Seattle Symphony Joe Mc Phee solo LP KYE 47
Une belle et fascinante suite pour Bill Dixon en trois mouvements à la Face A , composée et jouée à la trompette de poche par Joe McPhee. Cette suite est suivie à la Face B par For Fred Anderson en trois autres mouvements 4, 5 et 6.
Joe Mc Phee est un artiste qui (il le reconnaît lui-même) est sur-documenté discographiquement et certains albums, à mon avis n’apportent pas grand-chose à sa musique. Mais pour obtenir cette superbe et audacieuse Face A de cette Seattle Symphony en solo, on jetterait volontiers un bon paquet de CD’s. Face à lui-même et au silence, Joe McPhee vient ici à l’essentiel. Face A , il commence à faire grogner sa trompette de poche puis un souffle minimaliste sursaute en explorant les registres sonores extrêmes, des multiphoniques, des harmoniques, des suraigus en soufflant très fort ou à peine. Il émet ensuite des sons étirés, aériens, éthérés qui semblent planer dans l’espace ou s’affaler en glissant dans un grave subaquatique. En tête, McPhee a mémorisé quelques schémas , des embryons de mélodies, des techniques, des fragments de voix instrumentales qui s’échappent du silence comme un espoir, une prière, une idée. Cela me semble à la fois planifié et susceptible d’être chamboulé à tout instant. Dans le free-jazz contemporain, on aime faire des hommages à des musiciens légendaires, sans doute pour faire de la copie. Mais dans le cas de Joe McPhee, on ne pouvait rien trouver de plus adéquat pour honorer la mémoire de Bill Dixon (1925-2010) que son hommage figurant sur l’entièreté de la Face 1. Le troisième mouvement tient dans deux ou trois notes qui font vibrer l’air dans le pavillon et quelles notes ! Au fil de l’énoncé de la pièce, une puis deux et trois notes viennent s’ajouter avec un écho mystérieux joué par le souffleur en temps réel. L’efficacité de la plus profonde simplicité. Pour finir, des bruissements rares,… des déchirements dans la colonne d’air… ,des éclats forcenés. Une pièce d’anthologie !
Face 2, Joe au saxophone nous rappelle qu’il fut un aylerophage, mais aujourd’hui mâtiné de Roscoe Mitchell. Pas une question de « copier » Roscoe , mais seulement d’être sur une longueur d’ondes similaire. D’emblée, il aborde le saxophone comme une machine à découvrir des sons et des émotions. C’est de suite émouvant et pas du tout « tape à l’œil et l’oreille », plutôt initimiste, comme s’il nous parlait intérieurement. Le travail en multiphonique garde son côté candidement ludique et assez aléatoire. Le deuxième morceau est plus franc, affirmatif et tranchant, mais son approche est toujours aussi pudique, et « auto-contradictoire » . Il prend spontanément le contre-pied de ce qu’il vient d’affirmer. Non seulement il y a l’imagination, mais aussi une facilité déconcertante de passer du coq à l’âne avec le naturel d’une confession la plus sincère . Qu’entends-je ? Un morceau où intervient des séquences en respiration circulaire citant brièvement mot à mot une trouvaille de son collègue Gianni Gebbia, un saxophoniste qu’il faut avoir absolument écouté. Dans les notes de pochette, Joe explique qu’il aurait aimé jouer du sax ténor pour rendre homage à Fred Anderson, mais comme le sien était en réparation, c’est avec un sax alto qu’il avait joué pour Fred, légendaire saxophoniste ténor de Chicago et membre fondateur de l’AACM. Dans un autre morceau très court, il évoque encore Roscoe Mitchell. Et toujours cette simplicité qui fait dire l’essentiel à un brin de ritournelle très adroitement gauchie et jouée pour contenir l’expression d’une vie intérieure intense. Même si cette face B au sax alto est moins fascinante que la Face A , elle est un sérieux bonus pour emballer ce chef d’œuvre intemporel à la trompette. Magnifique !
PS : KYE est le label vinyle de Graham Lambkin , un artiste électronique etcétériste entreprenant et ayant enregistré avec Joe Mc Phee, Keith Rowe et Jason Lescalleet. Le label a aussi publié un LP réunissant McPhee Raymond Boni et Jean-Marc Foussat. L’album date de 2017, mais comme je n’en avais jamais entendu parler et que je viens d’en trouver une copie chez mon ami Benoît de Kosmic Music Rue des Pierres à Bruxelles, j’en profite pour vous communiquer mon impression.
À la suite d’un déménagement il y a quelques années, je n’avais pas ré- installé mon lecteur de cassette JVC des années 80 ( !) faute de place. Je le fis plus tard, mais la présence de deux cassettes d’Anton Mobin en duo et remises il y a des années m’échappa. Je profite de l’arrivage tout récent de cassettes avec Benedict Taylor, Daniel Thompson et Tom Jackson pour réparer cette lacune.
