Henry Crabapple Disappear In The
Sea : Joshua Zubot Tristan Honsinger Nicolas Caiola Isaiah Ceccarelli CD
fait maison.
En caractères gras, noir sur
fond bleuté, IN THE SEA
et une baleine stylisée dans la mer,
une pochette minimaliste transformable en oiseau de papier dont la courbe
circulaire argentée du compact disc forme la crête, emballe une belle
équipée 100% canadienne : le violoniste Joshua Zubot, le violoncelliste Tristan Honsinger, le contrebassiste Nicolas Caiola et le batteur Isaiah
Ceccarelli. Un quartette improbable interprétant les compositions des
membres du groupe, pièces créées pour être jouées par des improvisateurs et
référant autant à la musique contemporaine, à (l’esprit de) l’improvisation
radicale de manière tout à tour subtile, énergique, endiablée... On connaît le
goût certain d’Honsinger (vétéran de la scène improvisée apparu vers 1976 aux
côtés de Derek Bailey, Maarten Altena, Paul Lovens, Evan Parker, Toshinori
Kondo, Steve Beresford, Gunther Christmann) pour la musique composée avec
structures, thèmes mélodiques et rythmes intrigants et sa capacité à les
transformer de manière organique, spontanée comme si tout cela était improvisé.
In
The Sea semble ici être plutôt un trio de cordes avec batterie (plutôt
qu’un « quartette ») et je dois dire que le batteur donne la juste
dose rythmique, sonore et imaginative loin de tous les poncifs pour illustrer
l’aventure des trois cordistes. Chapeau donc à Isaiah Ceccarelli. Sa fine
percussion laisse tout l’espace sonore aux cordistes en sollicitant le centre
des cymbales, le rebord des caisses etc… : il a compris 100% ce qu’est le free drumming. Je ne répéterai jamais
assez que les instruments de la famille des cordes frottées se révèlent dans
toute leur profondeur et leur densité par des mains expertes lorsqu’ils sont
réunis entre eux à l’exclusion d’autres instruments. Ici vous avez droit à
l’excellence autant instrumentale, inventive, Groupe collectif où chaque
instrumentiste participe à l’écriture et à la conception des morceaux sans que les
auteurs ne soient mentionnés sur la pochette ou durant le concert en trio (sans
I.C.) auquel j’ai assisté en Autriche (Limmitationes),
In The Sea développe une puissante
énergie digne du meilleur free jazz sans que cela ne phrase « jazz »
et de passionnantes constructions musicales à l’aune des compositeurs
« contemporains » à l’écart de tout académisme, je veux dire par là,
la rigidité amidonnée, le superficiel. Et cela swingue : dans un ou deux
morceaux entendus live on songe à la musique africaine ! Nos trois
cordistes s’entendent comme les cinq doigts de chaque main que ce soit pour
faire vivre une mélodie entraînante que pour explorer les sons et intercaler
leurs trouvailles bruissantes sur le fil du rasoir de tempi multiformes. Tristan Honsinger intervient vocalement
avec des textes poétiques comme lui seul sait les dire. Ce violoncelliste, sans
doute le plus marquant de toute la free musique et un des instrumentistes
préférés de Cecil Taylor, a trouvé des coéquipiers à la hauteur : le
violon magique de Joshua Zubot, la
contrebasse puissante et sans faille de Nicolas
Caïola, la fantaisie percussive d’Isaiah
Ceccarelli, Tristan Honsinger et
sa sonorité extraordinaire forment ici un groupe majeur, incontournable, une
sacrée bouteille jetée à la mer pour tous les amateurs de musique créative et
spontanée. Amazing ! Diraient leurs collègues !!
Pour se procurer Henry
Crabapple Disappear, il faudra retracer Zubot ou Caiola sur FB et leur
demander une copie. Je pense qu’un enregistrement en trio TH/NC/JZ réalisé avec
la meilleure technique devrait voir le jour du côté de la Slovénie…
En outre, Joshua Zubot et
Nicolas Caiola, instrumentistes d’exception, sont impliqués dans d’autres
projets passionnants dont je vais vous informer au plus vite malgré la pile toujours
grandissante d’albums qui s’amoncellent sur ma table de travail !!
Malcolm Goldstein & the Ratchet Orchestra
Soweto
Stomp Mode 291
Malcolm Semper Malcolm disait Archie Shepp, du temps où ce saxophoniste
révolutionnaire (et depuis légendaire) crevait l’écran de la New Thing et de la
Great Black Music. Depuis lors (une cinquantaine d’années), le tout venant
saxophonistique ressasse les vieilles recettes. Bien sûr, je suis un
inconditionnel d’Evan Parker, Michel Doneda, Gianni Gebbia, Ivo Perelman, Paul
Dunmall, Urs Leimgruber et suis inconsolable de la disparition de Lol Coxhill.
