Martin Hackett – Daniel Thompson - Philipp Wachsmann ha th wa Empty Birdcage Records digital
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/ha-th-wa
Martin Hackett, un membre des Oxford Improvisers, utilise un synthé analogique datant d’une époque révolue dont les esprits frappeurs ressurgissent et créent d’étranges collisions, déflagrations, sifflements, pétarades, vibrations. Il ne pouvait pas trouver de plus astucieux compagnons que l’abrupt guitariste acoustique Daniel Thompson et l’imaginatif et improbable violoniste Philipp Wachsmann, lui aussi des Oxford Improvisers. En écoutant cet ha th wa, je ne peux que songer aux deux cassettes que Phil Wachsmann avait produites au début des années 80 en compagnie de Matt Hutchinson (claviers et synthé) avec Richard Beswick (guitare) d’une part (Wehay/ Kubu Cassette 001) et avec Hugh Metcalfe (Henry Diesel and James III / Kubu Cassette 002). Non seulement, on retrouve quasi les mêmes instruments, mais surtout Wachsmann, Hackett et Thompson adoptent cet air improbable résolu à tout qui se focalise sur des contrastes curieux, inattendus, ludiques, chacun inventant des diversions excentriques, loufoques, sarcastiques avec un surprenant sens du timing. Un va-et-vient de bribes d’interventions pointues, ponctuelles, brisées, qui fusent en dépit du bon sens dans plusieurs directions pour s’éteindre aussi vite et renaître aussi tôt sous d’autres formes. Un délicieux parcours de cadavres exquis comme s’ils usaient de toutes les figures de style dans une folle déconstruction du langage. Que Derek Bailey soit un génie de la guitare et un extraordinaire improvisateur est une chose, mais leurs élucubrations digressives échappent complètement à sa brillante doxa. Vous n’entendrez jamais dans aucun de ses enregistrements quelque chose d’aussi folichon, de dinguement british, excentrique surtout au niveau des formes qui défilent comme des séquences muettes Mack Sennett, l’initiateur du poète surréaliste Benjamin Péret. Phillip Wachsmann est un superbe virtuose du violon : il fallait l’entendre il y a des décennies faire face aux sortilèges du pianiste Fred Van Hove. Mais il a aussi une qualité suprême : un sens de l’invention inattendu en suggérant des idées folles qui fuse en moins de temps qu’il faut pour le dire parsemant de silences éloquents ses pizzicati de guingois, loops curieux, frottements stridents ou forcenés, clins d’œil suaves, fragments dodécaphoniques et tirades narquoises. Un seul son isolé surgit dans un instant de silence au milieu des frasques de ses collègues et transforme entièrement l’équilibre Les deux autres sont comme chien et chat : le jeu sec et abrupt en intervalles abscons et pincements sauvages et goguenards de la guitare acoustique tranche nettement sur les vrombissements, frissons électrogènes, arpèges torturés au gaz hilarant du claviériste électronicien… En fait un trio unique en son genre qui transcende le genre « improvisation de point en point » narrative et interactive dans une dimension beckettienne mâtinée cavalcade de cheval de bois désarticulée et poursuivant une trajectoire hélicoïdale paraboloïde dans laquelle l’engin patibulaire de Martin Hackett tient lieu d’orgue limonaire explosé.
Ça se fête dignement. On n’a jamais l’occasion de croiser une telle constellation en vingt ans de traçage maniaque des publications librement improvisées. Leurs intuitions collectives valent largement la somme de leurs talents respectifs rassemblés. Hugh !
