Phil Minton Szilárd Mezei two lives inexhaustible editions IE-66
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/two-lives
Un altiste jusqu’auboutiste dans le traitement exacerbé, microtonal et fugace des quatre cordes de son “méta-violon » : le jeu de Szilárd Mezei (avec l’archet ou avec les doigts) offre une fascinante contrepartie à la vocalité surréelle et délirante de Phil Minton. Quelle heureuse idée d’avoir pensé à juxtaposer leurs deux talents. Ils se complètent à merveille. Au fil du temps, on entend chez Minton une évolution malgré son âge certain et sa permanence dans la scène improvisée expérimentale internationale depuis des décennies. Voix de vieillard, de fantôme, de mutant, vocalité inouïe, diphtonguisme démesuré, gargouillis, gueulante issue de nulle part, sifflements étranges, égosillements animaliers, effarement laryngo-buccal, harmoniques étranges. Face à cette débauche anarchique instantanée d’effets vocaux en pagaille, son acolyte altiste déploie une énergie insondable sur la touche de son instrument étirant le son et les notes dans les extrêmes, avec autant de fougue que de retenue, de déraison et de délicatesse. Un empressement - distanciement ludique qui vocalise le timbre de son violon métamorphique. Leur duo fonctionne à plaisir pour nous faire rêver, nous réveiller, secouer ou planer dans un autre monde. Fascinante, leur musique fait non seulement éclater et écarteler les sonorités, mais trouble notre perception sensorielle, nous fait oublier la durée dans leur jouissance affolée du temps. On y entend même une curieuse chinoiserie avant le final déjanté de fourth (35:38), Phil livrant une mimique de xun, l’ocarina chinois. L’improvisation suivante dure elle, 36 : 08… sans qu’on ressente en rien le temps qui défile et meurt subitement dans un état de grâce. Encore une fois, le label Inexhaustible Editions a frappé fort et juste.
Si Phil Minton s’est fait entendre avec une kyrielle d’improvisateurs incontournables : Roger Turner, Phil Wachsmann, Audrey Chen, Veryan Weston, Thomas Lehn, Günter Christmann, Daunik Lazro, Sophie Agnel, Carl-Ludwig Hübsch (Metal Breath pour le même label IE), Szilárd Mezei s’était vraiment distingué dans des duos avec le violoncelliste Albert Markos ou le pianiste italien Nicolà Guazzaloca avec qui il a aussi enregistré en trio avecle clarinettiste Tim Trevor-Briscoe. Et bien sûr, il y a les ensembles qu’il dirige. Voici maintenant Two Lives, un album où son talent s’épanche avec une remarquable justesse et beaucoup d’à-propos qui le fait étendre sa palette dans une entente peu commune avec notre vocaliste préféré.
Escales Jean-Marc Foussat Guy Frank Pellerin Eugenio Sanna FOU Records FR-CD 59
https://fourecords.com/FR-CD59.htm
https://fou-records.bandcamp.com/album/escale-2
Trio Synthi AKS jouets piano et voix ( Jean-Marc Foussat) saxophones ténor soprano et baryton, percussions (Guy-Frank Pellerin) et guitare électrique, bandes métalliques, ballons, cellophane et voix (Eugenio Sanna). Une escale, un havre sur une pointe rocheuse au bord de la Mer Tyrrhénienne. Une maison magique en face de la mer avec d’énormes pots de fleurs débordants de géraniums et de bégonias et d’arbres qui survivent aux embruns s’abattant sur ce jardin des miracles hors saison. Une musique de strates électriques, irisée de spasmes, secouée de frictions sonores, torsions de fréquences éclatées, interactivité collectiviste lunatique …. On distingue clairement les modes de jeux spiralés, mordants, éructant des saxophones qui tour à tour changent la perspective de l’intrication du binôme Foussat – Sanna. Saturation de la guitare électrique qui se confond quelques instants avec une guimbarde frémissante. Effets sonores fricatifs, bourdonnants, échappées de moteurs en rade, tremblements, sifflements industriels, drones en apesanteur, bruissements fugitifs. Une musique en constante mutation, qui ne veut pas dire son nom et contredit toute forme d’étiquetage. Sauvage, rebelle, en mouvement perpétuel, minéralité amorphe, foisonnement gazeux éthéré… bruitages. Trois cheminements imbriqués ou clairement distincts qui se croisent par instants et recoupent le trajet de leurs énergies, leurs désirs, choix et manières de travailler les sons. Sens naturel de l’espace et du dosage combiné avec des instants d’hyper-activité et de fuite en avant. Insaisissable ! Quatre improvisations étirées et resserrées à la fois : Passage, Touche, Sourire, Approche . 55 minutes de recherche sonore et d’écoute mutuelle, intense, empathique ou contrastée. Impénétrable.
Voici un excellent document sur cette improvisation libre, ludique et irrécupérable.
