13 mai 2024

Lawrence Casserley Floros Floridis Guilherme Rodrigues Harri Sjöström/ Bouche Bée: Emmanuelle Waeckerlé Petri Hurinainen & Peter Keserü/ Eddie Prévost Band w Gerry Gold Geoff Hawkins & Marcio Mattos/ Remote Viewers David Petts, Adrian Northover & John Edwards.

Fields Lawrence Casserley Floros Floridis Guilherme Rodrigues Harri Sjöström Creative Sources CS811CD
https://harrisjostrom.bandcamp.com/album/fields

Deux Fields de 24:01 et 12:27 où l’élément prépondérant, celui qui détermine le plus les interactions et conditionne les modes de jeux et le Signal Processing Instrument de Lawrence Casserley. Cet ex-Professeur de Musique Électronique a quitté l’enseignement et son laboratoire de recherche pour mener à plein temps la vie d’improvisateur contemporain aux côtés de collègues de premier plan. Lawrence a fait partie de l’Electro-Acoustic Ensemble d’Evan Parker, partageant la scène avec Phil Wachsmann, Paul Lytton, Barry Guy, Adam Linson, Viv Corringham, Hans Karsten Raecke, Martin Mayes … Cela fait quelques années qu’il collabore avec le brillant saxophoniste soprano Finlandais, Harri Sjöström, comme le témoignent les albums Live at The Polnischen Versager Berlin (uniSono) et Soundscapes #3 avec une cohorte impressionnante d’improvisateurs (Fuudacja Sluchaj). Comme Sjöström avait aussi enregistré en duo avec le violoncelliste portugais Guilherme Rodrigues il y a quelques temps (The Treasures Are/ Creative Sources). Et tant qu’on y est, pourquoi pas inviter un quatrième larron, le très remarquable clarinettiste grec Floros Floridis, un musicien avec une très longues expérience et un feeling infaillible pour s’associer à différents groupes de la manière la plus cool qui soit. Floridis, Sjöström et Rodrigues résident à Berlin ce qui facilite bien des choses. On appréciera le travail intense des aigus – hyper aigus aux sax soprano et sopranino avec l’aide de sourdines dans le voisinage d’un Lol Coxhill. Guilherme Rodrigues révèle son sens de l’intervention ponctuelle en accord précis avec la situation au fil des improvisations. Floros Floridis est un savant doseur de souffles inspirés qui s’intègrent dans les changements évolutifs ou subis du paysage sonore. Captant sur le champ les sons de ses comparses, Lawrence Casserley réinjecte par ses haut-parleurs les extrapolations électro-acoustiques souvent inouïes de leurs improvisations par bribes et morceaux dont il altère ou transforme complètement la texture, les hauteurs de notes, la dynamique, la vitesse. Dans ce contexte musique de chambre aérienne, ces sons « procédés » circulent à pas de velours s’insinuant intelligemment dans les échanges. L’improvisation libre d’un troisième type. Il sollicite aussi chez ses camarades un autre type d’intervention spécifique au mode de fonctionnement en temps réel de ses applications complexes et surprenantes. Les instrumentistes se partagent entre la confrontation réactive et / ou additive ou le simple fait de confier au micro de l’installation de L.C. une sonorité qui va nourrir le processing pour apporter une nouvelle couleur, une idée imprévue projetant ainsi une autre perspective. La haute qualité sonore du travail de Casserley entraîne le quartet dans des perspectives et dimensions insoupçonnées, suspendues dans un espace mouvant parfois rétive à la gravitation, en lévitation oblique, nous faisant ressentir des perceptions peu communes.

