Martin Hackett – Daniel Thompson - Philipp Wachsmann ha th wa Empty Birdcage Records digital
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/ha-th-wa
Martin Hackett, un membre des Oxford Improvisers, utilise un synthé analogique datant d’une époque révolue dont les esprits frappeurs ressurgissent et créent d’étranges collisions, déflagrations, sifflements, pétarades, vibrations. Il ne pouvait pas trouver de plus astucieux compagnons que l’abrupt guitariste acoustique Daniel Thompson et l’imaginatif et improbable violoniste Philipp Wachsmann, lui aussi des Oxford Improvisers. En écoutant cet ha th wa, je ne peux que songer aux deux cassettes que Phil Wachsmann avait produites au début des années 80 en compagnie de Matt Hutchinson (claviers et synthé) avec Richard Beswick (guitare) d’une part (Wehay/ Kubu Cassette 001) et avec Hugh Metcalfe (Henry Diesel and James III / Kubu Cassette 002). Non seulement, on retrouve quasi les mêmes instruments, mais surtout Wachsmann, Hackett et Thompson adoptent cet air improbable résolu à tout qui se focalise sur des contrastes curieux, inattendus, ludiques, chacun inventant des diversions excentriques, loufoques, sarcastiques avec un surprenant sens du timing. Un va-et-vient de bribes d’interventions pointues, ponctuelles, brisées, qui fusent en dépit du bon sens dans plusieurs directions pour s’éteindre aussi vite et renaître aussi tôt sous d’autres formes. Un délicieux parcours de cadavres exquis comme s’ils usaient de toutes les figures de style dans une folle déconstruction du langage. Que Derek Bailey soit un génie de la guitare et un extraordinaire improvisateur est une chose, mais leurs élucubrations digressives échappent complètement à sa brillante doxa. Vous n’entendrez jamais dans aucun de ses enregistrements quelque chose d’aussi folichon, de dinguement british, excentrique surtout au niveau des formes qui défilent comme des séquences muettes Mack Sennett, l’initiateur du poète surréaliste Benjamin Péret. Phillip Wachsmann est un superbe virtuose du violon : il fallait l’entendre il y a des décennies faire face aux sortilèges du pianiste Fred Van Hove. Mais il a aussi une qualité suprême : un sens de l’invention inattendu en suggérant des idées folles qui fuse en moins de temps qu’il faut pour le dire parsemant de silences éloquents ses pizzicati de guingois, loops curieux, frottements stridents ou forcenés, clins d’œil suaves, fragments dodécaphoniques et tirades narquoises. Un seul son isolé surgit dans un instant de silence au milieu des frasques de ses collègues et transforme entièrement l’équilibre Les deux autres sont comme chien et chat : le jeu sec et abrupt en intervalles abscons et pincements sauvages et goguenards de la guitare acoustique tranche nettement sur les vrombissements, frissons électrogènes, arpèges torturés au gaz hilarant du claviériste électronicien… En fait un trio unique en son genre qui transcende le genre « improvisation de point en point » narrative et interactive dans une dimension beckettienne mâtinée cavalcade de cheval de bois désarticulée et poursuivant une trajectoire hélicoïdale paraboloïde dans laquelle l’engin patibulaire de Martin Hackett tient lieu d’orgue limonaire explosé.
Ça se fête dignement. On n’a jamais l’occasion de croiser une telle constellation en vingt ans de traçage maniaque des publications librement improvisées. Leurs intuitions collectives valent largement la somme de leurs talents respectifs rassemblés. Hugh !
Turquoise Dreams Marta Warelis Carlos Zingaro Helena Espvall Marcelo Dos Reis. JACC JR042 CD
https://jaccrecords.bandcamp.com/album/turquoise-dream
On aurait tort de vouloir limiter l’apport de la scène portugaise au free-jazz d’une deuxième génération qui fait parler d’elle et au label Clean Feed. Parallèlement et conjointement au travail fédérateur de l’altiste Ernesto Rodrigues au travers d’une constellation exponentielle de groupes de toute dimension dont ceux consacrés aux cordes ne sont pas les moins intéressants / fascinants, une fratrie de cordistes portugais ont développé des associations fructueuses : le violoniste vétéran Carlos Zingaro, les contrebassistes Alvaro Rosso et Hernani Faustino, les violoncellistes Miguel Mira et Ulrich Mitzlaff, les altiste Joaō Camoes et (encore) Ernesto Rodrigues, le guitariste Marcelo Dos Reis et parfois le pianiste Nicola Guazzaloca ou le clarinettiste Joao Pedro Viegas dans quelques rares albums particulièrement réussis pour JACC Records, Cipsela ou Improvising Beings. … Ces Rêves Turquoises ne font pas exception, avec la pianiste Marta Warelis, le guitariste Marcelo Dos Reis, la violoncelliste Helena Espvall et Carlos Zingaro au violon. Carlos a travaillé avec les « ténors » de la scène improvisée internationale et souvent des cordistes de renom comme Joëlle Léandre, Peter Kowald, Elliott Sharp, Fred Lonberg Holm, Marcio Mattos, Wilbert De Joode et aussi Richard Teitelbaum, George Lewis et Paul Lovens. Ce serait vraiment très dommage de négliger ses collaborations avec ses compatriotes cités plus haut. Dans les différents groupes tels que Nuova Camerata, Staub Quartet, PUI4, Pentahedron ou ce Rêve de Turquoise, on est frappé par la haute qualité de la musique. Dynamique, inventivité, étendue de la palette sonore et musicale, interactions, focus sur les timbres et effets sonores, c’est toujours du grand art. On se situe au point d’intersection de la musique contemporaine du XXème siècle et de l’aspect ludique collectif de l’improvisation libre sans concession. Et sans « purisme » aussi. Marta Warelis et Marcelo Dos Reis tracent de subtils contrepoints imaginatifs au piano ou à la guitare acoustique lorsque le violoniste et le violoncelle travaille la pâte sonore pressant harmoniques et tissant des spirales décalées. On les entend aussi rebondir les uns sur les autres, ricochetant des traits vifs qui fusent dans l’espace et retournent subitement à l’envoyeur. Explorations de textures, ostinato de la guitare, ondulations moirées du violon, cordes bloquées du piano, musique de l’infini transportée dans cinq séquences - voyages de sept à dix minutes et renouvelées au fil des moments. Construction instantanée méthodique et onirique. Pluralité d’approches musicales qui se marient par la grâce de leur volonté absolue d’écoute mutuelle et concertée dans l’instant. Leur musique recèle des invariants, leitmotivs imaginaires, substrat modal et des portes de sortie, fenêtres ouvertes sur la découverte de sons et l’initiation à la danse, au balancement des flots dans l’embouchure du Tage au-delà de la tour de Belem vers les étendues océaniques, eaux turquoises et crêtes moussues à l’infini. Une grande aisance s’impose dans le choix et le développement des modes de jeux qui s’unissent et se complètent, se nourrissent et s’amalgament les uns aux autres. On finit par découvrir un cheminement de traverse qui illumine notre écoute. Un très grand album publié en CD, une œuvre collective dont la réussite dépasse et transcende l’addition des talents individuels.
Brennan Connors & Stray Passage Emergence Setola di Maiale SM3300 CD
https://grimmusik.bandcamp.com/album/emergence
Enregistré dans le Wisconsin, Emergence réunit trois musiciens chercheurs et fouisseurs de choix. Le percussionniste Geoff Brady, crédité aussi electronics (pistes 1 et 5), le saxophoniste ténor Brennan Connors au sax soprano dans piste 3 et Brian Grimm joue successivement du violoncelle (piste 1), du contracello (pistes 2 et 3), de la guitare basse fretless (piste 4) et de la basse électrique (piste 5). Free-jazz allumé entièrement improvisé. Le batteur puissant démultiplie sans répit les cellules rythmiques en spirales puissantes et échevelées en cognant et poussant Brennan Connors dans ses derniers retranchements. Cette furia alterne avec des séquences presqu’intimistes d’effets percussifs, clochettes mais aussi un peu d’électronique lorsque le violoncelle se fait élégiaque et les volutes du sax rêveuses. Le violoncelliste – bassiste électrique ajoute la tension ou la détente en veillant à maintenir un équilibre illusoire. La vocalité chaleureuse , brûlante du saxophoniste au ténor est irrésistible, explosive : les 9:53 de Brand New Razors sont un magistral coup de poing final. Speaking Tongues & Holy Ghosts. Cette sonorité exacerbée se retrouve au sax soprano dans Emergence (12 :53). Leur musique n’a d’autre ambition que de projeter farouchement leurs énergies dans l’instant sans arrière-pensée, le batteur et le souffleur combinant leurs efforts dans un élan unanime talonné par la houle souterraine de la basse électrique. Excellent pour vous éclater le temps d’un soir à Madison, Wisconsin.
Voluptuaries Brandon Seabrook et Simon Nabatov Leo Records CD
https://simonnabatov.bandcamp.com/album/voluptuaries
S’il y a des pianistes que je préfère à Simon Nabatov pour plusieurs raisons, il est toujours intéressant de suivre ses projets à la trace, car il y de très bonnes choses à écouter et à prendre d’urgence, comme ses récents et fantastiques Gileya Revisited avec Jaap Blonk et Red Cavalry avec Phil Minton ou encore son intrigant OVNI Time Labyrinth. Un aspect intéressant de l’improvisation libre se situe au niveau de la rencontre fortuite de deux artistes aux démarches assez , voire très différentes, qui tentent avec succès de créer des dialogues efficients et une empathie insoupçonnée en ignorant la « logique » au-delà de la vraisemblance d’affinités.
Un excellent exemple est ce fascinant duo entre Derek Bailey et Tony Coe (Time / Incus) ou celui du même Bailey avec Steve Lacy (Company 4/ Incus). C’est évident que Simon Nabatov et le guitariste électrique Brandon Seabrook ont des options musicales assez contrastées. Nabatov est l’archétype du pianiste virtuose cultivé, nourri des musiques classiques et contemporaines les plus savantes tout en étant un jazzman accompli et inspiré parmi les meilleurs. Quant à Brandon Seabrook, son travail témoigne d’un amour pour la guitare électrique sur son versant post-rock un brin punk et à la fois expérimental, bruitiste, bricoleur maniaque et free « sauvage » et subtil. L’essentiel de l’entreprise réside non seulement dans la qualité de leurs modes de jeux individuels, mais aussi comment ils tirent parti de leurs ressources sonores multiples pour communiquer l’un avec l’autre. Un panorama assez impressionnant de douze extemporisations sonores bien ciblées, colorées, parasitées, agitées, grandioses ou foutraques. Subtiles aussi. On n’a pas le temps de s’ennuyer. Le résultat enregistré ferait un excellent concert avec suffisamment de surprises pour ouvrir ou réjouir les oreilles et les sens de ceux qui ont plaisir à s’encanailler loin des sentiers battus ou qui sont prêts à s’ouvrir aux mystères de la free-music authentiquement libre. Ça joue… quoi !
Gonçalo Almeida Monológos A Dois a New Wave Of Jazz
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/monologos-a-dois
Superbe sonorité de contrebasse du Portugais Gonçalo Almeida pour ses douze Monólogos A Dois publiés par le label belge A New Wave Of Jazz. L’artiste solitaire travaille à mi-chemin entre classique moderne et euro-jazz créatif. Jouant aussi bien à l’archet avec une beau timbre à la fois lumineux, chaleureux et boisé, qu’en pizzicati remarquablement bien déliés il développe douze chants – miniatures équilibrées, sensibles et vibrantes. Pour le simple plaisir de l’écoute, la relaxation des sens, vous serez servis. Ces monologues recèlent des éléments communs à chacun, une espèce de fil conducteur caché semblable à ces longs tunnels de montagne qu’illuminent ces ouvertures baignées de lumière et de ciel bleu qui happent l’imagination du voyageur… D’un morceau à l’autre, on perçoit un élément, une intonation, deux notes ou une couleur spéciale de la fin d’une pièce dans l’amorce du morceau suivant. La contrebasse solo est un art difficile et il suffit d’entendre Monòlogos A Dois II pour se convaincre des capacités de Gonçalo Almeida. Où l’archet sombre et subtil fait tournoyer lentement la masse sonore comme une tresse soyeuse et ondoyante dans le grave et des harmoniques distinguées pour finir, et la conviction se renforce, le lyrisme s’installe… Certains improvisateurs pointus diront que sa musique est bien sage (ECM), mais on ne va pas cracher sur un tel talent et cet excellent travail offrant un panorama des possibilités musicales de la contrebasse (instrument que j’adore) dans un ensemble cohérent.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
30 mars 2021
25 mars 2021
Simon Rose & Youjin Sung / Michaël Attias Gaël Mevel Thierry Waziniak/ Urs Leimgruber Jim Baker Jason Roebke/ Paul Dunmall Percy Pursglove Olie Brice Jeff Williams
Map of Dreams Youjin Sun & Simon Rose Creative Sources CS687CD
https://www.creativesourcesrec.com/catalog/catalog_687.html
Simon Rose a sans doute assimilé l’influence d’Evan Parker et, justement, je me souviens avoir discuté avec Evan, il y a bien des années, à propos de nos albums préférés de musiques traditionnelles. Il m’avait signalé l’existence de Korean Social & Folk Music publié par John Levy chez Lyrichord en 1968. Un des morceaux documente un Ajaeng Sanjo, soit une musique jouée sur une cithare coréenne à l’archet (Ajaeng) et complètement « free », ainsi que des pièces au Komungo, une autre cithare différente du Gayageum. On entend cette cithare coréenne Gayageum jouée à l’archet dans le morceau 1 et 8, Pandora et Map of Dreams par Youjin Sung. Je pense même bien que le Gayageum joué à l’archet se fait appeler Ajaeng, si je me souviens , car les notes de pochette incluses dans ma copie de l’album Korean Social & Folk Music ont disparu. Toutefois, si sa musique est un peu moins sauvage et hantée qu’ Ajaeng Sanjo dans le 8 - Map of Dreams, la musicienne fait carrément déraper son archet sur les cordes avec ces effet sonores étonnants qu’on entend aussi dans le vinyle précité. La musique coréenne se caractérise par ses rythmes flottants qui oscillent étrangement et dont la vitesse accélère ou ralentit ou, si vous voulez, l’espacement entre les temps accélère ou ralentit légèrement, comme si la musique hésitait à se mouvoir. La qualité sonore erraillée du sax baryton de Simon Rose, son jeu avec les harmoniques et la fluctuation de ses accents et boucles sonores en rythme libre cadrent parfaitement avec le jeu particulier de Youjin Sung. Simon sort l’essentiel de son baryton et donne le meilleur de lui-même. Youjin Sung ajoute une subtilité et une légèreté aérienne qui contrastent et paradoxalement s’imbriquent dans la pâte sonore mouvante et déchirante de son collègue. Tous deux sont en communion totale autour de ces pulsations hésitantes qu’on retrouvent à la fois dans les doigtés un peu fous du Gayageum et les coups de langue et de bec du souffleur. Je suis tout à fait ravi de ce magnifique échange entre cette tradition extrême orientale ouverte à l’avant-garde et la free-music Ouest Européenne : les deux artistes font corps l’un à l’autre et crée des paysages sonores hantés et envoûtants. Excellent !!
