Maggie Nicols Matilda Rolfsson Mark Wastell Semiotic Drift Confront Core Series Core 37
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/semiotic-drift
Mark Wastell de Confront Recordings vient à peine de publier le merveilleux album qui le met en présence de la chanteuse Maggie Nicols : And John (Confront Core 28), que voici une prolongement assez différent de leur précédente collaboration en duo. And John fut enregistré en hommage à John Stevens, l’incontournable percussionniste pionnier de l’improvisation libre, avec qui Maggie fit ses premiers pas d’improvisatrice en 1968. And John est sans doute un de ses enregistrements-clé d’un seul tenant aussi abouti, aussi intime que profond et extraordinairement cohérent. L’émotion et la musicalité rebelle de la voix humaine en accord avec les vibrations sonores et ponctuations rythmiques de Mark Wastell, lui-même par ailleurs, artiste électronique, violoncelliste, contrebassiste « minimaliste » et par-dessus le marché un des producteurs d’albums de nouvelle musique et improvisation (etc) les plus inspirés, ouvert à tous les courants esthétiques possibles qui s’affirment dans l’improvisation libre,l'électronique expérimentale, le free-jazz, l’art sonore…
Avec la percussionniste Matilda Rolfsson, les deux artistes offrent une facette différente et tout aussi sensible par rapport à ce fabuleux And John abordant un tout autre registre. Matilda frappe, fait trembler et gronder un grosses caisse agrémentée d’autres percussions alors que Mark Wastell fait tinter et vibrer des cymbales (ayant appartenu à John Stevens ?) et un tambour sur cadre ; le tout avec des percussions additionnelles, non décrites sur la pochette. La musique développe une approche sonore inhabituelle de la percussion très éloignée de la pratique de la batterie « free » avec ses roulements, rimshots, pulsations libres. On est plutôt dans le domaine d’un rituel sonore, hanté, à la fois délicat (rumeurs scintillantes des percussions métalliques), bourdonnant et grave (la grosse caisse), légèrement insistant et isochrone (le tambour sur cadre), proche des musiques « ethniques » d’une tribu inconnue des archipels australs ou du grand Nord. Allez savoir. On peut supposer que l’intention de Maggie Nicols était de puiser dans de tout autres registres de sa voix et de son extraordinaire musicalité, passant simultanément d’un aigu angélique flamboyant au grave voilé en y imprimant de très précis glissandi. Ce chant qui semble « primitif » est en fait très sophistiqué au niveau de l’émission et de son expressivité jusqu’à ce que s’insère ces superbes Semiotic Drift "parlé - chanté" à travers lesquels elle nous confie verbalement ses émotions – réflexions – détails de la vie de tous les jours, de ses espoirs et désillusions, et, en intime filigrane, son amour des autres. Enregistrement de 34:21 à All Ears, Oslo le 24 janvier 2023. Irrésistible, la grande classe de l’inclassable, l’émotion la plus authentique.
Alex Bonney Paul Dunmall Mark Sanders The Beholder's Share Bead Records 48
https://beadrecords.bandcamp.com/album/the-beholders-share
Trio atypique drivé par un Mark Sanders très inspiré surfant sur la crête des pulsations évoquant le Tony Williams free de notre jeunesse et Tony Oxley avec Alan Skidmore ou Tomas Stanko. Alex Bonney est un superbe trompettiste d'obédience jazz d'avant-garde et un artiste sonore électronique très intéressant jouant alternativement ou simultanément de son instrument à embouchure et de son installation. Paul Dunmall joue ici du sax ténor en adaptant sa démarche aux curieuses sonorités hérissées et crissantes en ébullition de Bonney. Et celles - ci sont superbement diversifiées évoquant des percussions type marimba cosmiques, bongos hésitants ou cloches frappées. Ses belles parties de trompette se joignent magnifiquement à l'improvisation mordante morcelée et brûlante de Dunmall. Celui-ci évite les spirales infinies et ses séquences de triples détachés en fragmentant son discours, afin, sans doute, qu'il puisse écouter les détails sonores ddu jeu de ses deux comparses affairés. Trois pièces minutieusement concoctées avec amour par une équipe soudée, Dunmall et Sanders ayant travaillé ensemble intensivement avec le contrebassiste Paul Rogers et le guitariste Phil Gibbs. Resonance's Refractions (13:09) Arid in Phase (8:22) et Generating World (18:53), soit une quarantaine de minutes, offrant à chaque fois trois propositions spécifiques de la musique de ce trio. Arid In Phase par exemple se concentre sur les battues et roulements de toms de Sanders délimitant l'espace que déchirent les morsures du souffleur suivi par une belle séquence de loops électros fragmentés et brisurés.Sous la pression du drive implacable du batteur Dunmall s'envole dans Generating Worlds en alternance avec le trompettiste . La pédale de hi-hat trépigne vertiginieusement, entraînant les deux souffleurs en de superbes échanges éthérés dans l'orbite de pulsations électrisantes. Voici un bel archétype d'un jazz contemporain hybride qui incorpore à merveille une dimension électronique créative en exacerbant l'ébullience rythmique post Tony Williams - Jack De Johnette. Cet album est à mettre dans de nombreuses mains, car il pourra rencontrer les attentes des publics friands d'électronique expérimentale, sensibles au jazz pointu ou à la recherche de mélanges de genres hors des sentiers battus. Bead Records est un label British fondé en 1974 pour documenter l'improvisation radicale. Sa nouvelle direction développe de nouveaux projets superbement produits et vraiment intéressants qu'il ne faut pas vouloir étiqueter . Au récent catalogue : le flûtiste Neil Metcalfe, le percussionniste Emil Karlsen, l'électronicien Martin Hackett, son fondateur le violoniste Phil Wachsmann, le saxophoniste John Butcher, le contrebassiste Dominic Lash, le saxophoniste Harri Sjöström, le percussionniste Paul Lytton, le guitariste Erhard Hirt. De Mark Sanders, un excellent duo de percussions avec Emil Karlsen... à suivre !!
