Harri Sjöström Erhard Hirt Phil Wachsmann Paul Lytton Especially for You Bead 47.
https://beadrecords.bandcamp.com/album/especially-for-you
Voici un excellent témoignage d’un concert impromptu, prévu pour la deuxième édition du quartet «XPact », récemment ressuscité autour des trois survivants de ce groupe des années 80, le contrebassiste Hans Schneider, le guitariste « électronique » Erhard Hirt et le percussionniste Paul Lytton en hommage à son fondateur, feu Wolfgang Fuchs, un clarinettiste basse (et contrebasse) exceptionnel et saxophoniste sopranino hyper incisif, remplacé par le saxophoniste Stefan Keune. Keune et Schneider devant s’absenter pour raisons de santé, il fut décidé que le violoniste Phil Wachsmann et le saxophoniste soprano et (sopranino) Harri Sjöström feraient l’affaire. On n’eut pas tort. Lytton et Wachsmann ont très souvent collaboré et enregistré en duo ou en quartet à plusieurs reprises au fil des décennies et Sjöström et Wachsmann firent partie du Quintet Moderne (avec Paul Lovens, Teppo Hauta-Aho et Paul Rutherford) et on retrouve ce petit monde au sein du King Übü Örkestrü, lui aussi revisité récemment dans un splendide nouvel album "ROI".
Une longue improvisation collective d’un seul tenant de 57 minutes séparées digitalement en 4 sections : For You Part One , For You Part Two, For You Encore & For You Lullaby. Erhard Hirt est crédité à la fois « guitar » et « computer treatment » et Phil Wachsmann « violin » et « electronics ». Il y a donc une dimension électronique importante, subtile et très fine durant toute la performance qui peut se confondre dans une quasi-silence et d’étranges murmures ou éclater par-dessus les sons acoustiques du sax ou du violon, le percussionniste agitant discrètement ses baguettes, ustensiles, peaux, cymbales et ses curieux objets sonores, avec frottements, grattages, mouvements, mini-frappes multi directionnelles avec sons sens de la dynamique et sa capacité à laisser l’espace sonore à la portée de ses acolytes. L’improvisation pointue à la British et à la sauce Rhénane se révèle ici dans toute sa splendeur. C’est bien dans cet environnement volatile en perpétuelle métamorphose qu’on trouvera l’aspect le plus radical des circonvolutions les plus étonnantes d’Harri Sjöström, lequel fut membre de groupes de Cecil Taylor (enregistrements à l’appui) et un lyrique duettiste avec le saxophoniste soprano Gianni Mimmo. Il suffit de l’entendre converser en quasi duo avec les frappes disjointes de Paul Lytton ou les extrapolations soniques venteuses d’Erhard Hirt. Si vous aimez un Thomas Lehn, vous pourrez apprécier les incartades obliques et fumantes de Hirt. Le jeu « actif » de Lytton fait songer à une multitude d’objets s’effondrant et ricochant dans les escaliers sans fin d’une tour hantée.
Cachant toujours bien son jeu, le violoniste Phil Wachsmann a un talent fou au bout des doigts pour des pizzicatos étranges au ralenti, des frappes de crin d’archet qui rebondissent pour strier en un éclair des aigus très fins ou suggérer des fragments mélodiques issus d’une imaginaire partition de Webern légèrement enfumée. L’équilibre collectif est volontairement malmené par des disruptions sonores mouvantes, le sax maintenant le cap en sursautant des intervalles distendus, et le percussionniste éparpillant son jeu sur les recoins les plus extrêmes de son kit (« drums » ? mais aussi une caisse métallique contenant chaînes, mini-cymbales, crotales etc…), maniant des objets sur la surface des peaux, les sons les plus imprévisibles étant toujours bienvenus. L’auditeur oubliera de se demander qui joue quoi dans ce capharnaüm ludique, car c’est le but. L’action instrumentale de chacun s’interpénètre avec celle des trois autres de manière indescriptible créant un réseau infini de correspondances, de connexions et de répulsions. La complexité est au rendez-vous avec une tendance camouflage, tour à tour bruitiste, minimaliste, électro-acoustique, sauvage et sophistiquée. Dans cette aventure, l’approche individuelle (individualiste) et le « style » avec ses exploits instrumentaux « virtuoses » sont laissés de côté pour l’aventure collective, l’imaginaire instantané, le délire ... Il y a pléthore d’enregistrements de musique improvisée de nos jours qui nourrissent une lingua franca vraiment reconnaissable, logique, lisible, récurrente… trop sage. Avec ce Specially For You, on entrevoit comment et combien de vieux routiers de l’improvisation libre arrivent à échapper aux lieux communs en égarant notre perception dans un maquis inextricable qui titillera notre curiosité au point de remettre l’ouvrage sur le lecteur.
