The Universal Veil That Hangs Together Like a Skin Lee Patterson Samo Kutin Editions FriForma eff-007
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/the-universal-veil-that-hangs-together-like-a-skin
Samo Kutin nous avait livré un véritable OVNI sonore l’année dernière en compagnie du saxophoniste Martin Küchen : Stutter and Strike (Zavod Sploh 021). Samo est un fanatique de la « modified hurdy-gurdy » ou, si vous voulez, de la vièle à roue modifiée, amplifiée et il ajoute la réverbération de ressorts métalliques et autre objets. Démoniaque, hors norme, drone expressionniste envoûtant. Avec l’artiste sonore Britannique Lee Patterson, crédité lui amplified devices, chemical and mechanical synthesis, c’est une affaire plus en retenue par rapport à l’opus précité. Patterson est un habitué des projets du harpiste Rhodri Davies, du violoncelliste et percussionniste Mark Wastell ou du saxophoniste John Butcher et un des improvisateurs expérimentaux parmi les plus estimés actuellement en Grande Bretagne. Les deux musiciens unissent leurs moyens sonores et leurs sensibilités dans une expression quasi statique basée sur les vibrations de drones – textures et sonorités tenues dont l’enveloppe et l’ambiance évoluent imperceptiblement au milieu de glissandi insondables et de crépitements parasites, crissements et agrégats de timbres et de sons qui se délitent ou se renforcent avec une lenteur infinie. Chacune des six pièces enregistrées cernent des occurrences sonores bien distinctes comme s’ils avaient tous les deux une intention préalable minutieusement partagée, alors qu’ils fonctionnent à l’instinct. Cet esprit d’à-propos dans la réalisation d’une musique aussi « abstraite », peu formelle et aussi abrupte démontre bien que leur art est basé sur une expérience acquise par une pratique intensive et un enthousiasme communicatif. Dans le chef d’Inexhaustible Editions et FriForma, le label innovant en pointe, il y a une volonté éditoriale de grande qualité. Sur le fond blanc 000 de la pochette où aucun titre n’apparaît, une très remarquable reproduction d’une œuvre picturale circulaire signée Rachael Ewell, fascinante aquarelle où on distingue de minutieux pointillés blancs, des fonds bleux foncés recouverts d’un effet nuageux – laiteux ceinturant un cercle grossier noir avec des traces de vert et de bleu où s’impriment des pointillés minuscules et sous-jacents. À l’intérieur du triptyque de la pochette, un texte descriptif poétique de David Toop. Dans le genre drone textural expressif, c’est une réussite dont le registre se situe à une lieue du paraphernaliaque Stutter and Strike. Mais quelle réussite !! Musiciens et label à suivre.
Move in Moers Achim Kaufmann Harri Sjöström Adam Putz Melbye Dag Magnus Narvesen Emilio Gordoa Fundacja Sluchaj FSR 07/2021
https://sluchaj.bandcamp.com/album/move-in-moers
Un concert au festival de Moers en juin 2019 durant 43 minutes bien remplies qui se déroulent en rubans improvisés souples et saccadés dans une musique excellemment construite. Chacun s’affirme par petites touches et vagues sonores mesurées, le saxophone sopranino d’Harri Sjöström étire les notes avec une articulation d’oiseau des îles, lunaire et sautillant pour lequel le pianiste Achim Kaufmann trace des accords clairsemés de notes oscillantes. La batterie de Dag Magnus Narvesen résonne à peine sous les frappes précises et aléatoires décortiquant les pulsations comme si on secouait un mobilier précieux. Adam Putz Melbye frotte consciencieusement les cordes émettant des vibrations boisées et sourdes alors que le vibraphoniste Emilio Gordoa émet des signaux liquides et volatiles. Volatile est l’adjectif qui s’applique aux spirales et ellipses en coin du souffleur, élève de Steve Lacy qui évite soigneusement les modèles pour se concentrer dans une colloquialité d’oiseau parleur redistribuant gammes et intervalles et déchiquetant la pâte sonore à belles dents. Un sens de la prononciation achevé, même dans la frénésie. Cela finit par tournoyer grave avec un sens de l’équilibre précaire et reconsidéré au fil des secondes. Chacun des musiciens garde sa place tout en métamorphosant et s’échangeant les rôles au sein du quintet où tout le monde dirige et invente figures, signes, cadences, timbres, sonorités… Une belle anarchie assumée où chacun trouve sa place, sa partie, son espace. Le pianiste fait vibrer des harmoniques en calant les cordes alors que cela frotte, sussure, grince, avec des sons aigus flottant et interférant dans l’atmosphère dilatée ou contractée selon l’humeur et l’état d’esprit du moment. Une capacité à faire évoluer et transformer le paysage et l’intensité de l’ensemble, avec ses audaces, ses hésitations, ses lenteurs et ses fureurs. Le point de non-retour du free jazz dont il maintient adroitement des éléments expressifs et architectoniques. Savant dosage dans la répartition instrumentale et individuelle des actions improvisées dans l’instant. Remarquable quintet issu de la très active scène Berlinoise.
