Tony Oxley The New World : Tony Oxley percussions & electronics, Stefan Hölker percussions Discus.
https://discusmusic.bandcamp.com/album/the-new-world-165cd-2023
Enregistrement tout récent de Tony Oxley focalisé sur la (micro) percussion et ses live electronics dans le droit fil des quelques morceaux de percussion amplifiée et modifiée par l’électronique (ring modulator à l’époque) publiés par le label Incus dans les années 70 (Incus 8 Tony Oxley et Incus 18 February Papers). Mais il n’y a aucun revival de la part du percussionniste : même si on reconnaît immédiatement son style « improvisé » avec ces multiples petits sons qui rebondissent sur ses ustensiles divers et s’égarent dans une variété fascinante de frappes, de timbres, Tony Oxley a fait évoluer son utilisation de l’électronique et sa musique solo, autrefois "écrite" est devenue plus fluide et ludique. En outre, la participation du percussionniste Stefan Hölker s’intègre organiquement dans le flux instrumental, leurs jeux individuels et leurs sonorités respectives sont tellement intriqués et intégrés à leur musique collective qu’auditivement, on ne ressent pas qu’il s’agit d’un duo ou d’un « dialogue » entre les deux « batteurs » . Rien qu’une profonde connivence : impossible de percevoir qui joue quoi. Mais un dialogue s’ébauche et s’affirme entre les sons acoustiques des deux percussionnistes et les sons électroniques qui lui font écho, comme un contrepoint volatile.
La versant électronique de cette musique est basée sur la transformation sonore immédiate de certains sons choisis , métalliques bien souvent, qui s’échappent, oscillent ou mugissent au milieu des frappes pointillistes et des résonances des cymbales de petite taille, des woodblocks ou de sa grosse cloche trapézoïdale soudée il y a au moins un demi-siècle. J’attire l’attention sur le fait qu’Oxley a déclaré avoir été inspiré par les techniques d’amplification avec pédales de volume de Derek Bailey. Tony Oxley s’est fait remarquer en tant que batteur « free-jazz » (mais pas que) auprès de Cecil Taylor, Bill Dixon, Paul Bley et Alan Skidmore et comme collaborateur de Derek Bailey dans sa dernière période « noise». Il serait donc intéressant que le public qui l’apprécie pour ces raisons puisse découvrir ses inventions telles qu’elles nous sont livrées ici en 2022. On est ici au cœur de l’improvisation libre « historique » et toujours d’actualité. Absolument remarquable.
Tony Oxley a été peu documenté sur son versant free – improvisation radicale durant des décennies. Du point de vue de cette musique, l’écoute d’ The New World est aussi indispensable que the Gentle Harm of the Bourgeoise de Paul Rutherford, Lot 74 Improvisations de Derek Bailey ou le Was It Me ? du tandem Paul Lovens – Paul Lytton.
Encounters and Perspectives Kok Siew Wai Dirk Wachtelaer Yong Yandsen Khatulistiwa 赤道
https://khatulistiwa.bandcamp.com/album/encounters-and-perspectives
Enregistré à Kuala Lumpur en Malaysie , cet album témoigne bien de l’internationalisation croissante des musiques improvisées libres jusqu’à tous antipodes. Encounters & Perspectives met en présence une remarquable chanteuse, Kok Siew Wai, un saxophoniste free à souhait, Yong Yandsen et un percussionniste belge, Dirk Wachtelaer. Dirk Wachtelaer a plusieurs enregistrements et collaborations à son actif documentées par le label FMR, un des plus gros catalogues jazz d’avant-garde, improvisé, expérimental etc… Je connais un peu le travail de Yong Yandsen grâce à Future of Change, un CD en trio avec Sabu Toyozumi et Rick Countryman pour le label japonais Chap Chap (CPCD017). La chanteuse est inspirée de la tradition vocale de l’Asie du Sud Est : elle en manie bien des techniques et secrets. C’est tout bonnement fascinant. Elle transforme sa voix dans de véritables pépiements – sifflements d’oiseau et semble être une merveilleuse conteuse. On l’entend en duo pour quelques morceaux avec le batteur Dirk Wachtelaer dans une combinaison idéale pour plusieurs raisons. La première est que Dirk improvise sur les fûts et ustensiles de sa batterie en décalant les pulsations et les frappes avec une conception flottante, déstructurée et organique du « drumming » (free), légère à souhait créant un bel équilibre avec la voix de sa collègue. La deuxième raison est que sa percussion n'est pas accordée dans une gamme Européenne occidentale des douze tons, ce qui du point de vue de la chanteuse, lui donne toute l’espace et la liberté de se concentrer sur son improvisation selon ses propres termes définis par les éléments et paradigmes musicaux de sa culture musicale asiatique. En effet, les échelles de notes des modes de cette région du monde (Birmanie, Thaïlande, Laos, Malaysie, Indonésie) ont des intervalles tout à fait différents, ainsi que la conception de l’émission sonore, des