Ivo Perelman & James Emery The Whisperers Mahakala Music.
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/the-whisperers
On a connu le guitariste James Emery au sein du légendaire New York String Trio fondé en 1977 avec le violoniste Billy Bang et le contrebassiste John Lindbergh. Aussi avec Anthony Braxton, Oliver Lake, Joe Lovano, Gerry Hemingway, Mark Feldman. On le découvre ici sur sa face improvisateur libre impénitent en compagnie d’un partisan invétéré de la liberté totale issue du « jazz libre », le saxophoniste ténor Brésilien Ivo Perelman, connu pour son travail en duo avec le pianiste Matt Shipp et l'altiste Mat Maneri. James Emery prend le parti de jouer exclusivement acoustique avec ses doigts de la main gauche parcourant le manche en tous sens et un plectre vibrionnant. La virtuosité et la précision de son jeu sont plus que remarquables et son sens ludique suit autant le souffleur à la trace qu’il l’aiguillonne, n’hésitant pas à solliciter les extrêmes de son instrument, et chevaucher des intervalles compliqués à négocier, pleins de dissonances et d’extrapolations de figures jazz dilatées ou filantes… Il peut aussi se révéler désarçonnant, outrancier ou fin mélodiste (One et Six) ou un brin humoriste cocasse (Twelve). J’ai déjà chroniqué les duos d’Ivo Perelman avec d’autres guitaristes : Joe Morris, Pascal Marzan et Elliott Sharp et ces deux Whisperersn’ont rien à envier aux autres. Leur entente est merveilleuse. Il est évident qu’Ivo Perelman, tout en étant un inconditionnel de l’improvisation spontanée, est un héritier de tout un lignage du saxophone ténor 100 % jazz : en écoutant la masse de ses enregistrements, il est impossible de ne pas penser à Albert Ayler, Coltrane, Dewey Redman, Archie Shepp et à travers eux, Ben Webster, Don Byas, Hank Mobley, Dexter Gordon, Stan Getz, David Murray… J’entends bien que l’inspiration de ses glorieux aînés se situe au niveau du travail du son proprement dit plutôt que de « copier » leur langage musical. Son usage immodéré du registre suraigu « chantant » vient tout droit des harmoniques chères à Coltrane et Ayler et ses capacités mélodiques très étendues sont inspirées par sa connaissance intime et profonde de ses aînés, …. à la sauce brésilienne (la saudade…). Lui-même guitariste lors de sa prime jeunesse, il eut l’occasion de fréquenter le maître Villa – Lobos et de percer quelques mystères de la musique brésilienne moderne pour guitare, avant de s’adonner au saxophone ténor. L’avantage de dialoguer avec un guitariste est de pouvoir articuler son phrasé avec des écarts d’intervalles multiformes, escaliers insensés de l’univers des harmonies rares et d’ouvrir un champ sonore au moyen de techniques alternatives tout en concluant (Seven) dans un univers plus reconnu basé sur l’alternance entre formes reconnaissables et grands écarts free radicaux . Ces deux – là n’ont pas vite fait de trouver un terrain d’entente évident d’un point de vue mélodique et rythmique qu’ils s’en détachent avec une véritable conviction, usant des nombreux moyens musicaux en alternant et renouvelant successivement « dérapages » free et consensus formel. L’art de la création spontanée immédiate. Dans ce contexte, James Emery a un talent considérable pour naviguer entre deux eaux, rivages limpides bleutés ou turquoises ou mer noire agitée par-delà de redoutables récifs. Une logique inspirée le fait transiter insensiblement ou graduellement de passages lyriques superbement construits vers d’audacieuses déconstructions atonales et autres contrepoints déjantés dans un même élan, jouant à la marelle modalo- dodécaphonique comme un danseur étoile. Rien de tel pour inspirer les trouvailles du souffleur, autrefois connu pour ses harmoniques fracassantes et ses spirales échevelées et expressionnistes, aujourd’hui chantre du clair-obscur languissant, du subtil glissando microtonal et des effets de souffle détaillés, à la fois extraverti coloré et profondeur intériorisée.