PS : Nombre de musiciens japonais et chinois traditionnels ont un solide pied dans l’avant – garde et les musiques improvisées comme Kazue Sawaï, la géniale Kinshi Tsuruta, Min Xiao Fen et Xu Feng Xia. Les musiciens coréens eux sont carrément prédestinés à ce type de rencontre du troisième type.
Trio Alta Michaël Attias Gaël Mevel Thierry Waziniak label Rives
https://www.gaelmevel.com/trio%20alta.html
Un objet rare en soi, un cédé emballé entre deux feuilles de caoutchouc carrées et aimantées, avec une peinture unique sur une face, pour une musique peu commune. Une volonté de jouer épuré et parfois un peu minimaliste en évoquant – interprétant Les Mots d’Amour de Charles Dumont, Nana de Manuel de Falla, Josqin des Prés, et l’Énigme Éternelle de Maurice Ravel, auxquels s’ajoutent trois compositions du violoncelliste Gaël Mevel. Le souffleur, Michaël Attias, sax alto et piano, stylise le substrat mélodique en sélectionnant ses notes en jouant avec le silence. Un lyrisme réservé affleure et illumine l’espace laissé libre par Le violoncelliste n’est pas en reste en délivrant un jeu hiératique en répétant inlassablement une ligne ou en flagellant les cordes en douceur avec des harmoniques pointues. Des notes de pianos clairsèment les échanges au centre des quels agit un batteur au sens mélodique affirmé tout en légèreté. Thierry Waziniak se contente de faire rebondir ses baguettes d’un côté à l’autre des peaux, des bords et des cymbales en variant le toucher, la sensibilité des frappes offrant un espace de jeu grand ouvert. Rythmique libre et consciente de complexes pulsations exquisement suggérées. Un poète de la batterie en complète maîtrise de l’instrument. Les musiciens mettent en avant le silence, une forme de contemplation du vide et de beaux mouvements lents. Il suffit de quelques coups d’archet vibrant de Gaël Mevel pour mettre une fois pour toutes en évidence la densité lumineuse de son jeu, occulté ici par le parti-pris minimaliste qui préside à l’esprit d’ouverture de ce magnifique trio aussi discret que sensible. Car c’est la sensibilité, la légèreté, l’épure de formes musicales réduites à leur existence fantomatique qui inspirent leur géométrie triangulaire aventureuse et mouvante. Ils se rapprochent ou s’écartent de la mélodie en étirant les pulsations jusqu’à leur dissolution dans le son. C’est très fort et aux antipodes de l’expressionnisme free, dessinant un univers où le moindre geste, une vibration de cymbale et deux notes de basse répétées sur la touche du violoncelle prennent tout leur sens. Admirable et, je vous assure, sans pareil.
Elastic Urs Leimgruber Jim Baker Jason Roebke Creative Works
https://www.creativeworks.ch/home/cd-shop/cw1066ccd/
Ce n’est pas la première fois qu’Urs Leimgruber enregistre à Chicago (Cfr Chicago solos Leo Records). Ici à Elastic en compagnie du pianiste Jim Baker, crédité au synthé analogue et du contrebassiste Jason Roebke, deux piliers de la scène de la Windy City. Le sax soprano d’Urs pointe dans la recherche de sonorités aigues, de caquetages – nasillements contorsionnés et bruissant au milieu des vibrations multiformes de l’électronique pointue de Jim Baker, un véritable as dans ce domaine. S’insèrent adroitement les frottements et grincements d’ébéniste sur la contrebasse par un Jason Roebke attentif. La musique se développe à travers des mutations soniques introspectives, extrêmes, entre bruits, aigus striés, brouillages de fréquences, recherche éperdue de sonorités cachées au creux des instruments et de leurs agrégations pensées ou aléatoires… La musique improvisée radicale vécue, assumée, subtile, parfois surprenante et menée dans la logique de l’instant à l’écart de formes décelables dans la durée. Tentatives réitérées par des essais de dialogues concluants ou illusoires, instants éphémères… on y poursuit aussi l’infime, l’infra – son, le dérisoire, l’exacerbé … l’invention, en fait. Une dérive de deux pièces qui semblent ne pas s’allonger dans un temps élastique, mais 19:42 et 23:34 quand même, et encadrant un troisième de 4:59, concentré probant avec un piano agile. À cet instant, on songe à un frère inconnu de Steve Lacy. Il se passe donc beaucoup de choses qui s’interpénètrent, se succèdent et nous entraînent dans un rêve éveillé, un état semi-conscient de poésie, de sonorités âpres, fluides en métamorphose constante, l’invariant du changement perpétuel assumé dans le moindre détail, malgré les scories.
Palindromes Paul Dunmall Percy Pursglove Olie Brice Jeff Williams West Hill Records WHR002
https://westhill.bandcamp.com/album/palindromes
Superbe quartet “jazz libre” entièrement improvisé dans l’instant tout au long de deux longues improvisations collectives de 31 :47 (Tattarratattat 1) et de 30 :30 (Tattarratattat 2) enregistrées au Café Oto le 04/02/2020. Deux souffleurs interagissant subtilement de manière très fair-play et ouverte : au sax ténor, Paul Dunmall et le trompettiste Percy Pursglove dont ce n’est la cinquième collaboration enregistrée. Un batteur attentif, sensible, jouant de toute l’étendue de la palette percussive au fil de l’évolution de ces instants improvisés en constante mutation : Jeff Williams, venu exprès d’Amérique. Pilier solide et remarquable archet, le contrebassiste Olie Brice. La musique baigne dans une écoute mutuelle intense et une empathie profonde. Plus qu’un style au sein de la mosaïque free-jazz, ces quatre-là revendiquent un mode de vie, une énergie puissante, une exigence au niveau de l’instrument, du son et des échanges incessants. Dunmall c’est la science du sax ténor jazz : Coltrane, Henderson, Griffin, etc.. avec une articulation impressionnante, une sonorité qui transite du soft cool à la puissance mordante et brûlante des allumés du « coltranisme » côté organique, sauvage et suprêmement complexe, voyageant dans les spirales des échelles modales distendues au-delà de la raison et modulant le matériau mélodique sans cesse jusqu’à l’exacerber, le triturer ... Avec Percy Pursglove, Dunmall a trouvé un fantastique alter ego inspiré, fougueux et inventif. Chaque musicien présent trouve l’espace pour s’exprimer à égalité et s’écarte un moment pour mettre son ou ses collègues en évidence. C’est ce qui se passe dans les premières minutes du deuxième morceau, Tattarratattat 2, où Pursglove et Brice dialoguent avec bonheur servis par le batteur inventif et aux petits soins. On rentre et on sort dans et hors de la rythmique cadencée explicite ou de la polyrithmie désarticulée. La musique se construit patiemment, poussant jusqu’au bout les ressources des éléments mélodiques et les configurations. Cet enchaînement aussi spontané que follement méthodique se construit en augmentant continuellement et graduellement la tension et une passion de plus en plus effervescente. Une fois lancé Dunmall grimpe dans la stratosphère à coup de triples détachés vertiginieux, alternant harmoniques acérées et morsures incandescentes dans des spirales tortueuses, alambiquées... Cela finit par aboutir à une empoignade à toute vapeur ou des no man’s land imprévus. Là, Olie fait vibrer la caisse de son gros violon en frottant les cordes, les faisant geindre, crier, miauler.. et les deux souffleurs crachent, interjectent,... la trompette implose, le sax maugrée... Avec Dunmall, la free-improvisation sonore n’est jamais loin au gré de la transe intérieure et des événements … heureusement , Jeff Williams percute avec un remarquable à propos, proposant sons, vibrations, chocs, cliquetis colorés et vagabonds. Olie Brice cultive ce son puissant et cet engouement qui fait se promener la basse dans la troisième dimension : synergetic walking bass ! Je reviens encore sur Percy Pursglove : il me convainc de plus en plus dans sa recherche des multiples occurrences sonores qui émaillent son délire. Tout bénéfice pour ce quartet de rêve.
Simon Rose a sans doute assimilé l’influence d’Evan Parker et, justement, je me souviens avoir discuté avec Evan, il y a bien des années, à propos de nos albums préférés de musiques traditionnelles. Il m’avait signalé l’existence de Korean Social & Folk Music publié par John Levy chez Lyrichord en 1968. Un des morceaux documente un Ajaeng Sanjo, soit une musique jouée sur une cithare coréenne à l’archet (Ajaeng) et complètement « free », ainsi que des pièces au Komungo, une autre cithare différente du Gayageum. On entend cette cithare coréenne Gayageum jouée à l’archet dans le morceau 1 et 8, Pandora et Map of Dreams par Youjin Sung. Je pense même bien que le Gayageum joué à l’archet se fait appeler Ajaeng, si je me souviens , car les notes de pochette incluses dans ma copie de l’album Korean Social & Folk Music ont disparu. Toutefois, si sa musique est un peu moins sauvage et hantée qu’ Ajaeng Sanjo dans le 8 - Map of Dreams, la musicienne fait carrément déraper son archet sur les cordes avec ces effet sonores étonnants qu’on entend aussi dans le vinyle précité. La musique coréenne se caractérise par ses rythmes flottants qui oscillent étrangement et dont la vitesse accélère ou ralentit ou, si vous voulez, l’espacement entre les temps accélère ou ralentit légèrement, comme si la musique hésitait à se mouvoir. La qualité sonore erraillée du sax baryton de Simon Rose, son jeu avec les harmoniques et la fluctuation de ses accents et boucles sonores en rythme libre cadrent parfaitement avec le jeu particulier de Youjin Sung. Simon sort l’essentiel de son baryton et donne le meilleur de lui-même. Youjin Sung ajoute une subtilité et une légèreté aérienne qui contrastent et paradoxalement s’imbriquent dans la pâte sonore mouvante et déchirante de son collègue. Tous deux sont en communion totale autour de ces pulsations hésitantes qu’on retrouvent à la fois dans les doigtés un peu fous du Gayageum et les coups de langue et de bec du souffleur. Je suis tout à fait ravi de ce magnifique échange entre cette tradition extrême orientale ouverte à l’avant-garde et la free-music Ouest Européenne : les deux artistes font corps l’un à l’autre et crée des paysages sonores hantés et envoûtants. Excellent !!
PS : Nombre de musiciens japonais et chinois traditionnels ont un solide pied dans l’avant – garde et les musiques improvisées comme Kazue Sawaï, la géniale Kinshi Tsuruta, Min Xiao Fen et Xu Feng Xia. Les musiciens coréens eux sont carrément prédestinés à ce type de rencontre du troisième type.
Trio Alta Michaël Attias Gaël Mevel Thierry Waziniak label Rives
https://www.gaelmevel.com/trio%20alta.html
Un objet rare en soi, un cédé emballé entre deux feuilles de caoutchouc carrées et aimantées, avec une peinture unique sur une face, pour une musique peu commune. Une volonté de jouer épuré et parfois un peu minimaliste en évoquant – interprétant Les Mots d’Amour de Charles Dumont, Nana de Manuel de Falla, Josqin des Prés, et l’Énigme Éternelle de Maurice Ravel, auxquels s’ajoutent trois compositions du violoncelliste Gaël Mevel. Le souffleur, Michaël Attias, sax alto et piano, stylise le substrat mélodique en sélectionnant ses notes en jouant avec le silence. Un lyrisme réservé affleure et illumine l’espace laissé libre par Le violoncelliste n’est pas en reste en délivrant un jeu hiératique en répétant inlassablement une ligne ou en flagellant les cordes en douceur avec des harmoniques pointues. Des notes de pianos clairsèment les échanges au centre des quels agit un batteur au sens mélodique affirmé tout en légèreté. Thierry Waziniak se contente de faire rebondir ses baguettes d’un côté à l’autre des peaux, des bords et des cymbales en variant le toucher, la sensibilité des frappes offrant un espace de jeu grand ouvert. Rythmique libre et consciente de complexes pulsations exquisement suggérées. Un poète de la batterie en complète maîtrise de l’instrument. Les musiciens mettent en avant le silence, une forme de contemplation du vide et de beaux mouvements lents. Il suffit de quelques coups d’archet vibrant de Gaël Mevel pour mettre une fois pour toutes en évidence la densité lumineuse de son jeu, occulté ici par le parti-pris minimaliste qui préside à l’esprit d’ouverture de ce magnifique trio aussi discret que sensible. Car c’est la sensibilité, la légèreté, l’épure de formes musicales réduites à leur existence fantomatique qui inspirent leur géométrie triangulaire aventureuse et mouvante. Ils se rapprochent ou s’écartent de la mélodie en étirant les pulsations jusqu’à leur dissolution dans le son. C’est très fort et aux antipodes de l’expressionnisme free, dessinant un univers où le moindre geste, une vibration de cymbale et deux notes de basse répétées sur la touche du violoncelle prennent tout leur sens. Admirable et, je vous assure, sans pareil.
Elastic Urs Leimgruber Jim Baker Jason Roebke Creative Works
https://www.creativeworks.ch/home/cd-shop/cw1066ccd/
Ce n’est pas la première fois qu’Urs Leimgruber enregistre à Chicago (Cfr Chicago solos Leo Records). Ici à Elastic en compagnie du pianiste Jim Baker, crédité au synthé analogue et du contrebassiste Jason Roebke, deux piliers de la scène de la Windy City. Le sax soprano d’Urs pointe dans la recherche de sonorités aigues, de caquetages – nasillements contorsionnés et bruissant au milieu des vibrations multiformes de l’électronique pointue de Jim Baker, un véritable as dans ce domaine. S’insèrent adroitement les frottements et grincements d’ébéniste sur la contrebasse par un Jason Roebke attentif. La musique se développe à travers des mutations soniques introspectives, extrêmes, entre bruits, aigus striés, brouillages de fréquences, recherche éperdue de sonorités cachées au creux des instruments et de leurs agrégations pensées ou aléatoires… La musique improvisée radicale vécue, assumée, subtile, parfois surprenante et menée dans la logique de l’instant à l’écart de formes décelables dans la durée. Tentatives réitérées par des essais de dialogues concluants ou illusoires, instants éphémères… on y poursuit aussi l’infime, l’infra – son, le dérisoire, l’exacerbé … l’invention, en fait. Une dérive de deux pièces qui semblent ne pas s’allonger dans un temps élastique, mais 19:42 et 23:34 quand même, et encadrant un troisième de 4:59, concentré probant avec un piano agile. À cet instant, on songe à un frère inconnu de Steve Lacy. Il se passe donc beaucoup de choses qui s’interpénètrent, se succèdent et nous entraînent dans un rêve éveillé, un état semi-conscient de poésie, de sonorités âpres, fluides en métamorphose constante, l’invariant du changement perpétuel assumé dans le moindre détail, malgré les scories.
