Mostly Improvised or whatever albums reviewed in 2020
Cmok v grlu - lump in the throat Irena Z. Tomazin Zavod Sploh ZASCD 018
https://sploh.bandcamp.com/album/cmok-v-grlu-lump-in-the-throat
Translated Space David Leahy & Philipp Wachsmann FMR CD539-0519 Beadrecordssp CD-BDSSP14.
Transversal Time Rhodri Davies Confront Core Series / core 11
https://www.confrontrecordings.com/rhodri-davies-transversal-time
Live In Nuremberg Matthew Shipp et Ivo Perelman SMP Records
https://smpmusic.bandcamp.com/album/perelman-shipp-live-in-nuremberg
Mein Freund der Baum Florian Stoffner Paul Lovens Rudi Mahall Wide Ear WER032 https://wideearrecords.bandcamp.com/album/mein-freund-der-baum
Beaming Tony Oxley confront core series core 13
https://www.confrontrecordings.com/tony-oxley-beaming
The rear is the shadow of the eye Tomaz Grom & Zlatko Kaucic Zavod Sploh
https://www.sploh.si/si/zalozba/albumi/446/Uho%20je%20senca%20o%c4%8desa
Grain Phil Durrant – Emil Karlsen noumenon NOO 5
https://noumenonlabel.bandcamp.com/album/grain
Marco Scarassati by Marco Scarassati Homeless Video 2020
https://www.youtube.com/watch?v=9UdfUPvwtW4
The Unit of Crystal Phil Durrant & Pascal Marzan Roam
https://roamreleases.bandcamp.com/album/the-unit-of-crystal
That Irregular Galvanic Twitch BARK! Rex Casswell Phillip Marks Paul Obermayer Sound anatomy SA015.
https://soundanatomy.bandcamp.com/album/that-irregular-galvanic-twitch
Awoto Paul Dunmall Jon Irabagon James Owston Tymek Jowziak FMRCD553-1119.
Amalgam Ivo Perelman – Matt Shipp Makhala Music
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/amalgam
Kleine Trompetenmusik Birgit Ulher & Franz Hautzinger Relative Pitch RPR1107
https://relativepitchrecords.bandcamp.com/album/kleine-trompetenmusik
(VU) Pascal Marzan & Alex Ward Copecod POD 16
https://alexward.bandcamp.com/album/vu
Birdland Neuburg 2011 Cecil Taylor and Tony Oxley Fundacja Sluchaj
https://sluchaj.bandcamp.com/album/birdland-neuburg-2011
King Übü Örchestrü Concert at Town Hall Binaurality Live 1989 FMP Destination Out. https://destination-out.bandcamp.com/album/concert-at-town-hall-binaurality-live-1989
Blasphemous Fragments John Butcher Phil Minton Gino Robair Rastascan Records BRD 076 https://mintonbutcherrobairblasphemiousfragments.bandcamp.com/album/blasphemious-fragments
SFQ Seven Compositions (Limoges) Richard Comte Simon H Fell Mark Sanders Alex Ward Bruce’s Fingers BF 147 / nunc . https://brucesfingers.bandcamp.com/album/seven-compositions-limoges
Old Paradise Airs Steve Beresford & John Butcher Illuso IRCD25
https://ilusorecords.bandcamp.com/album/old-paradise-airs
The Runcible Quintet : Three Neil Metcalfe Adrian Northover Daniel Thompson John Edwards Marcello Magliocchi FMR
https://adriannorthover.bandcamp.com/album/three
Cascata Guilherme Rodrigues Creative Sources CS CD 676
https://guilhermerodrigues.bandcamp.com/album/cascata
Whatever is Not Stone Is Light Damon Smith Solo Balance Point Acoustics BPA -10. https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/whatever-is-not-stone-is-light-bpa-10
Deep Trouble Sarah Gail Brand Paul Rogers Mark Sanders
https://sarahgailbrand.bandcamp.com/album/deep-trouble
And Now Stefan Keune Dominic Lash Steve Noble FMR CD583-0520
Pentahedron Carlos Zingaro Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Hernani Faustino José Oliveira. Creative Sources CS 642 CD
W : Trio Blurb Maggie Nicols John Russell Mia Zabelka evil rabbit records 27
Benedict Taylor Swarm
https://benedicttaylor.bandcamp.com/album/swarm
Grappling with the Orange Porpoise The Chemical Expansion League : Adam Bohman Sue Lynch Adrian Northover Ulf Mengersen Creative Sources CS 646 cd
Crossings Veryan Weston Hannah Marshall Mark Sanders Hi4Head
https://open.spotify.com/album/2UfYGa1tF86ViWpbemCfhv
Tell No Lies : Anasyrma Aut Records – Fonterossa AUT 063 Nicola Guazzaloca Edoardo Marraffa Filippo Orefice Luca Bernard Andrea Grillini
https://autrecords.bandcamp.com/album/anasyrma
Hearoglyphics Jean-Jacques Duerinckx - Adrian Northover Setola di Maiale SM 4150 https://adriannorthover.bandcamp.com/album/hearoglyphics
ZIP Contrabass Duo Studer-Frey Leo Records CD LR 891.