rythmes, de l’accordage…. Dans Encounter 4 (en 5/) , on entend d’ailleurs sa voix emprunter des accents et des blue notes proches du blues et du jazz parce qu’elle est confrontée au saxophoniste Yong Yandsen qui joue un instrument occidental. Comme je suis un vocaliste improvisateur moi-même, j’ai écouté les interventions de Kok Siew Wai avec beaucoup de plaisir et d’intérêt. Quant à Yong Yandsen, son jeu ne se contente pas de « singer » le free – jazz. Cet artiste a développé un travail réfléchi sur la matière sonore et les possibilités de son instrument par ses propres moyens tout en étant géographiquement très éloigné de la scène Européenne ou Américaine. Doigtés spéciaux, harmoniques, effets de souffle, extrapolation de techniques simultanées, etc… dans une manière personnelle et assez originale avec une bonne dose d’énergie et d’audace qui se marie parfaitement avec le drumming free de Dirk Wachtelaer. Le sixième et dernier morceau réunit les trois protagonistes dans une improvisation enjouée et réussie. Une belle découverte et de belles perspectives.
Ivo Perelman, Nate Wooley Mat Maneri Fred Lonberg-Holm Joe Morris Matt Moran Seven Skies Orchestra Fundacla Sluchaj
https://sluchaj.bandcamp.com/album/seven-skies-orchestra-2
Sextet exceptionnel d’improvisateurs “free” jazz de haut vol : deux souffleurs Ivo Perelman, sax ténor, Nate Wooley, trompette, le vibraphoniste Matt Moran est les cordistes Mat Maneri alto, Fred Lonberg- Holm, violoncelle et Joe Morris contrebasse. Cette équipe évolue ici dans l’improvisation libre, mais peut-être se seraient-ils donnés des instructions ou idées au préalable. Ivo Perelman m'a fait savoir que tous les enregistrements publiés ici. Un fil conducteur personnel récent : Ivo Perelman a joué et enregistré avec au moins quatre d’entre eux à plusieurs reprises et même en duo (Polarity & Polarity 2 avec Nate Wooley, Two Men Walking avec Mat Maneri, Blue avec Joe Morris à la guitare et tout récemment, Tuned Forks avec Matt Moran) ou en trio comme dans Counterpoint avec Maneri et Morris ou en quartet avec Maneri, Wooley et le pianiste Matt Shipp. Ces collaborations de Perelman, Maneri, Morris et Wooley sont exponentielles au point que l’on s’y perd. Mais ce qui compte, c’est cette musique de chambre expressive issue du free-jazz, immédiate et spontanée, mais aussi profondément réfléchie et auto-organisée par bribes et morceaux, petites touches à la croisée de l’expressionnisme (jazz – free) et de l’impressionnisme visuel. En effet, cette musique « mosaïque », où chacun intervient ponctuellement en laissant de l’espace – temps pour que chaque collègue puisse s’exprimer, évoque les tableaux impressionnistes, assemblages de centaines de taches et de couleurs qui fait bien plus que suggérer un paysage naturel. Un paysage mental et sonore, ici. Quand le sextet s’emballe en tutti, il ne faut pas beaucoup de temps pour que l’un ou l’autre s'arrête de jouer et conclut, laissant toute la place à un trio de cordes ou aux deux souffleurs relayés par l’alto ou le violoncelle, ou simplement un seul instrumentiste tout seul. On songe à ce duo contrebasse – trompette, gros pizz décalé de Joe Morris vs éclats vif argent de Wooley rejoint ensuite par les montées dans les volutes anguleuses de Perelman au ténor, pointées vers ses aigus si caractéristiques. Ou le vibraphone s’élance entraînant des délicatesses microtonales de Mat Maneri (72 notes incluses dans un octave !) alanguies ou virevoltantes. À ce goût microtonal de Mat Maneri répond présent le saxophoniste, Ivo Perelman : celui-ci plie, allonge ou raccourcit les intervalles de ses blue-notes à la saudade brésilienne. Quand à Nate Wooley, il sculpte littéralement le son de sa trompette en cornant, vocalisant, compressant la colonne d’air pour en tirer des scories, sons les plus curieux et articulant frénétiquement son phrasé super staccato. Par contraste, le ténor de Perelman entretient une relative douceur, une rêverie bercée par les divagations cristallines et aériennes du vibraphoniste Matt Moran, un instrumentiste merveilleux . Ou, subitement, l’atavisme aylérien ressurgit avec ses harmoniques brûlantes et téléguidées au cœur d’une nuit d’encre. Veillant au grain, discrets ou péremptoires, les deux basse(*) et contrebasse de Lonberg-Holm et Morris construisent les soubassements mouvants et ombrageux de cette musique lorsqu’elle s’étend au Sextet ou plantent leurs glissements frottés, striés , filés …. ou des doigtés pneumatiques sur les nuages bulbeux et immaculés se découpant dans le bleu intense de ces Sept Ciels sublimes. Les paysages défilent sans discontinuer et s’enchaînent inexorablement, renouvelant leurs couleurs, leurs vibrations, leurs textures , leurs émotions à l’infini. Et nous sommes gâtés : il y deux CD’s et dix improvisations collectives.