Palindromes Paul Dunmall Percy Pursglove Olie Brice Jeff Williams West Hill Records WHR002
https://westhill.bandcamp.com/album/palindromes
Superbe quartet “jazz libre” entièrement improvisé dans l’instant tout au long de deux longues improvisations collectives de 31 :47 (Tattarratattat 1) et de 30 :30 (Tattarratattat 2) enregistrées au Café Oto le 04/02/2020. Deux souffleurs interagissant subtilement de manière très fair-play et ouverte : au sax ténor, Paul Dunmall et le trompettiste Percy Pursglove dont ce n’est la cinquième collaboration enregistrée. Un batteur attentif, sensible, jouant de toute l’étendue de la palette percussive au fil de l’évolution de ces instants improvisés en constante mutation : Jeff Williams, venu exprès d’Amérique. Pilier solide et remarquable archet, le contrebassiste Olie Brice. La musique baigne dans une écoute mutuelle intense et une empathie profonde. Plus qu’un style au sein de la mosaïque free-jazz, ces quatre-là revendiquent un mode de vie, une énergie puissante, une exigence au niveau de l’instrument, du son et des échanges incessants. Dunmall c’est la science du sax ténor jazz : Coltrane, Henderson, Griffin, etc.. avec une articulation impressionnante, une sonorité qui transite du soft cool à la puissance mordante et brûlante des allumés du « coltranisme » côté organique, sauvage et suprêmement complexe, voyageant dans les spirales des échelles modales distendues au-delà de la raison et modulant le matériau mélodique sans cesse jusqu’à l’exacerber, le triturer ... Avec Percy Pursglove, Dunmall a trouvé un fantastique alter ego inspiré, fougueux et inventif. Chaque musicien présent trouve l’espace pour s’exprimer à égalité et s’écarte un moment pour mettre son ou ses collègues en évidence. C’est ce qui se passe dans les premières minutes du deuxième morceau, Tattarratattat 2, où Pursglove et Brice dialoguent avec bonheur servis par le batteur inventif et aux petits soins. On rentre et on sort dans et hors de la rythmique cadencée explicite ou de la polyrithmie désarticulée. La musique se construit patiemment, poussant jusqu’au bout les ressources des éléments mélodiques et les configurations. Cet enchaînement aussi spontané que follement méthodique se construit en augmentant continuellement et graduellement la tension et une passion de plus en plus effervescente. Une fois lancé Dunmall grimpe dans la stratosphère à coup de triples détachés vertiginieux, alternant harmoniques acérées et morsures incandescentes dans des spirales tortueuses, alambiquées... Cela finit par aboutir à une empoignade à toute vapeur ou des no man’s land imprévus. Là, Olie fait vibrer la caisse de son gros violon en frottant les cordes, les faisant geindre, crier, miauler.. et les deux souffleurs crachent, interjectent,... la trompette implose, le sax maugrée... Avec Dunmall, la free-improvisation sonore n’est jamais loin au gré de la transe intérieure et des événements … heureusement , Jeff Williams percute avec un remarquable à propos, proposant sons, vibrations, chocs, cliquetis colorés et vagabonds. Olie Brice cultive ce son puissant et cet engouement qui fait se promener la basse dans la troisième dimension : synergetic walking bass ! Je reviens encore sur Percy Pursglove : il me convainc de plus en plus dans sa recherche des multiples occurrences sonores qui émaillent son délire. Tout bénéfice pour ce quartet de rêve.
13 mars 2021
Paul Hubweber – Joscha Oetz/ Duck Baker - Mike Cooper/ Joke Lanz - Ute Wassermann/ Irene Kepl - Udo Schindler
Home Songs Paul Hubweber – Joscha Oetz “homemade” Cd NurNichtNur
http://ebbajahnprojects.blogspot.com/2020/12/abbey-duet-paul-hubeweber-joscha-oetz.html
Pochette cartonnée assemblée à la maison avec au recto / verso la photographie d’une sculpture en bois – racine de Brele Scholz, Daphne & Apoll et celle des deux musiciens, le tromboniste Paul Hubweber et le contrebassiste Joscha Oetz qu’on entend ici dans un merveilleux exercice chantant, dansant, vibrant des Chants pour la Maison. La contrebasse vibre et rebondit, puissante et chaleureuse en nous racontant de belles histoires en chœur avec la voix cuivrée qui anime et agite le trombone dans un répertoire traditionnel de chants populaires, de musiques du cœur. Parsemée dans la liste des seize titres joués, le Can’t Find My Way Home de Stevie Winwood, I Have A Dream d’Adrian Belew et the Sheltering Key de King Crimson (explication : Hubweber est un fan de King Crimson). Deux de ses compositions figurent ici, So Far et l’intrigant Horsie jouée dans un magnifique unisson décalé. On va dire que leur musique ressemble à du folk-jazz, mais aussi qu’il n’y a aucun soliste et aucun accompagnateur. C’est un magnifique duo comme le grand contrebassiste Red Mitchell aimait à le faire, cfr le merveilleux LP I Concentrate on You avec Lee Konitz, si on considère le superbe travail du contrebassiste. Hubweber se concentre lui, sur la face chantante de son instrument comme s’il entonnait des hymnes, des prières ou des chansons à boire mélancoliques. Dans cette manière à la fois humble, festive et lyrique, le tromboniste connu pour son travail d’avant-garde dans la scène improvisée nous montre que la musique n’a pas de frontière. Hubweber atteint ici le sommet expressif et universel du trombone et son acolyte, Joscha Oetz n’est pas en reste avec son magnifique jeu à la contrebasse : intonation, projection, suggestion dans un style à la fois florissant et épuré avec quelques effets de timbre bien placés. Son art de l’interprétation spontanée est le fruit d’un travail intense d’improvisateur. On songe à ces artistes singuliers que sont Jimmy Giuffre ou Roswell Rudd pour les instruments à vent et Charlie Haden et Gary Peacock pour la contrebasse. La majorité des pièces sont exécutées avec des pizz amoureux et quelques-unes avec un frottement d’archet profond (Mondlich). Si Hubweber avait officié dans la scène jazz des années cinquante – soixante, les critiques avisés l’auraient désigné comme un styliste original pour son instrument. Sa capacité à chanter pleinement dans l’embouchure nous fait oublier qu’il y a des super-virtuoses, mais surtout on est subjugué par l’empathie rare qui unit les deux musiciens. Une super musique pour attendre la fin de l’hiver et des vents agités au coin du feu.
Ci-dessus, le lien d'une rare vidéo d'Ebba Jahn illustrant tout la poésie du duo.
Cumino in Mia Cucina Mike Cooper / Duck Baker confront core series / core 19
https://www.confrontrecordings.com/mike-cooper-duck-baker
Enregistré à Rome en 2010, Cumino in Mia Cucina réunit deux guitaristes qui ont des expériences musicales similaires. L’américain Richard « Duck » Baker est le Fingerstyle Jazz Guitarist par excellence avec un répertoire très étendu : ragtime, blues, folk, jazz swing, Monk, Herbie Nichols et Ornette Coleman. Depuis ses rencontres avec John Zorn et Eugene Chadbourne vers 1977 alors que ces artistes étaient totalement inconnus, il est devenu un fascinant improvisateur « free » à la guitare acoustique (Outside – Emanem 5041). Mike Cooper fut un remarquable praticien du blues sous toutes ses formes jusqu’à ce qu’il se décide à faire de la musique expérimentale entre autres avec Lol Coxhill et Roger Turner au sein des Recedents. Baker et Cooper se connaissent depuis plus de quarante ans ayant tous deux enregistré pour le label Kicking Mule du guitariste Stefan Grossman, l’élève du génial Reverend Gary Davis, dont plusieurs enregistrements ont figuré au catalogue de ce label consacré à la guitare acoustique, principalement Fingerstyle, au blues, au folk traditionnel, bluegrass, ragtime etc… Fingerstyle, ça veut dire qu’on joue des six cordes de la main droite avec les doigts et que le musicien est à même d’interpréter un ragtime ou un standard de jazz en solo comme s’il jouait du piano. Donc, c’est une technique semblable à celle de la guitare classique « espagnole » mais avec des exigences techniques contraignantes. Il doit assurer la rythmique, l’harmonie et la mélodie en pinçant les cordes avec trois ou quatre doigts et il faut que cela swingue ! Au fil de l’évolution du jazz et de sa complexité, on a vu le nombre de guitaristes « Fingerstyle » fondre comme neige au soleil, car c’est une démarche ingrate, non amplifiée et donc littéralement asphyxiée par la puissance sonore d’un orchestre.
Dans le domaine du jazz free, je pense bien que Duck Baker est bien le seul guitariste fingerstyle d’envergure à jouer Peace d’Ornette Coleman ou Tintiyana d’Abdullah Ibrahim et ses propres compositions qui évoquent celles de Roscoe Mitchell avec des cadences rythmiques affolantes et… des cordes en nylon ! Oui, des cordes en nylon et le bout des doigts. Afin de créer une bonne communication et une symbiose efficace, Mike Cooper a adopté une guitare à cordes nylon similaire. Et quel régal ! Je me souviens du fantastique Guitar Trio de Duck avec Chadbourne et Randy Hutton paru en 1979 (label Parachute) qu’Emanem a réédité il y a peu (Guitar Trio in Calgary in 1977 Emanem 5041). Je rappelle aussi les deux rencontres fascinantes du guitariste (cordes nylon !) Pascal Marzan en duo avec Roger Smith et John Russell parues chez Emanem (Two Spanish Guitars et Translations Emanem 4145 et 5019) que j’ai adoré. Comme le titre Cumino in Mia Cucina l’indique, Mike Cooper, aujourd’hui un habitant de Rome, a invité Richard Baker dans sa cuisine pour concocter de beaux menus pour guitares « espagnoles » à l’italienne, chaque morceau étant dédié à un de ses ingrédients fétiches : Aglio Selvatico, Curcuma, Dragoncello, Peperoncino, Zafferano Saraceno, Fieno Greco, Cannella, Origanum Vulgare et Chiodi di Garofano.
Ce qui me plaît beaucoup, c’est leur cuisine spontanée instantanée avec tous les moyens expressifs et sonores des deux guitares et la fusion joyeuse de leurs interactions comme si leur musique « duelle » était en toute « apparence auditive » celle d’un seul musicien. Leurs jeux respectifs se répandent dans la multiplicité des registres des deux guitares avec un tel niveau d’interpénétration et de connivence gémellaire qu’il est impossible de distinguer chacun des deux guitaristes l’un de l’autre. Quand vous mangez amoureusement un plat savoureux, vous ignorez totalement lequel des cuisiniers a laissé sa trace dans la substance culinaire dont vous vous délectez. Le plat est un tout, une entité dont tous les éléments créent une « harmonie », un entente « concertée ». En musique improvisée cela doit être pareil. Leur musique divague, s’imbrique comme rarement, crée des correspondances, des cadences, des bruissements, des résonances... Chacun s’échappe subrepticement un instant pour aiguillonner leur écoute mutuelle. Entendu la nature de l’instrument, il y a une part de délicatesse, des accents mélancoliques ou rêveurs, la douceur des timbres, la vibration intime de l’âme de la six cordes à travers l’écoutille. Mais aussi, des percussions audacieuses, décalages de phrasés fragmentés, leurs inversions subites et sursauts slappés (Dragoncello). Ou la foire d’empoigne anguleuse et virevoltante de Zafferano Saraceno. Les rotations sinueuses de notes évoquent l’évolution de couleuvres dans les fougères (Fieno Greco), la flagellation et le râclage des cordes sur les frettes et les frappes et grincements sur la caisse de la guitare suggèrent leur démolition sarcastique (Curcuma). Cannella est l’instant d’un swing hésitant et déconstructeur. Il n’y a pas vraiment un style déterminé dans leur « avant-garde », mais plutôt une capacité sagace à faire feu de tout bois en créant des thématiques éphémères, un brin hésitantes, mais diantrement efficaces. Je réitère donc, un vrai régal et une dimension poétique !
Merveilleux !
PS : Et ne devrait-on pas saluer encore la démarche du producteur de Confront, Mark Wastell ? En conviant autant d’artistes différents et aussi intéressants / passionnants dans son catalogue tels que Julie Tippetts, Derek Bailey, Simon H Fell, Rhodri Davies, Mike Cooper, David Sylvian, Steve Beresford, Valentina Ma, Paul Dunmall, Tony Bianco, Benoît Delbecq, Mandhira de Saram, Max Eastley, Clive Bell, Arild Andersen, Chris Burn, Philip Thomas et lui-même, Mark Wastell, un improvisateur « réductionniste » ou « lower case notoire, il crée une synergie dynamique avec une réelle sensibilité. Les auditeurs qui suivent attentivement Confront feront de belles découvertes dont le dénominateur commun réunit l’audace, l’originalité et la diversité innovatrice. Les auditeurs intéressés par quelques-uns des artistes proposés seront tentés par des albums de musiciens dont ils ont entendu parler ou dont ils ignorent tout. Cela renforce la cohésion de la communauté des musiciens et du public par delà les démarches musicales qui, en apparence, semblent esthétiquement divergentes. Avec son label, tout semble possible.
Joke Lanz & Ute Wassermann Half Dead Half Alive Live in Nickelsdorf klanggalerie gg 325 February 2021
https://klanggalerie.bandcamp.com/album/half-dead-half-alive-live-in-nickelsdorf
Platines et voix humaine : Joke Lanz et Ute Wassermann qui, elle est aussi créditée appeaux et objets. Les deux artistes évoluent aux confins des possibles sonores, dans une dimension bruitiste, ludique et subtilement expressive. Deux longues improvisations enregistrées au Festival Konfrontationen Nickelsdorf 2019 : Half Dead et Half Alive. La voix d’Ute Wasserman a une capacité surréelle à transformer son organe vocal comme celui d’un volatile – oiseau rare avec une articulation extraordinaire, ses bruitages vocaux étant travaillés au millimètre près, utilisant les ressources de l’aspiration de l’air dans la gorge comme si c’était un instrument accordé par Harry Partch lui-même. Un phénomène de la voix humaine distillant phonèmes sibyllins, aigus fluctuants qui se dilatent dangereusement, secousses de gloussements improbables, effets de glotte démultipliés, croassements d’échassiers ou de hiboux, hululements, sifflotements extatiques d’appeaux. Des effets d’harmoniques, diphonies en glissando…, halètements inconvenants, growls agressifs dans le gosier, diphtongues de martien, jacasseries siphonnées relayées par le platiniste. Ute a un côté organisé, presque prémédité et pourtant, il est évident qu’elle travaille à l’instinct et dans la magie de l’instant, aimant se surprendre. Pour son bonheur, elle a affaire à un acolyte facétieux avec un solide sens de la répartie et de l’invention qui n’hésite pas à toujours rechercher des sons inédits et à brouiller les pistes. Des secousses vocalisées et des voix parlées issues de je ne sais quel disque entament une conversation imaginaire avec la fée du logis. Joke Lanz traque l’extrême vocal et la fièvre audible aux creux des sillons, des échos d’accordéon, d’orgue de barbarie ou de guimbarde, des grincements vivants et des beats détraqués auxquels la chanteuse répond du tac-au tac avec un surprenant esprit d’à-propos et un délire à froid. Si on n’y prend garde, on distingue à peine qui fait quoi. Leur connivence échafaude des sens dessus-dessous dans une écoute mutuelle intense. Plutôt que de chercher à créer un œuvre avec un début, un développement et une fin avec des ambiances bien caractérisées, des variations calibrées et une relative logique, les deux artistes ont fait le pari de la déconstruction permanente, du coq-à-l’âne et des cadavres exquis avec des correspondances inavouées. Si au départ, à la première écoute, l’auditeur pris par surprise se demandera où ils veulent en venir, il comprendra bien vite qu’ils ne veulent aller nulle part, si ce n’est nous donner le tournis. Petit à petit, un autre univers s’installe, celui de l’instant, du moment présent, celui qui ne voit pas de fin et découpe le fil conducteur en rondelles de sens, éléments de vocalités, de déchets technologiques, scories du temps et épluchures du fruit défendu. Finalement, si leur œuvre semble n’avoir ni queue ni tête, c’est parce que nos voyages et les paysages traversés nous paraîtraient insensés et incompréhensibles si nous n’avions pas incorporé et assimilé une culture, un savoir, une expérience, une destination. Ute Wassermann et Joke Lanz taillent tout en pièces, le fil de l’instant qui trace son destin et nos sens apeurés par l’inconnu.