Bouche Bée frrree mon chéri Earshots CD
https://earshots.bandcamp.com/album/frrree-mon-cheri


Petri Huurinainen: acoustic guitar, bow, ebow, fx pedals - Peter Keserü: samples, iPads, melodica, seaboard, ocarina -Emmanuelle Waeckerlé: voice, Irish drum, ukulele pitch pipe

Il m’a fallu découvrir l’art vocal d’Emmanuelle Waeckerlé en duo avec son comparse Petri Huurinainen de visu et in vivo un week-end de début mai au Voicings Festival pour intérioriser et devenir sensible à sa subtile dramaturgie vocale et à la singularité de leur projet Bouche Bée. Être capable d’en faire un compte-rendu sans trahir le sens de leur musique. Être « Bouche Bée » signifie littéralement avoir la bouche ouverte et littérairement être dans un état de surprise qui nous fait ouvrir la bouche d’étonnement ou de stupeur. Vouloir rendre compte du projet tel qu’il est enregistré dans frrrree mon chéri sans avoir assisté à leur superbe et poignant duo dans lequel Petri actionne des effets électroniques en frottant sa guitare amplifiée à l’archet alors que Emmanuelle échelonne des beats avec un ektara (instrument monocorde des Bauls https://en.wikipedia.org/wiki/Baul) supportant son étonnante déconstruction – reconstruction de paroles syllabées avec sa voix immaculée en suspension extra-gravitationnelle avec un désenchantement aussi distancié que tragique. Mon collègue et guitariste N.O. Moore décrit merveilleusement ce qui est à l’œuvre dans ce projet Bouche Bée, groupe dévolu à un travail de répétitions – approfondissement intra-muros à défaut de performances live. Fondé en 2005 par le tandem Waeckerlé – Huurinainen, Bouche Bée s’est adjoint l’appareillage électronique de Peter Keserü en 2020 pour faire évoluer leur recherche vers l’aboutissement que constitue Frrree mon chéri. En peu de mots, l’aspect instrumental de Bouche Bée produit de lents paysages sonores qui s’imbriquent comme des nuages poussés par le vent et sa dimension vocale s’étale en répétant très lentement les mêmes quelques mots avec de subtiles inflexions – légers déplacements de notes (hauteurs) qui semblent sous tendus par un fragment de ligne mélodique sous – jacente agissant comme un mantra sensuel et métaphysique existentiel. Dans Whatever You Say (n°1), les trois mots du titre disparaissent dans l’infini de la conscience et de la diction phénoménale. Pour jouir de cette vocalité qui semble aussi indifférenciée qu’intense, et pénétrer sa fascinante intériorité, cette expression introvertie qui crie autant le désespoir douloureux que la mémoire de l’oubli, il faut absolument être confronté à sa présence physique et celles de ses acolytes quasi immobiles. Fort heureusement, On The Edge fait découvrir des aspirations et des sifflements de consonnes qui ouvrent une autre perspective, jusqu’à ce que le chant s’envole quelques instants dans une phase free-folk ponctuée par ce qui ressemble à un instrument à cordes. L’interprétation de la chanson traditionnelle française « À la Claire Fontaine » est quant à elle, une magnifique trouvaille prouvant encore la profondeur de l’art unique d’Emmanuelle Waeckerlé. Elle dénoue les implications mélodiques de cette ritournelle mélancolique avec sa voix d’alto grave face à l’efficacité sonore des deux autres musiciens. Bien que française d’origine, Emmanuelle vit depuis tellement longtemps à Londres qu’elle a adopté un accent british relativement marqué. Et cela ajoute encore plus de mystère. Je suis fan !
Félicitations à Earshots, un « jeune » label qui nous apporte (encore) une belle surprise, tellement inattendue. J’en suis Bouche Bée.