Au fil des ans et des enregistrements , on entend ces musiciens acquérir une sonorité plus profonde, une sûreté dans l’invention, une maîtrise du temps, des sons, de la durée de chaque intervention et dans le sentiment vécu de la musique collective. L’auditeur découvre alors que ces musiciens appréciés pour être de brillants « solistes » cultivent avant tout l’art collectif de jouer ensemble en s’écoutant intensément pour tisser une superbe tapisserie de sons connectés, imbriqués avec une formidable empathie. Un sommet au-delà de toute attente.
*En lutherie, le violoncelle, joué ici par Fred Lonberg-Holm, est considéré comme une basse de la famille des violons, par rapport à la contrebasse, celle-ci se situant juste en-dessous.
Veryan Weston Water scâtter archives
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/water
Enregistré sur un piano Estonien au Hatfield Music Centre le 29/11/88 à l’époque où Veryan Weston jouait régulièrement avec Eddie Prévost (Quartet Continuum avec Larry Stabbins et Marcio Mattos), Lol Coxhill (en duo), Trevor Watts ( Moiré Music Orchestra) et initiait sa collaboration permanente avec Phil Minton (Ways et Four Walls). Sa performance dans l’orchestre Moiré Music était un exploit !
Water est une longue composition qui dure 47 minutes, excellement enregistrée. Elle mériterait de figurer dans les meilleurs labels. S’entrecroisent ardemment la musique contemporaine, le jazz d’avant-garde et des formes voisines de celle de Cecil Taylor. Aussi, un brin d’humour, des pirouettes élégantes et dynamiques, des enchaînements de phrasés, de motifs, de rythmes qui font de Veryan Weston un des meilleurs et des plus subtils pianistes de la scène improvisée. Sa sûreté rythmique jusque dans les moindres détails est déjà confondante. Sa musique coule de source avec une magnifique logique, logique qu’il se plaira par la suite à contrecarrer avec des réflexes et des astuces imprévisibles. Jamais vous ne l’entendrez fourrager et gratter dans les cordes du piano pour en explorer la table d’harmonie sous tous ses angles. Il s’est juré de construire son art et sa carrière avec le clavier seul. Selon lui, il y a déjà assez de collègues qui jouent « à l’intérieur du piano ». Et notre gaillard, une personne d’une sincérité aiguë, a mené sa propre recherche avec des intentions esthétiques très personnelles qui ont évolué sensiblement au fil des ans depuis cette première soirée de 1969 au Little Theatre Club dans St Martin’s Lane, modeste épicentre de la musique improvisée londonienne, où il rencontra Lol Coxhill, Trevor Watts, ses camades d’une vie et beaucoup d’autres par la suite. « J’ai entendu Veryan Weston jouer comme Art Tatum à cette époque » m’a confié un ami commun. Tout comme dans son premier album vinyle en solo publié par Matchless (Eddie Prévost), Underwater Carol, Water affirme son talent de compositeur – improvisateur et de pianiste. C’est le point de départ de sa démarche pianistique qui va le mener à développer son travail d’improvisateur avec Lol Coxhill, ses projets avec Phil Minton, son trio avec John Edwards et Mark Sanders, Moiré Music, l’orchestre dirigé par Trevor Watts qui est aujourd’hui son principal collaborateur avec le trio Eternal Triangle. Et la folie douce de Temperaments avec le violoniste Jon Rose sur des claviers anciens accordés à un diapason d’une autre temps. Sa composition Tessellations pour 53 modes pentatoniques enregistrée sur l’unique piano Luthéal. Le fruit de ces expériences s’inscrit dans sa pratique du piano, laquelle s’adapte au caractère et à la personnalité musicale et humaine de ses collaborateurs proches, à l’émotionnel ressenti et aux conceptions musicales partagées. La sincérité nue. Cette attitude le place au cœur de la pratique de l’improvisation libre. Une finesse organique qui fait souvent défaut à certains pianistes entendus dans cette scène. La musique de Water s’écoule avec un grand plaisir d’écoute car c’est du grand piano joué excellemment et on y entrevoit bien des éléments de ce que deviendra l’art de Veryan Weston à sa maturité. En solo, outre Tessellations, il nous a seulement légué deux CD’s : Playing Alone (1993 – Acta 9), un fameux bond en avant quelques années plus tard et Allusions (2002 Emanem 5001), un album réalisé fortuitement à Bordeaux, tous deux révélateurs de son talent de pianiste contemporain aux multiples influences. Raison de plus pour ne pas bouder son plaisir
Parmi les pianistes de la free – music , Veryan Weston est un véritable original et un créateur essentiel. Cet enregistrement est une bonne introduction pour apprécier son talent de pianiste et de compositeur de l’instant.