Schindler & Kepl Fabulierblättchen Creative Sources 653
Enregistré à Munich en juillet 2019 avec l’activiste de l’étape, le souffleur multi instrumentiste Udo Schindler, Fabulierblättchen, met en évidence le jeu lumineux de la violoniste Irene Kepl dont mon ami Jean-Marc Foussat a publié un magnifique album solo sur son label FOU Records. Donc, l’occasion de retrouver cette musicienne inspirée en compagnie des clarinettes et du cornet d’Udo Schindler dont je viens d’avaler une série d’albums avec le chanteur Jaap Blonk et le bassiste Damon Smith dont je vous ai entretenu il y a peu et aussi avec la chanteuse Franziska Baumann, Damon Smith & Karina Erhard, Korhan Erel & Sebi Tramontana. Ces sept improvisations présentées ici suivent à la trace le parcours subtil et dialogué de deux excellents improvisateurs qui ont l’art de s’enquérir dans le détail et les nuances leurs idiosyncrasies les plus secrètes. Incursions introverties dans les possibilités bruissantes de leurs instruments, grinçantes ou saturées, elles renvoient avec bonheur à la conception initiale de l’improvisation non-idiomatique sans qu’on puisse relier leurs sonorités et actions instrumentales à un style ou une marque de fabrique individuelle. Recherche de timbres délicates, forcenées ou expressives. J’apprécie particulièrement Udo Schindler à la clarinette (diese saugten erregtheit) ou au cornet (morgenscheibe rotorange), complètement viscéral et quasi aléatoire. On frise aussi le silence (zahlreiches vorhandensein) intelligemment avec de curieuses harmoniques… Et schicksals blasrohr concentre un lyrisme épuré. Je m’imagine très bien dans l’assistance, concentré par l’écoute et une sorte de ravissement face à cette sincérité qui ne trompe pas. De la véritable improvisation instantanée au ralenti où le temps s’allonge sans peser.
http://ebbajahnprojects.blogspot.com/2020/12/abbey-duet-paul-hubeweber-joscha-oetz.html
Pochette cartonnée assemblée à la maison avec au recto / verso la photographie d’une sculpture en bois – racine de Brele Scholz, Daphne & Apoll et celle des deux musiciens, le tromboniste Paul Hubweber et le contrebassiste Joscha Oetz qu’on entend ici dans un merveilleux exercice chantant, dansant, vibrant des Chants pour la Maison. La contrebasse vibre et rebondit, puissante et chaleureuse en nous racontant de belles histoires en chœur avec la voix cuivrée qui anime et agite le trombone dans un répertoire traditionnel de chants populaires, de musiques du cœur. Parsemée dans la liste des seize titres joués, le Can’t Find My Way Home de Stevie Winwood, I Have A Dream d’Adrian Belew et the Sheltering Key de King Crimson (explication : Hubweber est un fan de King Crimson). Deux de ses compositions figurent ici, So Far et l’intrigant Horsie jouée dans un magnifique unisson décalé. On va dire que leur musique ressemble à du folk-jazz, mais aussi qu’il n’y a aucun soliste et aucun accompagnateur. C’est un magnifique duo comme le grand contrebassiste Red Mitchell aimait à le faire, cfr le merveilleux LP I Concentrate on You avec Lee Konitz, si on considère le superbe travail du contrebassiste. Hubweber se concentre lui, sur la face chantante de son instrument comme s’il entonnait des hymnes, des prières ou des chansons à boire mélancoliques. Dans cette manière à la fois humble, festive et lyrique, le tromboniste connu pour son travail d’avant-garde dans la scène improvisée nous montre que la musique n’a pas de frontière. Hubweber atteint ici le sommet expressif et universel du trombone et son acolyte, Joscha Oetz n’est pas en reste avec son magnifique jeu à la contrebasse : intonation, projection, suggestion dans un style à la fois florissant et épuré avec quelques effets de timbre bien placés. Son art de l’interprétation spontanée est le fruit d’un travail intense d’improvisateur. On songe à ces artistes singuliers que sont Jimmy Giuffre ou Roswell Rudd pour les instruments à vent et Charlie Haden et Gary Peacock pour la contrebasse. La majorité des pièces sont exécutées avec des pizz amoureux et quelques-unes avec un frottement d’archet profond (Mondlich). Si Hubweber avait officié dans la scène jazz des années cinquante – soixante, les critiques avisés l’auraient désigné comme un styliste original pour son instrument. Sa capacité à chanter pleinement dans l’embouchure nous fait oublier qu’il y a des super-virtuoses, mais surtout on est subjugué par l’empathie rare qui unit les deux musiciens. Une super musique pour attendre la fin de l’hiver et des vents agités au coin du feu.
Ci-dessus, le lien d'une rare vidéo d'Ebba Jahn illustrant tout la poésie du duo.
Cumino in Mia Cucina Mike Cooper / Duck Baker confront core series / core 19
https://www.confrontrecordings.com/mike-cooper-duck-baker
Enregistré à Rome en 2010, Cumino in Mia Cucina réunit deux guitaristes qui ont des expériences musicales similaires. L’américain Richard « Duck » Baker est le Fingerstyle Jazz Guitarist par excellence avec un répertoire très étendu : ragtime, blues, folk, jazz swing, Monk, Herbie Nichols et Ornette Coleman. Depuis ses rencontres avec John Zorn et Eugene Chadbourne vers 1977 alors que ces artistes étaient totalement inconnus, il est devenu un fascinant improvisateur « free » à la guitare acoustique (Outside – Emanem 5041). Mike Cooper fut un remarquable praticien du blues sous toutes ses formes jusqu’à ce qu’il se décide à faire de la musique expérimentale entre autres avec Lol Coxhill et Roger Turner au sein des Recedents. Baker et Cooper se connaissent depuis plus de quarante ans ayant tous deux enregistré pour le label Kicking Mule du guitariste Stefan Grossman, l’élève du génial Reverend Gary Davis, dont plusieurs enregistrements ont figuré au catalogue de ce label consacré à la guitare acoustique, principalement Fingerstyle, au blues, au folk traditionnel, bluegrass, ragtime etc… Fingerstyle, ça veut dire qu’on joue des six cordes de la main droite avec les doigts et que le musicien est à même d’interpréter un ragtime ou un standard de jazz en solo comme s’il jouait du piano. Donc, c’est une technique semblable à celle de la guitare classique « espagnole » mais avec des exigences techniques contraignantes. Il doit assurer la rythmique, l’harmonie et la mélodie en pinçant les cordes avec trois ou quatre doigts et il faut que cela swingue ! Au fil de l’évolution du jazz et de sa complexité, on a vu le nombre de guitaristes « Fingerstyle » fondre comme neige au soleil, car c’est une démarche ingrate, non amplifiée et donc littéralement asphyxiée par la puissance sonore d’un orchestre.
Dans le domaine du jazz free, je pense bien que Duck Baker est bien le seul guitariste fingerstyle d’envergure à jouer Peace d’Ornette Coleman ou Tintiyana d’Abdullah Ibrahim et ses propres compositions qui évoquent celles de Roscoe Mitchell avec des cadences rythmiques affolantes et… des cordes en nylon ! Oui, des cordes en nylon et le bout des doigts. Afin de créer une bonne communication et une symbiose efficace, Mike Cooper a adopté une guitare à cordes nylon similaire. Et quel régal ! Je me souviens du fantastique Guitar Trio de Duck avec Chadbourne et Randy Hutton paru en 1979 (label Parachute) qu’Emanem a réédité il y a peu (Guitar Trio in Calgary in 1977 Emanem 5041). Je rappelle aussi les deux rencontres fascinantes du guitariste (cordes nylon !) Pascal Marzan en duo avec Roger Smith et John Russell parues chez Emanem (Two Spanish Guitars et Translations Emanem 4145 et 5019) que j’ai adoré. Comme le titre Cumino in Mia Cucina l’indique, Mike Cooper, aujourd’hui un habitant de Rome, a invité Richard Baker dans sa cuisine pour concocter de beaux menus pour guitares « espagnoles » à l’italienne, chaque morceau étant dédié à un de ses ingrédients fétiches : Aglio Selvatico, Curcuma, Dragoncello, Peperoncino, Zafferano Saraceno, Fieno Greco, Cannella, Origanum Vulgare et Chiodi di Garofano.
Ce qui me plaît beaucoup, c’est leur cuisine spontanée instantanée avec tous les moyens expressifs et sonores des deux guitares et la fusion joyeuse de leurs interactions comme si leur musique « duelle » était en toute « apparence auditive » celle d’un seul musicien. Leurs jeux respectifs se répandent dans la multiplicité des registres des deux guitares avec un tel niveau d’interpénétration et de connivence gémellaire qu’il est impossible de distinguer chacun des deux guitaristes l’un de l’autre. Quand vous mangez amoureusement un plat savoureux, vous ignorez totalement lequel des cuisiniers a laissé sa trace dans la substance culinaire dont vous vous délectez. Le plat est un tout, une entité dont tous les éléments créent une « harmonie », un entente « concertée ». En musique improvisée cela doit être pareil. Leur musique divague, s’imbrique comme rarement, crée des correspondances, des cadences, des bruissements, des résonances... Chacun s’échappe subrepticement un instant pour aiguillonner leur écoute mutuelle. Entendu la nature de l’instrument, il y a une part de délicatesse, des accents mélancoliques ou rêveurs, la douceur des timbres, la vibration intime de l’âme de la six cordes à travers l’écoutille. Mais aussi, des percussions audacieuses, décalages de phrasés fragmentés, leurs inversions subites et sursauts slappés (Dragoncello). Ou la foire d’empoigne anguleuse et virevoltante de Zafferano Saraceno. Les rotations sinueuses de notes évoquent l’évolution de couleuvres dans les fougères (Fieno Greco), la flagellation et le râclage des cordes sur les frettes et les frappes et grincements sur la caisse de la guitare suggèrent leur démolition sarcastique (Curcuma). Cannella est l’instant d’un swing hésitant et déconstructeur. Il n’y a pas vraiment un style déterminé dans leur « avant-garde », mais plutôt une capacité sagace à faire feu de tout bois en créant des thématiques éphémères, un brin hésitantes, mais diantrement efficaces. Je réitère donc, un vrai régal et une dimension poétique !
Merveilleux !
PS : Et ne devrait-on pas saluer encore la démarche du producteur de Confront, Mark Wastell ? En conviant autant d’artistes différents et aussi intéressants / passionnants dans son catalogue tels que Julie Tippetts, Derek Bailey, Simon H Fell, Rhodri Davies, Mike Cooper, David Sylvian, Steve Beresford, Valentina Ma, Paul Dunmall, Tony Bianco, Benoît Delbecq, Mandhira de Saram, Max Eastley, Clive Bell, Arild Andersen, Chris Burn, Philip Thomas et lui-même, Mark Wastell, un improvisateur « réductionniste » ou « lower case notoire, il crée une synergie dynamique avec une réelle sensibilité. Les auditeurs qui suivent attentivement Confront feront de belles découvertes dont le dénominateur commun réunit l’audace, l’originalité et la diversité innovatrice. Les auditeurs intéressés par quelques-uns des artistes proposés seront tentés par des albums de musiciens dont ils ont entendu parler ou dont ils ignorent tout. Cela renforce la cohésion de la communauté des musiciens et du public par delà les démarches musicales qui, en apparence, semblent esthétiquement divergentes. Avec son label, tout semble possible.
Joke Lanz & Ute Wassermann Half Dead Half Alive Live in Nickelsdorf klanggalerie gg 325 February 2021
https://klanggalerie.bandcamp.com/album/half-dead-half-alive-live-in-nickelsdorf
Platines et voix humaine : Joke Lanz et Ute Wassermann qui, elle est aussi créditée appeaux et objets. Les deux artistes évoluent aux confins des possibles sonores, dans une dimension bruitiste, ludique et subtilement expressive. Deux longues improvisations enregistrées au Festival Konfrontationen Nickelsdorf 2019 : Half Dead et Half Alive. La voix d’Ute Wasserman a une capacité surréelle à transformer son organe vocal comme celui d’un volatile – oiseau rare avec une articulation extraordinaire, ses bruitages vocaux étant travaillés au millimètre près, utilisant les ressources de l’aspiration de l’air dans la gorge comme si c’était un instrument accordé par Harry Partch lui-même. Un phénomène de la voix humaine distillant phonèmes sibyllins, aigus fluctuants qui se dilatent dangereusement, secousses de gloussements improbables, effets de glotte démultipliés, croassements d’échassiers ou de hiboux, hululements, sifflotements extatiques d’appeaux. Des effets d’harmoniques, diphonies en glissando…, halètements inconvenants, growls agressifs dans le gosier, diphtongues de martien, jacasseries siphonnées relayées par le platiniste. Ute a un côté organisé, presque prémédité et pourtant, il est évident qu’elle travaille à l’instinct et dans la magie de l’instant, aimant se surprendre. Pour son bonheur, elle a affaire à un acolyte facétieux avec un solide sens de la répartie et de l’invention qui n’hésite pas à toujours rechercher des sons inédits et à brouiller les pistes. Des secousses vocalisées et des voix parlées issues de je ne sais quel disque entament une conversation imaginaire avec la fée du logis. Joke Lanz traque l’extrême vocal et la fièvre audible aux creux des sillons, des échos d’accordéon, d’orgue de barbarie ou de guimbarde, des grincements vivants et des beats détraqués auxquels la chanteuse répond du tac-au tac avec un surprenant esprit d’à-propos et un délire à froid. Si on n’y prend garde, on distingue à peine qui fait quoi. Leur connivence échafaude des sens dessus-dessous dans une écoute mutuelle intense. Plutôt que de chercher à créer un œuvre avec un début, un développement et une fin avec des ambiances bien caractérisées, des variations calibrées et une relative logique, les deux artistes ont fait le pari de la déconstruction permanente, du coq-à-l’âne et des cadavres exquis avec des correspondances inavouées. Si au départ, à la première écoute, l’auditeur pris par surprise se demandera où ils veulent en venir, il comprendra bien vite qu’ils ne veulent aller nulle part, si ce n’est nous donner le tournis. Petit à petit, un autre univers s’installe, celui de l’instant, du moment présent, celui qui ne voit pas de fin et découpe le fil conducteur en rondelles de sens, éléments de vocalités, de déchets technologiques, scories du temps et épluchures du fruit défendu. Finalement, si leur œuvre semble n’avoir ni queue ni tête, c’est parce que nos voyages et les paysages traversés nous paraîtraient insensés et incompréhensibles si nous n’avions pas incorporé et assimilé une culture, un savoir, une expérience, une destination. Ute Wassermann et Joke Lanz taillent tout en pièces, le fil de l’instant qui trace son destin et nos sens apeurés par l’inconnu.