Mais en égalitaire convaincu, je pense sincèrement que d’autres instruments et
instrumentistes que les quatre ou cinq souffleurs d’anches qui se cooptent sur
les scènes internationales de la free-music apportent une dimension tout aussi
créative. Il y a de nos jours un véritable formatage de la free-music idéale
qui se résume à l’équation souffleur violent/ exhibitionniste/ virtuose –
bassiste survolté – batteur rentre dedans avec en prime, guitare noise ou
électronique. Donc, sorry ! Mais on a assez donné. Malcolm Semper Malcolm : Malcolm
Goldstein, un des deux ou trois plus géniaux violonistes improvisateurs,
ayant contribué à la naissance de l’improvisation libre à NYC il y a 50 ans et
compositeur d’œuvres destinées à des improvisateurs. À ses côtés, un ensemble
exceptionnel d’instrumentistes dédiés autant à l’improvisation radicale qu’à
l’interprétation de partitions alternatives : the Ratchet Orchestra , un ensemble dirigé par le
contrebassiste Nicolas Caiola, en
tournée en Europe à l’heure où je vous écris : http://www.nicolascaloia.net/ratchet.html.
Violons : Joshua Zubot et Guido Del Fabbro, alto : Jean René,
clarinette : Lori Freedman, saxophone alto : Jean Derome et Yves
Charuest, sax ténor : Damian Nisenson, sax baryton : Jason Sharp,
trompette : Ellwood Epps, trombone : Scott Thompson, guitare : Chris
Burns, piano : Guillaume Dostaler, batterie : Isaiah Ceccarelli et
percussions : Ken Doolittle. Je cite tous les membres de ce Ratchet
Orchestra car il est visiblement composé de personnalités remarquables. Certains
critiques se comportent comme s’il n’y avait, d’une part les
« vedettes » ou grands noms de la musique improvisée et d’autre part
les tâcherons anonymes des scènes locales considérés comme des
« amateurs », alors que ce qui caractérise notre époque, c’est la
présence sur les scènes d’une foule de musiciens et d’artistes exceptionnels qu'il faut soutenir et faire connaître.
Alors, qu’un label de musique contemporaine comme Mode (où John Cage est abonné) consacre un compact superbement
produit à Malcolm Goldstein et au Ratchet Orchestra est très réconfortant. Six compositions de Goldstein où l’improvisation et la
personnalité des musiciens tiennent un rôle déterminant et où l’influence du
jazz libre et la pratique de l’improvisation sont plus que palpables. Configurations in Darkness est une
improvisation sur un chant populaire de Bosnie-Herzégovine lequel fait partie
d’une série de chants similaires intégrés dans sa composition pour ensemble
sous le même titre. On y goûtera le jeu si singulier de Goldstein avec ses
glissandi merveilleux, ses tressautements, ses harmoniques, un délice ! In Search of Tone Roads 2 est la
réécriture imaginaire ou supposée d’une œuvre disparue de Charles Ives. Architecture
dynamique mouvante où l’équilibre est constamment remis en question avec des
solos et sous groupes d’improvisateurs sans structure préderminée. Broken Canons porte bien son titre. Les
canons joués par chaque instrumentiste reprennent le thème mélodique initial en
le transformant, et en s’agglutinant ceux-ci forment petit à petit des masses
harmoniques aléatoires. Two Silences
requiert que les musiciens jouent une texture sonore soutenue avec deux césures
silencieuses au moment où ils en ressentent la nécessité, la texture initiale
évoluant sensiblement jusqu’à la fin. On le voit, Malcolm Goldstein est un compositeur « ouvert » et on
l’entend, le travail du Ratchet Orchestra est d’une très
grande richesse sonore, formelle et esthétique. Les musiciens ont une grande
marge de manœuvre et dans l’histoire de la musique improvisée en grand
orchestre dirigé, cette réalisation est particulièrement remarquable et pourrait servir
de modèle. Soweto Stomp est un hommage aux insurgés de Soweto et leur
massacre en 1976. Suite de solos improvisés par chaque musicien dans des cadres
rythmiques variés issus de la musique Africaine de l’Ouest ou composés par MG.
L’intention du compositeur de créer une forme de danse est particulièrement
réussie. Le Ratchet Orchestra est un orchestre de très haut niveau
d’artistes engagés dans la société montréalaise et portant la qualité musicale
de leur travail vers l’excellence avec créativité confondante. Je n’ai pas de
mots pour décrire la profondeur de cette création collective sous la houlette
de Malcolm Goldstein, lui-même un de
mes (nos) violonistes improvisateurs préférés et il me faut encore réécouter
cet album fascinant pour en prendre la mesure. Superbe.
