Axel Dörner Beat Keller aphanite inexhaustible edition ie-067
https://inexhaustible-editions.com/ie-067/
Beat Keller est un guitariste Suisse crédité ici feedbacker electric guitar et acoustic guitar. Son collègue est le légendaire trompettiste Berlinois Axel Dörner, qui outre le fait d’incarner brillamment la trompette radicale improvisée est aussi un solide créateur de jazz avec le groupe Die Entauschung et le projet Monk’s Casino du pianiste Alex von Schlippenbach.
« Une roche aphanitique (ou de texture aphanitique), ou aphanite, est une roche à grain très fin, dont les cristaux sont trop petits pour être visibles à l’oeil nu. Les roches dont les cristaux sont visibles à l’œil nu (ce sont des phonolitiques) sont dites phanéritiques. En fonction de leur vitesse de refroidissement et de cristallisation les roches volcaniques (ou extrusives) peuvent être aphanitiques (refroidissement et cristallisation rapides donnant de très petits cristaux) ou phanéritiques (refroidissement lent formant de plus gros cristaux), alors que les roches plutoniques (ou intrusives) sont toujours phanéritiques (cristallisation beaucoup plus lente).Les aphanites étaient utilisées par les artisans du Néolithique pour fabriquer des haches et d'autres outils. » Les titres : basalt, diorite, gabbro, rhyolite et andesite, font référence à ces minéraux, même si je ne vois pas très bien la relation, si ce n’est que la musique est spécialement intéressante. On peut dire sans se tromper qu’Axel Dörner est un exceptionnel explorateur des propriétés sonores de la trompette, comme ses collègues Birgit Ulher et Franz Hauzinger ou l’Américain Peter Evans. Axel utilise le souffle pur qu’on entend vibrer dans les tubes sans émettre une note, avec d’infinies variations aux nuances infinitésimales, bruitages multiples, dérapages et quand il émet des sonorités qui ressemblent à des notes, ce sont les plus étranges, aiguës, harmoniques extrêmes, gargouillis etc…. Le bruit fait corps à une expression musicale d’un autre type. Beat Keller alterne la guitare acoustique avec les effets électroniques de sa guitare électrique, instrument utilisé plutôt que source sonore que comme « instrument joué plus conventionnellement ». Il s’en suit des paysages sonores à la fois animés d’une subtile variété et qui semblent statiques, méticuleux. La virtuosité est mise de côté pour se concentrer sur une approche empathique dissimulée derrière leurs processus sonores différenciés. Le guitariste s’ingénie à brouiller les pistes en multipliant toutes sortes d’occurrences sonores dans lesquelles le souffleur s’inscrit imperturbablement, sans sourciller, sérieux comme un pape. Leur duo incarne un réel contraste entre leurs deux pratiques instrumentales et leurs correspondances évidentes ou secrètes font surtout appel à l’imagination et à la sensibilité de l’auditeur. On peut trouver un enregistrement récent plus convaincant d’Axel Dörner comme Confined Movement avec Tomaz Grom ou avec le trio DDK dans A Right To Silence (avec Jacques Demierre et Jonas Köcher) ou son duo Stonecipher avec Mark Sanders (à mon avis. Mais quand même, cet aphanite est faite d’une pierre rare.