Schindler & Kepl Fabulierblättchen Creative Sources 653
Enregistré à Munich en juillet 2019 avec l’activiste de l’étape, le souffleur multi instrumentiste Udo Schindler, Fabulierblättchen, met en évidence le jeu lumineux de la violoniste Irene Kepl dont mon ami Jean-Marc Foussat a publié un magnifique album solo sur son label FOU Records. Donc, l’occasion de retrouver cette musicienne inspirée en compagnie des clarinettes et du cornet d’Udo Schindler dont je viens d’avaler une série d’albums avec le chanteur Jaap Blonk et le bassiste Damon Smith dont je vous ai entretenu il y a peu et aussi avec la chanteuse Franziska Baumann, Damon Smith & Karina Erhard, Korhan Erel & Sebi Tramontana. Ces sept improvisations présentées ici suivent à la trace le parcours subtil et dialogué de deux excellents improvisateurs qui ont l’art de s’enquérir dans le détail et les nuances leurs idiosyncrasies les plus secrètes. Incursions introverties dans les possibilités bruissantes de leurs instruments, grinçantes ou saturées, elles renvoient avec bonheur à la conception initiale de l’improvisation non-idiomatique sans qu’on puisse relier leurs sonorités et actions instrumentales à un style ou une marque de fabrique individuelle. Recherche de timbres délicates, forcenées ou expressives. J’apprécie particulièrement Udo Schindler à la clarinette (diese saugten erregtheit) ou au cornet (morgenscheibe rotorange), complètement viscéral et quasi aléatoire. On frise aussi le silence (zahlreiches vorhandensein) intelligemment avec de curieuses harmoniques… Et schicksals blasrohr concentre un lyrisme épuré. Je m’imagine très bien dans l’assistance, concentré par l’écoute et une sorte de ravissement face à cette sincérité qui ne trompe pas. De la véritable improvisation instantanée au ralenti où le temps s’allonge sans peser.
8 mars 2021
Veryan Weston Phil Durrant/ Lol Coxhill Pat Thomas/ Primoz Sukič Tom Jackson/ Udo Schindler Jaap Blonk Damon Smith/ Peter Urpeth Ntshuks Bonga Olie Brice Terry Day
four Early Sonatas for piano & violin Veryan Weston & Phil Durrant scätter digital
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/four-early-sonatas-for-piano-and-violin
Duo piano violon improvisé : Phil Durrant explore le timbre, la vibration des cordes en modifiant continuellement la pression de l’archet pour chaque son comme s’il cherchait les pierres les plus rares et les plus dissemblables dans un filon inespéré. Il joue avec les extrêmes de son instrument, suraigus tortueux, harmoniques sinueuses, frictions étirées avec des gestes nerveux, brefs, saccadés … une science du mouvement. On aurait imaginé que, face à un violoniste aussi facétieux, le pianiste ait « préparé » son piano avec gommes, pinces à linge, vis et boulons et se soit affairé dans la table d’harmonie, grattant les cordes du piano, les bloquant, frappant la carcasse vibrante comme un instrument de percussion. Mais il n’en est rien. Contrairement à la grande majorité des pianistes qui se dédient à l’improvisation radicale (non – idiomatique, comme on dit), Veryan Weston a fait le vœu de se consacrer uniquement au clavier sans jamais jouer dans la table d’harmonie ou préparer son piano. Il développe ici un jeu épuré et économe basé à la fois sur des pulsations en rotation permanente et des choix de notes étonnants/ étonnés basé sur des infra - harmonies sophistiquées cultivant les dissonances étirées les plus curieuses. Comme s’il éliminait systématiquement et avec goût, ce trop-plein de notes qui fusent sous les doigts des virtuoses. L’aspect le plus fascinant de leur dynamique duo est l’infinie précision de l’un qui répond instantanément aux sons de l’autre ou évoque sublimement sa gestuelle giratoire ou rebondissante. Le phrasé de chacun est fragmenté par de très brefs silences dans lesquels, à la vitesse de la lumière, pointe un accent sonique ou une infime exclamation, geste sonore ou graphie de l’émotion indicible. Une percussivité immanente se fait jour, créant un équilibre véritable entre l’énorme machinerie de câbles sous tension (des tonnes !) sur un robuste cadre métallique se réverbérant dans la table d’harmonie et le bois massif du grand piano et le frêle violon, sa touche ultra-sensible et ses quatre cordes tendues sur la lame boisée du chevalet vibrionnant sur sa caisse entre les ouïes. L’archet peut créer toutes les occurrences sonores en glissandi improbables et musardés, flûtés ou fantomatiques, frictions maniaques confinant à la torture d’ébéniste sadique ou sursauts dynamiques, l’âme du piano et celle du pianiste enchantent les échanges. L’écoute intense de Veryan transforme intégralement la nature même du piano pour se rapprocher de la poésie auditive suggérée par Phil Durrant. Les différences marquantes qui semblent séparer radicalement les deux instrumentistes soulignent remarquablement tout ce qui unit les deux improvisateurs par de-là les formes, les sonorités et l’inspiration. Phil Durrant peut se permettre toutes les folies ravageuses, Veryan Weston s’en fait l’écho avec ce lyrisme gauchi et élégiaque qui transcende les notions besogneuses du pseudo-imaginaire improvisé « logique ». Quatre improvisations intitulées Cirro Sonata (2 :06), Cumulo Sonata (24 :54), Strato Sonata (16 :21) et Nimbo Sonata (20 :13) enregistrées en 1996 à l’époque où Phil Durrant défiait l’entendement avec John Russell et John Butcher (Concert Moves Random Acoustics : on trouve encore des copies, magnez – vous !) et Veryan Weston enregistrait « Playing Alone » pour Acta, le même label qui avait publié le premier vinyle du trio Butcher Durrant Russell (1986 Conceits). Ces quatre pièces inédites incarnent la quintessence de l’improvisation véritable et la plus sincère. Si cet enregistrement a échappé aux radars il y a vingt-cinq ans, il est difficile aujourd’hui de trouver un opus qui échappe autant aux bavardages intempestifs dont se prévalent aujourd’hui les labels propres sur eux et répétitifs, free-consensuels et pas très inspirés. En plus, comme à mon goût, trop de pianistes improvisés ont tendance à se ressembler, Veryan, lui (comme Fred Van Hove), est tout à fait unique en son genre. Et comme dirait l’illustre Johannes Rosenberg, Phil Durrant est un original ! Donc … Les nuages des titres évoquent sans doute les formes en constante évolution maculant le ciel bleu du flux imprévisible de l’improvisation libérée. Remercions bien Liam Stefani d’inclure cette merveille dans le catalogue de son label digital scätter et d’avoir utilisé ce texte pour ses notes de « pochette ».
Lol Coxhill + Pat Thomas Duos (and Solos) scätter digital
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/duo-and-solos
C’est déjà le quatrième ou cinquième album avec Lol Coxhill en digital ou CDr… depuis que Martin Davidson d’Emanem a levé le pied. Étrange qu’aucun label d’importance ne consacre une publication à Lol Coxhill, un des saxophonistes les plus originaux de la galaxie free-jazz et free-improvisation. Enfin ! Liam Stephani de scätter nous propose ces solos et duos avec le pianiste Pat Thomas enregistrés en concert en 1991, plus le solo final en 1998. Et c’est toujours un grand bonheur, surtout que le consommateur donne ce qu’il veut pour acquérir l’album et que Lol Coxhill est un artiste inimitable et un saxophoniste improvisateur aussi irrésistible qu’irréductible. Un style à nul autre pareil où chaque note jouée est pliée, étirée, gauchie, vocalisée de manière éminemment personnelle. Un lyrisme déjanté, oblique, avec une pluie de glissandi et de coups de becs évoquant le caquetage d’un canard musicien jusqu’au bout des ongles, des clés et du bec !! Avec Pat Thomas au piano et avec l’électronique, il avait trouvé un acolyte créatif. Ensemble, ils s’écoutaient intensément tout en se permettant de divaguer et de s’échapper et puis de se retrouver deux instants avec une belle exactitude à la fraction de seconde près. Le duo avec l’électronique (en 3/) est tout à fait réjouissant. L’album est organisé de manière que deux solos de Lol ouvre et ferme ce recueil entourant les trois duos pour un total de 41 minutes et bien concentrés. Scätter avait, dans une autre vie, produit One Night in Glasgow du duo Coxhill-Thomas en CD et tout récemment, to Elsie avec le contrebassiste Lindsay Cooper et live at the 13th Note Glasgow (Lol Coxhill + Pat Thomas + Bill Wells + Lindsay Cooper). Un label d’acharnés sans concession !! Non content d’être un pianiste singulier qui échappe aux pronostics, Pat Thomas a développé une utilisation originale des moyens électroniques et de l’échantillonnage au point où il figure dans cette agora des trouvetouts incontournables, les Richard Barrett, Paul Obermayer, Thomas Lehn, Richard Scott. Il avait participé à ce mystérieux Tony Oxley Quartet qui comprenait Derek Bailey, Matt Wand ou Philip Wachsmann. C’est dire ! Lol, mon vieil ami, tous tes amis et moi-même ne nous lasserons jamais de t’écouter et de te réécouter jusqu’à la fin de nos jours, ton souffle décortiquant et déjouant cette biguine inextinguible et loufoque pour notre plus grande fascination. Sans nul doute, tu étais la sincérité et l’originalité incarnées. Le type le plus cool de la galaxie ! Je m’arrête parce que qu’est-ce que vous voulez dire de plus !!
The Godson's Way Primoz Sukič & Tom Jackson Roam
https://roamreleases.bandcamp.com/album/the-godsons-way
Excellent duo guitare électronique et clarinette entre Primoz Sukič et Tom Jackson, deux improvisateurs qui se sont côtoyés à Bruxelles où tous deux résidaient. Tom Jackson n’a pu résister à mettre leur musique en ligne sur son label Roam, lequel a publié un beau solo de l’altiste (viola !) Benedict Taylor. Comme je l’ai déjà souligné à plusieurs reprises, Tom Jackson est une valeur sûre de la scène improvisée et un musicien avec un potentiel peu commun que ce soit dans le jazz contemporain, l’improvisation radicale, la musique classique et contemporaine écrite, mais aussi le jazz swing ou manouche. Son collègue Primoz Sukič est assurément un guitariste à suivre ayant développé un langage très personnel et aisément reconnaissable parmi tant qui manient effets et pédales. Avec une excellente maîtrise de la six cordes, il évolue dans plusieurs registres en jouant aussi en amplifiant à peine comme dans les morceaux 5 et 6. Les deux musiciens font le pari d’étendre leurs dialogues de manière à tenir les auditeurs en haleine avec autant de virtuosité que de créativité. Avec des sauts de registre tournoyants ou cascadants et de circonvolutions acrobatiques, Tom Jackson relance le dialogue en introduisant dans son jeu scories, suraigus, contorsions de la colonne d’air tout en prenant au vol les signaux anguleux, zig-zags, bruitismes et autre bizarreries soniques de Primoz Sukič. Au fil des 6 morceaux et trente huit minutes d’improvisation subtiles et haletantes des deux compères, on entend défiler une véritable évolution dans les configurations sonores, les trouvailles et les remises en question tout au long de cette Voie enchantée du Filleul, cheminement d’une profonde et aventureuse réflexion musicale. Ici on ne se contente pas d’entretenir une sorte de stock in trade de capacités instrumentales couplées à une grammaire déjà remarquable de l’improvisation dont l’intérêt viendrait à s’émousser au fil des minutes, si leur duo n’était guidé par une auto-exigence lucide à repousser un peu / beaucoup plus loin leur recherches d’actions et réactions dans l’instant avec un sens aiguisé de formes convaincantes.
Moi, je vote pour !!
Udo Schindler Damon Smith – Jaap Blonk The Munich Sound Studies vol 2 & 3 FMR
https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/the-munich-sound-studies-vol-2-3-fmrcd594-0920
Très intéressant d’écouter le contrebassiste US Damon Smith en duo avec le multi-instrumentiste Udo Schindler aux sax ténor et sopranino, à la clarinette basse et au cornet (vol.2 dasvinzenz_dialogue). Et Jaap Blonk ? Il apparaît seulement en trio dans les cinq derniers morceaux (vol.3 dasvinzenz _conversation). Donc le duo établit un excellent rapport dans les huit premières improvisations pour lesquelles Udo Schindler change d’instrument passant du sax ténor (dv_d intro), au cornet (dv_d intro2), à la clarinette basse (dv_d.1, dv_d.2) etc… Ce n’est pas toujours évident de passer d’un instrument à l’autre dans le cours d’une suite d’improvisations en duo avec un mono-instrumentiste. Le contrebassiste Damon Smith est cool et nous fait découvrir petit à petit de nombreuses facettes de son jeu et de ses capacités instrumentales. Une superbe qualité de timbre à l’archet et une propension à étirer et explorer les densités fractales, les vibrations graves et les harmoniques de son gros violon. Le duo fonctionne bien lorsqu’Udo sollicite le registre graveleux et les harmoniques vocalisées dans le bocal de sa clarinette basse. Les sonorités respectives se marient vraiment bien et cela inspire le contrebassiste dans chaque morceau où il renouvelle entièrement son approche comme s’il avait chaque fois une autre histoire à raconter. J’ai songé aux facéties de Maarten Altena ou aux infinies variations de timbres en pizz ou coup d’archet sauvages de Barre et de Peter K. , tant son jeu est friand de trouvailles sonores et de changements de registre à rebondissements. Et toujours à l’écoute, le souffleur est toujours inspiré en malaxant ce son vocalisé et charnu qui le caractérise en laissant de l’espace à son collègue (dv_d.3 au sax ténor et dv_d.4 au sax sopranino). Le final nous fait entendre son cornet, un instrument qui lui va à merveille Enregistré le même jour, le 15 septembre 2019, ce deuxième set voit le duo s’élargir avec la participation attendue de Jaap Blonk et Udo qui persévère à bon escient au cornet. Son choix est parfait pour communiquer avec les glossollalies délirantes du vocaliste. Les trois musiciens jouent le jeu. Concurremment aux échanges vocalisés et la verve canaille entre le vocaliste et le souffleur, Damon Smith ne rate pas un instant pour commenter astucieusement l’ambiance folle avec un vrai sens ludique et un à propos sans faille. On écouterait cette deuxième partie rien que pour ses interventions audacieuses et toujours diversifiées. Jaap Blonk multiplie les techniques extrêmes en faisant vibrer les lèvres, les joues en vocalisant à la fois dans la gorge et la cavité buccale ou aspirant l’air comme s’il y avait une machine à son dans son organe vocal. À la fois méthodique et sauvagement spontanés, sa vocalité entraîne ses acolytes dans un rêve éveillé ou une séance de spiritisme dada. Dans dv_d.c4, sa voix mute tout à fait à un moment et les trois délirent comme s’ils étaient des voyants chamanes exorcisant la folie humaine. Dans la plage 11 , le don de la parole se métamorphose comme si Jaap était habité par des esprits … Heureusement, cela s’arrête abruptement, car on a déjà peur qu’il ne puisse revenir de cet au-delà inquiétant. Se pointent alors des machouillements improbables, maugréments d’aliénés, grésillements de gosier, sons étirés et fragiles, monologue intraduisible dans un sabir inconnu et inventé sur le champ. À ce stade , c’est parfaitement réussi, éphémère moment de délire d’un autre monde.
