Jennifer Allum John Butcher Ute Kanngiesser Eddie Prévost Sounds of Assembly Meenna-964
https://matchlessrecordings.com/music/sounds-assembly
Depuis une dizaine d’années, la violoniste Jennifer Allum et la violoncelliste Ute Kanngiesser collaborent étroitement avec Eddie Prévost d’AMM et se sont investies dans son atelier d’improvisation avec un nombre croissant d’improvisateurs de la nouvelle génération, à Londres, faut-il le souligner. Le label d’Eddie, Matchless Recordings, a d’ailleurs publié leur excellent album en duo, Bell Tower Productions (MRCD90 2013) et il n’est pas rare que les deux musiciennes soient réunies dans divers projets avec l’incontournable percussionniste et philosophe de l’improvisation. Eddie et le saxophoniste John Butcher ont tous deux joué fréquemment en duo ou en groupe et enregistré des albums particulièrement minimalistes comme ce fascinant Interworks (MRCD66 - 2005) bien avant que les deux musiciennes n’apparaissent dans la scène londonienne. (NB : Eddie a tenu aussi à inviter John dans sa série Meetings with Remarkable Saxophonists d’obédience plus « free-jazz »). Sounds Assembly exprime bien ce qu’il veut dire : comment assembler les sons … de chacun !? Et à cet égard, l’enregistrement nous montre que l’entreprise est parfaitement réussie et probante. Les quatre musiciens s’étaient réunis pour cette session en vue de fournir du matériel audiovisuel pour le film de Stewart Morgan «Eddie Prévost’s Blood ». Pour notre grand bonheur, il a été decidé par la suite que cette remarquable session soit publiée au Japon via www.ftarri.com
Connaissant la teneur des précédents enregistrements reliant ces individualités et dans lesquels il y a des intentions préalables clairement définies, ce quartet s’est ouvert spontanément à ce qui pouvait arriver dans leur rencontre tout en s’accrochant à leurs valeurs personnelles et à l’éthique conviviale et sensible qu’ils partagent à des degrés divers. Une musique qui se déroule dans le temps sans accroc, ni accent rythmique mesuré ou démesuré. Tout à la fois, les frottements experts des deux cordistes avec harmoniques et vibrations boisées oscillantes , les résonances de la grosse caisse, l’archet qui fait crisser et scintiller les bords de la cymbale (avec le pas de vis tubulaire fiché dans son orifice central) et des tam-tam, les extrêmes du saxophone ténor à base de growls, d’harmoniques, de saturations, de frictions de la colonne d’air se distinguent en créant des contours précis, lumineux ou ombragés et s’interpénètrent simultanément comme s’il y avait un savant calcul et un dosage précis des fréquences qui s’unifient. Les deux dames filent de remarquables glissandi et méandres qui s’insinuent ou font écho aux crissements modulés par leur mentor sur un instrument métallique. Les silences, naturels, acquièrent une expressivité indéniable sur lesquels grattent des doigts de souris sur la surface des boyaux comme un poème. On est dans un univers éloigné (moins nerveux) du trio sax – contrebasse – percussion butchérien tel qu’on peut l’entendre dans Crucial Anatomy et Last Dream of the Morning (avec John Edwards et Mark Sanders) ou the White Spot (avec Torsten Müller et Dylan van der Schyff) ou encore Tincture, un album plus ancien avec un percussionniste Michael Zerang et le violoncelliste Fred Lonberg- Holm. Dans ces musiques, les improvisateurs rebondissent et une forme d’interactivité plus ou moins « ping-pong » est au centre, même s’ils explorent textures et couleurs sonores.