Don’t Worry Be Happy Duthoit Waziniak Brechet Hautzinger Intrication Tri 002
http://www.orkhestra.fr/catalog.php?FIND=TRI002
In The Sea Tristan Honsinger Nicolas Caloia Joshua Zubot Rhizome + Gromka + Vitrola
https://musiquerayonnante.bandcamp.com/album/rhizome-2017
https://musiquerayonnante.bandcamp.com/album/gromka-2018
https://musiquerayonnante.bandcamp.com/album/vitrola-2019
Physis Elisabeth Coudoux Emiszatett impakt records impakt 014
https://impakt-koeln.bandcamp.com/album/emiszatett-physis
Dust of Light/Ears Drawing Sounds Pascal Marzan & Ivo Perelman Setola di Maiale https://ivoperelmanmusic.bandcamp.com/album/dust-of-light-ears-drawing-sounds
The Purity of Desire Gordon Grdina Hamin Honari & Ivo Perelman NotTwo
NAX/XUS Yoni Silver Mark Sanders Tom Wheatley Confront ccs66 https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/nas-xus
‘t other Benedict Taylor & Daniel Thompson empty birdcage records https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/releases
Frequency Disasters Steve Beresford Pierpaolo Martino Valentina Magaletti confront core series / core 18
https://www.confrontrecordings.com/frequency-disasters
Bloem : Anton Mobin – Jean-Jacques Duerinckx Middleeight Recordings [AABA#23] https://middleeightrecordings.bandcamp.com/album/bloem-aaba-23
Orbits Harri Sjöström Andrea Centazzo Sergio Armaroli Giancarlo Schiaffini Ictus 190
https://ictusrecords.bandcamp.com/album/orbits
Cecil Taylor & Tony Oxley « ……. being astral and all registers – power of two ……” Live at the Ulichsberg Festival, May 10th 2002. Discus 106cd.
https://discus-music.co.uk/catalogue-mobile/dis106-detail
Paul Lovens & Florian Stoffner Tetratne ezz-thetics 1026
https://www.nrwvertrieb.de/products/0752156102625
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
29 décembre 2020
27 décembre 2020
Derek Bailey & Mototeru Takagi/ Pascal Bréchet & Thierry Waziniak :Duo Libertaire/ Cecil Taylor & Tony Oxley/ Sergio Armaroli Andrea Centazzo Giancarlo Schiaffini Harri Sjöström
Derek Bailey / Mototeru Takagi Live at Far Out – Atsugi 1987 No Business NBCD 132
http://nobusinessrecords.com/live-at-farout,-atsugi-1987.html
Album réunissant le guitariste Derek Bailey et le saxophoniste Mototeru Takagi, ici au sax soprano et disponible en CD et en LP. En 1987, Derek Bailey est au sommet de son art. Lors de différents séjours au Japon, il rencontre régulièrement une série de musiciens japonais qui avaient participé à son LP « Duo & Trio Improvisation » (Kitty Records avril 1978) : le trompettiste Toshinori Kondo, le percussionniste Tsuchi Tsuchitori, le contrebassiste Motoharu Yoshizawa, et les saxophonistes Kaoru Abe et Mototeru Takagi. Il rencontra aussi le batteur Sabu Toyozumi, un proche compagnon de cette fratrie d’improvisateurs, aujourd’hui décimée, l’extraordinaire trompettiste Toshinori Kondo étant décédé le mois dernier. Parmi tous ces pionniers de la