Peter Urpeth Quartet Live at Café OTO Terry Day Olie Brice Ntshuks Bonga Peter Urpeth
https://peterurpeth.bandcamp.com/album/live-at-cafe-oto
Album digital qui confirme encore le retour du légendaire batteur Terry Day, un des pionniers de la free-music britannique. Le pianiste Peter Urpeth, déjà entendu en duo avec Maggie Nichols et Roger Turner, a rassemblé un quartet dont l’instrumentation évoque le free-jazz à plein nez : Peter Urpeth, piano, Ntshuks Bonga, sax alto, Olie Brice, contrebasse et Terry Day, batterie. Seulement, les îles Britanniques ont vu naître l’improvisation libre radicale et même si les trois improvisations « athématiques » enregistrées au Café OTO évoluent dans le champ esthétique du jazz libre, les quatre musiciens s’échappent aisément de cette sorte de déterminisme par certains aspects de leurs jeux. Vous avez là Ntshuks Bonga, sûrement un des sax altos parmi les plus originaux de Grande Bretagne. Il suffit d’entendre le cri déchirant, les morsures brûlantes et les furieux coups de langues qui lacèrent son souffle endiablé et sinueux, voire torturé, pour s’en convaincre. Une superbe énergie et un empressement à oblitérer modèles ou références, cette lingua franca qui appartient à tant de solistes, même parmi les plus estimés, pour explorer et triturer sa superbe sonorité en fragmentant les timbres. Vocalisant, sifflant, exacerbant les extrêmes avec glissandi multidirectionnels et triples détachés impatients et explosifs dans une démarche jusqu’au-boutiste. En cela, il est aidé par l’audace ludique et les frappes insensées du farfadet de la batterie, un rebelle des fûts qui prend un malin plaisir à frapper à côté, à entrechoquer ses baguettes, secouer ses accessoires, cliqueter ses cymbales comme personne, Terry Day. Un original comme l’était son ami John Stevens, disparu depuis trop longtemps. Du vrai « free-drumming » subtil et dynamique. Ces deux joyeux drilles sont là pour nous divertir alors que le pianiste nous régale d’un jeu de piano grandiose avec une logique musicale confondante issue d’une pratique intense inspirée de la musique contemporaine et du jazz extrapolé le plus risqué. Un musicien très sérieux au niveau du contenu musical qui vous fait entendre du « solide » piano avec une maîtrise exemplaire. Rien à envier à Irene Schweizer, la copine de Maggie Nicols, par exemple. Vous ajoutez à cette équation peu commune la puissance et le savoir-faire d’Olie Brice qui apporte une sorte de colonne vertébrale élastique, rebondissante, grave avec une belle indépendance, créant ainsi le bel équilibre instable qui fait que le groupe oscille admirablement autour de ses forces centrifuges et elliptiques. On entend ce genre de musique « free » free-jazz libre avec une telle instrumentation un peu partout au point que cela devient une ritournelle quasi consensuelle. Mais ces British ont le sens de l’excentricité, du contraste assumé et du délire pour faire passer le message et communiquer un plaisir canaille ce qui rend ce genre d’entreprise (un quartet sax piano basse batterie, quoi de plus rebattu) vraiment séduisante. Une authentique urgence. Au fil des minutes, Terry Day se déchaîne et le pianiste s’emballe dans le final. Un super concert !!
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/four-early-sonatas-for-piano-and-violin
Duo piano violon improvisé : Phil Durrant explore le timbre, la vibration des cordes en modifiant continuellement la pression de l’archet pour chaque son comme s’il cherchait les pierres les plus rares et les plus dissemblables dans un filon inespéré. Il joue avec les extrêmes de son instrument, suraigus tortueux, harmoniques sinueuses, frictions étirées avec des gestes nerveux, brefs, saccadés … une science du mouvement. On aurait imaginé que, face à un violoniste aussi facétieux, le pianiste ait « préparé » son piano avec gommes, pinces à linge, vis et boulons et se soit affairé dans la table d’harmonie, grattant les cordes du piano, les bloquant, frappant la carcasse vibrante comme un instrument de percussion. Mais il n’en est rien. Contrairement à la grande majorité des pianistes qui se dédient à l’improvisation radicale (non – idiomatique, comme on dit), Veryan Weston a fait le vœu de se consacrer uniquement au clavier sans jamais jouer dans la table d’harmonie ou préparer son piano. Il développe ici un jeu épuré et économe basé à la fois sur des pulsations en rotation permanente et des choix de notes étonnants/ étonnés basé sur des infra - harmonies sophistiquées cultivant les dissonances étirées les plus curieuses. Comme s’il éliminait systématiquement et avec goût, ce trop-plein de notes qui fusent sous les doigts des virtuoses. L’aspect le plus fascinant de leur dynamique duo est l’infinie précision de l’un qui répond instantanément aux sons de l’autre ou évoque sublimement sa gestuelle giratoire ou rebondissante. Le phrasé de chacun est fragmenté par de très brefs silences dans lesquels, à la vitesse de la lumière, pointe un accent sonique ou une infime exclamation, geste sonore ou graphie de l’émotion indicible. Une percussivité immanente se fait jour, créant un équilibre véritable entre l’énorme machinerie de câbles sous tension (des tonnes !) sur un robuste cadre métallique se réverbérant dans la table d’harmonie et le bois massif du grand piano et le frêle violon, sa touche ultra-sensible et ses quatre cordes tendues sur la lame boisée du chevalet vibrionnant sur sa caisse entre les ouïes. L’archet peut créer toutes les occurrences sonores en glissandi improbables et musardés, flûtés ou fantomatiques, frictions maniaques confinant à la torture d’ébéniste sadique ou sursauts dynamiques, l’âme du piano et celle du pianiste enchantent les échanges. L’écoute intense de Veryan transforme intégralement la nature même du piano pour se rapprocher de la poésie auditive suggérée par Phil Durrant. Les différences marquantes qui semblent séparer radicalement les deux instrumentistes soulignent remarquablement tout ce qui unit les deux improvisateurs par de-là les formes, les sonorités et l’inspiration. Phil Durrant peut se permettre toutes les folies ravageuses, Veryan Weston s’en fait l’écho avec ce lyrisme gauchi et élégiaque qui transcende les notions besogneuses du pseudo-imaginaire improvisé « logique ». Quatre improvisations intitulées Cirro Sonata (2 :06), Cumulo Sonata (24 :54), Strato Sonata (16 :21) et Nimbo Sonata (20 :13) enregistrées en 1996 à l’époque où Phil Durrant défiait l’entendement avec John Russell et John Butcher (Concert Moves Random Acoustics : on trouve encore des copies, magnez – vous !) et Veryan Weston enregistrait « Playing Alone » pour Acta, le même label qui avait publié le premier vinyle du trio Butcher Durrant Russell (1986 Conceits). Ces quatre pièces inédites incarnent la quintessence de l’improvisation véritable et la plus sincère. Si cet enregistrement a échappé aux radars il y a vingt-cinq ans, il est difficile aujourd’hui de trouver un opus qui échappe autant aux bavardages intempestifs dont se prévalent aujourd’hui les labels propres sur eux et répétitifs, free-consensuels et pas très inspirés. En plus, comme à mon goût, trop de pianistes improvisés ont tendance à se ressembler, Veryan, lui (comme Fred Van Hove), est tout à fait unique en son genre. Et comme dirait l’illustre Johannes Rosenberg, Phil Durrant est un original ! Donc … Les nuages des titres évoquent sans doute les formes en constante évolution maculant le ciel bleu du flux imprévisible de l’improvisation libérée. Remercions bien Liam Stefani d’inclure cette merveille dans le catalogue de son label digital scätter et d’avoir utilisé ce texte pour ses notes de « pochette ».
Lol Coxhill + Pat Thomas Duos (and Solos) scätter digital
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/duo-and-solos
C’est déjà le quatrième ou cinquième album avec Lol Coxhill en digital ou CDr… depuis que Martin Davidson d’Emanem a levé le pied. Étrange qu’aucun label d’importance ne consacre une publication à Lol Coxhill, un des saxophonistes les plus originaux de la galaxie free-jazz et free-improvisation. Enfin ! Liam Stephani de scätter nous propose ces solos et duos avec le pianiste Pat Thomas enregistrés en concert en 1991, plus le solo final en 1998. Et c’est toujours un grand bonheur, surtout que le consommateur donne ce qu’il veut pour acquérir l’album et que Lol Coxhill est un artiste inimitable et un saxophoniste improvisateur aussi irrésistible qu’irréductible. Un style à nul autre pareil où chaque note jouée est pliée, étirée, gauchie, vocalisée de manière éminemment personnelle. Un lyrisme déjanté, oblique, avec une pluie de glissandi et de coups de becs évoquant le caquetage d’un canard musicien jusqu’au bout des ongles, des clés et du bec !! Avec Pat Thomas au piano et avec l’électronique, il avait trouvé un acolyte créatif. Ensemble, ils s’écoutaient intensément tout en se permettant de divaguer et de s’échapper et puis de se retrouver deux instants avec une belle exactitude à la fraction de seconde près. Le duo avec l’électronique (en 3/) est tout à fait réjouissant. L’album est organisé de manière que deux solos de Lol ouvre et ferme ce recueil entourant les trois duos pour un total de 41 minutes et bien concentrés. Scätter avait, dans une autre vie, produit One Night in Glasgow du duo Coxhill-Thomas en CD et tout récemment, to Elsie avec le contrebassiste Lindsay Cooper et live at the 13th Note Glasgow (Lol Coxhill + Pat Thomas + Bill Wells + Lindsay Cooper). Un label d’acharnés sans concession !! Non content d’être un pianiste singulier qui échappe aux pronostics, Pat Thomas a développé une utilisation originale des moyens électroniques et de l’échantillonnage au point où il figure dans cette agora des trouvetouts incontournables, les Richard Barrett, Paul Obermayer, Thomas Lehn, Richard Scott. Il avait participé à ce mystérieux Tony Oxley Quartet qui comprenait Derek Bailey, Matt Wand ou Philip Wachsmann. C’est dire ! Lol, mon vieil ami, tous tes amis et moi-même ne nous lasserons jamais de t’écouter et de te réécouter jusqu’à la fin de nos jours, ton souffle décortiquant et déjouant cette biguine inextinguible et loufoque pour notre plus grande fascination. Sans nul doute, tu étais la sincérité et l’originalité incarnées. Le type le plus cool de la galaxie ! Je m’arrête parce que qu’est-ce que vous voulez dire de plus !!
The Godson's Way Primoz Sukič & Tom Jackson Roam
https://roamreleases.bandcamp.com/album/the-godsons-way
Excellent duo guitare électronique et clarinette entre Primoz Sukič et Tom Jackson, deux improvisateurs qui se sont côtoyés à Bruxelles où tous deux résidaient. Tom Jackson n’a pu résister à mettre leur musique en ligne sur son label Roam, lequel a publié un beau solo de l’altiste (viola !) Benedict Taylor. Comme je l’ai déjà souligné à plusieurs reprises, Tom Jackson est une valeur sûre de la scène improvisée et un musicien avec un potentiel peu commun que ce soit dans le jazz contemporain, l’improvisation radicale, la musique classique et contemporaine écrite, mais aussi le jazz swing ou manouche. Son collègue Primoz Sukič est assurément un guitariste à suivre ayant développé un langage très personnel et aisément reconnaissable parmi tant qui manient effets et pédales. Avec une excellente maîtrise de la six cordes, il évolue dans plusieurs registres en jouant aussi en amplifiant à peine comme dans les morceaux 5 et 6. Les deux musiciens font le pari d’étendre leurs dialogues de manière à tenir les auditeurs en haleine avec autant de virtuosité que de créativité. Avec des sauts de registre tournoyants ou cascadants et de circonvolutions acrobatiques, Tom Jackson relance le dialogue en introduisant dans son jeu scories, suraigus, contorsions de la colonne d’air tout en prenant au vol les signaux anguleux, zig-zags, bruitismes et autre bizarreries soniques de Primoz Sukič. Au fil des 6 morceaux et trente huit minutes d’improvisation subtiles et haletantes des deux compères, on entend défiler une véritable évolution dans les configurations sonores, les trouvailles et les remises en question tout au long de cette Voie enchantée du Filleul, cheminement d’une profonde et aventureuse réflexion musicale. Ici on ne se contente pas d’entretenir une sorte de stock in trade de capacités instrumentales couplées à une grammaire déjà remarquable de l’improvisation dont l’intérêt viendrait à s’émousser au fil des minutes, si leur duo n’était guidé par une auto-exigence lucide à repousser un peu / beaucoup plus loin leur recherches d’actions et réactions dans l’instant avec un sens aiguisé de formes convaincantes.
Moi, je vote pour !!