Sound of Assembly s’écoule comme une rivière apaisante et charriant des contenus organiques de toute nature, attirant les algues d’eau douce dans son sillage, comme les fils d’Ariane du cheminement intérieur de chacun des quatre dans leur vécu, écoute - réaction – jeu imaginatif ludique. De ce momentum tendu et étendu sur pas moins de cinq improvisations et un total de 48 :48, émanent une expressivité chaleureuse, un lyrisme immanent, une puissance des sons à travers une dynamique transparente où l’oreille aiguisée et à l’affut décèle des miroitements d’ombres mouvantes. Lyrisme perceptible et touchant malgré cette approche musicale qui évoque une démarche scientifique. Prévost n’a-t-il pas rédigé de véritables traités à ce sujet, Butcher n’était-il pas un mathématicien renommé ? La multiplicité étonnante des techniques instrumentales convergent vers une unanimité dans chaque instant et cet état d’esprit, ce feeling, cette ouverture – plénitude vis-à-vis de ce flux intense et pacifique imprègnent totalement toute la musique enregistrée dans ces moindres recoins de la première à la dernière seconde. Chacune des cinq pièces (Shot Silk, Bright as Ink, Angelica Green Sky, Stars Like Needle Point, Crooked Lines of Grey) offrent un chapitre distinctif et subtilement circonstancié par leurs capacités à improviser collectivement. Des tensions existent qui se traduisent par des réactions diversifiées chez chaque individu – partenaire et cela contribue fortement à l’étendue maximale de la palette sonore collective. J’ai toujours beaucoup apprécié AMM, le groupe d’Eddie, et je pense que cette réalisation instantanée, et la deuxième occasion de ce quartet d’exception, gravite au même niveau.
Mitragyina Metro Zsolt Sörès Hinge Thunder HT 003
https://hingethunder.bandcamp.com/album/mitragyna-metro
On nous parle souvent de musique « noise » , drone, etc… et aussi DIY. Soit « fais le toi-même » avec les moyens du bord sans te soucier si ça signifie quelque chose d’un point de vue conventionnel, plan com’ , etc... Zsolt Sörès invoque même le psychédélisme. Les gens « sérieux » qui écrivent dans les magazines de jazz diront que c’est du bric-à-brac minimaliste. Songez un peu, à la lecture des « credits » de ce double CD composé de 4 longs morceaux (1/ 31 :51 et 2/ 29 :31 au CD1 et 3/ 39 :19 et 4/ 17 :21 au CD2) : Voice, 5 string viola, Dàn Bāu, cymbal on top of the viola, mellotron, pipe organ, Domino Synth, Mole Rat EMF Explorer, e bow, vibrating devices, contact mics, objects and preparations, effects. Les tenants de l’école post improvisée – néo académique – alt composition vont peut-être frémir d’incrédulité. Dans les notes de pochette, l’artiste indique dans quel morceau ces instruments, effets et installations sont utilisés. Les 4 titres de ce double-album sont assez révélateurs du fait que Zsolt Sörès n’appartient à aucune école ou « chapelle » , car comme on le connaît, c’est un généreux enthousiaste que le talent des autres musiciens rend profondément et sincèrement heureux sans se soucier si leur démarche s’intègre dans sa propre cosmogonie utopiste. Citons les : 1/ the Mysterious Life and Death of Dr Ahad Ghost Sonic Ontologist, 2/ “Haeccities” – the Deleuze “Effect”, 3/ Mitragyina Metro, 4/ “… teaching old dogs new trumpets” , lequel morceau est dédié au tromboniste Hillary Jeffery. Tout cela a été enregistré en 2017 (4) et 2020 par l’excellent ingénieur du son Szabolcs Puha qui en a réalisé le mixage et la mastérisation. Chapeau les deux artistes !! Car ce n’est pas une mince besogne que de matérialiser un enregistrement qui rende justice à la démarche audacieuse et complexe de Zsolt Sörès. Aux tréfonds de ces courants de lave sonore, on perçoit un lyrisme qui soudain surgit lorsqu’il joue de son alto amplifié, lequel est la plupart du temps couché et manipulé dangereusement sur une table munie de micro-contacts et d’effets reliés en circuits… avec parfois une cymbale retournée et appliquée énergiquement sur le chevalet et qu'il frotte comme un dément... une puissance expressive incontournable dotée d’un sens inné de la dynamique…