Turquoise Dreams Marta Warelis Carlos Zingaro Helena Espvall Marcelo Dos Reis. JACC JR042 CD
https://jaccrecords.bandcamp.com/album/turquoise-dream
On aurait tort de vouloir limiter l’apport de la scène portugaise au free-jazz d’une deuxième génération qui fait parler d’elle et au label Clean Feed. Parallèlement et conjointement au travail fédérateur de l’altiste Ernesto Rodrigues au travers d’une constellation exponentielle de groupes de toute dimension dont ceux consacrés aux cordes ne sont pas les moins intéressants / fascinants, une fratrie de cordistes portugais ont développé des associations fructueuses : le violoniste vétéran Carlos Zingaro, les contrebassistes Alvaro Rosso et Hernani Faustino, les violoncellistes Miguel Mira et Ulrich Mitzlaff, les altiste Joaō Camoes et (encore) Ernesto Rodrigues, le guitariste Marcelo Dos Reis et parfois le pianiste Nicola Guazzaloca ou le clarinettiste Joao Pedro Viegas dans quelques rares albums particulièrement réussis pour JACC Records, Cipsela ou Improvising Beings. … Ces Rêves Turquoises ne font pas exception, avec la pianiste Marta Warelis, le guitariste Marcelo Dos Reis, la violoncelliste Helena Espvall et Carlos Zingaro au violon. Carlos a travaillé avec les « ténors » de la scène improvisée internationale et souvent des cordistes de renom comme Joëlle Léandre, Peter Kowald, Elliott Sharp, Fred Lonberg Holm, Marcio Mattos, Wilbert De Joode et aussi Richard Teitelbaum, George Lewis et Paul Lovens. Ce serait vraiment très dommage de négliger ses collaborations avec ses compatriotes cités plus haut. Dans les différents groupes tels que Nuova Camerata, Staub Quartet, PUI4, Pentahedron ou ce Rêve de Turquoise, on est frappé par la haute qualité de la musique. Dynamique, inventivité, étendue de la palette sonore et musicale, interactions, focus sur les timbres et effets sonores, c’est toujours du grand art. On se situe au point d’intersection de la musique contemporaine du XXème siècle et de l’aspect ludique collectif de l’improvisation libre sans concession. Et sans « purisme » aussi. Marta Warelis et Marcelo Dos Reis tracent de subtils contrepoints imaginatifs au piano ou à la guitare acoustique lorsque le violoniste et le violoncelle travaille la pâte sonore pressant harmoniques et tissant des spirales décalées. On les entend aussi rebondir les uns sur les autres, ricochetant des traits vifs qui fusent dans l’espace et retournent subitement à l’envoyeur. Explorations de textures, ostinato de la guitare, ondulations moirées du violon, cordes bloquées du piano, musique de l’infini transportée dans cinq séquences - voyages de sept à dix minutes et renouvelées au fil des moments. Construction instantanée méthodique et onirique. Pluralité d’approches musicales qui se marient par la grâce de leur volonté absolue d’écoute mutuelle et concertée dans l’instant. Leur musique recèle des invariants, leitmotivs imaginaires, substrat modal et des portes de sortie, fenêtres ouvertes sur la découverte de sons et l’initiation à la danse, au balancement des flots dans l’embouchure du Tage au-delà de la tour de Belem vers les étendues océaniques, eaux turquoises et crêtes moussues à l’infini. Une grande aisance s’impose dans le choix et le développement des modes de jeux qui s’unissent et se complètent, se nourrissent et s’amalgament les uns aux autres. On finit par découvrir un cheminement de traverse qui illumine notre écoute. Un très grand album publié en CD, une œuvre collective dont la réussite dépasse et transcende l’addition des talents individuels.
Brennan Connors & Stray Passage Emergence Setola di Maiale SM3300 CD
https://grimmusik.bandcamp.com/album/emergence
Enregistré dans le Wisconsin, Emergence réunit trois musiciens chercheurs et fouisseurs de choix. Le percussionniste Geoff Brady, crédité aussi electronics (pistes 1 et 5), le saxophoniste ténor Brennan Connors au sax soprano dans piste 3 et Brian Grimm joue successivement du violoncelle (piste 1), du contracello (pistes 2 et 3), de la guitare basse fretless (piste 4) et de la basse électrique (piste 5). Free-jazz allumé entièrement improvisé. Le batteur puissant démultiplie sans répit les cellules rythmiques en spirales puissantes et échevelées en cognant et poussant Brennan Connors dans ses derniers retranchements. Cette furia alterne avec des séquences presqu’intimistes d’effets percussifs, clochettes mais aussi un peu d’électronique lorsque le violoncelle se fait élégiaque et les volutes du sax rêveuses. Le violoncelliste – bassiste électrique ajoute la tension ou la détente en veillant à maintenir un équilibre illusoire. La vocalité chaleureuse , brûlante du saxophoniste au ténor est irrésistible, explosive : les 9:53 de Brand New Razors sont un magistral coup de poing final. Speaking Tongues & Holy Ghosts. Cette sonorité exacerbée se retrouve au sax soprano dans Emergence (12 :53). Leur musique n’a d’autre ambition que de projeter farouchement leurs énergies dans l’instant sans arrière-pensée, le batteur et le souffleur combinant leurs efforts dans un élan unanime talonné par la houle souterraine de la basse électrique. Excellent pour vous éclater le temps d’un soir à Madison, Wisconsin.
