Kay Grant & Daniel Thompson quite pleased to be playing under a birdcage, that doesn’t have a bird in it Empty Birdcage EBR008
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/quite-pleased-to-be-playing-under-a-birdcage-that-doesnt-have-a-bird-in-it
Quoi dire au sujet de cet album en duo, les deux improvisateurs étant très contents qu’il n’y a pas d’oiseau dans la cage vide. Cela me fait penser à l’hymne régional wallon de la petite gayole où il est question qu’« elle me l’avait toudi promis, une belle p’tite gayole » et « quand mon canari saura t’chanter, il ira vîr les filles » etc… La gayole du guitariste Daniel Thompson, elle est vide (Empty Birdcage, le nom du label), car lui et la chanteuse Kay Grant ont trop d’imagination et de sens de l’improvisation pour se laisser enfermer dans une grille ou un quelconque format, fut-il improvisé. C’est toute une vie et des émotions qui se dévident dans le babil et les inventions vocales de Kay Grant éperonnées par le jeu saccadé en fil barbelé de Daniel Thompson. L’album fut enregistré au Catford Constitutionnal Club à l’invitation d’Adam Bohman, l’objétiste maniaque qui est aussi le plus grand fan de ses collègues quels que soient leurs visions de l’improvisation, et au légendaire Mopomoso de feu John Russell. Deux sets de plus de vingt minutes car on vient aussi écouter les autres copains conviés à la soirée.
Certains diront sans doute que Daniel Thompson a puisé son inspiration chez John Russell ou le Derek Bailey acoustique. Mais pour quelqu’un comme moi qui ait passé le plus clair de sa vie à écouter l’un et l’autre et si le matériau sonore de base et une certaine pratique de la guitare sont largement partagés par les trois guitaristes, il est évident que Daniel Thompson joue du Daniel Thompson avec une réelle maîtrise et une invention sonore instantanée qui musarde autant qu’elle synthétise. Intervalles abrupts, clusters expressifs, escaliers d’Escher, trompe l’œil harmoniques, coups de griffes métalliques, grinçants, cavalcades en zigzag ou ballade interrompue par l’écoute, frémissements des cordes frottées ou crissées. On le reconnaît immédiatement par ses obsessions et son mordant, sa rage. Avec la chanteuse Kay Grant, il a établi un rapport direct, une télépathie immédiate, une intense communauté d’intérêts au point que leur duo va devenir un réel pôle d’attraction. Kay Grant n’est pas une diva ou une passionaria débordante, ou emphatique - elle ne crie jamais - mais la détentrice fidèle d’un art secret du partage inventif et de la communion introspective, avec un sens de la méthode et du dosage qui colle au temps de l’improvisation comme la plus belle conversation entre amis. Sens de l'épure sans emphase. Elle a le chic de glisser une ritournelle imaginaire par-dessus le motif répété en accords brisés de son partenaire. La suggestion, l’effort opiniâtre du moindre instant où son gosier éclate, sa glotte crie, ses joues sussurent, ou croassent contre le micro. Bruits de bouche, jargons insaisissables, aigus flûtés, voyelles concassées, miasmes gutturaux, mélopées venues de l'inconnu, tout a la marque de l’intime. Sa qualité d’écoute est phénoménale. Sa voix ne s’élance point dans l’espace avec des tirades entendues, mais lutte point à point, chaque nano-seconde après-chaque nano-seconde pour faire coïncider ses interventions très précises aux signes ésotériques de son acolyte guitariste avec autant d'indépendance que de fidélité. Celui-ci transforme sa guitare à coups de picotements, de raclages, de frictions déjantées, de sourdines improbables, d’harmoniques libératrices, avec une vigueur spasmodique ultra ludique et extrême ou un balancement désenchanté. Leur musique est déjà parvenue à un achèvement remarquable. Mais que dire alors de leur dernier concert londonien du dimanche 5 février dernier où je les avais moi-même invités à se produire à l’ iconique Hundred Years Gallery après notre quartet (Casserley, Marzan, Wachsmann , Van Schouwburg) ? Leur magnifique duo était alors passé dans la dimension supérieure, plus intense, plus construit, plus concentré et émouvant. Présente, Armorel Weston, la chanteuse qui avait fixé les premiers gigs de John Stevens, Trevor Watts et cie au Little Theatre Club vers 1965 et suivi les débuts de cette scène « légendaire » parmi les premières dont Maggie Nicols trois ans plus tard. Armorel a alors ajouté par son écoute et sa présence irremplaçable ce déclic magique, celui de l’entente parfaite. Venir à Londres pour découvrir cela et notre trio avec Dan et Roland Ramanan au Boat Ting qui tangua alors avec le sourire complice de Kay Grant, auditrice. Inoubliable !