Ivo Perelman – Matt Moran Tuning Forks Ibeji digital
https://ivoperelmanmusic.bandcamp.com/album/tuning-forks
Le duo commence comme lors de ce concert au festival de Newport en 1965. « Le matin des Noirs » , le quartet d’Archie Shepp avec le vibraphoniste Bobby Hutcherson publié par Impulse sous le titre New Thing at Newport. Il y avait aussi Barre Phillips et Joe Chambers. Cette référence historique n’est que le point de départ d’un beau duo de jazz contemporain « free » totalement improvisé, flottant, rêveur, idéaliste et tout en nuances. Le point de départ proprement dit du duo est intitulé Gregorian et contient un motif rythmique qui permet de subtils et adroits contretemps. Il s'agit d'un album exclusievement digital publié sur le label d'Ivo, Ibeji.
Six morceaux aux titres évocateurs : Gregorian 07:40, Pythagorean 05 :12 Tesla 03 :10, Schumann 04:41, Fibonacci 5:51 et Rife 8:43. Un court portfolio passionnant où chaque morceau révèle une identité propre. Ayant examiné les paramètres sonores et thérapeutiques des diapasons (Tuning Forks en anglais) Ivo Perelam a eu la belle idée de s’associer avec le vibraphoniste Matt Moran, le vibraphone étant un instrument qui fait plus qu’évoquer la sonorité et le timbre d’un diapason. Je rappelle que Perelman a enregistré deux albums en duo avec feu Karl Berger ( The Hitchhiker & Rêverie -Leo Rds ) : un univers différent. Inclus dans la page bandcamp de cet album, vous trouverez une remarquable étude sur ces magnifiques Tuning Forks sous la plume de Lynn Bailey – The Art Music Lounge et qui vous permettra d’envisager l’état d’esprit et les intentions des deux artistes. Dans cet album, le son du sax ténor d’Ivo Perelman est à la fois plus transparent, plus léger ou plus dense : il flotte dans l’espace au milieu des fins nuages suggérés par le timbre surréel du vibraphone, plus proche d’un verre cristallin imaginaire que d’une lamelle métallique. Les lames de Matt Moran résonnent à l’instar de ces diapasons qu’on aurait capté avec un micro Soundfield. Lorsque les harmoniques perçantes du ténor fusent et partent comme des feux d’artifice brûlants, l’oreille palpe la vibration du cœur, le pouls des lèvres pinçant le bec et « mordant » l’âme de l’anche qui oscille contre nature dans la colonne d’air chauffée à blanc. Des contes de fée ou de sorcières entraînent notre imagination dans un sabbat de langues de feu. Une série curieuse et tout à fait à part du souffle Perelmanien (remis en question) s'épanouit en osmose avec l’imaginaire d’un magicien du vibraphone.
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......