free-music nippone, Mototeru Takagi n’a pas acquis le statut légendaire des Abe, Takyanagi, Toyozumi, Kondo, Sakata dont les enregistrements fleurissent au point que No Business publie une suite ininterrompue d’albums en collaboration avec le label Chap-Chap de Takeo Suetomi, lui-même un légendaire organisateur de concerts. Celui-ci a cru bon de proposer ce souvenir lointain d’un concert à Atsugi, là-même où Brötzmann et Bennink ont gravé leur album le plus recherché par les collectionneurs, en frappant fort ! Peu importe avec qui il joue, Derek Bailey cultive un art extraordinaire pour tirer un parti créatif d’une confrontation – dialogue en dévoilant encore plus la richesse (illimitée) de son jeu. Si Mototeru Takagi n’est sans doute pas un saxophoniste soprano comparable à des géants comme Steve Lacy, Evan Parker ou Lol Coxhill, il suit sa route sans ciller en étendant son langage avec audace manifestant une volonté bien accrochée. Sa démarche est orientée vers une forme de lyrisme détaché, poétique, subtil par ses altérations sur les tonalités et des pointes sonores extrêmes. Le Duo I s’étend sur 28 :11. La sauce prend mieux encore dans la deuxième improvisation (Duo II 17 :39) où Derek Bailey joue acoustique en solitaire pour commencer, évoquant parfois la sonorité d’une cithare japonaise koto. Visiblement, cela inspire Takagi qui s’applique à dialoguer avec une belle logique. Duo III - 8:09 : le dialogue atteint la plénitude, le timbre du sax acquiert une lueur intense, une chaleur sereine. Il poursuit sa route et découvre un parcours sinueux alors que son compagnon s’est tu, face à un silence interrogateur strié par des aigus. On enchaîne sur le Duo IV - 16:37. Derek Bailey a repris sa guitare électrique et exploite les harmoniques avec la pédale de volume. Le jeu de Mototeru Takagi évoque les ritournelles et cascades polytonales de Lacy. Le duo bat alors à plein avec les staccatos secs aux harmoniques filantes du guitariste sans pour autant que le saxophoniste s’échappe de son attitude pensive, voire réservée. La guitare s’anime, les balancements du guitariste dans les intervalles distendus évoluent progressivement dans des cadences impénétrables et tel un canard face à un étang ensoleillé, le sopraniste caquète et nasille pour enfin étirer des aigus saturés en réponse aux couperets des clusters maniaques. Alors que le concert atteint dès lors un climax où chacun quitte ses procédés habituels en complète métamorphose en étirant les sons, on a le sentiment que D.B. aurait certainement sélectionné cette dernière partie dans un imaginaire album Company Made in Japan. Ce serait d’ailleurs une excellente idée de rééditer à nouveau l’album de 1978 « Duo and Trio » avec les excellentes prises alternatives publiées par la suite et un deuxième CD complété de sélections de rencontres ultérieures de Bailey avec ces musiciens dans les années 80 et 90.