Les interférences organiques de ses différents instruments, manipulations, effets, micro-contacts dans des vibrations assourdissantes, réverbérantes, bruitistes, saturées et des notes tenues dont on retrouve les traces dans les frictions et chocs, créent un univers sonore finalement assez unique en son genre, produit de l’improvisation et d’une transe ou le mental et le corporel sont finement mêlés. Indescriptible et OSNI convaincant qui vrille notre capacité d’écoute et remet le décompte des instants qui s’échappent inexorablement à zéro ou aux antipodes de notre imagination. Plusieurs concepts et pratiques sont à l’œuvre ici dans une démarche aux confluents de sensibilités et d’intentions divergentes. La sienne est obscure, secrète et peu descriptible. Bien sûr, il faut l’avoir vu et ressenti dans une performance vécue pour percevoir où il veut en venir. Car il sait très bien ce qu’il veut et ce qu’il fait Zsolt Sörès, un sage et un artiste incontournable de la scène Est – Européenne, de la vie culturelle de Budapest et dans l’espace magyar… n’est pas seulement un « soliste » (qui se produit en solo), mais aussi un formidable collaborateur sur scène avec nombre de collègues et amis . On songe à Adam Bohman, Julo Fujak, Katalin Ladik, Jean-Hervé Peron, Oli Mayne, Hillary Jeffery, mais aussi à tous les utopistes de rencontre… À découvrir absolument, si vous cherchez à écouter quelque chose d’essentiel dans le domaine du « noise », du « drone » ou des «live electronics » …. Etc…
"john" Daniel Thompson Empty Birdcage Records EBR003
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/john
Enregistré par le guitariste Daniel Thompson le jour où John Russell nous a quitté, « john » est à la fois un profond hommage au guitariste disparu et un témoignage de la pratique improvisée à la guitare acoustique que John nous a laissé. 12 minutes 20 secondes essentielles, concentrées et dirigées vers un momentum où les repères de la guitare six cordes s’efface dans la gestuelle débridée. On perçoit clairement ces détails sonores et cette touche qui rendaient la démarche de John Russell unique, en s’intégrant dans celle, personnelle, de Daniel Thompson. Celui fut au début des années 2010, un élève de John Russell au point de vue purement technique, tout comme John fut l’élève de Derek Bailey au début des années septante. Daniel est réellement le guitariste le plus à même d’incarner l’hommage d’un guitariste à son cher ami disparu. En effet, sa démarche est basée sur un point de vue instrumental acoustique similaire mais avec des idées différentes. Même si « john » fait plus qu’évoquer Russell, il est très aisé de distinguer les deux musiciens. Au fur et à mesure que l’improvisation évolue, il s’élance dans un tourbillon imaginatif et sauvage, émotion de l’instant , expression la volonté de transcender le message de notre grand ami à tous, John Russell, un galvaniseur d’énergies et de bonnes intentions inoubliable vers l’inconnu. La disparition de John laisse un vide béant dans nos consciences et nos interactions, tant il avait créé des liens profonds avec un nombre incalculable d'improvisateurs à Londres et ailleurs. Et bien sûr, à suivre : l'excellent label de Daniel : Empty Birdcage
Until the Night Melts Away John Butcher Sharon Gal David Toop Shrike Records
https://shrikerecords.bandcamp.com/album/until-the-night-melts-away
John Butcher Saxophone soprano et ténor
Sharon Gal Voice, electronics, bells, objects
David Toop Lap steel guitar, flutes, bass recorder, African chordophone, objects
Mixed/Mastered by John Butcher
