Maggie Nicols & Mark Wastell And John Confront Recordings confront core series 28
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/and-john
And John. John ? Il s’agit du batteur John Stevens, visionnaire du Spontaneous Music Ensemble (avec Trevor Watts, Evan Parker, Derek Bailey, mais aussi Roger Smith et Julie Tippetts parmi pas mal d’autres. La chanteuse Maggie Nicols, alors très jeune (oie blanche) chanteuse de standards et danseuse de claquettes, se fait un soir aborder par un grand escogriffe barbu allumé lors d’une de ses prestations chantées dans un bar Londonien. Son interlocuteur se présente : « John Stevens, batteur. J’ai besoin d’une chanteuse dans notre (mon ?) groupe, le Spontaneous Music Ensemble et vous etc… » . Mise au parfum assez vite des méthodes créatives plutôt cryptiques du maestro et de son lieutenant, le patient et pragmatique saxophoniste Trevor Watts, elle s’implique enthousiaste dans leurs sessions – ateliers journalières. On est en 1968 et comme l’a raconté Trevor, Maggie avait encore du travail à accomplir. Mais très vite, les gigs s’enchaînent, et une invitation mène le Spontaneous au premier Total Music Meeting (futur FMP) à Berlin en novembre 1968 (Stevens, Maggie Nicols, Carolann Nichols et Watts). Durant leur concert, rien moins que John McLaughlin s’invite sur scène. Il y a le tentet de Brötzmann avec Evan, Bennink, il y a Sony Sharrock, Pharoah Sanders, Lol Coxhill et Alexis Korner etc… Ensuite session pour un disque publié par Giorgio Gomelsky avec Johnny Dyani à la contrebasse, ‘Oliv’ et réédité par Emanem en CD. Une face A en quartette et une face B où s’ajoutent Kenny Wheeler, Derek Bailey, Peter et Pepi Lemer.
Pour Maggie Nicols, cet apprentissage avec John et Trevor est crucial.
Pour ces deux session / concert enregistrés à la Hundred Years Gallery les 28 janvier et 29 juillet 2022 par Graham Mc Keachan, Mark Wastell a sélectionné plusieurs instruments de percussions et quelques cymbales ayant appartenu à John Stevens et Maggie est créditée voix, taps et hand percussion. Très jeune, Mark a assisté à des concerts du Spontaneous Music Ensemble dans sa phase finale avec Roger Smith et Nigel Coombes, et peut-être John Butcher ou Neil Metcalfe. Son trio IST a enregistré un morceau en hommage au légendaire batteur (Ghost’s Notes/ Bruce’s Fingers)
Deux morceaux : And John (18 :22) et Such a Beautiful Place (38 :58). Mais rien ne nous prépare à une telle performance que ces références de Spontaneous Music Ensemble, John Stevens, Trevor Watts ou la Maggie Nicols du trio Les Diaboliques (avec Joëlle Léandre et Irene Schweizer) ou les groupes de Wastell (IST ou Sealed Knot). Le long morceau de 39 minutes, Such a Beautiful Place commence par ce qui ressemble à un exercice sonore préparatif à l’improvisation libre comme les a conçus John Stevens pour le Spontaneous et leurs ateliers ouverts. Maggie Nicols les a repris à son compte dans ses propres ateliers catalysant l’énergie créative de chanteuses, artistes et musiciennes. Dans Such a Beautiful Place, une phase d’introduction avec une ou deux notes tenues à la voix grave et la vibration de gongs se développe graduellement vers le cœur des échanges. Le « style » vocal de Maggie Nicols puise à plusieurs sources et pratiquesmusicales : Webern, berceuses cosmiques, chants de Pygmées, d’Inde, folklores imaginaires, free jazz, inspiration celtique et tout est soigneusement mélangé, interconnecté, leurs références directes s’estompant grâce à une imagination débordante, spontanée