Undistracted Paul Dunmall Jonathan Impett Andrew Ball Paul Rogers Phil Gibbs FMR CD614-721
Pour se faire une idée précise où se situe et dans quelle direction esthétique se dirige Paul Dunmall et ses associés, qu’ils soient d’un jour (Jonathan Impett trompette , Andrew Ball piano) ou installés à demeure (Paul Rogers contrebasse, Phil Gibbs guitare), il faut le suivre à la trace CD après CD à travers ses innombrables albums. Si la musique est jouée de manière égalitaire et collective dans une écoute mutuelle permanente, c’est bien Dunmall qui avait invité ces quatre collègues issus du jazz contemporain (Rogers et Gibbs) et de la musique classique, baroque pour Jonathan Impett et contemporaine pour Andrew Ball. Cette session de 2004 avait été initialement publiée par la série en édition limitée « Duns Limited Edition » de Paul Dunmall, mode « cottage craft » avec une superbe lithographie en noir et blanc sur le recto de la pochette, réalisée par le saxophoniste, ici au ténor et au soprano. La chimie créative du groupe respecte les ingrédients esthétiques et personnels de chaque individu et on est frappé par la précision et la lisibilité des échanges, interactions et correspondances évidentes ou secrètes de ce quintet bien singulier qui échappe aux clichés et idées toutes faites de la vulgate du free-jazz. Réédition bienvenue au niveau de la documentation car que je sache, il se passe des choses au niveau musical bien différentes des albums « habituels » réunissant Dunmall, Gibbs et Rogers. Une façon d’étaler la musique dans le temps, l’absence de batterie, le rôle du pianiste, ce travail en canon des voix instrumentales et la tournante des dialogues successifs et imbriqués entre chaque instrument, l’un vis-à-vis de l’autre. Chacun accède à la prépondérance d’un instant à l’autre. Variantes, répétitions, insertions, interruptions, relais, échos, unissons, chacune des improvisations collectives autour du quart d’heure s’inscrivent dans une suite mentale et sensible où s’inscrit un renouvellement des sons, des équilibres, de l’approche musicale dans une solution de continuité dans la diversité. Comme si chacun se souvenait de ce qu’il avait déjà joué et proposait d’autres aspects au niveau des formes fugaces et du contenu sonore, mélodique et textural. C’est de toute évidence spontané, mesuré, réfléchi et aventureux. Bref, du grand art où le noyau de base dunmallien (Paul D, Paul R et Phil G) démontre sa capacité à se projeter dans d’autres univers dans une démarche de rencontre. L’occasion, aussi, de découvrir ce magnifique trompettiste, Jonathan Impett avec sa sonorité pure, ses intervalles casse-cou (dodécaphonique) et ses aigus d’une belle pureté qui tranche sur la basse à six cordes de Paul Rogers. Dunmall a restreint son expressionnisme explosif et le guitariste contient l’électricité pour des couleurs nuancées.
Algys Stepanida Borisova – Pavel Fajt Indigenous Lifeforms ILRLP 002 Vynile transparent
Un autre extraordinaire document par sur le label Indigenous Lifeforms en vynile transparent illustrant magnifiquement le chant, la musique et l’expérience humaine de la chanteuse yakoute Stepanida Borisova. J’ai déjà attiré l’attention récemment sur l’album Siberia Extreme d’une autre chanteuse yakoute, Chyyskyrai, en compagnie de Ken Hyder et Tim Hodgkinson paru lui aussi sur le même label Indigenous Lifeforms (ILRLP 001). Pour Algys, Stepanida Borisova est accompagnée par le percussionniste tchèque Pavel Fajt, connu pour avoir travaillé intensément avec sa compatriote, la chanteuse Iva Bittova. Ne croyez pas que la musique de cette chanteuse soit du « folklore » ou qu’elle fasse partie d’une tradition codifiée et surannée. À l’écouter attentivement, on est convaincu qu’il s’agit d’une expression authentiquement contemporaine, audacieuse par ses techniques vocales et l’intensité de son port de voix et des inflexions organiques de son chant issu tout droit de la communion avec les esprits et du vent glacial qui souffle dans les forêts impénétrables de sa Yakoutie natale. Cette république sibérienne de la Fédération de Russie se situe à l’extrême Nord Est du continent asiatique pointant vers les rives des banquises de l’Arctique. Une des régions les plus froides du monde.
