27 novembre 2016

Strange Strings Strong Strings : Tristan Honsinger/Nicolas Caiola/Joshua Zubot/ Isaiah Ceccarelli - Malcolm Goldstein & Ratchet Orchestra - Goldstein/Zubot/René/Girard Charest - Irene Kepl

Henry Crabapple Disappear In The Sea : Joshua Zubot Tristan Honsinger Nicolas Caiola Isaiah Ceccarelli  CD fait maison.
En caractères gras, noir sur fond bleuté, IN THE SEA et une baleine stylisée dans la mer, une pochette minimaliste transformable en oiseau de papier dont la courbe circulaire argentée du compact disc forme la crête, emballe une belle équipée 100% canadienne : le violoniste Joshua Zubot, le violoncelliste Tristan Honsinger, le contrebassiste Nicolas Caiola et le batteur Isaiah Ceccarelli. Un quartette improbable interprétant les compositions des membres du groupe, pièces créées pour être jouées par des improvisateurs et référant autant à la musique contemporaine, à (l’esprit de) l’improvisation radicale de manière tout à tour subtile, énergique, endiablée... On connaît le goût certain d’Honsinger (vétéran de la scène improvisée apparu vers 1976 aux côtés de Derek Bailey, Maarten Altena, Paul Lovens, Evan Parker, Toshinori Kondo, Steve Beresford, Gunther Christmann) pour la musique composée avec structures, thèmes mélodiques et rythmes intrigants et sa capacité à les transformer de manière organique, spontanée comme si tout cela était improvisé. In The Sea semble ici être plutôt un trio de cordes avec batterie (plutôt qu’un « quartette ») et je dois dire que le batteur donne la juste dose rythmique, sonore et imaginative loin de tous les poncifs pour illustrer l’aventure des trois cordistes. Chapeau donc à Isaiah Ceccarelli. Sa fine percussion laisse tout l’espace sonore aux cordistes en sollicitant le centre des cymbales, le rebord des caisses etc… : il a compris 100% ce qu’est le free drumming. Je ne répéterai jamais assez que les instruments de la famille des cordes frottées se révèlent dans toute leur profondeur et leur densité par des mains expertes lorsqu’ils sont réunis entre eux à l’exclusion d’autres instruments. Ici vous avez droit à l’excellence autant instrumentale, inventive, Groupe collectif où chaque instrumentiste participe à l’écriture et à la conception des morceaux sans que les auteurs ne soient mentionnés sur la pochette ou durant le concert en trio (sans I.C.) auquel j’ai assisté en Autriche (Limmitationes), In The Sea développe une puissante énergie digne du meilleur free jazz sans que cela ne phrase « jazz » et de passionnantes constructions musicales à l’aune des compositeurs « contemporains » à l’écart de tout académisme, je veux dire par là, la rigidité amidonnée, le superficiel. Et cela swingue : dans un ou deux morceaux entendus live on songe à la musique africaine ! Nos trois cordistes s’entendent comme les cinq doigts de chaque main que ce soit pour faire vivre une mélodie entraînante que pour explorer les sons et intercaler leurs trouvailles bruissantes sur le fil du rasoir de tempi multiformes. Tristan Honsinger intervient vocalement avec des textes poétiques comme lui seul sait les dire. Ce violoncelliste, sans doute le plus marquant de toute la free musique et un des instrumentistes préférés de Cecil Taylor, a trouvé des coéquipiers à la hauteur : le violon magique de Joshua Zubot, la contrebasse puissante et sans faille de Nicolas Caïola, la fantaisie percussive d’Isaiah Ceccarelli, Tristan Honsinger et sa sonorité extraordinaire forment ici un groupe majeur, incontournable, une sacrée bouteille jetée à la mer pour tous les amateurs de musique créative et spontanée. Amazing ! Diraient leurs collègues !!
Pour se procurer Henry Crabapple Disappear, il faudra retracer Zubot ou Caiola sur FB et leur demander une copie. Je pense qu’un enregistrement en trio TH/NC/JZ réalisé avec la meilleure technique devrait voir le jour du côté de la Slovénie…
En outre, Joshua Zubot et Nicolas Caiola, instrumentistes d’exception, sont impliqués dans d’autres projets passionnants dont je vais vous informer au plus vite malgré la pile toujours grandissante d’albums qui s’amoncellent sur ma table de travail !!