et à un dosage savant de leurs apparitions dans le fil ininterrompu de l’improvisation. Cela semble aussi léger qu’une plume et c’est le produit d’une énergie colossale, une puissance irradiante qui soulève les montagnes. Avec Mark Wastell, improvisateur multiforme subtil et très expérimenté aux confins de tous les ismes des démarches improvisées, Maggie Nicols trouve les éléments sonores favorables à son envol. Souffles vibratoires d’un tam-tam, effets d’enclume sur un résonateur en bois, friselis métalliques qui s’étale en douceur, frappes sèches sur cymbales amorties, un jeu simple et organique à l’écart du batteurisme à roulements mais qui favorise la création d’un macrocosme solaire, un rituel magique. Leurs échanges en parallèles transitent du hiératique retenu vers une expression intérieure tellurique, libération des esprits et des corps d’animaux assoupis au fond de la jungle de la forêt primitive. Ils s’éveillent, murmurent, nous appellent, crient au ciel, feulements, extrêmes aigus, déploiements de la gorge, sifflements des langues, explosions de la bouche, battement frénétique des cordes vocales stoppées héritées du Tahrir persan ou du Dhrupad hindi. Rebelle. Babil de l’enfance éternelle. Fracas métallurgiques, fouaillements de quincaillerie mystique de Wastell qui se dépense sans compter. La poésie universelle de Maggie à son zénith - car, ici elle est livrée, à son sort, être féminin et ballerine de cour des miracles - plonge son partenaire dans la transe. Cosmogonie du désir. Utopie libératrice des échanges humains. Plus que ça, tu meurs. Les nuages de la grisaille du quotidien sont balayés inexorablement par le bleu ciel de l’amour. Et le savoir-faire vocal est renversant : pouvoir improviser en créant et recréant constamment durant les 39 minutes d'un seul tenant en utilisant et transcendant toutes les possibilités physiques, sonores, mentales et culturelles de la voix est un pari fou pour une ou un chanteur/teuse même super expérimenté(e). Demandez à Phil Minton, Jaap Blonk ou Benat Achiary !! Dans les dix-huit minutes d'And John, tout est dit en sélectionnant le meilleur ! Bienheureux Mark Wastell pour nous offrir ce joyau, le fruit de toute une vie.
Revenons sur terre : cent copies pour quelques dizaines de minutes miraculeuses, c’est trop peu ! Que chaque label « important » qui cultive des prétentions universelles grâce à un travail méritoire, prenne sa part du culte. On imagine que tour à tour, InTakt, No Business ou Fundacja Sluchaj prennent le relai et préservent la disponibilité de ce talisman sonore en l'incluant dans leur catalogue pour maintenir la flamme.
Si vous devez posséder ne fût-ce qu’un seul CD récent de « musiques improvisées libres » , « And John » est le (ou un des) meilleur(s) choix.
Maggie Nicols est une artiste pionnière de la voix aussi essentielle et influente que les icônes de la galerie des ancêtres : John Stevens, AMM, Evan Parker, Paul Rutherford, Lol Coxhill, Derek Bailey, Paul Lovens, Barre Phillips, Eddie Prévost, Han Bennink, Fred Van Hove, Peter Brötzmann, Phil Wachsmann, Cecil Taylor, Albert Ayler, Steve Lacy, Irene Schweizer, Trevor etc… Son travail est nettement (beaucoup) moins documenté que ceux de ses pairs (ou son amie Joëlle Léandre) et ce merveilleux CD est sans doute la plus belle pièce à conviction de son art avec l’apport crucial de la foi de Mark Wastell, responsable d’un label miraculeux qui n’a pour ambition que la création musicale pure sous toutes ses formes les plus étonnantes.