Et quel bel album !!
Schnellissimo Matthias Boss & Marcello Magliocchi Plus Timbre
https://plustimbre.bandcamp.com/album/schnellissimo
Duo violon et percussions super fins par deux orfèvres de l’improvisation libre. Peut – être n’avez-vous jamais ouï dire de ce phénomène du violon Jurassien Bernois, Matthias Boss. Mais ses collègues et les auditeurs avisés qui l’ont entendu dans de bonnes conditions , eux , s’en souviennent. Et quand Matthias est confronté à son alter-ego percussionniste des Pouilles, Marcello Magliocchi, vous tenez là une conversation musicale de très haut niveau créatif improvisé contemporain. On voyage à la même latitude d'excellence des duos de Philipp Wachsmann avec des percussionnistes comme Paul Lytton, Roger Turner et Martin Blume, que Philipp a publié sur son excellent et légendaire label Bead Records.
Ce qui frappe dès le départ, c’est la qualité du toucher du percussionniste sur tous les ustensiles sélectionnés avec soin de sa mini batterie et sa grande précision. Il faut d’ailleurs le voir (son kit) pour le croire. Le pointillisme décontracté de sa manière fait suggérer au violiniste Matthias Boss des bribes d’interventions ultra-précis dont la dynamique, le centre tonal, les accents, l’action de l’archet et les lambeaux mélodiques dodéca-choses évoluent avec une logique déconcertante d'une fraction de seconde à l'autre. Marcello sollicite sa grosse caisse avec des frappes gargantuesques complètement décalées quelques instants, pour ensuite d’éparpiller avec des baguettes de riz chinoises sur la peau d’un tambourin et des objets métalliques. Glissandi serpentins mus par un lyrisme oriental improbable au violon. Quasiment un moment d’anthologie. La qualité des échanges , leurs variétés de l’opulence à la raréfaction, du striage nerveux et scintillements de la corde aiguë à des flottements de matières percussives puis des frappes résonnantes sur les peaux et les métaux au centre de gravité incertain. Polyrythmie fragmentée, accélérée ou en suspension. Ça peut s’agiter sans demi-mesure avec des cadences infernales multidirectionnelles ou atterrir comme un oiseau sur une fine branche. Aller et retour entre la retenue au bord du silence et une hyper activité éphémère qui polarisent et centrifugent tous les aléas antinomiques, éclatés ou rassembleurs d’une improvisation volontairement décousue où le fil conducteur, le sentier de la gloire s’inscrit par des froissements de feuillages et d’infimes traces au sol au travers d’une jungle sonore qui s’estompe avec nos sens en alerte et que l’auditeur volontaire suivra par enchantement. Voici cinq pièces à convictions d’un duo d’une très haute tenue : un percussionniste et un violoniste exceptionnels par leur métaphores sans pareil. Matthias Boss et Marcello Magliocchi. Fabuleuse merveille.