Lauren Newton Myra Melford Joëlle Léandre stormy whispers Fundacja Sluchaj
https://sluchaj.bandcamp.com/album/stormy-whispers-2
Sorti depuis quelques temps, j’ai enfin reçu d’une bonne âme ce magnifique enregistrement mettant en valeur leur savoir-faire d’improvisatrices et les qualités sonores individuelles investies dans la construction vivante d’un merveilleux trialogue. C’est à mon avis un enregistrement concluant pour chacune de ses trois musiciennes. La chanteuse vocaliste Lauren Newton et la contrebassiste Joëlle Léandre ont déjà partagé des aventures fascinantes en duo (18 Colours – Leo records) et en trio avec le saxophoniste Urs Leimgruber (Out of Sound – Leo Records). J’avais été refroidi par leur duo enregistré pour NotTwo records en raison de la qualité de l’enregistrement pas vraiment satisfaisante. Mais avec ses Stormy Whispers publiés par une autre compagnie polonaise, Fundacja Sluchaj, un label passionnant et intelligemment sélectif, on a droit à la haute qualité à tous points de vue, surtout qu’une pianiste inspirée s’est insérée avec un vrai bonheur dans leur relation tempétueuse avec un véritable équilibre, Myra Melford. Question chanteuse, je suis un fan absolu de la voix humaine, féminine et masculine et le talent incontestable de Lauren Newton réunit bien des atouts, en premier lieu sa voix est naturelle, comme l’eau coule d’une source de montagne, sans apprêt. Elle a la capacité extraordinaire de la transformer avec des outrances expressives, spontanément délirante, excessive, contrefaite, aliénée, bruitiste, pudique ou sarcastique, aspirant l’air, pointant dans l’aigu soprano avec une suprême aisance, se jouant de filets de voix volatile qu’elle contorsionne avec une puissance qui semble non contrôlée. On retrouve cette qualité vocale dans les frottements de l’archet de la contrebasse de Joëlle, avec ces microtons et glissandi expressifs, ces grondements expressifs, faisceau vocalisé de fréquences, cadences libérées. Un jeu naturel. On a droit à des duos plus intimes contrebasse - piano, voix – contrebasse et piano- voix. Et dans cette affaire, la pianiste Myra Melford travestit son piano en outil sonore au service de la dramaturgie collective, comme lorsqu’elle frappe dans les parois et les supports métalliques de la table d’harmonie alors que Lauren zozote et tente d’exprimer l’indicible au moyen de phonèmes éructés, chiffonnés, déchirés, … Cette rencontre vaut clairement le déplacement et illustre les possibilités musicales, sonores et expressives de la voix humaine, laquelle semble avoir du mal à être considérée par une frange importante du public axé sur les saxophonistes énergétiques, les pianistes brillants ou les guitaristes flashy alors que c’est l’instrument le plus flexible qui existe et que la musique improvisée est la musique flexible par excellence. Ce que ces Stormy Whispers prouvent à volonté…
GRIFF Ingrid Schmoliner Adam Putz Melbye Emilio Gordoa inexhaustible editions ie-025
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/griff
L’album commence étrangement par une note vibrante de contrebasse répétée à l’envi sur une pulsation isolée jusqu’à ce que le piano la rejoigne dans ce mouvement répétitif en imprimant des légères variations de faibles amplitudes et un ou deux changements de rythme. Cette introduction à la première composition, but still, donne le la d’un album curieux, pas comme les autres qui se distingue radicalement des nombreuses productions qui ont un air de famille avec bien d’autres. C’est le pari d’inexhaustible editions, ce label slovaque qui présente de plus en plus régulièrement la fraîcheur de choses nouvelles, inattendues, pointues hors des conventions inhérentes à la free-music, expression aujourd’hui cinquantenaire avec ses codes et sa tradition, ses icônes et valeurs sûres. Vous l’avez deviné, la pianiste Ingrid Schmoliner est une inconnue et avec ses deux collègues Emilio Gordoa, le vibraphoniste argentin de Berlin et Adam Putz Melbye, le contrebassiste norvégien de… Berlin, sont des membres éminents de la nouvelle génération intéressante et ambitieuse. Melbye et Gordoa ont été entendus avec Move d’Harri Sjöström et avec Matthias Müller, ce qui contribue à la cohésion de GRIFF. N’ayant jamais écouté Ingrid Schmoliner auparavant, c’est avec une curiosité récompensée que je me suis plongé dans cet album intrigant, en relevant que la pianiste a enregistré en trio avec Pascal Niggenkemper et Joachim Badenhorst, en solo et en duo avec Elena Kakaliagou pour corvo records. Ingrid Schmoliner manie très adroitement les effets hypnotiques de la répétition de plusieurs notes ou d’une ou deux grappes de notes (effet carillon de bell skin ) en conjonction avec des effets sonores joués par le contrebassiste et le vibraphoniste. Celui-ci utilise l’archet pour faire vibrer les lames de son vibraphone de manière intrigante et fantomatique. Au fil des minutes, bell skin se transforme en happening sonore peu descriptible si ce n’est que la vivacité du carillon