Lisa Cameron Damon Smith Alex Cunningham Dawn Throws Its First Knife Balance Point Acoustics BPALTD 11011
https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/dawn-throws-its-first-knife-bpaltd-11011
Le contrebassiste Damon Smith documente inlassablement ses différentes aventures avec de nombreux compagnons aussi engagés que lui. En ces temps où de nombreux auditeurs et artistes demandent à ce que des femmes soient mieux entendues et appréciées, on ne peut que saluer que ce projet en trio soit l’initiative d’une percussionniste, Lisa Cameron, denrée très rare dans cette scène improvisée où on entend plus souvent des dames chanteuses, pianistes, violonistes ou flûtistes et qu’avec le contrebassiste (Damon Smith), se distingue un violoniste audacieux, Alex Cunningham. On va peut-être suggérer que je suis un blasé ou un élitiste quand j’écris que je démontre plus de curiosité et d’empressement à écouter et chroniquer un trio percussions avec cordes, ici violon et contrebasse. En effet, les groupes avec anches, contrebasse et batterie pullulent et j’en ai eu ma dose en cinquante années d’écouteur assidu. L’aube jette son premier couteau et la direction de la lame nous emmène sur les plages actives de l’improvisation totale, bruissante, audacieuse, où les trois improvisateurs explorent à la fois les propriétés physiques et sonores de leurs instruments et les échanges désirés ou fortuits où les entraînent leur écoute mutuelle et leur passion. Violon et contrebasse ont un réel univers de frottements, vibrations et harmonies libérées à partager et étirer jusqu’à plus soif. La présence dynamique et sensible de la percussionniste, ses silences et son faufilage dans les interstices apportent une dimension dramatique et chaleureuse aux évolutions du trio. Il y a une magnifique équilibre entre des courts passages où on entend clairement la qualité palpable « conventionnelle » de leur travail instrumental sous-tendant des suggestions mélodiques et harmoniques et cette recherche insatiable de sonorités expressives obtenues par leur imagination et leur expérience. Transhumance spontanée entre le free-jazz et ses limites vers l’invention improvisée libre, écriture automatique, projection subjective d’émotions et de réflexes déconditionnés par la surprise de l’instant partagé. Un excellent album qui convaincra ceux qui seraient tentés de venir les écouter en public, parce que c’est le but.
Christiane Bopp Jean-Marc Foussat Emmanuelle Parrenin Nature Still Fou Records FR-CD 40
https://www.fourecords.com/FR-CD40.htm
Leur formule instrumentale audacieuse, dans le flux incessant d’albums de free-music, m’a fait directement sursauter de joie : Christiane Bopp au trombone et à la voix, Emmanuelle Parrenin aux vielles et à la voix et Jean-Marc Foussat au synthé AKS et à la voix.
Les notes de pochette n’indiquent de quelles vielles il s’agit et il n’y a pas d’image des musiciennes.cien. Qu’importe « les langages » du groupe dont l’identité libertaire s’affirme indifférenciée mais ouverte autant une forme d’ « ambient » subtile et des actions instrumentales. Pas de « isme », donc. Mais de la free-music pur jus dans une construction collective précautionneuse, aussi anarchique que méthodique et une qualité sonore haut de gamme. Ce qui veut dire, sensibilité, délicatesse et aussi affirmation que tout est possible. Trois improvisations autour des dix minutes et une plus longue de 22 minutes développent des climats sonores sensuels, feutrés ou menaçants, empreints de détachement, de nuances, de couleurs, de vibrations, formant chaque fois un tout, avec une réelle cohérence. Des étirements de sons troublants et fantomatiques, la proximité fascinante du souffle au trombone et des notes lancinantes de la vielle crée un univers imaginaire où le joueur de synthé AKS s’infiltre avec autant de discrétion que de sûreté (Nature Morte et Nature Live). Trois corps concentrés sur une seule voix. Dans Still Morte s’exprime un changement de cap, la construction semble plus élaborée, la sensibilité plus aiguë avec ce sens inné des petites touches qui créent un paysage mouvant, espace-temps du partage profond des émotions et des connivences. L’art subtil des glissandi et de la pluralité des voix agrégées, naturelles, imitées ou digitales. Ces dernières années, de nombreuses voix insistent pour que des femmes improvisatrices soient mieux considérées et représentées. Voilà justement, une belle pièce au dossier. J-M Foussat avait déjà consacré deux beaux albums FOU au talent de la tromboniste Christiane Bopp. On la retrouve de manière surprenante dans ce trio atypique avec cette artiste « folk » légendaire des années septante, Emmanuelle Parrenin, dans un univers sonore fascinant qui échappe à l’étiquetage et à la facilité.