Bean Soup and Bouquets Reunion Concert of the Eddie Prévost Band at Café Oto Matchless Recordings MRCD 101.
https://matchlessrecordings.com/music/bean-soup-and-bouquets

Souvenir lointain d’un concert donné en avril 1977 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles de ce quartet « Eddie Prévost Band » assez relax, presque cool. La batterie « jazz » relativement « free-bop » d’Eddie Prévost, la contrebasse puissante et experte de Marcio Mattos, le saxophone ténor expressif « post-Coltrane » de Geoff Hawkins et la trompette aérienne et enfièvrée de Gerry Gold. À l’époque, ils avaient publié leur album Now and Then sur le label british « bop historique » Spotlite, le quel avait réédité l’intégrale des faces Dial de Charlie « Bird » Parker, des « broadcasts » de Lester Young et Coleman Hawkins, mais aussi deux albums du trio Trevor Watts/ Barry Guy/ John Stevens orientés « free-jazz ». Free – Jazz donc ! Et c’est dans cette direction assez libre que s’est développée leur concert de février 2020 au Café Oto. Le titre Bean Soup & Bouquets fait allusion à un concert mémorable du même quartet à Berlin – Est dans les années 70 où le repas consistait en une soupe au pois toute germanique et où ils furent fêtés par de somptueux bouquets de fleurs. Nostalgie. Le concert qu’on entend ici et qui fait écho à cette « glorieuse » où tout pouvait arriver, est bien remarquable tant par sa consistance, ses moments de recherche individuels (Marcio Mattos et Geoff Hawkins) que collectif avec ces contrechants alternés des souffleurs sous la houlette astucieuse de ce rythmicien hors pair de la contrebasse qu’est Marcio Mattos et les croisements logiques de frappes d'Eddie Prévost. Bien que j’ai toujours préféré Eddie comme percussionniste d’avant-garde au seind du légendaire AMM, j’ai aussi écouté un ou deux beaux témoignages de son travail en « free swinging » comme ce magnifique album Premonitions du « Free Jazz Quartet » publié par Matchless au début de leur passage au compact disc. Il y avait Paul Rutherford au trombone, Harrison Smith au sax soprano et à la clarinette basse, Eddie à la batterie et Tony Moore au violoncelle. Pour moi, il s’agit d’un des albums de « free » free-jazz les plus réussis de la scène européenne. J’ai par la suite assisté à une autre édition de ce Free-Jazz Quartet au Festival Freedom of the City avec justement Marcio Mattos au violoncelle, Eddie, Harrison et Paul (R.I.P.) ! Mémorable et fascinant.
Bean Soup contient un beau travail collectif et de belles envolées généreuses, puissantes ou subtiles sur une durée de 40 minutes. Bouquets se concentre sur 24 minutes avec un démarrage funky et les « roulades » d’Eddie sur les caisses et un Geoff Hawkins incisif et impétueux et l’Encore (Wall) dépasse les 5 minutes. L’enregistrement de la batterie lui donne parfois un rôle prédominant lorsqu’Eddie frappe au maximum, mais avec l’expérience des concerts, c’est un défaut mineur, car cette performance se transforme petit à petit en belle saga inspirée. Par comparaison à l’époque de Now and Then et du concert de 1977, ces artistes ont acquis une expérience, une sûreté, un sens de la performance continue qui leur permet d’enchâsser et prolonger inventions, riffs, digressions, ensembles collectifs, solos, des simultanéités osées dans l'improvisation et beaucoup de libertés, véhémence et « cool », duos et trios dans une suite remarquable, avec un magnifique capacité narrative. Ah le travail à l’archet de Mattos en solo ou duo avec Eddie, le drive fou de ce dernier et sa démultiplication de rythmes en cascade, sur les quels les pistons et les lèvres agiles de Gerry Gold (un sacré trompettiste) s’en donnent à cœur joie. Moi aussi !