Anton Mobin & Gabriel Lemaire GLAM Middle Eight Recordings Cassette 2018 AABA #11 – 50 copies.
https://middleeightrecordings.bandcamp.com/album/glam-aaba-11
Milles excuses, donc, d’être aussi en retard pour chroniquer cette discrète cassette produite par Anton Mobin artiste sonore – improvisateur – constructeur d’instruments amplifiés, les chambres préparées. Nous le trouvons ici en duo avec le saxophoniste Gabriel Lemaire (sax alto, baryton et clarinette) un jour de 2017 à la Médiathèque d’Orléans. Une chambre préparée d’Anton Mobin est une caisse en bois ouverte sur la face supérieure et contenant des fils, ressorts et pièces métalliques amplifiées par micro-contact. On songe à l’esprit d’invention de Hugh Davies auquel le travail d’Anton Mobin se réfère. L’enregistrement réalisé par Aurélien Claranbaux a été mixé par Anton lui-même sans effet ni , me semble-t-il de tentative de monter le niveau ou de forcer afin sans doute d’être fidèle à l’action enregistrée. Le souffle du saxophoniste requiert des fréquences discrètes , la matière du souffle avec des effets subits de clapets, des boucles avec une sonorité translucide ou de menues harmoniques que transgressent deux envolées d’un bref crescendo venteux. Son acolyte développe minutieusement sa démarche bruitiste du bout des doigts, ça glisse, les ressorts vibrent et crissent, les fils font trembler des notes mouvantes, incertaines, ça grince, ça gratte. Les deux faces A et B sont mystérieusement chiffrées : 2031 et 2434. Au fil de l’improvisation le saxophone baryton se meut dans l’espace, parsème des notes tenues ou flottantes. J’ai entendu Anton Mobin dans des séquences tendues et animées, on le découvre ici rêveur, à l’écoute.
Lionel Martin et Anton Mobin MALM Middle Eight Recordings / Ouch Records Cassette 2019 K001/1 AABA#17
https://middleeightrecordings.bandcamp.com/album/malm-aaba-17
Enregistré en 2018 à Orléans au Studio de la Borde, MALM met en présence le saxophoniste ténor Lionel Martin et le spécialiste des « chambres préparées » , Anton Mobin dans une belle empoignade improvisée radicale. D’emblée le saxophoniste embouche son bec en pressant sur l’anche pour pressurer la colonne d’air avec une vigueur bruissante qui nous fait oublier le timbre et les caractéristiques de l’instrument par plusieurs techniques de souffle hors des sentiers battus. Anton s’en donne à cœur joie à gratter et faire trembler ses fils de fer tendus, ses ressorts attachés à la caisse rectangulaire de sa « chambre » manipulant, gratouillant et frottant les appendices de cette boîte résonnante amplifiés sourdement par des micros contacts. Frictions, picages électroniques, bourdonnements, infra-basses, bruitages discrets ou déchirants, toute une gamme de sonorités qu’il musicalise et dans lesquelles le souffleur a bien du plaisir à s’insinuer. Voici encore un bon exemple d’un appareil à bruits musical interférant avec un instrumentiste audacieux.
The Tape Dunning / Taylor/ Thompson a new wave of jazz nwoj0057 cassette
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/the-tape
Crûment, the Tape. Benedict Taylor un altiste (violon alto!) classieux et son acolyte guitariste acoustique Daniel Thompson sont ici confrontés à un bruitiste affirmé , Graham Dunning , crédité turntable, dubplates, spring reverbs. Enregistré au festival A New Wave of Jazz dans l’incontournable Hundred Years Gallery d’Hoxton (London) en Février 2020 juste avant le début de la pandémie. Après un bref prélude sonore hésitant où chacun prend la mesure de l’autre, la musique décolle. Daniel Thompson suspend ses zigs-zags fragmentés en plein vol et Benedict Taylor alterne attentes crissantes et sursauts tournoyants alors que Graham Dunning intervient de différentes manières , caverneuse, sifflante, abrasive, sourde avec un de ses engins – allez savoir lequel. Une éternité de questions, de tentatives, de soubresauts, de hoquets pointillistes et de spirales de glissandi infimes et des réponses toujours reportées, tant le Dunning rétorque avec des sons hantés et insaisissables. L’imagination instantanée et l’instinct de Taylor est remarquabale. Mais voici que le lecteur JVC émet un gros CLAC abrupt qui semblerait faire partie de cette improvisation insolite. Part One ? Part Two ? Une pour chaque face de cette cassette mystère. Rien n’est indiqué sur la cassette, car peut-être sont-elles interchangeables. Donc après le CLAC de fin , une improvisation parfois plus offensive de l'altiste et du guitariste. Probant. Évaluer cette musique, en chercher les intentions ? Elle fait réfléchir et force l’écoute, sans qu’on puisse en dire que c’est une merveille. Réfléchir.
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......