Witold Oleszak & Roger Turner Spontaneous Live Series 003 Spontaneous Music Tribune
Spontaneous Music Tribune est un webzine spécialisé dans les musiques improvisées, jazz et expérimentales. Et cette série, Spontaneous Live Series documentent les concerts que l’équipe de S.M.T. organise au Dragon Social Club. Un plus en plus grand nombre de musiciens se sont engagés dans ce mouvement de libre improvisation de manière exponentielle, très souvent avec un talent instrumental ou musical indéniable. Comme le disait si bien mon ami le pianiste Veryan Weston, la musique improvisée libre est un genre difficile. Il entend par là qu’il n’est pas si simple, même quand on un talent indéniable en tant que musicien, de faire sens de manière irrévocable dans ce type de musique. Et c’est bien ce à quoi je pense quand j’écoute Roger Turner. Voilà quelqu’un qui incarne cette musique à 200 % par le moindre de ses gestes. Depuis plusieurs années, il a trouvé en Witold Oleszak, lui-même un remarquable pianiste, un excellent partenaire : ensemble ils se mettent mutuellement en valeur et stimulent leurs imaginations respectives. Les baguettes de Turner se déplacent sur les surfaces de ses tambours en frottant, grattant, piquetant des accessoires déposés sur les peaux dont il fait résonner la tension dans une belle diversité de frappes et de timbres. Son activité percussive improbable, on l’entend bouger des objets, les laisser retomber, gratter leur superficie , coincer ces cymbales sur les peaux etc.. trouve un écho dans l’exploration à la fois méthodique et erratique de la carcasse du piano, les cordages, les parties métalliques du piano d’Oleszak, marteaux relevés et ondoyant sur les câbles bloqués ou relâchés… et de soudaines grappes de notes. Ces deux là transitent quasi magiquement par une variété de climats, de tensions, de légèretés et de frénésies, créant un voyage parmi les sons découverts dans l’instant. Roger Turner a développé une conception et une pratique de « micro-percussions » dynamique qui occupe une place déterminée et relativement discrète dans l’espace sonore et cela dans le but de jouer au plus fin, au plus précis dans le chef du pianiste qui renouvelle constamment son stock de sonorités et d’approches du clavier. Les sons et les timbres de chacun s’interpénètrent, s’intègrent dans un kaléidoscope cinétique, sollicitant une kinesthésie du geste musical dans les moindres recoins de leurs instruments. Depuis leur premier album « Over the Title » pour Free Form Association, leur duo s’est aiguisé, bonifié pour le plus grand plaisir de mes oreilles. Je m’en étais déjà rendu compte en écoutant leur deuxième CD Fragments of Part… Félicitations à Andrezj Nowak pour son excellent travail d’édition.
Neigen Nicolas Souchal Michael Nick Daunik Lazro Jean-Luc Capozzo ayler records AYLLCD-162
https://ayler-records.bandcamp.com/album/neigen
Cela fait un certain nombre d’années qu’Ayler Records, autrefois un label suédois dédié au free-jazz afro-américain, a déménagé en France et documente principalement des musiciens français. Deux trompettistes et buglistes, Nicolas Souchal et Jean-Luc Capozzo, un saxophoniste ténor et baryton, Daunik Lazro, et un violoniste, Michael Nick, aussi crédité electro-acoustic octave violin. Neuf improvisations collectives entre inventions mélodiques, recherches de timbre et interactions subtiles pointant entre les trois – quatre minutes jusque les neufs avec une volonté affirmée de moduler et de varier les effets et les climaxes sur la durée.
Les notes de pochette expliquent: Neigen : du verbe allemand : tendre vers. En tant qu’improvisateurs, nous aspirons à l’imprévisible, dans une relation de confiance réciproque. Chacun, arc-bouté sur l’instant, est habité par la mémoire d’innombrables musiques jouées, entendues, rêvées. Et déterminé par la pratique instrumentale, l’expérience acquise, ainsi que par un instinct et une pensée propre.