Udo Schindler Damon Smith – Jaap Blonk The Munich Sound Studies vol 2 & 3 FMR
https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/the-munich-sound-studies-vol-2-3-fmrcd594-0920
Très intéressant d’écouter le contrebassiste US Damon Smith en duo avec le multi-instrumentiste Udo Schindler aux sax ténor et sopranino, à la clarinette basse et au cornet (vol.2 dasvinzenz_dialogue). Et Jaap Blonk ? Il apparaît seulement en trio dans les cinq derniers morceaux (vol.3 dasvinzenz _conversation). Donc le duo établit un excellent rapport dans les huit premières improvisations pour lesquelles Udo Schindler change d’instrument passant du sax ténor (dv_d intro), au cornet (dv_d intro2), à la clarinette basse (dv_d.1, dv_d.2) etc… Ce n’est pas toujours évident de passer d’un instrument à l’autre dans le cours d’une suite d’improvisations en duo avec un mono-instrumentiste. Le contrebassiste Damon Smith est cool et nous fait découvrir petit à petit de nombreuses facettes de son jeu et de ses capacités instrumentales. Une superbe qualité de timbre à l’archet et une propension à étirer et explorer les densités fractales, les vibrations graves et les harmoniques de son gros violon. Le duo fonctionne bien lorsqu’Udo sollicite le registre graveleux et les harmoniques vocalisées dans le bocal de sa clarinette basse. Les sonorités respectives se marient vraiment bien et cela inspire le contrebassiste dans chaque morceau où il renouvelle entièrement son approche comme s’il avait chaque fois une autre histoire à raconter. J’ai songé aux facéties de Maarten Altena ou aux infinies variations de timbres en pizz ou coup d’archet sauvages de Barre et de Peter K. , tant son jeu est friand de trouvailles sonores et de changements de registre à rebondissements. Et toujours à l’écoute, le souffleur est toujours inspiré en malaxant ce son vocalisé et charnu qui le caractérise en laissant de l’espace à son collègue (dv_d.3 au sax ténor et dv_d.4 au sax sopranino). Le final nous fait entendre son cornet, un instrument qui lui va à merveille Enregistré le même jour, le 15 septembre 2019, ce deuxième set voit le duo s’élargir avec la participation attendue de Jaap Blonk et Udo qui persévère à bon escient au cornet. Son choix est parfait pour communiquer avec les glossollalies délirantes du vocaliste. Les trois musiciens jouent le jeu. Concurremment aux échanges vocalisés et la verve canaille entre le vocaliste et le souffleur, Damon Smith ne rate pas un instant pour commenter astucieusement l’ambiance folle avec un vrai sens ludique et un à propos sans faille. On écouterait cette deuxième partie rien que pour ses interventions audacieuses et toujours diversifiées. Jaap Blonk multiplie les techniques extrêmes en faisant vibrer les lèvres, les joues en vocalisant à la fois dans la gorge et la cavité buccale ou aspirant l’air comme s’il y avait une machine à son dans son organe vocal. À la fois méthodique et sauvagement spontanés, sa vocalité entraîne ses acolytes dans un rêve éveillé ou une séance de spiritisme dada. Dans dv_d.c4, sa voix mute tout à fait à un moment et les trois délirent comme s’ils étaient des voyants chamanes exorcisant la folie humaine. Dans la plage 11 , le don de la parole se métamorphose comme si Jaap était habité par des esprits … Heureusement, cela s’arrête abruptement, car on a déjà peur qu’il ne puisse revenir de cet au-delà inquiétant. Se pointent alors des machouillements improbables, maugréments d’aliénés, grésillements de gosier, sons étirés et fragiles, monologue intraduisible dans un sabir inconnu et inventé sur le champ. À ce stade , c’est parfaitement réussi, éphémère moment de délire d’un autre monde.
Peter Urpeth Quartet Live at Café OTO Terry Day Olie Brice Ntshuks Bonga Peter Urpeth
https://peterurpeth.bandcamp.com/album/live-at-cafe-oto
Album digital qui confirme encore le retour du légendaire batteur Terry Day, un des pionniers de la free-music britannique. Le pianiste Peter Urpeth, déjà entendu en duo avec Maggie Nichols et Roger Turner, a rassemblé un quartet dont l’instrumentation évoque le free-jazz à plein nez : Peter Urpeth, piano, Ntshuks Bonga, sax alto, Olie Brice, contrebasse et Terry Day, batterie. Seulement, les îles Britanniques ont vu naître l’improvisation libre radicale et même si les trois improvisations « athématiques » enregistrées au Café OTO évoluent dans le champ esthétique du jazz libre, les quatre musiciens s’échappent aisément de cette sorte de déterminisme par certains aspects de leurs jeux. Vous avez là Ntshuks Bonga, sûrement un des sax altos parmi les plus originaux de Grande Bretagne. Il suffit d’entendre le cri déchirant, les morsures brûlantes et les furieux coups de langues qui lacèrent son souffle endiablé et sinueux, voire torturé, pour s’en convaincre. Une superbe énergie et un empressement à oblitérer modèles ou références, cette lingua franca qui appartient à tant de solistes, même parmi les plus estimés, pour explorer et triturer sa superbe sonorité en fragmentant les timbres. Vocalisant, sifflant, exacerbant les extrêmes avec glissandi multidirectionnels et triples détachés impatients et explosifs dans une démarche jusqu’au-boutiste. En cela, il est aidé par l’audace ludique et les frappes insensées du farfadet de la batterie, un rebelle des fûts qui prend un malin plaisir à frapper à côté, à entrechoquer ses baguettes, secouer ses accessoires, cliqueter ses cymbales comme personne, Terry Day. Un original comme l’était son ami John Stevens, disparu depuis trop longtemps. Du vrai « free-drumming » subtil et dynamique. Ces deux joyeux drilles sont là pour nous divertir alors que le pianiste nous régale d’un jeu de piano grandiose avec une logique musicale confondante issue d’une pratique intense inspirée de la musique contemporaine et du jazz extrapolé le plus risqué. Un musicien très sérieux au niveau du contenu musical qui vous fait entendre du « solide » piano avec une maîtrise exemplaire. Rien à envier à Irene Schweizer, la copine de Maggie Nicols, par exemple. Vous ajoutez à cette équation peu commune la puissance et le savoir-faire d’Olie Brice qui apporte une sorte de colonne vertébrale élastique, rebondissante, grave avec une belle indépendance, créant ainsi le bel équilibre instable qui fait que le groupe oscille admirablement autour de ses forces centrifuges et elliptiques. On entend ce genre de musique « free » free-jazz libre avec une telle instrumentation un peu partout au point que cela devient une ritournelle quasi consensuelle. Mais ces British ont le sens de l’excentricité, du contraste assumé et du délire pour faire passer le message et communiquer un plaisir canaille ce qui rend ce genre d’entreprise (un quartet sax piano basse batterie, quoi de plus rebattu) vraiment séduisante. Une authentique urgence. Au fil des minutes, Terry Day se déchaîne et le pianiste s’emballe dans le final. Un super concert !!
4 mars 2021
The Spontaneous Music Ensemble 1966/ Udo Schindler & Jaap Blonk/ Klaus Treuheit Lou Grassi +Georg Wissel/ Andrew Raffo Dewar Anne LeBaron Andrea Centazzo
The Spontaneous Music Ensemble Questions and Answer 1966.rythmandbluesrecords.co.uk
Paul Rutherford/ Trevor Watts/ Bruce Cale / John Stevens.
http://rhythmandbluesrecords.co.uk/?product=spontaneous-music-ensemble-question-and-answer-1966-2cd
Un des enregistrements les plus anciens du Spontaneous Music Ensemble datant du 22 juin 1966 au pub Prince Albert à Greenwich et du 30 août 1966 dans un studio. Le groupe venait de changer de nom quelques semaines ou mois auparavant : The Paul Rutherford – Trevor Watts Quartet est devenu The Spontaneous Music Ensemble à la suggestion de Paul Rutherford. Qui dit SME pense immédiatement à l’improvisation libre dont le groupe fut un des principaux foyers tout comme AMM ou Music Improvisation Company. À cette époque précise , leur musique était basée sur des thèmes composés servant de tremplin à des improvisations collectives assez libres bien dans le sillage de la New Thing américaine et inspirées par Eric Dolphy, Ornette Coleman ou le New York Art Quartet de John Tchicaï et Roswell Rudd. On retrouve les mêmes morceaux enregistrés sur le légendaire album Challenge (Emanem) : You Can Be Happy, Judy ‘s Smile, Day of Reckoning, écrits par Trevor Watts, Little Red Head et Chant par John Stevens. Par rapport à l’ensemble des enregistrements, l’ambition musicale du SME et son évolution vers des formes nettement plus audacieuses, cet album documente leurs premiers pas intéressants, surtout pour les chercheurs et les spécialistes. Bruce Cale, un contrebassiste australien quittera assez vite le groupe pour la Berklee School à Boston. Bruce’s Departure y fait allusion. Disons que la direction musicale des débuts sera achevée de manière magistrale dans « Prayer for Peace », l’album d’Amalgam ( 1969 Trevor Watts – Jeff Clyne – John Stevens + Barry Guy sur un morceau) dans lequel figure justement Judy’s Smile. Se dessine ici à la fois le free-jazz typique des années 60 et une volonté d’affiner leurs recherches musicales (cfr Little Red Head). Sur le premier cd, le producteur a intelligemment ajouté un entretien questions et réponses avec le public pour que les musiciens puissent expliquer leur démarche. C’est d’ailleurs Trevor Watts qui joue très bien le rôle de porte-parole. Les notes de pochette présentent le SME comme étant la chose de John Stevens, alors qu’en 1966, il s’agissait d’un groupe essentiellement collectif. John Stevens en a « imposé » - « assumé » la direction musicale dès l’année suivante. J’ai écrit un essai assez long sur l’évolution du groupe et je peux vous dire qu’il n’existe pas d’autres groupes d’improvisation ou free- jazz dont les différentes éditions et avatars improbables tissent un fouillis aussi inextricable au point de vue de ses personnels successifs, de sa direction esthétique et ses orientations musicales. S’il est convenu de dire que Stevens, Watts, Evan Parker, Paul Rutherford, Derek Bailey et Barry Guy en ont fait partie, s’ajoutent aussi les contrebassistes Johny Dyani, Barre Phillips, Dave Holland et Ron Herman, les chanteuses Maggie Nicols et Julie Tippetts, les trompettistes Mongezi Fesa et Kenny Wheeler, le guitariste Roger Smith et le violoniste Nigel Coombes et même John Butcher. C’est tout dire. Mais on dira aussi que le SME s’est polarisé avant tout autour de Stevens et Watts jusqu’à ce que ce dernier quitte le groupe en 1975 et qu'ensuite le SME se résume au trio Stevens- Coombes- Smith jusqu’à la disparition du batteur en 1994.
Donc, même si cet album contient du bon free-jazz pris sur le vif avec un super saxophoniste et un tromboniste qui affirmait déjà une réelle personnalité, si vous n’avez pas encore entendu d’autres albums du SME ou de ses musiciens pris séparément (je pense à Paul Rutheford), passez votre chemin et informez-vous. Car Trevor, Paul et John sont des aventuriers incontournables qui méritent mieux que ces enregistrements d’archives aussi précieux soient-ils. Après la deuxième partie du concert, figurent les quatre morceaux en trio d’août 1966 sans le tromboniste qui recèlent une magnifique sensibilité. Le batteur se fait nettement plus discret , le contrebassiste superbement joue à l’archet, le timbre du saxophone est remarquablement lyrique et l’inventivité mélodique du souffleur est déjà confondante. Stevens joue du glockenspiel dans le dernier morceau et on peut se faire une idée de ce que va devenir son style plus épuré aux cymbales dans les années qui suivent.
Un petit bémol : il est dommage que Trevor Watts, le seul survivant (80 ans) et personnalité phare du groupe n’ait pas été consulté pour cette publication et a même été mis devant le fait accompli. Trevor conserve des archives très fournies du SME et en est sans nul doute la personne la mieux informée qui soit. A-t-on idée ? Concernant un tel groupe, cela aurait été la moindre des choses.
Lakefront Discussions Udo Schindler Jaap Blonk FMRCD592-0920
Le souffleur Udo Schindler, entendu récemment à la clarinette basse et contrebasse avec Ove Volquartz et Sebi Tramontana, a amené ses sax ténor et soprano, son cornet et un euphonium pour cette session peu commune avec l’impressionnant vocaliste et poète sonore Jaap Blonk et son électronique. Si le langage instrumental de Schindler se réfère ici à la lingua franca de la free-music au saxophone et l'utilisation d’harmoniques, le répertoire sonore (et poétique) de Jaap Blonk est unique en son genre : il incarne la poésie sonore, une démarche artistique qui se situe aux confins et englobe à la fois la poésie, la vocalité , le chant et l’improvisation avec une réelle imagination et un sens profond de la recherche sonore. Il challenge la créativité de son acolyte avec des sonorités électroniques subtiles, bruits blancs exacerbés et vibrations électriques bruissantes, volatiles et extrêmes concurremment à la voix. Face à ce phénomène scénique, Udo Schindler explore les timbres, sature la colonne d’air avec des harmoniques et varie les effets, changeant régulièrement la perspective face aux borborygmes, bruits de bouche, glossolalies, inventions vocalo-langagières de Jaap Blonk. Celui-ci décline un arsenal impressionnant d’effets vocaux, de sabirs imaginaires, de growls chargés d’harmoniques, de logorrhées incompréhensibles étonnamment articulées avec une puissante projection de la voix. Certaines de ces interventions sont écrites comme on peut le constater en lisant le poème sonore figurant en texte imprimé dans la pochette. En effet ses « chants » semblent être étudiés dans le moindre détail. On entend, entre autres, des bruitages percussifs réalisés en inspirant l’air amplifié par la gorge et la cavité buccale : il s’agit des battements du clapet du larynx contrôlés comme s’il s’agissait d’un instrument étrangement accordé. Aussi les vocalises de Blonk répondent, alternent ou se superposent à ses propres sonorités électroniques. On a parfois l’impression que l’électronique est le prolongement de la voix. Pour le duo, il s’agit bien de tentatives réussies de discussions, d’essais d’intercompréhension, de parties de plaisir phonologique…. J’apprécie très bien les stratégies utilisées par Udo Schindler avec ses saxophones ténor et soprano et ses autres instruments pour coïncider et rendre sa démarche opérante face à un tel artiste sonore/vocal. Par exemple son jeu au sax soprano dans Lopekkea. C’est un album à la fois attachant, intéressant qui offre un patchwork improbable de cette vocalité alternative, subversive et finalement aussi amusante que dramatique propre à Jaap Blonk. Une mention très bien à Udo Schindler pour sa collaboration en phase et à propos dans ce contexte très particulier que j’adore.
