Lifting the Band Stand Cecil Taylor Harri Sjöström Tristan Honsinger Teppo Hauta Aho Paul Lovens. Fundacja Sluchaj.
https://sluchaj.bandcamp.com/album/lifting-the-bandstand
Absolument incontournable !! Surtout qui aime Cecil Taylor et qui comprend ses intentions et les contextes de sa musique en concert. Mis à part le duo Bailey -Taylor, les duos de Cecil avec Bennink et Lovens et le trio avec Honsinger et Parker pour FMP (1988), c’est bien un des rares enregistrements où Cecil Taylor joue et improvise librement autre chose que ses propres compositions et qu’il participe à un groupe d’improvisateurs « entièrement libres » au-delà d’un duo. Et cela dix ans après l’événement FMP à Berlin. C’est donc enregistré au festival de Tampere en 1998 et le titre fait référence à un conseil de Monk à Steve Lacy : Lift The Bandstand !
Quand deux improvisateurs improvisent librement en duo, la confrontation et l’écoute mutuelle font qu’une construction, une logique un fil conducteur les réunissent. La part de risque et de déraillage, la probabilité de « ratage » y est nettement moins élevée que dans un quintet comme celui-ci. Au piano : Cecil Taylor, à la contrebasse : Teppo Hauta – Aho, au violoncelle : Tristan Honsinger, au saxophone soprano : Harri Sjöström et la batterie : Paul Lovens ! Cela aurait pu être une véritable fiasco. Mais, fort heureusement, c’est musicalement plus intéressant que les autres albums précités en raison de la variété des approches individuelles qui s’agrègent, se croisent, accélèrent , se dépassent, se contredisent, jouent au chat et à la souris. Et il faut saluer ici la prestation extraordinaire, unique en son genre, de Paul Lovens dont la démarche s’inscrit le mieux du monde dans cet univers entièrement improvisé où « everything can happen, nothing is allowed ». L’extraordinaire inspiration ludique sur toutes les parties de sa batterie, les variations infinies et les espaces sonores où Lovens semble jouer à peine créent une série de perspectives très variées de la sonorité et de l’activité du groupe. Il y a bien sûr le swing à la base et l’explosion quasi-totale de la définition de la batterie. Et toutes ses disruptions et trouvailles percussives enrichissent le flux de la musique. Il faut dire que Paul a acquis une expérience inégalée avec Alex von S et Evan Parker dans les centaines de concerts du trio depuis les années 70. Sans s'imposer, il inscrit des signaux marquants qui stimulent l'écoute et renvoie au son d'ensemble. Le cheminement du quintet traverse des passages qui fleurent bon cette musique presque lower case qui apparaîtra l'année suivante à Berlin. Tristan Honsinger a souvent joué avec Paul Lovens, quelques fois Cecil Taylor et sans doute avec les deux finlandais. Mais ceux-ci, Harri Sjöström et Teppo Hauta Aho ont travaillé avec Lovens dans un groupe tout à fait singulier quelques années aupravant : Quintet Moderne (avec aussi Phil Wachsmann et le tromboniste Jari Hongisto, puis Paul Rutherford. Ce groupe dont on connaît un seul album (Ikkunan Takaina - Bead records) se concentrait essentiellement sur l'exploration sonore épurée à la limite du silence avec un sentiment d'implosion de l'énergie du free-jazz qu'ils prennent radicalement à revers. Un deuxième album d'une face fut même publié par Po Torch (label de Lovens) avec un seul court morceau de 3'33'' avec le timbre désenchanté de Rutherford.
C'est cet esprit d'aventure qui transparaît ici.