Sa musique est inspirée par le chamanisme et la spiritualité des Sakha. Pavel Fajt et ses percussions très variées s’insèrent parfaitement avec la chanteuse : il a absorbé les rythmes décalés et tournoyants de cette musique avec un magnifique dynamisme et un grand respect pour l’expression vocale de cette chanteuse exceptionnelle. Stepanida Borisova est une chanteuse et actrice au Théâtre Sakha à Yakutsk , la capitale de la Republique de Sakha-Yakutia, en Sibérie du Nord. Sa grande réputation comme chanteuse et maestra de l’improvisation lyrique Tojuk , un style improvisé basé sur la narration épique traditionnelle Olonkho et Algys, un genre sacré, font d’elle une artiste incontournable dans la culture et la musique de cette partie de la Sibérie. Le Tojuk a deux styles fondamentaux, le dierettii yrya chanté de manière mélismatique et florissant, et degeren yrya, un chant rythmique et mesuré, exécuté sur des métriques spécifiques. Ces deux styles utilisent les ornements avec effets de glotte kylsakhs . Stepanida est à la fois experte du repertoire Sakha de l’ère Soviétique and et championne de l’antique idiome improvisé and spirituel de l’ olonkho et du chant chamanique. Dans cet album Algys, Stepanida Borisova exécute avec passion un épisode complet d'Algys. Du point de vue de l’auditeur Européen, on est frappé par la puissance vocale, expressive, comme si c’était un esprit invisible qui parle et anime le corps et la voix de la chanteuse. Ses inflexions très spéciales la rapprochent du courant des vocalistes contemporaines qui transforment la voix humaine pour la faire renaître dans une nouvelle dimension son ore et imaginaire / imaginative. La dynamique rythmique de Pavel Fajt imprime un surcroit d’authenticité dans les moindres détails de ces frappes, sons et cadences. Plus qu’un album réussi , une véritable tranche de vie, une expérience humaine exceptionnelle !!
Pour le commander veuillez attendre que son éditeur l'installe sur le compte bandcamp d'Indigenous Lifeforms : https://indigenouslifeforms.bandcamp.com/
Als ik niets meer van de kano zie Frédéric Leroux Frans Van Isacker Kris Vanderstraeten aspen edities.
https://aspenedities.bandcamp.com/album/als-ik-niets-meer-van-de-kano-zie
Un superbe album vinyle avec pochette art abstrait colorée pour un trio d’improvisation méticuleux, coloré et chercheur de sonorités et d’actions interactives introspectives. Du point de vue sonore – hi-fi, la prise de son est parfaite, très professionnelle et il ne pouvait en être autrement, tant leur musique d’improvisation libre n’existe et ne se réalise auprès de celui qui écoute par une audition intense et attentive du moindre détail des sons, des touchers, des textures, des résonnances. Frédéric Leroux manie sa guitare avec la même distance oblique et cette suprême attention à la qualité du toucher, de l’orientation du plectre, de la dynamique et du maniement précis des pédales électroniques dans des cycles de spirales échancrées et fragmentées auxquelles s’accrochent et oscillent le souffle appliqué et accentué « anti soliste » de Frans Van Isacker, un as du sax alto qui a une connaissance approfondie et experte du jazz moderne et des spécificités secrètes de son instrument. Il évite soigneusement de s’envoler en gesticulant dans les harmonies complexes comme il le ferait s’il jouait le jazz post bop « and beyond » pointu à la Tristano – Konitz dont il est un véritable expert. Il plie ses notes comme s’il tordait le tuyau à la sortie du bec… Le but ultime et unique de leur musique est l’écoute mutuelle et la création collective dans l’instant dans la simplicité et la complexité conjuguée. Et pour ce faire, la participation à la fois discrète et astucieuse du percussionniste « bricoleur » Kris Vanderstraeten est indispensable. Celui-ci explore les surfaces de ses instruments que nous qualifieront d’hétéroclites, « fait-maison », assemblés de bric et de broc avec des objets recyclés, du brol en Bruxellois. Il s’agit en fait de la méta-batterie jouée dans une optique où les bruits de toutes natures sont intégrés au discours musical fait de notes et éventuellement d’harmonies révélées par cette écoute attentive qui fait découvrir à l’auditeur des aspects magiques auxquels les improvisateurs eux-mêmes n’avaient pas imaginés ou ressentis. Frédéric, d’ailleurs, adapte des tiges ou fils métalliques au travers des cordes faisant osciller une sonorité métallique irisée et chevrotante qui illumine les crissements sur les cymbales de son collègue. Au fil des morceaux, assez courts en général, le souffleur et le guitariste introduisent des éléments formels et sonores nouveaux alimentant l’exigence de l’ auditeur, multipliant la variété des climats dans lesquels l’imagination du percussionniste se laisse aller à ses délires favoris. Il tape peu sur ses peaux (mode pulsatoire banni !), mais agite, frotte, gratte et titille les objets et accessoires ou actionne éventuellement des roulements improbables sur ses ustensiles amortis et métaux curieux… Cette pratique musicale se situe aux antipodes de la lingua franca du free-jazz. Intuitive Music ? Fourrez-les sous les étiquettes drone, soft- noise, ambient, soundscapes etc… si ça vous chante… Je n’hésite pas à dire que leur musique est un modèle du genre et, au niveau de la Belgique, un des groupes les plus représentatifs d’une manière radicale d’improviser issue de ces temps lointains où des groupes légendaires, AMM, M.I.C. (ques aquo ?), Iskra 1903, etc… effrayaient les suiveurs inconditionnels du free-jazz le plus agressif. J’ai acheté les files digitaux de l'album pour 10 euros, mais je ne peux résister à commander leur vinyle quoi qu’il m’en coûte. Fantastique !!
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......