Cette tension implique de savoir déjouer certains écueils et chausse-trapes déjà repérés, d’éviter le déjà-dit. Les trouvailles, comme pépite à l’orpailleur, adviennent par surprise, par chance, car l’invention ne se décrète pas. D’où : rester attentif à ses nombreuses épiphanies.
Tendre vers ces moments suspendus où l’on s’abandonne à cette magie qui nous traverse, dont nous devenons les récepteurs, les corps producteurs. Cultiver l’appétence pour ces plateaux d’intensité où l’on expérimente, parfois de manière fugitive, une connexion intuitive entre musiciens reliés par un fil d’ordre télépathique.
On ne pourrait mieux dire pour caractériser ce magnifique ensemble qui incarne superbement et valablement l’improvisation libre, libre de toute préconception, de « direction » esthétique théorisée, etc… et qui démontre comment faire coïncider différents aspects de ces musiques « improvisées » dans un tout cohérent et ouvert aux sensibilités et aux initiatives. Il faut insister sur la combinaison instrumentale rare, motif supplémentaire d’intérêt. Occurrences extrêmes, expressivité sauvage et/ou lyrique, équilibre et fuite en avant, tensions et apaisement, bourdonnements, borborygmes, vibrations étranges, aigus volatiles, une multitude d’approches se combinent, se défont et à chaque morceau on reconsidère la voie à suivre, l’échappée et le but. Et même, Neigen se réécoute avec un plaisir accru.
Chris Cundy Mountains John Cage Cornelius Cardew Ton de Leeuw & Thanos Chrysakis Aural Terrains 2020
https://www.auralterrains.com/releases/44
Une fois n’est pas coutume, de la musique composée. Chris Cundy est un superbe clarinettiste basse (principalement) qui se partage entre l’improvisation radicale et la composition. On l’a trouvé dans plusieurs albums intéressants ou passionnants publiés par Aural Terrains, le label du compositeur Thanos Chrysakis. Dans ces différents albums réalisés à l’initiative de Thanos auxquels participent ils participent tous les deux, il y a une constante : la clarinette basse et l’utilisation de l’électronique. Chrysakis et Cundy, étant des improvisateurs convaincus, on dira que le choix de compositeurs comme John Cage et Cornelius Cardew tombe sous le sens. Solo with three accompaniment de Cardew (1964) n’est pas à proprement parler une pièce pour clarinette basse, mais plutôt une invitation pour un soliste à créer un parcours avec des points de repères sonores adjacents. Mountains (1977) de Ton de Leeuw est une musique pour bande magnétique où le clarinettiste basse grimpe des sommets imaginaires autour d’un drone oscillant (18’11’’). Remarquable ! Comme il se doit avec Thanos Chrysakis qui a déjà consacré des pièces à plusieurs clarinettes basses et anches, Frytoria (2019) est conçu pour cinq clarinettes qui emmêlent graves, bourdonnements, harmoniques, percussions de clapets, etc… dans une polyphonie fascinante et des moments fragiles durant 12’50’’. C’est à mon avis une des pièces dont je perçois le mieux les intentions, la gravité, l’audace et la cohérence. D’autres Mountains (1977) de Cardew, à nouveau, pour clarinette basse seule en quatre Variations numérotées de I à V (2’50’’, 5’32’’, 2’25’’, 3’35’’). L’intérêt de l’album y est renforcé par le travail magnifique et très inspiré qui rend grâce à cet instrument souvent sollicité et aux propositions mélodiques de Cardew dans sa phase « anti-impérialiste ». S’il faut resituer cette musique de Cardew dans l’évolution de la musique improvisée, on songe à l’appellation folklore imaginaire, exécuté avec grande précision et une réelle musicalité. Chaque son compte, comme si le compositeur était le comptable de la moindre seconde, du moindre instant. On appréciera les multiphoniques et la respiration de la Variation II intégrées dans une remarquable narration dont on goûte le moindre instant sans aucune réitération et où plusieurs approches (techniques) sonores se succèdent. La Cadenza qui suit (Variation III) coule de source en rebondissant sur les étagements des intervalles, prolongée par une forme de gigue décalée (Variation IV). Le Five de John Cage (5‘05’’) avec ces cinq clarinettes basses est le point d’orgue final qui nous envoie avec ses notes tenues et voicings indéterminés des questions sans réponse. Une belle réussite et félicitations à Thanos Chrysakis et à Chris Cundy qui a su incarner l’esprit de ces compositions.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......