Hint of Monk Duo Libertaire Pascal Bréchet et Thierry Waziniak intrication label Tri 003
https://labelintrication.wixsite.com/label/duo-libertaire
Qu’un Duo Libertaire consacre son premier album à la musique de Thelonious Monk me semble plus une Evidence qu’un quelconque Hommage. Les compositions de T.M. et son jeu lumineux et monolithique ont littéralement servi de tremplin – ouverture béante pour un très grand nombre de libérateurs du jazz. Des pianistes : Cecil Taylor,Jaki Byard, Misha Mengelberg, Ran Blake, Alex von Schlippenbach, des souffleurs : Steve Lacy, John Coltrane, Ornette Coleman, Eric Dolphy… Étrangement, le format guitare (Pascal Bréchet) et percussions (Thierry Waziniak) s’est retrouvé au centre de la carrière de Derek Bailey.C'est donc qu'il s'agit d'une formule instrumentale fort propice à la créativité et à de multiples possibilités, remarquablement mises au clair par nos deux duettistes. Dix compositions parmi les plus singulières de Monk servent de point de départ invisible à une perspective détournée, elliptique et introspective de certains de leurs secrets, intervalles et dynamiques induits, imaginaires ou éminemment logiques. Citons-les : Let’s Call This, San Francisco Holiday, Evidence, Japanese Folk Song, Trinkle, trinkle, Think Of One, Ugly Beauty, Hackensack, Work et In Walked Bud piochées dans les catalogues Prestige, Riverside et CBS. De ce corpus devenu canonique au fil des décennies, les deux improvisateurs ont tracé des univers sonores variés au fil d’échanges spontanés. Leurs éléments mélodiques ressurgissent sans crier gare, les successions d’accords sont décomposées, triturées, extrapolées alors que leurs structures rythmiques servent de base aux cadences évolutives imaginées par Thierry Waziniak. On apprécie grandement la concision suggestive du duo. Le travail sonore électroacoustique granulaire du guitariste « avec effets » Pascal Bréchet dans leur album Don’t Worry, Be Happy avec Franz Hauzinger et Isabelle Duthoit, fait place ici à la guitare « jazz » amplifiée avec une belle angularité (Monk) et une sonorité exquise ouvrant le champ sonore aux trouvailles rythmiques et percussives aériennes de son camarade. Leur version d’Hackensack pourrait figurer dans une anthologie de versions de compos de Monk. De même, la structure de Work est ruminée avec autant d’intuition que de savoir-faire sur la touche, coïncidant avec le va et vient des balais et baguettes. Le jeu oblique du batteur met les figures usuelles de la batterie jazz dans une perspective cubiste et ludique au fil de l’instant avec une économie de moyens dans le droit chemin . Le label Intrication est conçu comme une synergie entre musiciens, poètes / prosateurs et artistes graphiques / peintres. La peinture de Marc Feld 2000 Song For Thelonius offre un contrepoint pictural à Hint of Monk dont les lettres blanches obturent sa surface au verso de la pochette. Un texte « monkien » de Zéno Bianu découpe le profil de la personnalité du Genius de Harlem et des caractéristiques de son jeu pianistique : cristal imprévisible, astéroïdes, fulgurances fractales, lumière renversée, liberté, ouverture, nocturne, à gauche de nulle part, éruption, oubli, silence… il y aussi leur propre composition Three or Four Shades of Monk qui s'intègre au projet. Mais plus qu’un « projet », une expédition existentielle et salutaire !
Cecil Taylor & Tony Oxley « ……. being astral and all registers – power of two ……” Live at the Ulichsberg Festival, May 10th 2002. Discus 106cd.
https://discus-music.co.uk/catalogue-mobile/dis106-detail
Cecil Taylor et Tony Oxley ont été réunis en 1988 dans le gigantesque projet de concerts à Berlin dont le label FMP a publié une collection impressionnante de duos, un trio et deux grands orchestres initiant la plus importante collaboration de « l’inventeur du free-jazz » avec une compagnie discographique. De cette série berlinoise mémorable, s’est développée l’association la plus durable de Cecil Taylor avec un musicien après la disparition de Jimmy Lyons. Suite au duo historique de Palm Leaf Hand (FMP) de 1988, Taylor et Oxley se sont produits fréquemment dans le Feel Trio avec le contrebassiste William Parker (The Feel Trio : Looking et Celebrated Blazons) durant les années 90 et puis en duo. Depuis le décès de Cecil, sont parus trois albums réunissant les deux musiciens sur les labels jazzwerkstatt (Conversations with T.O.), Fundacja Sluchak (Birdland Neuburg 2011) et maintenant chez Discus, grâce à Tony Oxley et Martin Archer. La pochette de … being astral and all registers – power of two… est ornée de fragments de tableaux d’Oxley qui évoquent à la fois le Thelonious Monk de Victor Brauner figurant sur la pochette d’Only Monk de Steve Lacy et les œuvres du peintre Alan Davie avec qui Oxley a souvent joué et gravé un inoubliable duo (Alan Davie Music Workshop 005) réédité en cd par a/l/l il y a presque vingt ans). Alan Davie lui a instillé le déclic pour se mettre à la peinture.