Malcolm Goldstein & the Ratchet Orchestra Soweto Stomp Mode 291

Malcolm Semper Malcolm disait Archie Shepp, du temps où ce saxophoniste révolutionnaire (et depuis légendaire) crevait l’écran de la New Thing et de la Great Black Music. Depuis lors (une cinquantaine d’années), le tout venant saxophonistique ressasse les vieilles recettes. Bien sûr, je suis un inconditionnel d’Evan Parker, Michel Doneda, Gianni Gebbia, Ivo Perelman, Paul Dunmall, Urs Leimgruber et suis inconsolable de la disparition de Lol Coxhill. Mais en égalitaire convaincu, je pense sincèrement que d’autres instruments et instrumentistes que les quatre ou cinq souffleurs d’anches qui se cooptent sur les scènes internationales de la free-music apportent une dimension tout aussi créative. Il y a de nos jours un véritable formatage de la free-music idéale qui se résume à l’équation souffleur violent/ exhibitionniste/ virtuose – bassiste survolté – batteur rentre dedans avec en prime, guitare noise ou électronique. Donc, sorry ! Mais on a assez donné. Malcolm Semper Malcolm : Malcolm Goldstein, un des deux ou trois plus géniaux violonistes improvisateurs, ayant contribué à la naissance de l’improvisation libre à NYC il y a 50 ans et compositeur d’œuvres destinées à des improvisateurs. À ses côtés, un ensemble exceptionnel d’instrumentistes dédiés autant à l’improvisation radicale qu’à l’interprétation de partitions alternatives : the Ratchet Orchestra , un ensemble dirigé par le contrebassiste Nicolas Caiola, en tournée en Europe à l’heure où je vous écris : http://www.nicolascaloia.net/ratchet.html. 
Violons : Joshua Zubot et Guido Del Fabbro, alto : Jean René, clarinette : Lori Freedman, saxophone alto : Jean Derome et Yves Charuest, sax ténor : Damian Nisenson, sax baryton : Jason Sharp, trompette : Ellwood Epps, trombone : Scott Thompson, guitare : Chris Burns, piano : Guillaume Dostaler, batterie : Isaiah Ceccarelli et percussions : Ken Doolittle. Je cite tous les membres de ce Ratchet Orchestra car il est visiblement composé de personnalités remarquables. Certains critiques se comportent comme s’il n’y avait, d’une part les « vedettes » ou grands noms de la musique improvisée et d’autre part les tâcherons anonymes des scènes locales considérés comme des « amateurs », alors que ce qui caractérise notre époque, c’est la présence sur les scènes d’une foule de musiciens et d’artistes exceptionnels qu'il faut soutenir et faire connaître. Alors, qu’un label de musique contemporaine comme Mode (où John Cage est abonné) consacre un compact superbement produit à Malcolm Goldstein et au Ratchet Orchestra est très réconfortant. Six compositions de Goldstein où l’improvisation et la personnalité des musiciens tiennent un rôle déterminant et où l’influence du jazz libre et la pratique de l’improvisation sont plus que palpables. Configurations in Darkness est une improvisation sur un chant populaire de Bosnie-Herzégovine lequel fait partie d’une série de chants similaires intégrés dans sa composition pour ensemble sous le même titre. On y goûtera le jeu si singulier de Goldstein avec ses glissandi merveilleux, ses tressautements, ses harmoniques, un délice ! In Search of Tone Roads 2 est la réécriture imaginaire ou supposée d’une œuvre disparue de Charles Ives. Architecture dynamique mouvante où l’équilibre est constamment remis en question avec des solos et sous groupes d’improvisateurs sans structure préderminée. Broken Canons porte bien son titre. Les canons joués par chaque instrumentiste reprennent le thème mélodique initial en le transformant, et en s’agglutinant ceux-ci forment petit à petit des masses harmoniques aléatoires. Two Silences requiert que les musiciens jouent une texture sonore soutenue avec deux césures silencieuses au moment où ils en ressentent la nécessité, la texture initiale évoluant sensiblement jusqu’à la fin. On le voit, Malcolm Goldstein est un compositeur « ouvert » et on l’entend, le travail du Ratchet Orchestra est d’une très grande richesse sonore, formelle et esthétique. Les musiciens ont une grande marge de manœuvre et dans l’histoire de la musique improvisée en grand orchestre dirigé, cette réalisation est particulièrement remarquable et pourrait servir de modèle. Soweto Stomp est un hommage aux insurgés de Soweto et leur massacre en 1976. Suite de solos improvisés par chaque musicien dans des cadres rythmiques variés issus de la musique Africaine de l’Ouest ou composés par MG. L’intention du compositeur de créer une forme de danse est particulièrement réussie. Le Ratchet Orchestra est un orchestre de très haut niveau d’artistes engagés dans la société montréalaise et portant la qualité musicale de leur travail vers l’excellence avec créativité confondante. Je n’ai pas de mots pour décrire la profondeur de cette création collective sous la houlette de Malcolm Goldstein, lui-même un de mes (nos) violonistes improvisateurs préférés et il me faut encore réécouter cet album fascinant pour en prendre la mesure. Superbe.

