Sestetto internazionale Due Mutabili : Gianni Mimmo Harri Sjöström Achim Kaufmann Veli Kujala Ignaz Schick Philipp Wachsmann Amirani amrn 075
https://harrisjostrom.bandcamp.com/album/due-muatabili
Troisième album de ce Sextet International publié par Amirani, le remarquable label du saxophoniste soprano Gianni Mimmo, après les parutions d’Aural Vertigo (Amirani enreg 2015) et Sestetto Internazionale Live in Munich 2019 (Fundacja Sluchaj). Le principe orchestral pourrait évoquer celui du Marteau Sans Maître de feu Pierre Boulez en tendance free-jazz. Une espèce de structure en miroir d’instruments identiques ou similaires – complémentaires. Deux saxophones soprano (Gianni Mimmo et Harri Sjöström, aussi sopranino) habitués à jouer en duo (cfr Bauchhund et Wells/ Amirani), le piano d’Achim Kaufmann et l’accordéon au quart-de-ton de Veli Kujala : son instrument est « à clavier » comme le piano, mais son souffle pressuré évoque justement le sax soprano, tout comme le violon de Philipp Wachsmann (lequel remplace Alison Blunt, autre partenaire de Mimmo). Il convient de préciser que Wachsmann et Sjöström sont fréquemment partenaires depuis l’époque lointaine du Quintet Moderne. Le violon de Philipp est agrémenté de live electronics, qui, eux créent, des correspondances avec les platines et le sampler bruitiste d’Ignaz Schick qui fait ici office de trouble-fête, si on le compare au jeu méthodique polytonal racé de Mimmo ou au grand piano de Kaufmann. Deux grandes compositions instantanées de 37 :16 (Mutabili I) et de 21 :11 (Mutabili II) créent un subtil univers de transitions – correspondances – dialogues en mutation quasi permanente empruntant à plusieurs démarches improvisées et instrumentales dans une simultanéité tant en face à face que multilatéralement ou tangentiellement. On passe d’un tutti évanescent à un duo sax sopranino (Sjöström) et piano autour duquel flotte les sons relâchés de l’accordéon ou des incursions bruitistes émanant alternativement de Schick et Wachsmann alors qu’un des sax vocalise une note renfrognée. D’une action collective nait les traits sinueux et distingués de Gianni Mimmo auquel finissent par répondre deux touches de piano répétées, des feulements alanguis de l’autre sax soprano et le processing multiplicateur du frottement de l’archet. Les musiciens initient une idée et se retirent peu après, laissant l’espace et le champ d’action à un autre à qui vient la meilleure idée. À un solo explicite répond toujours une intervention qui semble déranger l’ordonnancement d’un vrai concert » . L’aspect sonore « bruissement » est à égalité avec l’invention mélodique quasi webernienne ou lacyienne. Dans le processus ininterrompu, l’auditeur aura parfois l’impression d’avoir entendu quelque chose d’assez semblable auparavant. Mais cet état de fait ne dure que quelques instants car le passage de relais est incessant et nourri par une belle imagination collective. Et quel sens de l’écoute !! C’est d’ailleurs dans Mutabili II que le Sestetto Internazionale se laisse aller dans un véritable momentum d’une rare alchimie en Cadavres Exquis… et aboutit à une superbe empoignade de tous où chacun trouve sa place et semble tirer la couverture à soi tout en laissant des interstices – espaces dans lesquels on entend clairement les autres instrumentistes trépigner tour à tour de plus belle, avant de ramener un calme apparent sous la houlette du souffle tout en circonvolutions de Gianni Mimmo par-dessus les plink-plonk de Kaufmann. Vraiment intéressant et, bien souvent, subtilement fascinant.
NB On retrouve aussi une approche similaire dans les albums d’Harri Sjöström Up and Out et Move In Moers.