Brecht Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Nuno Torres Dirk Serries Creative Sources CS766CD
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/brecht
Enregistré en novembre 2022 dans une chapelle de Brecht (pas Bertold !) lors d’une tournée du trio portugais du saxophoniste Nuno Torres et d’Ernesto et Guilherme Rodrigues, excellant respectivement à l’alto et au violoncelle, lesquels ont abouti dans ma série de concerts d’improvisation à Bruxelles le lendemain, ce quartet remarquable est gratifié d’une excellente prise de son et de la présence discrète et efficace du guitariste Dirk Serries, infatigable activiste de la cause improvisée (label a New Wave of Jazz). Il a affaire ici à des géants de l’activisme alternatif dans leur pays, le Portugal : il suffit de lire le n° du catalogue de leur label Creative Sources attribué à cette perle incontestable : CS 766 CD. 766 références d’albums de musique improvisée radicale, minimaliste ou sonorageuse, abrasive ou hyper-subtile. S’ajoutent à cela une multitude de groupes (Variable Geometry, String Quartet, G.I.O. IKB etc..) et de collaborations internationales dont Ernesto est le catalyseur – organisateur, des centaines de concerts qui fédèrent une des scènes les plus actives dans le monde, celle de Lisbonne. Mais toutes ces accolades ne peuvent vous préparer à l’écoute de ces merveilleuses improvisations : cristallines, fouillis de cordes, souffles discrets en phase, dynamique des cordes frottées, crissées, grondantes ou hululantes d’harmoniques filantes, insertion d’arpèges insolite du guitariste. Nuno Torres incarne le parti pris du camouflage intégral du souffle anche contre colonne d’air cuivrée qui s’agrège aux vibrations sonores des cordes frottées, alto au bec soufflant vs alto à l’archet aiguillonnant qu’on peine à distinguer l’un de l’autre. Ou est-ce la projection des croisements de notes du violoncelle avec son petit frère ? L’empathie du père et du fils, Ernesto et Guilherme, est sidérante. Comme rarement, elles se complètent comme les cinq doigts d’une main par toutes leurs sonorités. Moirage sauvage et nuancé à l'extrême, ionisation des timbres, des couleurs, dosage infini des densités. Dirk Serries les suit à la trace sans surjouer et faisant ce qu’il faut en pointillé, en ombragé, mettant les pointes sur les voyelles pour les gauchir, épaississant légèrement le trait. Saxophoniste discret, Nuno Torres cache bien son jeu, mais est entièrement concerné par le son d’ensemble de ce quartet d’exception qui se révèle par la haute qualité d’écoute mutuelle et l’invention hyper collective. Pas de solos ni d’accompagnement. Des compositions instantanées de haut vol dont l’ombre hante les recoins de la chapelle Oude Klooster à Brecht, village rural situé au nord d’Anvers et qu'on retrace avec une avide écoute attirée par leur sens de la dynamique immaculé et une inventivité palpitante.
Ângulo-Flama João Madeira Paulo Galão 4DA records 4DRCD001
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/ngulo-flama
Singulière musique de chambre pour contrebasse et sax ou clarinette enregistrée pour le premier numéro du catalogue 4DA Records. Le contrebassiste João Madeira est un pilier incontournable de l’importante scène improvisée portugaise, proche d’Ernesto et Guilherme Rodrigues, Jose Oliveira, Hernani Faustino, Miguel Mira etc… Paulo Galão est muni d’un son onctueux et d’une vive articulation à la clarinette avec une préférence pour un jeu feutré et mélodique free tout en nuances, et souffle précieux et léger au saxophone. Les duettistes nous offrent six improvisations de durées moyennes entre 6 et 8 minutes dans lesquelles ils contournent adroitement les lignes et courbes de chacun d’eux en suivant chacun leur cheminement tout en se complétant sur la bande en ellipses et tangentes. Leur musique oscille, balance (Palavras sem Boca) ou s’insinue au bord du silence (Morder Bruma) en se transformant d’une improvisation à l’autre. Ils ont fait le choix de la douceur des matins blêmes et des fin d’après-midi où l’on contemple les rayons du soleil raser les feuillages des buissons. Réserve et retenue, émotion rentrée sont les maîtres mots Fraîcheur, spontanéité, joliesse ou beauté. Poésie de l’indicible. L’archet est maintenu et actionné de mains de maître par un Madeira inspiré et son pizzicato a une belle puissance qui fait vibrer l’âme du gros violon. Belarmino est la belle pièce où Galão, secret et palpitant nous ouvre le fond de son cœur à la clarinette. Ângulo Flama qui donne son titre à l’album imprime une cadence à la contrebasse frottée avec une superbe dose d’harmoniques, sa part de mystère et quelques notes tenues par le souffleur. Voilà un bel album à écouter pour le plaisir de contempler un ouvrage bien fait qui vient du cœur. Comme je l'exprimais plus haut à propos de Brecht, la scène portugaise a énormément à offrir à ceux qui veulent bien suivre leurs parutions sur ces micro-labels inspirés et les incontournables Creative Sources et Clean Feed
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......