Voici un genre d’album qui échappe aux prévisions, a priori et idées toutes faites. Un pur produit de la scène londonienne où tous les improvisateurs se croisent quasi hebdomadairement dans les différents lieux où ils partagent la scène et s’écoutent les uns les autres. Ne cherchez pas un fil conducteur, une intention commune, un plan quelconque ou un projet ficelé pour l’export. Cela les amènent à créer des rencontres hors des sentiers battus. Purement un moment de plaisir et d’échange et un assemblage d’idées et d’imaginaires. Sharon Gal est une chanteuse inspirée qui complète son travail vocal avec de l’électronique ; elle construit un univers personnel un brin fantasmagorique, presque visuel et suggestif. Elle se produit régulièrement au Boat-Ting, et différents lieux ouverts. Autant John Butcher est concentré sur ses anches et les clés de ses deux saxophones avec un éventail impressionnant de techniques de souffle alternatives, soit une démarche monolithique que David Toop sollicite des flûtes de diverses origines, une flûte à bec basse, des objets, un cordophone adricain et une lap steel guitar donnant l’impression de s’éparpiller, alors qu’il est tout aussi concentré que ses acolytes dans une écoute intense. Toop est un exceptionnel chroniqueur et connaisseur des musiques expérimentales qu’il connaît de l’intérieur. Les trois improvisateurs étalent parallèlement et alternativement leurs sonorités avec une relative parcimonie créant un univers sonore en mutation permanente : bruissements, effets vocaux, expressivité soudaine, dialogues impromptus, extrêmes, grattements électrisés, clochettes, effets noise de la guitare cadencés, phonèmes et imprécations amplifiées, charivari, sax ténor acide et mordant, hullullement forcené du micro trafiqué, vocalisation délicate d’une flûte, vocalité ensorcelée du larynx à l’avant-bouche , noise forcené…. Des micro-séquences se succèdent et s’interpénètrent défiant toute logique ou appartenance à quelconque sub-genre de l’improvisation. Mais la récolte de trouvailles sonores bat son plein en dépit et jusqu’à l’extinction du raisonnement au profit du délire de l’imaginaire, bric-à-brac de l’instant où chaque action individuelle ou mutation sonore est reliée intimement au. Ligne du temps illusoire Until the Night Melts Away: trente – cinq minutes inexplicables, polémiques, oniriques, abruptes, poétiques…
Saadet Türköz & Nils Wogram Song Dreaming Leo Records CD LR 898
http://nilswogram.com/discography/nils-wogram-saadet-turkoz-duo/song-dreaming
Excellente idée cette collaboration d’une chanteuse et un tromboniste. Mais Saadet Türköz est bien plus qu’une chanteuse, plutôt une vocaliste, artiste « traditionnelle », conteuse, sculptrice de la voix humaine, actrice de ses dilemmes personnels qui puise dans la culture musicale turque et kazakh. Une personnalité riche et complexe qui a trouvé une sensibilité complémentaire auprès du tromboniste Nils Wogram, lequel joue aussi du mélodica. Cet enregistrement fraîchement publié par Leo Records était resté dans les tiroirs depuis cette session de 2006 à la D.R.S 2 de Zürich. Le cœur de Saadet balance entre l’expression vocale de l’avant-garde et la mélancolie orientale, une diction mi-parlée mi-chantée, un chant grave avec la bouche presque fermée. Remarquable de bout en bout que ce soit dans le murmure, dans les tréfonds du larynx ou à gorge déployée. On retrouve des sonorités et des techniques vocales de l’Asie Centrale. Pour chacun des chants dont elle a écrit les paroles, son partenaire propose des interventions subtiles, épurées et constamment renouvelées en fonction des sentiments exprimés et de l’esprit qui anime chacun d’eux. Ce qu’il arrive à faire avec un mélodica est remarquable. Je pense à cette évocation tremblotante de la lire ghijak frottée par un archet. Au trombone, on appréciera le timbre curieux et étrangement vocalisé dans Yurt. Douze pièces qui offrent un éventail convaincant de ce qu’on pourrait qualifier comme étant du « folklore imaginaire ». Cela dit, cela manque de folie à mon goût malgré leurs évidentes qualités.
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