I Paesani Featuring Gunther Baby Sommer Braastabrà Setola di Maiale SM4520
Loredana Savino Donato Console Vittorino Curci Gianni Console Valerio Fusillo Pierpaolo Martino Günther Sommer
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4520
Emmené par la paire Günther Sommer (batterie) et Pierpaolo Martino (contrebasse), Braastabrà réunit I Paesani , un ensemble local des Pouilles basé à Noci. Les souffleurs Donato Console (flûte), Gianni Console (saxophones) et Vittorino Curci (saxophones) sont des habitants de cette ville campagnarde réputée pour la mozzarella di buffone du meilleur crû. Curci y a dirigé un festival incontournable où le public de la région a pu entendre Peter Brötzmann, Han Bennink, Alex von Schlippenbach, Keith et Julie Tippetts, Louis Moholo, Evan Parker, Charles Gayle, William Parker, Hannes Bauer, Günther Sommer et beaucoup d’autres. Il est aussi un poète réputé et fut le maire de la ville de Noci. Les deux frères Console sont à la pointe du fan-club de cette scène locale et de bons praticiens impliqués. Ensemble, ils ont enregistré un Cd avec Peter Brötzmann. S’ajoutent à cette équipée, l’excellent contrebassiste PierPaolo Martino (un compagnon de Steve Beresford, Gianni Mimmo et d’Adrian Northover) de Monopoli tout proche, la chanteuse Loredana Salvino et le mandoliniste Valerio Fusillo. En ouverture un morceau bien balancé et cadencé durant lequel Günther Sommer récite avec une très belle conviction et beaucoup d’expressivité un texte délirant d’Hugo Ball, Karawane, un poème sonore (dada ?) datant de 1917. La musique est habilement construite et mise en place offrant à chacun des souffleurs de nombreuses occasions de jouer à bon escient, par exemple le timing des interventions du flûtiste Donato Console est impeccable et rafraîchissant. La cohésion de l’orchestre bénéficie de la précision, de l’esprit d’ouverture collaboratif de PierPaolo Martino et de Günther Sommer : tous deux concoctent un superbe écrin plein de finesse qui poussent chacun des participants à donner le meilleur de lui-même dans un excellent jazz "expérimental" de chambre tout en nuances. Ces Paesani ne sont sans doute pas des virtuoses et des improvisateurs tout terrains hyper expérimentés, mais je trouve formidable que des musiciens passionnés par cette musique aient l’occasion de jouer dans un tel orchestre. Cet esprit inclusif était, il y a très longtemps, à la base de la pratique collective du jazz (New Orleans et même dans la période Swing). Loredana Savino vocalise apportant la douceur de sa voix (même sur une seule note) pour colorer créativement l’ensemble. Quant à Valerio Fusillo, ses interventions sont astucieuses et surprennent d’ici et là. Il se passe des choses intéressantes tout au long de cet album, comme dans Iban, un morceau quasi minimaliste où s’étalent des sons épars, effets de souffles, genre cadavres exquis de sonorités parmi un silence ambiant. Pour finir un Braastabrà emballant un peu fou qui évoque l’Art Ensemble of Chicago des early seventies; c'est l’occasion pour Baby Sommer de nous donner un court solo de batterie avant que Loredana Savino délivre un babil – glossolalie bienvenue au milieu de la volière des souffleurs en crescendo vers un hymne appuyé par la rythmique. Super bien emballé !!
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......