Le Sud Dirk Serries Benedict Taylor Friso Van Wijck Creative Sources CS CD 780
https://creativesources.bandcamp.com/album/le-sud
Guitare archtop acoustique (Dirk Serries), alto (viola) (Benedict Taylor) et percussions (Friso Van Wijck) pour un trio d’exploration sonore improvisée enregistré à Le Sud, Rotterdam le 29 septembre 2022. Label Creative sources, comme il se doit. Part One – Part Two. Musique collective concentrée sur la lisibilité du moindre son inséré dans des fragments de silence et une écoute attentive au moindre instant. On appréciera la discrétion efficace du percussionniste pointilliste et la dynamique aérienne de son toucher (woodblocks, cymbales, cloches, peaux, métaux) face à la guitare introvertie de Dirk Serries et aux frottements de l’archet étirant les notes de l’alto qui oscillent comme une vièle orientale. Benedict Taylor développe une approche distinctive de son violon alto immédiatement reconnaissable sur toutes les gammes. Quelques effervescences chromatiques chamarrées menées par Taylor émergent à certains moments clés perturbant leurs échanges subtils en suspension : notes égrenées parcimonieusement, frappes fantômes aux cymbales, l’archet oscillant délicatement au bord du chevalet comme un léger souffle vocalisé et faussé à dessein, clusters sauvages et griffures à la six cordes brute. Une écoute mutuelle merveilleuse stimulant leurs interventions individuelles à la recherche de sonorités, de signes, de murmures, de gestes discrets, inspiration ondoyante de de l’alto, pointilliste de la guitare, coloriste et fantomatique de la percussion. Quand viennent soudain (minute 34) des interactions obliques en questions réponses alimentées par un jeu nettement plus contrasté et fourni, le percussionniste s’agitant enfin avec roulades aux caisses entraînant un tournoiement de notes affolées jusqu’au début de la Part Two (32 :58). Celle-ci exploite les idées du final de la Part One pour en étendre le canevas dans un échange équilibré, dialogue tangentiel scandé subtilement par le percussionniste. Frotté du bout de l’archet, l’alto exhale ses secrets de notes étirées et ondoyantes typiques de Taylor et la guitare gémit et grince discrètement …. Leur musique s’est enrichie d’une écoute de plus en plus intense, s’énivrant dans le détail, le gratouillis, le frottement et quelques résonnances de métaux appliqués sur une peau de tambour, la guitare vibrant comme une ferraille muette. Dans un beau final atypique parfois noise ou quasi silencieux, quelques idées saugrenues s’intègrent parfaitement dans l’ambiance. La fin du concert est constamment et volontairement repoussée à la recherche d’un filon inespéré, la magie du silence réconcilié avec les bruissements infimes. Délire exploratoire sotto-voce, dérive poétique, écoute mutuelle de signes avant-coureurs qui s’échappent inexorablement. Un concert de questions et de recherches sans réponse, mais stimulant notre imaginaire. Excellentes improvisations collectives de musiciens qui osent.
Duo Chandos Axel Dörner & Seijiro Murayama SIND _052019-1
https://axeldoerner.bandcamp.com/album/duo-chandos
Enregistré en 2018 à Berlin et publié en 2019, cette remarquable session aurait mérité que je lui consacre un compte-rendu bien avant que je trouve le présent CD « Duo Chandos » tout récemment à l’occasion d’un concert récent de Seijiro Murayama à Bruxelles. Connu comme étant un remarquable percussionniste dans l’improvisation radicale, entre autres pour ses concerts avec Jean-Luc Guyonnet et ses performances solo, Seijiro Murayama s’exprime ici avec sa voix, ses lèvres, ses joues, son gosier, ses cordes vocales, sa cavité bucal, contorsionnant l’émission de la voix et pressurant l’air dans ses joues, sa bouche et sa gorge, expirant et respirant à l’instar des manipulations extraordinaires de la colonne d’air de la trompette que réalise son acolyte d’un soir à Berlin, Axel Dörner. S’il n’est pas à proprement parler un chanteur ou un vocaliste, Seijiro Murayama est un artiste de la voix humaine et des organes qui contribuent à son émission. Et cela dans une démarche sonore bruissante, expressive et mystérieuse tant il a étendu ses capacités, sa concentration mentale et sa résistance physique pour atteindre un remarquable niveau de fascination. Quoi de plus naturel alors pour lui de partager l’espace et le temps d’une session ou d’un concert avec ce magicien de la « méta-trompette » qu’est devenu Axel Dörner ? À force de transformer au fil des années cet instrument en source sonore par diffractions et bourdonnements de la colonne d’air jusqu’à des extrémités surhumaines et de découvrir des effets de souffle inédits et d’extrapoler des suraigus crissant, Dörner a créé une univers sonore très original qu’il est capable d’articuler avec brio tant ses capacités dans ce domaine se sont étendues sans équivalent. Son art unique atteint un sommet en compagnie de Roger Turner et Dom Lash au sein du trio TIN dans UNCANNY VALLEY (Confront ccs 73 2015). Ici avec Murayama, énigmatique vocaliste, l’échange a une inspiration poétique, un flux spontané où la tension est moins présente mais converge dans de subtils agrégats et d’étonnantes occurrences sonores en suspension, déchirant le silence. Un beau document mystérieux et fascinant.
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......