Musica in Camera : Quatuor
d’Occasion : Malcolm Goldstein Josh Zubot Jean René
Emilie Girard Charest & records &22.
Présenté dans un modeste
emballage en papier bleu gris avec un lettrage original par le label etrecords
(ou & records), Musica in Camera
par le Quatuor d’Occasion est une œuvre plus que remarquable, « enregistrée
dans la chambre à coucher de Jean René »,
le violoniste alto (ou altiste) du Quatuor. Avec deux violonistes superlatifs comme Malcolm Goldstein et Josh Zubot et l’excellente
violoncelliste Emilie Girard Charest,
ce Quatuor
d’Occasion investigue les possibilités sonores, harmoniques,
interactives, intuitives dans des architectures mouvantes et avec des
conceptions / perceptions raffinées du jeu des cordes frottées lorsque
celles-ci sont confrontées aux particularités de chaque instrument et à celles
de leurs instrumentistes respectifs. Chatoyant, austère, expressionniste,
lyrique, complexe, débridé, spectral, introverti, détaché, les registres sont
étendus, l’entente est omniprésente et cette science du glissando si
particulière sidère. Les timbres sont travaillés jusqu’à la perfection, le jeu
est entièrement spontané, rebondissant, spiralé, étiré jusqu’à l’outrance, le
silence est approché au plus près après des secousses frénétiques. Certains passages
de morceaux semblent avoir été écrits mais leur enchaînement avec des dérapages
contrôlés fait penser que leurs airs sont générés spontanément. Sounding the Violin (LP de1979) de Malcolm Goldstein est un témoignage
inoubliable du « méta-violon » et ce Quatuor d’Occasion est à
ce niveau. Un beau miracle musical composé de Miniature de 1
à 6
entre 1 et 2 minutes et de Morceau de 1 à 11 entre 2 et 5 ou 6 minutes. Un sens de la
forme inouï qui convaincra les purs et durs de la musique écrite contemporaine.
Je ne vais pas me lasser d’écouter cet album en boucle, ces cordes çà me
changera du saxophone… Qualité voisine du fameux Gocce Stellari de Wachsmann Hug Mattos et Edwards produit par
Emanem : donc le top !
Irene Kepl Sololos Fou Records FR CD 20
Jean-Marc Foussat a encore frappé ! Cet artiste sonore et preneur de sons avisé
pourrait se contenter de publier ses trésors « historiques » , les
enregistrements de Derek Bailey, Evan Parker, Joëlle Léandre, George Lewis, Peter
Kowald, Daunik Lazro au Dunois ou ailleurs et des albums d’artistes reconnus
qui ont déjà une belle discographie. Mais comme il croit avant tout à cet
esprit d’aventures et de recherches qui l’anime depuis ses débuts, il ne peut
résister à l’envie de nous faire partager une belle découverte, une musique
inconnue. Ici la violoniste autrichienne Irene
Kepl nous gratifie d’un superbe opus solitaire d’une belle facture. Les
doigts frappent la touche, l’archet ondule sur les cordes tendues, frictionnant
les timbres, traçant des griffes dans l’air vibrant. Une vision organique de
l’instrument, une approche tour à tour ludique, sensible, minimale, lumineuse,
élégiaque, une connaissance intime des harmoniques et de leurs fréquences.
Savoir dire l’essentiel avec le moindre intervalle dans une boucle infinie (Lucid) jusqu’à ce que la tension se
métamorphose subitement en torsion. Un filet invisible s’échappe tel un
sifflement de fourmi, le crin frôlant la corde, cette action amplifiée
imperceptiblement fait naître de subtiles harmoniques à peine audibles (Move Across). Multiphonies à l’aide de
la voix et du soft bow (?) (Candid).
Cadences insistantes et intenses étirées vers des climax en decelerendo et glissando
orgiastique ou un ostinato /contrepoint bègue et frénétique sans solution de
fin (AmiNIMAL). Pizzicato extrême et
minimaliste (Drop in) Etc… il y a là
tout un florilège du jeu violonistique, une
maîtrise des timbres et une poésie du son qui méritent d’être écoutés et
réécoutés pour sa pertinence, sa singularité et le pur plaisir du son. On a
entendu Irene Kepl au sein d’un quintet de cordes avec Paul Rogers, Nina de
Heney et Albert Markos en Autriche qui fit sensation. Donc à suivre !!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......