elisabeth Coudoux
Some
Poems Leo Records LRCD 777
Un courageux album de violoncelle
solo par une excellente musicienne auquel je souscris de tout cœur. Le
titre : Some Poems. On a tous notre acception de la poésie, mais quelle
musique ! Principalement des compositions, sauf deux improvisations libres
pour les plages 1 & 8. Maîtrise de l’instrument et un beau travail sur le
son. Re-recording aussi (shaken boundary conditions). Dans ces notes Kevin
Whitehead cite une série quasi exhaustive de violoncellistes de jazz d’avant
garde et d’improvisation, je pense à Jean-Charles Capon, Tristan Honsinger,
Dave Holland, Abdul Wadud et Okkyung Lee qui m’ont particulièrement marqués. Il
omet par contre Marcio Mattos, Albert Markos et Hannah Marshall, par exemple,
et cite des violoncellistes que je n’ai pas encore eu le plaisir de découvrir.
Fort heureusement, on retrouve chez Elisabeth
Coudoux de nombreuses qualités propres à tous ces artistes et une capacité
à faire sonner son violoncelle de manière expressive, grave, joyeuse,
exploratoire, fugace, subtile …. qui va à l’essentiel. On trouve un magnifique éventail
des possibles musicaux et sonores du violoncelle contemporain avec entre autres
des accordages alternatifs. Une sorte d’anthologie passionnante de pièces bien
pensées, subtilement travaillées et absolument convaincantes. Dans Sounding bodies, elle travaille sur un
motif cadencé et répétitif à l’archet tout en en modifiant presqu’insensiblement la qualité sonore
quasiment à chaque coup d’archet. Impressionnant. Les deux improvisations libres enregistrées
témoignent de son expertise et de sa sensibilité en la matière. Derrière la
brillance de l’exécution, il y a une véritable exigence musicienne. Elle joue
régulièrement avec des improvisateurs tels que Philipp Zoubek, Mathias Muche,
Daniel Landfermann, Nicola Hein et participe à
The Octopus un quartet de violoncelle avec Hugues Vincent,
Nathan Bontrager et Norah Krahl (Subzo(o)ne LRCD 770). Ayant aussi écouté
Vincent et Bontrager, rien que l’évocation d’un tel quartet, me met l’eau à la
bouche. A suivre, à suivre, à suivre.Pour un premier album, c'est de suite l'excellence !!
Raw Harald Kimmig Daniel Studer Alfred Zimmerlin & John Butcher Leo records LRCD 766
Cette toute récente livraison de Leo Records consacrée aux
cordes frottées (Trio Kimmig Studer Zimmerlin & John Butcher, Elisabeth
Coudoux en solo et le quartet de violoncelles The Octopus) est un
magnifique brelan de réussites. Raw
place la musicalité, la richesse du son, la finesse du jeu et l’imagination au
sommet. Vous connaissez (nettement) moins parmi les cordistes, le violoniste Harald Kimmig, le contrebassiste Daniel Studer ou le violoncelliste Alfred Zimmerlin, que par exemple, Barry
Guy, Joëlle Léandre, Fred Lonberg-Holm, Mark Feldman ou Carlos Zingaro. Mais
quelque soit leur valeur intrinsèque individuelle, et comme cette musique
improvisée est essentiellement collective, vous pouvez vous dire que le Trio
Kimmig-Studer-Zimmerlin, en matière de libre improvisation, c’est
vraiment quelque chose d’unique ! Et ne croyez pas que John Butcher est venu s’ajouter pour
faire monter la sauce. D’ailleurs, musicien particulièrement intelligent et
expérimenté, le saxophoniste britannique s’insère dans le jeu des cordes comme
un fabricant de sonorités, un explorateur de l’inconnu, plutôt que comme un « soliste
invité ». Quand cet artiste intègre se détache du lot par son phrasé
butchérien, cela vient à des moments-clés comme pour souligner la pertinence du
chemin déjà parcouru, tel un signal visible dont la signification resterait
secrète. On a droit ici à l’expression spontanée et (aussi) hautement réfléchie
d’une forme aussi sophistiquée que sauvage de la pratique improvisée
contemporaine. Chacun des cordistes relancent la dynamique, l’évolution des
propositions, altèrent les sonorités et les timbres, transformant spontanément
les paramètres du son d’ensemble au fil des secondes, parfois avec un goût
bruitiste affirmé et ce qu’il faut de provocation. L’écoute attentive de cet
album nécessite de repasser le compact sur la chaîne (au casque !) à
plusieurs reprises pour commencer à en saisir les lignes de force, la subtilité
des détails, ses occurrences sonores irrévocables, sa radicalité. On joue
parfois avec des riens, souvent avec une gravité non feinte et un sens ludique
à la limite de l’absurde. Ça gratte, fouette, frappe, dérape, scie, harmonise,
secoue, glisse, vibre, plane, assombrit ou ilumine. On est très très loin de
l’exercice de style ou de la mise en pratique d’un concept. Ces trois-là nous
font entendre tout ce qui est possible avec une contrebasse, un violoncelle et
un violon sans tenir compte du fait qu’ils jouent avec un saxophoniste ténor ou
soprano. John Butcher réalise un travail absolument remarquable, hautement
musical même si les amateurs de saxophone « free » (ceux qui suivent
obstinément Brötz, MatsG, KenV, JoeMc, Evan mais évitent quasiment d’autres
moins notoires) ne vont pas y retrouver leurs jeunes. Avec la notoriété qui est
la sienne, John Butcher (un artiste très sollicité) pouvait se contenter d’un
No Man’s Land créatif en jouant les utilités dans une kyrielle de projets. Il
montre ici que trente années après que je l’ai moi-même entendu pour la
première fois, il n’a pas cessé de se remettre en question et de jouer le jeu. Raw
porte bien son titre car est ici en jeu la qualité Raw de l’improvisation
libre. Exemplaire.