Marina Dzukljev Noid continents inexhaustible editions ie061
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/continents
Inexhaustible editions est sans conteste, un de ces labels très pointus de l’avant-garde post-improvisée radicale avec une « attitude » offrant sans doute le choix d’options créatives audacieuses le plus large sans tomber dans un formatage systématique qui pourrait fatiguer un auditeur à l’esprit libre sans parti-pris. Bref quelques soient vos intérêts, entre l’improvisation radicale ou composition expérimentale, le minimalisme bruitiste ou l’art conceptuel, vous aurez plus de chance à y trouver votre compte et votre appétit auditif.
Ainsi le minimalisme inhérent aux vibrations sonores et les sombres drones émis par l’orgue d’église manié par Marina Dzukljev (église protestante de Nickelsdorf) et le violoncelle rétif et monocorde de noid (nom d’artiste https://noid.klingt.org/noid.html) finissent par convaincre et fasciner à l’écoute même ceux qui trouvent ce genre de démarche rébarbatif. Des voix insoupçonnées naissent des interférences des longues notes tenues et du néant, tremblantes ou fermes, obstinées, et créent des arcs temporels fallacieusement isochrones. Des surprises noise astringentes et des épaisseurs abyssales se font jour dans les deux derniers morceaux transformant insensiblement ou dramatiquement le décor, l’ambiance et la dynamique.
La musique devient petit à petit surprenante, fantomatique, puissante et obsessionnelle de manière réussie. Un excellent album qui mérite le détour et une écoute répétée pour livrer ses secrets.
Jean-Marc Foussat Claude Parle Quentin Rollet Makoto Sato Espace en l’Espèce ReQords REQ012.
https://reqords.bandcamp.com/album/espace-en-lesp-ce
Au cœur de Paris, une équipe d’indécrottables activistes de la quête ses sons par l’improvisation collective et réunis à L’Espace Vitet, lieu dénommé ainsi, je présume, en hommage à un mémorable pionnier de la free-music en France, le remarquable trompettiste Bernard Vitet. Jean-Marc Foussat (Synthi AKS, voix et jouets), Claude Parle (accordéon), Quentin Rollet (saxophones alto et soprano) et Makoto Sato (batterie) font partie de cette tribu de musiciens chercheurs qui échappent aux définitions, écoles et réseaux pour célébrer la profonde humanité qui les réunit. Espace en l’Espèce ! On les retrouve souvent dans les collaborations initiées par chacun d’eux comme par exemple Foussat et Sato au sein de Marteau Rouge et l’albums Barbares (Fou Records FR CD 23) ou Rollet et Foussat dans Entrée des Puys de Grêle (FR CD 30)
Leur musique se révèle comme une fuite en avant, dérive à la recherche de moments forts, d’intensités tournoyantes ou d’instants en suspension gravitationnelle d’un autre type. À l’électronique analogique et les trafics sonores de Jean-Marc Foussat s’aggrège les ondulations soufflantes de l’accordéon de Claude Parle, un véritable poète par-dessus le marché, son acolyte étant un ingé son notoire entièrement dédié à la bonne cause des musiques improvisées. Un peu en retrait mais toujours bien présentes les frappes en roue libre de Makoto Sato rétablissant l’équilibre ou le décalant. On note un dialogue pertinent entre celui-ci et l’accordéoniste en 2/ (Mordant Physique), interlude qui s’intensifie lorsque Quentin Rollet le souffleur du quartet, s’insère dans leur sarabande avec son articulation du souffle précise et incisive. Intervenant par intermittence et toujours bien à propos, le saxophoniste Quentin Rollet apporte des lueurs d’espoir et un chant à la fois lyrique et étiré châtiant aigus et accents bluesy en s’élevant par-dessus frappes et nappes sonores et cherchant les notes hautes qu’il excorie en pressant la colonne d’air à pleins poumons. Sauvagerie qui déborde dans le morceau suivant. S’ensuit une dérive improbable de vingt minutes en 3/ (titre au lettrage inversé de droite à gauche = Et Qui Libre ?) où interviennent des sifflements et toms frémissants pour traverser ensuite des paysages sonores qui enflent pour se faire désirer. Dans cette aventure désespérée, chacun intervient en soubassement ou en créant l’initiative à tour de rôle au travers de terrains vagues, friches ou univers féériques. En toute liberté, chacun en assumant en toute responsabilité toutes les libertés et les solidarités, l’écoute cohérente et les incohérences voulues ou nom de leur parcours initiatique … jusqu'à "à fleur de pot" (4/)où figure un excellent témoignage du talent de Claude Parle, un artiste peu documenté sur disque, ses digressions tournoyantes quasi microtonales inspirant les audaces coxhilliennes de Rollet dans le remarquable final. Et Qui Libre ?
In : un texte d’Antonin Artaud tiré du Théâtre et son double.
Les titres sont empruntés à Marcel Duchamp et Rose Sélavy.
Un grand merci à Jean Michel pour la pertinence de ses écoutes et bien sur pour son amicale, et j'oserai, louangeuse approche de mon travail ...
RépondreSupprimerEt surtout l'importance de persister dans son travail d'écoute critique en des temps où presque personne ne consacre du temps à faire ces écoutes-critiques ...
C'est bien normal, Claude ! Écouter d'aussi excellents disques est un vrai plaisir à faire partager
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