Michel Doneda & Alex Frangenheim Murmuration FMR Records FMRCD685-1023
CD Murmuration à peine arrivé ce matin et déjà chroniqué ailleurs (par mon copain Philippe Alen) : je ne peux pas me refuser de le faire passer avant tout le reste. Il s'agit d'un album de Michel Doneda, l'insatiable chercheur de sons dans les entrailles aériennes et entre les clés du sax soprano, pulvérisant le concept de bec, d'anche et de colonne d'air. Et cela, vu la rareté de ses manifestations discographiques. Avec le contrebassiste Alex Frangenheim avec qui Doneda a déjà commis un magnifique trio en compagnie de Roger Turner (Nail/ Concepts of Doing), c'est la paire parfaite de l'improvisation chercheuse qui va extraire toutes les sonorités curieuses parfois insoupçonnées dans les recoins de leurs instruments respectifs. Ça griffe, éructe, strie, insuffle, gratte, aspire, les harmoniques oscillent, le souffle borborygme, l'archet et la bouche frictionnent et morsurent, exaspèrent les cordes ou la colonne d'air, outrepassent les limites, ce qu'il est possible de jouer au delà, spontanément, librement, à la folie durant 48 minutes et vingt secondes et six improvisations étalées entre 4'56'' et 10'45''. On pourrait croire que ces musiciens s'aventurent de manière aléatoire. Mais en fait, avec leur expérience de dizaines d'années d'intense labeur, ils connaissent la grande majorité des occurrences soniques qu'ils mettent en mouvement et en ondes - fréquences avec une exceptionnelle précision tout en poussant leurs possibilités au maximum jusqu'à ce qu'ils découvrent par surprise... le mystère, l'inconnu. Soit on énonce clairement un aspect sonore précis avec une technique X ou bien on surimpose deux procédés ludiques simultanément pour en découvrir les propriétés conjointes, concurrentes ou imprévisibles. Au fil des morceaux, la musique se densifie, s'assure de manière irrévocable, le passé et le présent fusionnent, le temps se dépose au fond des lagunes. Démultiplication des coups de langue et étirement des intervalles de notes, bruissements de l'archet en pagaille et contorsions des vibrations boisées. Corne de brume finale ! Plutôt un chantier, un instant de vie éphémère qu'une oeuvre tangible. Leur cohabitation se transforme en mise en commun intensément "condivisibile" (en italien trafiqué), à l'écart des satisfactions faciles, des difficultés absolues et du maniérisme "phree" ou "frî". La poésie du partage et des sens. Un fétu sonore fait sens, ces aigus extrêmes de l'anche comprimée, la touche résonnant intimement la corde touchée, leurs échos vocalisés.... signes de l'inconnu !! Doneda - Frangenheim ! (J'en cherche le lien audio)
Dirk Serries & Benedict Taylor Obsidian Creative Sources CS 806 CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/obsidian
L'obsidienne est une roche volcanique vitreuse et riche en silice. De couleur grise, vert foncé, rouge ou noire, elle est issue d'une lave acide (type rhyolite). La vitrification en masse est rendue possible par le fort degré de polymérisation de la lave.
Ce n’est pas la première fois que le violiste Benedict Taylor enregistre avec le guitariste Dirk Serries (ici acoustique), mais sans doute leur session la plus convaincante. À force de concerts et après quelques enregistrements, ils ont fini par polir la pierre magique de leur duo en roue libre. Taylor est un fervent des groupes d’improvisation « de chambre » comme le magnifique trio Hunt at The Brook avec le clarinettiste Tom Jackson et le guitariste Daniel Thompson. Ce trio vient d’ailleurs de publier un excellent double CD pour le label de Serries, a new wave of jazz : « hunt at the brook again/ hunt at the brook w. Neil Metcalfe ». Et Creative Sources a un trio de Serries et Taylor avec le percussionniste Friso Van Wijck. Benedict Taylor adore étirer ses notes, les tordre, élargir les intervalles ou les réduire de manière plastique, flirtant avec la microtonalité et striant les sonorités. Son archet fait vibrer l’instrument, osciller les tonalités, gratter les cordes, percuter la caisse etc… C’est par vagues et cascades de notes, pincées sauvages et clusters bruts que Dirk Serries avance, presse le temps, seconde l’altiste, le devançant ou l’entourant de rhizomes d’accords fracturés. L’altiste joue parfois au compte-goutte pour provoquer le guitariste ou fait gonfler la texture, le bois résonnant de la caisse comme si les écoutilles caractéristiques du violon alto avaient une vie propre. Sept improvisations se succèdent, certains gestes hésitant désignent soniquement des recoins de chaque instrument, recherchant des bruits, des chocs, des touchers hagards et des frottements intimes. On explore, introspecte, recherche, frictionne, les sons aléatoires ou prémédités s’échangent, circulent pour se répondre. Le bruitisme animé, pointilliste - décalé débouche sur de véritables dialogues, des correspondances sonores, des torsions vibratoires, la paume et les doigts pressés sur l’archet ou les cordes, le plectre picotant- picorant. Des mouvements de va et vient des ondulations circule dans l’air ambiant. Une suite logique sous-jacente se dessine en liséré au fil des plages comme si une histoire nous était contée… Un beau moment de poésie musicale. Une communion des esprits. J’aime vraiment beaucoup ce disque. Une pierre noire obsessionnelle.