Musica in Camera : Quatuor d’Occasion : Malcolm Goldstein Josh Zubot Jean René Emilie Girard Charest & records &22.

Présenté dans un modeste emballage en papier bleu gris avec un lettrage original par le label etrecords (ou & records), Musica in Camera par le Quatuor d’Occasion est une œuvre plus que remarquable, « enregistrée dans la chambre à coucher de Jean René », le violoniste alto (ou altiste) du Quatuor. Avec deux violonistes superlatifs comme Malcolm Goldstein et Josh Zubot et l’excellente violoncelliste Emilie Girard Charest, ce Quatuor d’Occasion investigue les possibilités sonores, harmoniques, interactives, intuitives dans des architectures mouvantes et avec des conceptions / perceptions raffinées du jeu des cordes frottées lorsque celles-ci sont confrontées aux particularités de chaque instrument et à celles de leurs instrumentistes respectifs. Chatoyant, austère, expressionniste, lyrique, complexe, débridé, spectral, introverti, détaché, les registres sont étendus, l’entente est omniprésente et cette science du glissando si particulière sidère. Les timbres sont travaillés jusqu’à la perfection, le jeu est entièrement spontané, rebondissant, spiralé, étiré jusqu’à l’outrance, le silence est approché au plus près après des secousses frénétiques. Certains passages de morceaux semblent avoir été écrits mais leur enchaînement avec des dérapages contrôlés fait penser que leurs airs sont générés spontanément. Sounding the Violin (LP de1979) de Malcolm Goldstein est un témoignage inoubliable du « méta-violon » et ce Quatuor d’Occasion est à ce niveau. Un beau miracle musical composé de Miniature de 1 à 6 entre 1 et 2 minutes et de Morceau de 1 à 11  entre 2 et 5 ou 6 minutes. Un sens de la forme inouï qui convaincra les purs et durs de la musique écrite contemporaine. Je ne vais pas me lasser d’écouter cet album en boucle, ces cordes çà me changera du saxophone… Qualité voisine du fameux Gocce Stellari de Wachsmann Hug Mattos et Edwards produit par Emanem : donc le top !

Irene Kepl Sololos Fou Records FR CD 20


Jean-Marc Foussat a encore frappé ! Cet artiste sonore et preneur de sons avisé pourrait se contenter de publier ses trésors « historiques » , les enregistrements de Derek Bailey, Evan Parker, Joëlle Léandre, George Lewis, Peter Kowald, Daunik Lazro au Dunois ou ailleurs et des albums d’artistes reconnus qui ont déjà une belle discographie. Mais comme il croit avant tout à cet esprit d’aventures et de recherches qui l’anime depuis ses débuts, il ne peut résister à l’envie de nous faire partager une belle découverte, une musique inconnue. Ici la violoniste autrichienne Irene Kepl nous gratifie d’un superbe opus solitaire d’une belle facture. Les doigts frappent la touche, l’archet ondule sur les cordes tendues, frictionnant les timbres, traçant des griffes dans l’air vibrant. Une vision organique de l’instrument, une approche tour à tour ludique, sensible, minimale, lumineuse, élégiaque, une connaissance intime des harmoniques et de leurs fréquences. Savoir dire l’essentiel avec le moindre intervalle dans une boucle infinie (Lucid) jusqu’à ce que la tension se métamorphose subitement en torsion. Un filet invisible s’échappe tel un sifflement de fourmi, le crin frôlant la corde, cette action amplifiée imperceptiblement fait naître de subtiles harmoniques à peine audibles (Move Across). Multiphonies à l’aide de la voix et du soft bow (?) (Candid). Cadences insistantes et intenses étirées vers des  climax en decelerendo et glissando orgiastique ou un ostinato /contrepoint bègue et frénétique sans solution de fin (AmiNIMAL). Pizzicato extrême et minimaliste (Drop in) Etc… il y a là tout un florilège du jeu violonistique, une  maîtrise des timbres et une poésie du son qui méritent d’être écoutés et réécoutés pour sa pertinence, sa singularité et le pur plaisir du son. On a entendu Irene Kepl au sein d’un quintet de cordes avec Paul Rogers, Nina de Heney et Albert Markos en Autriche qui fit sensation. Donc à suivre !!

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