Voluptuaries Brandon Seabrook et Simon Nabatov Leo Records CD
https://simonnabatov.bandcamp.com/album/voluptuaries
S’il y a des pianistes que je préfère à Simon Nabatov pour plusieurs raisons, il est toujours intéressant de suivre ses projets à la trace, car il y de très bonnes choses à écouter et à prendre d’urgence, comme ses récents et fantastiques Gileya Revisited avec Jaap Blonk et Red Cavalry avec Phil Minton ou encore son intrigant OVNI Time Labyrinth. Un aspect intéressant de l’improvisation libre se situe au niveau de la rencontre fortuite de deux artistes aux démarches assez , voire très différentes, qui tentent avec succès de créer des dialogues efficients et une empathie insoupçonnée en ignorant la « logique » au-delà de la vraisemblance d’affinités.
Un excellent exemple est ce fascinant duo entre Derek Bailey et Tony Coe (Time / Incus) ou celui du même Bailey avec Steve Lacy (Company 4/ Incus). C’est évident que Simon Nabatov et le guitariste électrique Brandon Seabrook ont des options musicales assez contrastées. Nabatov est l’archétype du pianiste virtuose cultivé, nourri des musiques classiques et contemporaines les plus savantes tout en étant un jazzman accompli et inspiré parmi les meilleurs. Quant à Brandon Seabrook, son travail témoigne d’un amour pour la guitare électrique sur son versant post-rock un brin punk et à la fois expérimental, bruitiste, bricoleur maniaque et free « sauvage » et subtil. L’essentiel de l’entreprise réside non seulement dans la qualité de leurs modes de jeux individuels, mais aussi comment ils tirent parti de leurs ressources sonores multiples pour communiquer l’un avec l’autre. Un panorama assez impressionnant de douze extemporisations sonores bien ciblées, colorées, parasitées, agitées, grandioses ou foutraques. Subtiles aussi. On n’a pas le temps de s’ennuyer. Le résultat enregistré ferait un excellent concert avec suffisamment de surprises pour ouvrir ou réjouir les oreilles et les sens de ceux qui ont plaisir à s’encanailler loin des sentiers battus ou qui sont prêts à s’ouvrir aux mystères de la free-music authentiquement libre. Ça joue… quoi !
Gonçalo Almeida Monológos A Dois a New Wave Of Jazz
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/monologos-a-dois
Superbe sonorité de contrebasse du Portugais Gonçalo Almeida pour ses douze Monólogos A Dois publiés par le label belge A New Wave Of Jazz. L’artiste solitaire travaille à mi-chemin entre classique moderne et euro-jazz créatif. Jouant aussi bien à l’archet avec une beau timbre à la fois lumineux, chaleureux et boisé, qu’en pizzicati remarquablement bien déliés il développe douze chants – miniatures équilibrées, sensibles et vibrantes. Pour le simple plaisir de l’écoute, la relaxation des sens, vous serez servis. Ces monologues recèlent des éléments communs à chacun, une espèce de fil conducteur caché semblable à ces longs tunnels de montagne qu’illuminent ces ouvertures baignées de lumière et de ciel bleu qui happent l’imagination du voyageur… D’un morceau à l’autre, on perçoit un élément, une intonation, deux notes ou une couleur spéciale de la fin d’une pièce dans l’amorce du morceau suivant. La contrebasse solo est un art difficile et il suffit d’entendre Monòlogos A Dois II pour se convaincre des capacités de Gonçalo Almeida. Où l’archet sombre et subtil fait tournoyer lentement la masse sonore comme une tresse soyeuse et ondoyante dans le grave et des harmoniques distinguées pour finir, et la conviction se renforce, le lyrisme s’installe… Certains improvisateurs pointus diront que sa musique est bien sage (ECM), mais on ne va pas cracher sur un tel talent et cet excellent travail offrant un panorama des possibilités musicales de la contrebasse (instrument que j’adore) dans un ensemble cohérent.
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