contraste avec les constantes vibrations spectrales du vibraphone trafiqué et de la contrebasse striée de coups d’archet, l’ensemble transitant par un parasitage inouï de la cadence initiale par les interventions des deux acolytes, pour mourir avec un decrescendo de notes isolées au vibraphone. Une construction super bien menée. Moss rock développe une idée rythmique similaire au piano préparé, un carillon désarticulé et obsessionel dans lequel s’insère des sons parasites et des accents marqués sur des touches amorties. C’est assez radical comme conception dans le domaine de l’expression texturale ici martelée par un ostinato machinique qu’Emilio agrémente de coups métalliques à même une touche amortie de son vibraphone. Les coups pleuvent comme les marteaux d’une fabrique ensorcelée jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent abruptement laissant s’échapper une vibration délétère. Et puis, sadiquement après un long silence, un cinquième morceau bref et non annoncé surgit dans la même veine, maculé de silences. La pianiste frappe littéralement et isolément quelques notes au clavier agrégeant à chaque battue des timbres et des notes différentes, certaines préparées créant un univers sonore mystérieux et hanté. Un projet audacieux et parfaitement maîtrisé en dehors des sentiers battus et illustré dans un beau triptyque avec des œuvres d’art de Lena Czernawiaska et un texte poétique d’Andrew Choate. i-e est un des labels à suivre par excellence !!
Ferran Fages From Grey to Blue Lluïsa Espigolé inexhaustible editions ie-032
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/from-grey-to-blue
Ci-dessous, extrait des notes de pochette de from grey to blue.
The resonance, the ticking over of a note, stretches out time; but notes always fade away at the same speed. Perhaps it is our memory that makes them last forever, that holds them for longer. They disarrange known places, connect spaces, tidy unknown places, filaments of shadow or fragments of light. It does not matter which.
With each note she plays, Lluïsa Espigolé captures that which is left in suspense, without movement, without emotion. She sets up a dialogue with resonance, she gives it a presence, she slows down expectations, should there be any.
From Grey To Blue (2018) is the result of a collaboration between Ferran Fages and Lluïsa Espigolé which has been ongoing since 2016. Ferran Fages October 2020
Gairebé res: malformacions del silenci / Barely anything: deformities of silence - Carles Camps Mundó
Guitarist, composer and improviser Ferran Fages (1974) works within various musical contexts, but most of his discography and experience centers around improvisation. Marked by an interest in minimalist and austere approaches, his music decontextualizes the relationship between soft acoustic sounds and bold electronic sounds. His interest in resonance and interpretive gestures serve him as a support in the search for the elasticity of sound. His recent works have been released on labels such as Another Timbre, Edition Wandelweiser or Confront. / ferranfages.net
Barcelona-based pianist Lluïsa Espigolé (1981) is intensively engaged in contemporary music: her activity is focused on performances and premieres as soloist, chamber musician, and increasingly in interdisciplinary projects, sound performances and free improvisation. She develops pedagogical activities with universities as well as with musical institutions in particular on piano music of the XX. and XXI. centuries and multimedia repertoire. She is currently professor of contemporary piano and chamber music at the CSMA University Of Music in Zaragoza. / lluisaespigole.com
Une composition en trois parties du gris au bleu (12:51 – 17:35 – 11:00) écrite par Ferran Fages pour la pianiste Lluïsa Espigolé dont j’appécie particulièrement la qualité de toucher et la force d’interprétation de l’oeuvre. Issu de la scène improvisée – expérimentale, le guitariste Ferran Fages, connu pour son travail dans la mouvance réductionniste – lower case, conçoit des musiques focalisées sur des intentions et des buts soigneusement délimités. Ici la mort lente du son du piano dans le silence en cultivant la résonance, la plasticité du son dans l’espace. L’ensemble composition - exécution – réalisation technique est optimal. Bon nombre d’improvisateurs radicaux ont rejoint les rangs des compositeurs « conceptuels » réunis dans la mouvance Edition Wandelweiser et another timbre, sans doute parce qu’ils ressentaient une limitation ou un blocage dans la démarche improvisée libre. Certains improvisateurs finissent sans doute par se répéter, d’autres ont la capacité d’étendre leurs moyens et de se/nous surprendre au fil des ans. Quoi qu’on fasse, il y a toujours une part d’inconnu si on en a la détermination. Et cet aspect des choses est bien ressenti dans from grey to blue. Félicitations à Ferran Fages, à la pianiste Lluïsa Espigolé et à l’équipe d’inexhaustible editions.
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