The Remote Code The Remote Viewers David Petts Adrian Northover John Edwards. RV 3CD
https://theremoteviewers.bandcamp.com/album/the-remote-code-disc-1
https://theremoteviewers.bandcamp.com/album/the-remote-code-disc-2
https://theremoteviewers.bandcamp.com/album/the-remote-code-disc-3

Un triple CD des Remote Viewers à la discographie déjà étendue et dont l’équipe varie entre l’actuel trio de David Petts, Adrian Northover (tous deux saxophonistes) et John Edwards (contrebassiste) et des supplétifs de la famille étendue. Ici, Caroline Kraabel et Sue Lynch aux saxophones au CD 3-1 et Rosa Theodora au piano au CD 3- 1,3,5,6. Enregistrés en automne- hiver 2020 sur le contrecoup de la pandémie, trois CD’s qui offrent un beau panorama de la musique du groupe, signée David Petts, le compositeur en titre des RV et, pour le CD 3, conjointement à Edwards et Northover.Les crédits indiquent aussi “Arranged, Mixed and Mastered by Adrian Northover” (CD1 et CD3) et “Arranged, Mixed and Mastered by John Edwards (CD2).
Bien qu’on puisse qualifier la musique de Remote Viewers comme étant du « contemporain » pour son écriture quasi sérielle moderniste et ces alliages de timbres ou aussi du « jazz composé d’avant-garde » (on songe vaguement à Steve Lacy ou au Rova), il faut considérer avant tout les intentions du trio, son originalité intrinsèque, leur capacité d’exécuter les partitions au cordeau avec ce son d’ensemble caractéristique des deux saxophones, le ténor de David Petts et le soprano ou l’alto d’Adrian Northover qui s’agrègent de manière unique et tout à la fois d’improviser free avec une méthode analytique. Ils peuvent se révéler décalés dans leur mise en place impeccable, se jouant des rythmiques en déstabilisant leurs riffs ésotériques, paraître insolites et délicieux,lunaires ou lunatiques, perfides et astucieux... Pas banals en fait !
À leurs instruments de base respectifs, s’ajoutent une large panoplie que je cite ici : Wasp synth, autoharp, stylophone, marimba, mbira, cymbal (AN), electronics, metallophones, mbira (JE), noise generator, Volva fm and modular synth, Korg Monotron/delay synths, glockenspiel, mbira qui interviennent ci et là pour créer un complément de paysage sonore, des contrepoints insolites, contrebalancer l’importance des deux saxophones et la puissance de la contrebasse et créer une ambiance étrangement minimaliste, parfois répétitive ou de curieux événements sonores. C’est une musique qu’il faut suivre à la trace, fondamentalement plus expérimentale voire conceptuelle que free-improvisée per se. Comme me l’a avoué un des musiciens, fallait-il publié un triple CD, c’est à vous de le savoir. Je constate qu’il y des choses remarquables, mystérieuses, étranges et même farfelues à écouter. Les Remote Viewers ont déjà une longue histoire derrière eux. On se souvient de leurs premiers CD’s pour Leo avec la chanteuse Louise Petts et leurs fringues kitsch tirées à quatre épingles). Ici, ils s’ingénient à brouiller les pistes, à égarer l’auditeur mais sans doute (sûrement) à fasciner leur « fan base ». À écouter, car il y a des perles avec les incartades du contrebassiste et les dialogues des deux saxophonistes et les curieuses compositions cachetées « Remote Viewers » de David Petts. Et cette excentricité assumée indescriptible. En ingurgitant un demi CD par jour, vous ne risquez rien. Eux n’hésitent pas à tout risquer dans la durée par bribes et morceaux. J’adhère.


Sorry, chers lecteurs, si je n'arrive pas à tenir la cadence des parutions, certains albums restant en quarantaine pour cause de trop peu d'inspiration, de temps assorti et d'énergie. J'écris depuis si longtemps que je me demande ce que je dois encore inventer, spéculer, extrapoler, divaguer ou sécher comme un collégien avant que cela fasse tilt ! afin de cerner les étincelles créatives des improvisateurs créateurs que nous aimons ... écouter et/ou découvrir ! Si vous trouvez quelqu'intérêt à lire ces lignes, tant mieux. Sinon, j'avoue que je préfère chanter en chair et en os devant des auditeurs - spectateurs où vous auriez envie de me voir et m'entendre, juste pour le plaisir.

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