Un groupe égalitaire. Dans les notes de pochette, le producteur a eu l’intelligence d’inclure un aveu singulier , une réflexion du pianiste : Ce n’est pas MON GROUPE mais VOTRE groupe. Donc, l’indication Cecil Taylor Quintet qui figure sur la pochette est en fait un argument de vente. Vers la fin de la deuxième partie Cecil se met a vociférer un poème (comme dans la première partie). On entend Tristan Honsinger avec son son éléphantesque jouer en utilisant la gamme Pelog des Gamelan balinais, musique que vénère particulièrement Taylor. Écoutez les Gong Kebyar du XXème siècle et vous comprendrez où Cecil a été chercher son inspiration. Dynamité par le pianiste déchaîné et le farfadet de la batterie, Harri Sjöström souffle au maximum dans son bec en contorsionnant et étirant sa sonorité à la limite de la déflagration. Le contrebassiste, Teppo Hauta Aho, un compositeur réputé dans les pays nordiques, fait gronder et grincer sa contrebasse comme si c’était un arbre de l’Ituri dont les pygmées découpaient l’écorce pour se fabriquer des pagnes (il y a très longtemps). On retrouve là aussi toute l’énergie et l’élégance du Cecil Taylor des grands jours. Bref, c’est assez extraordinaire.
Donatello Pisanello Organetto Diatonico 8 Bassi Setola di Maiale
Setola di Maiale est depuis quasiment trois décennies le point de ralliement des improvisateurs et jazzmen d’avant-garde originaux en Italie. Donatello Pisanello s’affirme encore une fois comme un solide accordéoniste inspiré par de nombreuses musiques qu’il semble ardu d'en déterminer l’origine, si ce n’est par l’écho lancinant d’un tango imaginaire et de musiques populaires dont il extrapole et mélange les sources dans un univers personnel. Favorisant des ostinati appuyés en secousses, il insère des décalages, des harmonies étranges, des contrepoints dans douze "OPS" numérotés de 01 à 12 qui s’enfilent comme des successions de couches organiques. Une fois happé par ce mouvement de va et vient et de marées accélérées, il introduit des formes torsadées qui s’interpénètrent ou dialoguent. Il suffit d’écouter ses OPS 10 et 11 pour devenir entièrement fasciné par ces ondulations et ces girations agrégées à un flux infini qui miroite dans l’espace du studio et suggère une danse inconnue… La 12 finale surpasse encore l’intensité perçue jusque-là. Voilà une musique d’origine incertaine … populaire, imaginaire, atypique, perdue, retrouvée… prompte à nous faire rêver une fois le soleil tôt retiré au-delà de l’horizon. La pochette contient au recto une œuvre multicolore et dessinée par l’artiste qui correspond vraiment bien avec sa création musicale. Tout bonnement chaleureuse, solaire, humaine.
Spontaneous Live Series 001 Witold Oleszak with Luis Vicente and Vasco Trilla Spontaneous Music Tribune / Dragon
D’ autres enregistrements émanant du 1er Spontaneous Music Festival 2018 au Dragon Klub à Poznan. Witold Oleszak est un excellent pianiste improvisateur qui déploie son inventivité autant sur le clavier avec un art consommé pour en bloquer certaines cordes que dans la table d’harmonie qu’il explore insatiablement. Dans cet album assez vif, il est confronté successivement au trompettiste Luis Vicente et au percussionniste Vasco Trilla, tous deux portugais et qui comptent parmi les « jeunes » improvisateurs en vue. Les deux premières improvisations sont l’occasion de découvrir la démarche incisive et sonique de Luis Vicente, dont j’ai pu apprécier le talent plus mélodique et proche du jazz dans des enregistrements comme Clocks and Clouds et Fail Better. Un véritable dialogue s’établit entre Oleszak et Vicente où chacun explore les possibilités sonores de son instrument en se faisant l’écho des recherches de l’autre tout en faisant évoluer inlassablement leurs trouvailles. Dans le #2, on appréciera la démarche pointilliste et presqu’onirique du pianiste dans le #2 et les bourdonnements vocalisés dans le suraigu et les staccatos lèvres serrées dans ce registre extrême de la trompette. Treize minutes parfaitement réussies où les deux improvisateurs voyagent dans des occurrences sonores variées avec un sens profond des enchaînements et une empathie remarquable. Trois autres séquences avec les percussions préparées et objets bruissant de Vasco Trilla et la table d’harmonie investie par Witold Oleszak . Celui-ci commence par faire gémir le piano avec des glissandi sur les cordes, résonner les marteaux sur des cordes bloquées… alors que l’attirail de Trilla tremble, gronde, grince. Les deux musiciens transforment insensiblement le paysage sonore de seconde en seconde jusqu’à une mutation complète. Entre autres, des tintements métalliques cristallins qui semblent surgir de nulle part. Il s’en suit un développement collectif absolument remarquable aussi instantané que coordonné qui relance constamment l’attention par la richesse et la multiplicité des sonorités, des timbres, de leurs imbrications. En tous points remarquable.