By Breakfast MUEJL Michel Stawicki Uygur Vural Elisabetta Manfredini João Madeira Luiz Rocha 4darecords 4DACD006
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/by-breakfast
Le nom du groupe assemble les initiales des prénoms de chaque instrumentiste et de la vocaliste, Elisabetta Lanfredini. Michel Stawicki au sax ténor Uygur Vural au violoncelle, Elisabetta voix, João Madeira contrebasse et Luiz Rocha clarinette. Une formation cohérente : deux cordes, une voix et deux souffleurs et des compositions instantanées bien équilibrées où se concentrent l’écoute mutuelle et la juste répartition des énergies et de l’attention dans l’espace. Neuf morceaux assez courts entre deux, trois ou quatre minutes les deux plus longs atteignant 7’34’’ et 7’27’’. Le bassiste João Madeira étant sans doute à l’initiative de cet enregistrement sous la coiffe de producteur et mixeur- mastériseur, il convient de souligner la variété esthétique des excellents projets qu’il présente sur son label 4DAR, tout récemment inauguré. Certains albums comme Cochlea (João Madeira et José Oliveira) se focalise sur un travail en profondeur individuel de la matière sonore et une conception radicale de l’interactivité entre deux musiciens très proches, en l’occurrence un contrebassiste et un percussionniste. By Breakfast, au petit-déjeuner qu’il vienne de quitter lorsque se met en marche la machine enregistreuse face à ce quintet particulier. Il faut avouer qu’avec une telle instrumentation, on aura droit à une musique qui s’écarte des sentiers battus de la free-music, cette zone esthétique où prédomine la présence systématique de souffleurs , d’une contrebasse et d’une batterie. Avec ce présent quintet, de multiples occurrences sonores voient le jour, chaque « idée » ou « canevas » est développé selon une recette particulière. C’est le moment de découvrir le travail orchestral typiquement clarinette basse avec ses scansions irrégulières et ses coups de langue appuyés, effets de souffle qui se joignent dans une belle communion avec les cadences du violoncelle et de la contrebasse, frottements bourdonnants, grincements, archets pressurés, notes tenues, guigues fofolles , interventions millimétrées. Ah le pizzicato puissant de João Madeira, toujours bienvenu au moment opportun, créant l’ossature de plusieurs morceaux avec goût. Le babil sautillant de Elisabetta Lanfredini se mue dans un chant puissant et imposant, un parler chanter inspiré, une comptine improbable ou une incantation tribale. Magnifique. Et les ajouts en demi-teinte de Michel Stawicki : ah il y a un sax ténor ? Et ce final au violoncelle aux airs d’Asie Centrale. Ce musicien a très bien intégré l’esprit de la rencontre. Il y a là une belle activité improvisée d’échange, de partage et d’invention concertée , sans le moindre bavardage et qui force l’admiration entre autres par le renouvellement constant de l’inspiration et l’utilisation subtile de processus compositionnels organiquement intégrés à l’improvisation collective. Super réussite collective.
C/W I N thirty nine fifty five Dusica Cajlan Georg Wissel Etienne Nillesen Acheulian handaxe AHA 2202
https://handaxe.org/album/c-w-n-thirty-nine-fifty-five
Méta-musique millimétrée faite de chocs brefs et résonnants sur l’anche du sax du rebord de la caisse et dans la table d’harmonie, de sons bruissants, de bulles d’air qui affluent lentement dans le tube, de résonnance des cordes du piano à peine touchées ou grattées, timbres en suspension flottant dans la pénombre. Les premières minutes de I (29’08’’). Dusica Caljan est une pianiste distinguée, Georg Wissel est un souffleur maniaque des sourdines insolites à même le pavillon du sax, Etienne Nillesen joue d’une simplissime extended snare drum en lieu et place de batterie. Cette suite de 29 minutes est le lieu et le temps d’un premier remarquable crescendo – decrescendo en intensité du « presque rien » minimaliste à peine audible jusqu’au point de convergence de l’énergie et de staccatos hachés à volonté pour redescendre dans l’intimité de l’intérieur du piano assourdi où murmurent les cordes métalliques quand se soulèvent les marteaux en vague imperceptible sous la férule de la baguette follement hésitante à marteler cette caisse claire fantômatique. Tout autour s’agitent frottements et chuintements dans un tourbillon de feuilles mortes. Cette musique ésotérique suggère une agitation fébrile en deça d’un niveau ostensible de décibels et souvent rejoignant le quasi silence, celui propice à faire tinter le clavier comme il se doit en arpèges sauvages clusterisés. Cette orientation musicale n’est certes pas neuve, mais le grand attrait de ce trio c’est la classe superbe de ses trois musiciens. Il suffit d’entendre le saxophoniste jouer ces larges intervalles post-tristaniens avec une articulation tortueuse et un timbre diaphane transgressé de morsures et de sursauts d’humeur bruitistes qui plongent une fois de plus au bord du silence lorsque les deux autres le rejoignent. L’occasion d’une étrange respiration circulaire à l’anche à peine résonnante et des fétus de sons. En II , 10’47’’ qui concentre tout ce qui vient d'être exposé dans une forme ramassée, concentrée et métamorphique. On se rend petit à petit compte que leurs déambulations sonores interactives débouchent sur des formes – itinéraires maîtrisés avec un sens inné de la navigation, de la suite. Concentrez-vous sur les sons du trio et le jeu de chacun et l’écoute intense vous fera pénétrer un monde secret d’échanges inouïs.
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......