La caractéristique fondamentale du travail de Cecil Taylor avec les batteurs successifs depuis Sunny Murray est à la fois un challenge et une complémentarité organique dans le jeu « libre » avec une profonde adéquation entre la pratique du jeu pianistique et celle de la batterie. Le tandem avec Andrew Cyrille reste dans toutes les mémoires, il y eut aussi Marc Edwards, Beaver Harris, Shannon Jackson, Rashid Baker, Thurman Barker… quand, soudainement, la présence de Tony Oxley a introduit d’autres paramètres inspirés par la musique contemporaine d’avant-garde. Il y a la volonté d’exprimer des contrastes abrupts, de briser les symétries, de diversifier les sources sonores et d’instaurer des disruptions centrifuges. Le rôle du hi-hat, de la caisse claire et de la cymbale ride qui servaient aux batteurs tayloriens à moduler et propulser le flux de la « danse dans l’espace » du pianiste s’est mué dans une transposition de la hiérarchie des éléments de la batterie et des frappes dans un no-man’s land moins prévisible, presqu’aléatoire tout aussi excitant et ô combien singulier ! Deux longues constructions communes s’étalent en contractant le temps et le sentiment de durée (… being astral and all registers …. : 33 minutes et power of two…. : 26 minutes 46 secondes). Dans cet opus titanesque, le batteur n’hésite pas à se faire très discret en fouettant légèrement ses cymbales et mettant quelques coups épars sur un woodblock ou un crotale cristallin dans une atmosphère plus intimiste. Il y a une réelle frénésie dans le jeu d’Oxley même quand ses alliages de timbres rares ne haussent pas le ton : il suggère la vitesse supersonique désarticulant les fondements des arcs fulgurants tracés par Taylor dans l’espace : les doigtés se contractent, se chevauchent et démultiplient dans un chant percussif explosif qui contracte inexorablement le temps. Chaque séquence de déflagrations d’énergie rencontre son pendant de drame au bord du gouffre : les silences naissent entre les touchers espacés qui font frémir les câbles et la carcasse du grand piano. Les éléments métalliques du kit oxleyien murmurent, parties intégrantes du silence taylorien et détails sonores minutieux de gestes précis à l’écoute anticipative de l’orage qui ne va pas tarder à gronder. Les incantations au clavier appellent progressivement les méandres fastueux d’un ballet jupitérien, les accessoires percussifs se soulèvent et résonnent sous la force tellurique des avant-bras, poignets, épaules et phalanges olympiennes de l’oracle du piano. Il y a autant de retenue dans la débauche d’énergies que d’explosions exacerbées. Par enchantement, les duettistes font durer et métamorphoser la surprise jusqu’au bout, créant ainsi le concept de certitude aléatoire, en laissant se développer des canevas mélodiques clairsemés dans un enchaînement impromptu de miniatures, retenant jusqu’au bout la combustion rituelle, escamotée ici pour un jeu purement introspectif et cela jusqu’à la dernière note. Cecil Taylor a parsemé son cheminement créatif de chefs d’œuvre enregistrés : Looking Ahead, D Trad, What’s That?, Nefertiti, Conquistador, Student’s Studies, Indent, Silent Tongues, One Too Many Swift, Olim, The Tree Of Life … On doit absolument ajouter à cette liste ces deux derniers duos avec Tony Oxley, soit le Birdland Neuburg 2011, magnifiquement aéré et épuré et ce Live At Ulrichsberg Festival 2002. Ils s’imposent comme les offrandes ultimes à son fidèle public et autant qu’à ceux qui seraient amenés à découvrir son art pour la première fois. Tous auront droit au meilleur de Cecil Taylor … et de Tony Oxley !