Multiple Visions of the Now. Pink Monads : Maria Luisa Capurso Edith Steyer, Céline Voccia Sofia Borges 4 DA Records
https://4darecord.bandcamp.com/album/multiple-visions-of-the-now
J’avais écouté la vocaliste Maria-Luisa Capurso parmi toutes les chanteuses improvisatrices dont j’ai connaissance ou dont je suis régulièrement le travail et nombre d’entre elles sont excellentes et certaines absolument fascinantes (Maggie Nicols, Sainkho Namchylak, Ute Wassermann…). Avec cet album des Pink Monads, Capurso a tiré le beau lot sensible : tout au long de ces huit improvisations, elle invente spontanément des paroles, des textes, des histoires … de la poésie et en anglais ou en italien. À l’instar de Shelley Hirsch, en quelque sorte. Ses paroles, la scansion du texte, sa voix, son émotion est stimulée et aiguillonnée par le beau travail essentiel et discret des trois musiciennes : Edith Steyer à la clarinette (préparée… ?), Céline Voccia au piano et Sofia Borges à la batterie et percussions. La musique instrumentale jouée par ces trois dames inspirées est savamment dosée, expressive à souhait, sans jamais surjouer afin de laisser l’espace sonore et la dynamique suffisante à la voix et aux textes de leur camarade. L’art de l’expression avec des petites touches, des suggestions, une ambiance et un vrai sens de l’écoute…Le responsable du label 4DARecords, le contrebassiste João Madeira, se fait fort de consacrer une série d’albums à la voix humaine, chantée, improvisée, contée ou racontée. Et ces Multiple Visions of the Now qui nous semblent toutes modestes ont l’avantage de « parler » , « communiquer » et communier un état d’esprit, une attitude poétique, un message à quiconque à l’ouverture d’esprit et la capacité à écouter, sentir et découvrir tout un univers. À sa voix et ses textes, Maria Luisa ajoute des « fields recordings ». En 4/ , surgit la voix de Sandya, enregistrée à Casablanca, tournant sur elle-même avec les trois notes d’un mode proche-oriental. Au fil des plages, on goûte le toucher du piano, le souffle contemporain à la clarinette, la délicatesse à la batterie, les vocalises libres, leurs interventions momentanées subtiles et le babil de la vocaliste conteuse, remarquée aussi dans une ritournelle en dialecte du Sud. Un bel album qui vous fera passer un beau début d’après-midi.
Zwosch, Zwosch & Zwosch Carlos Zingaro Guilherme Rodrigues José Oliveira a new wave of jazz anwoj 0059
https://newwaveofjazz.com/portfolio/nwoj0059/
Rencontre au sommet du voloniste portugais Carlos Zingaro, une légende de la free-music, du violoncelliste « encore jeune » Guilherme Rodrigues, lui-même fils de l’altiste vétéran Ernesto Rodrigues, et du percussionniste José Oliveira, un des premiers collaborateurs des Rodrigues père et fils dans « Multiples », le premier album du catalogue Creative Sources cscd 001 – 2001. Ayant reçu ce CD "Zwosch, Zwosch & Zwosch" de son producteur, le très actif guitariste belge Dirk Serries, j’avais cru lire en vitesse qu’Ernesto en faisait partie. Mais surprise ! C’est José Oliveira, un bien intéressant percussionniste, parfait pour ce genre de trio dont les échanges incarnent toutes les mutations et phases de jeu possibles en manipulant les trois instruments : violon, violoncelle et percussions, sous tous les angles. C’est avec un malin plaisir que les deux cordistes évoquent précisément les frappes caractéristiques de rebond sur les peaux et ustensiles et savent s’en détacher avec élégance. Lorsqu’un drone en suspens est joué par le violoncelliste à l’archet, on entend poindre le sifflement du bord de la cymbale (archet, corde frottée ?). L’art de passer d’une séquence sonore à l’autre spontanément, subrepticement ou par contraste subit. Ce concert live at Festival DME @ Lisboa Inconum est joué d’une traite incluant les silences intermédiaires qui relance l’action collective. Dans ce deuxième mouvement, chacun joue son idée et tente le tout pour s’insérer dans celle de l’autre ou suggérer des nuances et une intention : un magnifique duo entre Guilherme R et José O à la fois rythmique libre et ostinati brisés duquel