Tobias Delius Jasper Stadhouders Antonio Borghini Christian Marien Christian Marien Quartett how long is now MarMade Records 002
https://www.youtube.com/watch?v=qxridazqOnU&t=4s
https://christianmarienquartett.de/
Quartet jazz très contemporain dynamique ultra-diversifié et très cohérent mené par le batteur Christian Marien connu pour son duo d’improvisation libre avec le tromboniste Matthias Müller Superimpose. Récemment, Superimpose a publié With, un coffret sur le label inexhaustible editions, avec John Butcher, la chanteuse Sofia Jernberg et Nate Wooley. Cette pratique de la percussion improvisée est aussi à la source de son style plus « swinguant » à la batterie lui conférant une véritable originalité. How long is now, un album relativement court finalement, démarre avec un rythme latin irrésistible et une orchestration légère et rebondissante dont le thème parait être joué à l’envers : 40 love / Goldrausch. La guitariste Jasper Stadhouders passe indifféremment du thème à l’improvisation polyrythmique ou pointilliste en alternant avec les articulations déboîtées du saxophoniste Tobias Delius et en symbiose avec le riff du thème malmené par ci par là. Joyeusement ludique et passages free bien décalés. Batteur astucieux qui aime aussi Il se passe pas mal de choses en quelques minutes pour attirer et renouveler notre attention. Le contrebassiste Andrea Borghini ancre le quartet sur un sol accidenté avec une belle fermeté. La sauce est prise tout de suite et il n’y a pas un morceau plus faible que les autres comme le prouve The Lobster, qui met en perspective des parties contrastées aériennes, suspendues où chacun occupe un espace bien défini avec un thème contemporain qui ponctue le final avant la comptine mélodieuse de Lilly, point de départ pour une ritournelle swinguante qui tourne sur elle-même à l’envi. Ne nous y trompons pas : leur science du crescendo rythmique fait transiter insensiblement le développement du morceau vers un jeu free intéressant qui se mue en un martellement quasiment rock avec des contretemps vachement étudiés, mais spontanés. Super quartette hyper cohérent prêt à par-dessus le quel brille la guitare incisive de Stadhouders, un sérieux client au style polymorphe. Le quatrième morceau The Landing offre encore un autre réalité. Je vais arrêter là la description pour attirer l’attention sur la profonde originalité de ce quartet, au répertoire idéalement conçu pour être déconstruit et subverti avec une conviction remarquable. Chaque instrumentiste tire son épingle du jeu. Le saxophoniste et clarinettiste Tobias Delius, à un poste habituellement dévolu à la manie soliste dans le jazz, s’affirme comme un musicien essentiellement collectif, intervenant pour faire évoluer leur musique et éclairer avec goût et subtilité certains passages transitionnels d’un état sonore vers un autre. Comme cette séquence librement improvisée lors du final, Déesse (en français avec l'accent aigu placé à côté : Deésse, sur le CD), avant la compo elle-même avec la clarinette de Tobias et le rythme de samba. Et les trouvailles percussives de Christian Marien palpitent autant de swing même quand il « bruite ». Félicitations, les gars. Vous m’avez convaincus !!
PS Lien bandcamp introuvable pour le moment.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......