Sandy Ewen Damon Smith Weasel Walter ugexplode ug79
Excellent et suprenant trio guitare trafficotée et bruitiste (Sandy Ewen), contrebasse frictionnée et préparée (Damon Smith) et percussions éclatées (Weasel Walter). Enregistré en 2018 et publié en 2020, ce document atteste de la maturité à laquelle ce batteur improbable et expressionniste issu du punk hardcore noise est parvenu après de multiples expériences et des centaines de concerts au point de vue de l’improvisation libre. Damon Smith est un contrebassiste très expérimenté ayant partagé la scène et enregistré avec la crème des improvisateurs les plus en vue. Sandy Ewen est une remarquable guitariste qui développe une dimension sonore bruitiste superbement détaillée et précise. Elle collabore étroitement dans plusieurs projets avec Damon Smith, lequel a souvent joué avec ce batteur phénomène. Quelque soit l’achèvement instrumental de Walter, intrinsèquement un très solide batteur, j’avais trouvé que dans des enregistrements antérieurs, il avait une tendance à surjouer au-delà du plausible. Mais ce trio Sandy Ewen/ Damon Smith/ Weasel Walter s’avère aussi radical que remarquablement équilibré tout en étant extrême. Sans parler de la position des micros qui expose les détails des manipulations sonores improbables auxquelles d’adonnent les trois improvisateurs. La combinaison des instruments, des pratiques et des individualités, les réactions et intuitions de chacun et la tension que celles-ci dégagent font que cet enregistrement de quatre improvisations bien calibrées tient la route et, même, leur cheminement crée un univers particulier, grouillant, sonique, abrasif… toujours sur le point d’imploser au bord d’un trou noir.
Universal or Directional Dan Clucas Jeb Bishop Damon Smith Matt Crane Balance point Acoustics bpaltd10010
Quartet cornet (Dan Clucas), trombone (Jeb Bishop), contrebasse (Damon Smith), batterie (Matt Crane), configuration instrumentale à laquelle j’adhère tout de suite surtout lorsque j’entends ces quatre musiciens dès les premières secondes plonger dans l’improvisation qui explore les timbres et les sonorités dans un subtil dialogue interactif où chaque instrumentiste s’exprime à part égale par rapport aux autres. Aucun « soliste » , aucun accompagnateur… Au fil de neuf improvisations bien calibrées, mais tout autant échevelées, la musique collective se développe et se renouvelle créant bien des paysages touffus ou déchiquetés, des ambiances lyriques ou des implosions introspectives. Les deux souffleurs ont des registres voisins et complémentaires alternant et mêlant leurs échappées dans l’apesanteur. À leur volonté de recherche sonore, ils ajoutent des accents soulful et des relents de blues. Le contrebassiste à l’archet agile et striant fait le lien avec les froissements jumelés des cuivres. Ou alors, c’est un son gros comme çà qui ancre le groupe dans une dimension terrienne. Les frappes, grattages et frottements aux percussions soulignent et renforcent la volatilité des échanges tout en ouvrant le jeu de l’ensemble, permettant ainsi une parfaite lisibilité du moindre détail des improvisations de chaque musicien. Il y a une profonde dimension intimiste à leur quête ludique qui s’écoute de bout en bout avec un réel ravissement. L’entente de qualité au sein de ce collectif soudé dans une musique aussi libre de nombreuses conventions et ouverte à tous les dérapages confère en fait une dose d’authenticité et de crédibilité à leurs trouvailles.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
Sorry, but « everything can happen, nothing is allowed » : nothing "allowed" ?!
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