Klaus Treuheit with Lou Grassi featuring Georg Wissel New series KTMP 2020 double CD
Prickly Tenacity I-VI Sublime Sensations VII -X
Klaus Treuheit with Lou Grassi Serracapriola live I-V
Rencontre entre un pianiste (préparé), claveciniste (intensifié) et organiste d’obédience musique contemporaine , Klaus Treuheit et d’un percussionniste issu du jazz et élève de Lennie Tristano, Lou Grassi. Concours d’un saxophoniste (préparé) alto et ténor dans les deux premiers cycles de variations (Prickly Tenacity – Sublime Sensations CD1). Le pianiste et le batteur ont déjà commis ensemble un LP en duo chez No Business (Port of Call) et un remarquable compact avait réuni Treuheit et Wissel avec le violoniste Christoph Irmer (Katachi). Dans le premier CD : Une musique aérienne, éthérée, incursion dans le détail avec des cordes grattées, cithare légèrement percutée et finement résonnante, espace sonore étiré par les mailloches allusives effleurant les toms nus. Le souffle sinueux et vibratile du saxophone et son aura cotonneuse tracent une ellipse scalène désenchantée, … Il faut attendre la quatrième et dernière improvisation de la série Prickly Tenacity pour entendre débouler Georg Wissel en zig-zags anguleux, hachés menu ou déchirés et le tandem piano batterie évoluer en montagnes russes percutantes. La série suivante sollicite étrangement un clavecin intensifié. L’intention très précise de Klaus Treuheit aux claviers fait qu’enchanté par le flux musical, on en vient à oublier qu’il s’agit d’un clavecin. Le deuxième CD en duo débouche sur une configuration nettement plus orchestrale, Treuheit jouant remarquablement des effets multiples et toujours surprenants des grands orgues alors que son compagnon mue véritablement en percussionniste d’orchestre. Il faut souligner la classe de ce percussionniste qui trouve naturellement la stratégie idoine dans ces circonstances hasardeuses. On se laisse complètement envoûter par les souffles libérés des tubes d’étain : contrepoints délirants, multiphonie folie, sarcasmes fracassants dans l’espace résonnant de la Neustadte Kirche , Erlangen, sarabande féérique, … c’est toujours la fête des grands vents, des sifflements sournois, des hululements de volière insoumise… quand un maître un peu fou se déchaîne de la sorte.
Andrew Raffo Dewar Anne LeBaron Andrea Centazzo Encantamientos pfMentum cd14
Saxophone soprano (Andrew Raffo Dewar), harpes acoustique et électrique (Anne LeBaron) et percussions -live electronics (Andrea Centazzo). Musique improvisée pointilliste, atmosphérique et chercheuse. Le saxophone soprano vrille l’air et fait trembler la colonne d’air, clapets ouverts ou fermés dans des occurrences sonores stridentes, défiant l’ordre des notes entre celles-ci, les timbres extrêmes oscillant dangereusement entre harmoniques douces et quintoiements douteux. Les intersections sonores combinatoires d’une harpe bruissante et résonnante avec les ustensiles métalliques et boisés de Centazzo, gongs, cloches, crotales, woodblocks et caisses effleurés ou piquetés créent un univers sonore ouvert où s’inscrit remarquablement le silence et l’espace. Musique d’écoute affinée et d’enchantement poétique, elle fait naître vibrations métalliques, glissandi étranges, effervescences éphémères, coïncidences et agrégats de sonorités cousines et de crissements curieux. Les séquences improvisées se succèdent, s’imbriquent et se métamorphosent. Une géographie de bruissements, de timbres secs, de frappes amorties, de résonnances se développe et suscite notre curiosité. Flûte songeuse face aux légères mailloches sur les lames et les notes égrenées avec douceur par Anne Le Baron. Un sens de l’épure et une sélection minutieuse des moyens sonores aiguillent l’activité du trio vers l’essentiel, une pureté d’intention pour créer et renouveler des paysages sonores nouveaux ou peu ouïs. Un trio original d’improvisateurs originaux qui défie les catégories et définitions pour offrir un grouillement sonore et coloré, des arabesques délicates de fleurs tropicales, lequels se développent au ralenti autant à l’émotion abrupte immédiate qu’au travers de réflexions lucides et profondément expérimentées. Magnifique ! On en oublie la contribution individuelle de chaque musicien au niveau instrumental pour se laisser porter par cet improbable inspiration collective « métamusicale ».
Paul Rutherford/ Trevor Watts/ Bruce Cale / John Stevens.
http://rhythmandbluesrecords.co.uk/?product=spontaneous-music-ensemble-question-and-answer-1966-2cd
Un des enregistrements les plus anciens du Spontaneous Music Ensemble datant du 22 juin 1966 au pub Prince Albert à Greenwich et du 30 août 1966 dans un studio. Le groupe venait de changer de nom quelques semaines ou mois auparavant : The Paul Rutherford – Trevor Watts Quartet est devenu The Spontaneous Music Ensemble à la suggestion de Paul Rutherford. Qui dit SME pense immédiatement à l’improvisation libre dont le groupe fut un des principaux foyers tout comme AMM ou Music Improvisation Company. À cette époque précise , leur musique était basée sur des thèmes composés servant de tremplin à des improvisations collectives assez libres bien dans le sillage de la New Thing américaine et inspirées par Eric Dolphy, Ornette Coleman ou le New York Art Quartet de John Tchicaï et Roswell Rudd. On retrouve les mêmes morceaux enregistrés sur le légendaire album Challenge (Emanem) : You Can Be Happy, Judy ‘s Smile, Day of Reckoning, écrits par Trevor Watts, Little Red Head et Chant par John Stevens. Par rapport à l’ensemble des enregistrements, l’ambition musicale du SME et son évolution vers des formes nettement plus audacieuses, cet album documente leurs premiers pas intéressants, surtout pour les chercheurs et les spécialistes. Bruce Cale, un contrebassiste australien quittera assez vite le groupe pour la Berklee School à Boston. Bruce’s Departure y fait allusion. Disons que la direction musicale des débuts sera achevée de manière magistrale dans « Prayer for Peace », l’album d’Amalgam ( 1969 Trevor Watts – Jeff Clyne – John Stevens + Barry Guy sur un morceau) dans lequel figure justement Judy’s Smile. Se dessine ici à la fois le free-jazz typique des années 60 et une volonté d’affiner leurs recherches musicales (cfr Little Red Head). Sur le premier cd, le producteur a intelligemment ajouté un entretien questions et réponses avec le public pour que les musiciens puissent expliquer leur démarche. C’est d’ailleurs Trevor Watts qui joue très bien le rôle de porte-parole. Les notes de pochette présentent le SME comme étant la chose de John Stevens, alors qu’en 1966, il s’agissait d’un groupe essentiellement collectif. John Stevens en a « imposé » - « assumé » la direction musicale dès l’année suivante. J’ai écrit un essai assez long sur l’évolution du groupe et je peux vous dire qu’il n’existe pas d’autres groupes d’improvisation ou free- jazz dont les différentes éditions et avatars improbables tissent un fouillis aussi inextricable au point de vue de ses personnels successifs, de sa direction esthétique et ses orientations musicales. S’il est convenu de dire que Stevens, Watts, Evan Parker, Paul Rutherford, Derek Bailey et Barry Guy en ont fait partie, s’ajoutent aussi les contrebassistes Johny Dyani, Barre Phillips, Dave Holland et Ron Herman, les chanteuses Maggie Nicols et Julie Tippetts, les trompettistes Mongezi Fesa et Kenny Wheeler, le guitariste Roger Smith et le violoniste Nigel Coombes et même John Butcher. C’est tout dire. Mais on dira aussi que le SME s’est polarisé avant tout autour de Stevens et Watts jusqu’à ce que ce dernier quitte le groupe en 1975 et qu'ensuite le SME se résume au trio Stevens- Coombes- Smith jusqu’à la disparition du batteur en 1994.
Donc, même si cet album contient du bon free-jazz pris sur le vif avec un super saxophoniste et un tromboniste qui affirmait déjà une réelle personnalité, si vous n’avez pas encore entendu d’autres albums du SME ou de ses musiciens pris séparément (je pense à Paul Rutheford), passez votre chemin et informez-vous. Car Trevor, Paul et John sont des aventuriers incontournables qui méritent mieux que ces enregistrements d’archives aussi précieux soient-ils. Après la deuxième partie du concert, figurent les quatre morceaux en trio d’août 1966 sans le tromboniste qui recèlent une magnifique sensibilité. Le batteur se fait nettement plus discret , le contrebassiste superbement joue à l’archet, le timbre du saxophone est remarquablement lyrique et l’inventivité mélodique du souffleur est déjà confondante. Stevens joue du glockenspiel dans le dernier morceau et on peut se faire une idée de ce que va devenir son style plus épuré aux cymbales dans les années qui suivent.
Un petit bémol : il est dommage que Trevor Watts, le seul survivant (80 ans) et personnalité phare du groupe n’ait pas été consulté pour cette publication et a même été mis devant le fait accompli. Trevor conserve des archives très fournies du SME et en est sans nul doute la personne la mieux informée qui soit. A-t-on idée ? Concernant un tel groupe, cela aurait été la moindre des choses.
Lakefront Discussions Udo Schindler Jaap Blonk FMRCD592-0920
Le souffleur Udo Schindler, entendu récemment à la clarinette basse et contrebasse avec Ove Volquartz et Sebi Tramontana, a amené ses sax ténor et soprano, son cornet et un euphonium pour cette session peu commune avec l’impressionnant vocaliste et poète sonore Jaap Blonk et son électronique. Si le langage instrumental de Schindler se réfère ici à la lingua franca de la free-music au saxophone et l'utilisation d’harmoniques, le répertoire sonore (et poétique) de Jaap Blonk est unique en son genre : il incarne la poésie sonore, une démarche artistique qui se situe aux confins et englobe à la fois la poésie, la vocalité , le chant et l’improvisation avec une réelle imagination et un sens profond de la recherche sonore. Il challenge la créativité de son acolyte avec des sonorités électroniques subtiles, bruits blancs exacerbés et vibrations électriques bruissantes, volatiles et extrêmes concurremment à la voix. Face à ce phénomène scénique, Udo Schindler explore les timbres, sature la colonne d’air avec des harmoniques et varie les effets, changeant régulièrement la perspective face aux borborygmes, bruits de bouche, glossolalies, inventions vocalo-langagières de Jaap Blonk. Celui-ci décline un arsenal impressionnant d’effets vocaux, de sabirs imaginaires, de growls chargés d’harmoniques, de logorrhées incompréhensibles étonnamment articulées avec une puissante projection de la voix. Certaines de ces interventions sont écrites comme on peut le constater en lisant le poème sonore figurant en texte imprimé dans la pochette. En effet ses « chants » semblent être étudiés dans le moindre détail. On entend, entre autres, des bruitages percussifs réalisés en inspirant l’air amplifié par la gorge et la cavité buccale : il s’agit des battements du clapet du larynx contrôlés comme s’il s’agissait d’un instrument étrangement accordé. Aussi les vocalises de Blonk répondent, alternent ou se superposent à ses propres sonorités électroniques. On a parfois l’impression que l’électronique est le prolongement de la voix. Pour le duo, il s’agit bien de tentatives réussies de discussions, d’essais d’intercompréhension, de parties de plaisir phonologique…. J’apprécie très bien les stratégies utilisées par Udo Schindler avec ses saxophones ténor et soprano et ses autres instruments pour coïncider et rendre sa démarche opérante face à un tel artiste sonore/vocal. Par exemple son jeu au sax soprano dans Lopekkea. C’est un album à la fois attachant, intéressant qui offre un patchwork improbable de cette vocalité alternative, subversive et finalement aussi amusante que dramatique propre à Jaap Blonk. Une mention très bien à Udo Schindler pour sa collaboration en phase et à propos dans ce contexte très particulier que j’adore.
Klaus Treuheit with Lou Grassi featuring Georg Wissel New series KTMP 2020 double CD
Prickly Tenacity I-VI Sublime Sensations VII -X
Klaus Treuheit with Lou Grassi Serracapriola live I-V
Rencontre entre un pianiste (préparé), claveciniste (intensifié) et organiste d’obédience musique contemporaine , Klaus Treuheit et d’un percussionniste issu du jazz et élève de Lennie Tristano, Lou Grassi. Concours d’un saxophoniste (préparé) alto et ténor dans les deux premiers cycles de variations (Prickly Tenacity – Sublime Sensations CD1). Le pianiste et le batteur ont déjà commis ensemble un LP en duo chez No Business (Port of Call) et un remarquable compact avait réuni Treuheit et Wissel avec le violoniste Christoph Irmer (Katachi). Dans le premier CD : Une musique aérienne, éthérée, incursion dans le détail avec des cordes grattées, cithare légèrement percutée et finement résonnante, espace sonore étiré par les mailloches allusives effleurant les toms nus. Le souffle sinueux et vibratile du saxophone et son aura cotonneuse tracent une ellipse scalène désenchantée, … Il faut attendre la quatrième et dernière improvisation de la série Prickly Tenacity pour entendre débouler Georg Wissel en zig-zags anguleux, hachés menu ou déchirés et le tandem piano batterie évoluer en montagnes russes percutantes. La série suivante sollicite étrangement un clavecin intensifié. L’intention très précise de Klaus Treuheit aux claviers fait qu’enchanté par le flux musical, on en vient à oublier qu’il s’agit d’un clavecin. Le deuxième CD en duo débouche sur une configuration nettement plus orchestrale, Treuheit jouant remarquablement des effets multiples et toujours surprenants des grands orgues alors que son compagnon mue véritablement en percussionniste d’orchestre. Il faut souligner la classe de ce percussionniste qui trouve naturellement la stratégie idoine dans ces circonstances hasardeuses. On se laisse complètement envoûter par les souffles libérés des tubes d’étain : contrepoints délirants, multiphonie folie, sarcasmes fracassants dans l’espace résonnant de la Neustadte Kirche , Erlangen, sarabande féérique, … c’est toujours la fête des grands vents, des sifflements sournois, des hululements de volière insoumise… quand un maître un peu fou se déchaîne de la sorte.
Andrew Raffo Dewar Anne LeBaron Andrea Centazzo Encantamientos pfMentum cd14
Saxophone soprano (Andrew Raffo Dewar), harpes acoustique et électrique (Anne LeBaron) et percussions -live electronics (Andrea Centazzo). Musique improvisée pointilliste, atmosphérique et chercheuse. Le saxophone soprano vrille l’air et fait trembler la colonne d’air, clapets ouverts ou fermés dans des occurrences sonores stridentes, défiant l’ordre des notes entre celles-ci, les timbres extrêmes oscillant dangereusement entre harmoniques douces et quintoiements douteux. Les intersections sonores combinatoires d’une harpe bruissante et résonnante avec les ustensiles métalliques et boisés de Centazzo, gongs, cloches, crotales, woodblocks et caisses effleurés ou piquetés créent un univers sonore ouvert où s’inscrit remarquablement le silence et l’espace. Musique d’écoute affinée et d’enchantement poétique, elle fait naître vibrations métalliques, glissandi étranges, effervescences éphémères, coïncidences et agrégats de sonorités cousines et de crissements curieux. Les séquences improvisées se succèdent, s’imbriquent et se métamorphosent. Une géographie de bruissements, de timbres secs, de frappes amorties, de résonnances se développe et suscite notre curiosité. Flûte songeuse face aux légères mailloches sur les lames et les notes égrenées avec douceur par Anne Le Baron. Un sens de l’épure et une sélection minutieuse des moyens sonores aiguillent l’activité du trio vers l’essentiel, une pureté d’intention pour créer et renouveler des paysages sonores nouveaux ou peu ouïs. Un trio original d’improvisateurs originaux qui défie les catégories et définitions pour offrir un grouillement sonore et coloré, des arabesques délicates de fleurs tropicales, lequels se développent au ralenti autant à l’émotion abrupte immédiate qu’au travers de réflexions lucides et profondément expérimentées. Magnifique ! On en oublie la contribution individuelle de chaque musicien au niveau instrumental pour se laisser porter par cet improbable inspiration collective « métamusicale ».