As the Wind Toma Gouband Mark Nauseef Evan Parker
Psi 16.01
Réunis par Mark
Nauseef pour une session d’enregistrement, les trois musiciens ont surpassé
les espérances de ce qui est au départ un vol d’essai en trio suite à une
collaboration commune au sein d’un ensemble plus large. Et donc, la musique
intrigante, aérée et peu commune de As The Wind , enregistrée en 2012a
droit aux honneurs d’une publication sur Psi, le label d’Evan Parker. Psi avait marqué d'une longue pause ses publications
suite à la baisse catastrophique des ventes de CD’s et ne publiait plus que des
rééditions, comme cet album solo d’Evan Parker, Monoceros. C’est dire que cette
belle session à deux percussionnistes a vraiment convaincu cet artiste exigeant
pour qu’il la publie lui-même. Toma
Gouband joue des lithophones (percussions en pierres) disposées sur les
peaux des tambours et les cymbales inversées d’une batterie pour obtenir une
résonnance, alors que Mark Nauseef,
utilise une panoplie d’accessoires et instruments percussifs métalliques
(gongs, tam-tam, cymbales, crotales, cloches). Evan Parker joue uniquement du
saxophone soprano et nous reconnaissons sa sonorité dès les premières notes,
une contorsion d’harmonique, ce glissando si caractéristique qui n’appartient
qu’à lui. Multiphoniques et respiration circulaire dans un lent balancement en
apesanteur. Sonorité exceptionnelle et travail sur le timbre en délicatesse,
sans tordre les sons, ni « mâcher » l’articulation de manière
paroxystique comme il peut le faire en trio avec Schlippenbach et Lovens, Guy
et Lytton ou il y a quarante ans (cfr The Longest Night / Ogun 1976). Les sons
très fins des deux percussionnistes, terrien et pierreux de Gouband et aérien
et vibrations cuivrées de Nauseef, flottent dans l’espace. Une très belle
facette d’un minimalisme sensuel et secret. L’univers conjoint des deux
faiseurs de sons frappés (et grattés,etc..) engage le souffleur à la limite du silence, traçant une épure
du souffle, parfois évanescent (hm!), dévidant une spirale dans l’infini, faisant durer les notes dans
l’éther. Je pense évidemment au duo de Parker avec Eddie Prévost, Most Material (Matchless MRCD33) et ici,
les trois musiciens poussent encore plus fort la retenue, le flottement
s’éternise. Une harmonique fantôme émanant d'un crotale rejoint le souffle sotto voce ... il arrive que les sons de MN et EP se croisent sans qu'on sache lequel des deux musiciens les a émis. De temps à autre, le souffle s’anime et les harmoniques
s’enchaînent en se croisant de cette manière si caractéristique quelques
moments et pour s’échapper à nouveau vers le silence et animer ensuite une autre
idée, des cycles étirés, une ellipse magique...
Voilà donc un album qui surprendra ceux qui connaissent Evan
Parker pour son énergie inextinguible et son jeu complexe, explosif et tortueux
au ténor et au soprano et leur fera découvrir une autre forme de percussion, basée avant tout sur les sons, les timbres et leurs couleurs plutôt que sur les pulsations et les rythmes. Absolument magnifique !!
Замечательно !
RépondreSupprimerЗамечательно ! Браво !
RépondreSupprimerAllons, le nouveau disque Psi est mauvais, pourquoi ne pas le dire simplement ?! Alangui, churchy, écolo ramollo et plutôt complaisant... (ce que le travail avec Nauseef sur le CD "Near Nadir" laissait présager en fait...) Je ne réclame pas de violents cyclones, mais la rêverie, quand elle est creuse, afflige. Le fait qu'Evan Parker prise particulièrement cet enregistrement n'est en rien un gage pour l'auditeur (a fortiori lorsque ledit auditeur prise particulièrement l'oeuvre d'EP).
RépondreSupprimerAllons, le trio Parker Gouband Nauseef est mauvais, avouons-le : songe-creux (une rêvasserie vide), churchy et ramollo - sans réclamer de cyclone, et à l'aune de l'ouvre d'EP, on pleure en s'inquiétant devant tant de complaisance.
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