le violoncelliste semble s’évader, puis revient soutenir le percussionniste pour s’effacer discrètement alors que tinte une cloche. Troisième mouvement des pizzicati graves genre contrebasse ouvre l’espace pour la sonorité suave et les arabesques délicieuses de Carlos Zingaro. Les deux cordistes se jouent un contrepoint mutuel par-dessus les sourds et discrets martèlements bancals d’Oliveira sur un tambour assourdi. Effets de cavalcades et coups d ‘archets intenses du violoniste accroché aux trois ou quatre mêmes notes d’une gamme désespérée dont il presse la vibration avec force sur la touche saturant le son alors que le batteur décale les pulsations en frappant hors-temps et désorganisant la cadence vers l’anarchie. Et ensuite … tout se conclut par surprise comme si tout cela n’avait pas existé. Trente-deux minutes évasives d’improvisation ludique véritable qui comprime le temps , la durée autant qu’ils en étendent sa perception et son ressenti. La virtuosité est sollicitée à quelques moments précis et justifiés par la dramaturgie implicite de l’événement musical et s’évanouit face aux émotions, aux qualités de timbre, au plaisir de jouer à l’inspiration du moment immédiat. J’ajouterai que la démarche pointilliste à la fois discrète et joviale de José Oliveira est en phase avec ces deux spécialistes éprouvés du violon qu’il soit « dessus » ou « basse » qui ont tant de choses à se dire et auxquels J.O. a tant à partager, donner et recevoir. Mirifique !
Udo Schindler Peter Jacquemyn Georg Karger Hybride Synergetics (Low Tone Studies) FMR CD674-0423
https://arch-musik.de/project/hybride-synergetics/
Le multi souffleur Udo Schindler, ici aux clarinettes basse et contrebasse + sax soprano, documente massivement ses concerts à travers le label britannique FMR Records. Parmi ses obsessions, les rencontres avec des contrebassistes intitulées (Low Tone Studies). On l’a entendu avec les bassistes Damon Smith , Wilbert De Joode, Peter Jacquemyn, Meinrad Kneer, Thomas Stempkowski, Sebastian Gramss et Georg Karger. Et revoici un trio avec Georg Karger et Peter Jacquemyn aux contrebasses et je dois dire que, si Udo ne maîtrise pas toujours « parfaitement » tous ses instruments (il en joue beaucoup de différents, toutes anches et embouchures confondues), j’apprécie vraiment ses louables efforts aux clarinettes basse et contrebasse comme dans cet album. D’ailleurs, Udo Schindler a enregistré d’excellents duos avec un de mes clarinettistes basse (et contrebasse) favoris, le grand et trop méconnu Ove Volquartz , lequel a le mérite de le stimuler pour le meilleur (Answers and Maybe a Question, Tales about Exploding Trees And Other Absurdities). Alors, ce que j’apprécie dans ces Hybride Synergetics, est cette faculté qu’ont eue cette soirée-là les trois protagonistes à jouer une musique d’un seul tenant, en allant chercher les sons, les faisant vibrer, palpiter, murmurer… Ça grince et grogne joyeusement et gravement. Côté clarinette contrebasse ça graille, avec des harmoniques métallisées gargouillant en pagaille. Un bon point supplémentaire pour Peter Jacquemyn, un phénomène de la contrebasse ensauvagée et expressionniste, qui cherche ici un bon lot de trouvailles : il chante des diphoniques du meilleur effet, les quels passent à travers le micro de sa contrebasse, comme un gros bourdon du Tibet ou un chaman des Monts Altaï. Son enthousiasme est communicatif et celui de Georg Karger apporte une émulation stimulante, affairée dans le bon sens du terme. Un beau travail d’équipe, genre plongeurs de perles aléatoires. Une série de cinq improvisations mystérieuses et graves de sens de longueurs variées, avec deux autour des 20 minutes qui passent sans aucune lassitude une fois notre esprit sur orbite, la féérie de l’improvisation libre de recherche sans rétroviseur se révélant à nous. Grave !!
NB : excellent dessin de Peter Jacquemyn pour la pochette, Peter J. étant un artiste graphique "expressioniste" particulièrement suggestif de l'instantanéité de la musique qu'il pratique avec grand talent.
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