Orbits Harri Sjöström Andrea Centazzo Sergio Armaroli Giancarlo Schiaffini Ictus 190
https://ictusrecords.bandcamp.com/album/orbits
Album paru sur le label Ictus d’Andrea Centazzo, Orbits met en présence deux souffleurs atypiques, le saxophoniste soprano finlandais Harri Sjöström au travail sonore minutieux et intuitivement mélodique et le tromboniste italien Giancarlo Schiaffini à la voix contrastée, graveleuse et pleine de nuances sonores, et deux percussionnistes, le vibraphoniste suisse Sergio Armaroli au jeu aérien et délicat et le très fin Andrea Centazzo qui se diversifie avec un mallet kat, très complémentaire du vibraphone. La musique se déroule suspendue ou flottant dans l’espace et les improvisations de chacun impriment des attirances gravitationnelles comme si leurs trajectoires individuelles se croisaient dans des champs d’attraction suscitant ellipses subtiles et magnétismes sonores. Le principe de base de ce quartet atypique se définit par un sentiment paradoxal de mobilité statique ou d’illusion du mouvement et d’indépendance de chacun par rapport à l’ensemble. Les sautillements cristallins du vibraphone sont scandés par un maraca volatile (Orbits #3) et rejoints par les ponctuations sonores des deux souffleurs. Chacune des 13 improvisations développe sa dynamique propre et met en scène une nouvelle histoire+. Le principe d' Orbits consiste en ce qu’un des musiciens commence à improviser – jouer seul et est rejoint successivement par les trois autres qui viennent se placer en orbite, chacun choisissant sa position orbitale, sa vitesse, sa distance, le tracé elliptique… Cette formule orchestrale et sa dynamique évoquerait un peu celle du groupe de Leo Smith avec le vibraphoniste Bobby Naughton, mais la musique d’Orbits détient bien d’autres secrets qui valent la peine d’être découverts au fil d’écoutes successives. Harri Sjöström a été l’élève de Steve Lacy et a joué toute une époque avec Cecil Taylor, Centazzo et Schiaffini comptent sans nul doute parmi les quelques plus importants pionniers de l’improvisation libre de la péninsule, et sûrement les plus originaux. À l’écoute de ces superbes Orbits, annotées par Evan Parker, on se dit qu’ils n’ont pas fini de chercher de nouvelles voies en s’intégrant dans le concept-projet de Sergio Armaroli. Si Steve Lacy avait figuré dans un quartet sonnant de cette façon, les fans et critiques se seraient exclamés en louanges enthousiastes, donnant à cet album fictif un statut de légende. En tous cas, il s'agit ici d'une belle histoire marveilleuse qui éclaire quelques faces cachées de l'improvisation collective.
http://nobusinessrecords.com/live-at-farout,-atsugi-1987.html
Album réunissant le guitariste Derek Bailey et le saxophoniste Mototeru Takagi, ici au sax soprano et disponible en CD et en LP. En 1987, Derek Bailey est au sommet de son art. Lors de différents séjours au Japon, il rencontre régulièrement une série de musiciens japonais qui avaient participé à son LP « Duo & Trio Improvisation » (Kitty Records avril 1978) : le trompettiste Toshinori Kondo, le percussionniste Tsuchi Tsuchitori, le contrebassiste Motoharu Yoshizawa, et les saxophonistes Kaoru Abe et Mototeru Takagi. Il rencontra aussi le batteur Sabu Toyozumi, un proche compagnon de cette fratrie d’improvisateurs, aujourd’hui décimée, l’extraordinaire trompettiste Toshinori Kondo étant décédé le mois dernier. Parmi tous ces pionniers de la free-music nippone, Mototeru Takagi n’a pas acquis le statut légendaire des Abe, Takyanagi, Toyozumi, Kondo, Sakata dont les enregistrements fleurissent au point que No Business publie une suite ininterrompue d’albums en collaboration avec le label Chap-Chap de Takeo Suetomi, lui-même un légendaire organisateur de concerts. Celui-ci a cru bon de proposer ce souvenir lointain d’un concert à Atsugi, là-même où Brötzmann et Bennink ont gravé leur album le plus recherché par les collectionneurs, en frappant fort ! Peu importe avec qui il joue, Derek Bailey cultive un art extraordinaire pour tirer un parti créatif d’une confrontation – dialogue en dévoilant encore plus la richesse (illimitée) de son jeu. Si Mototeru Takagi n’est sans doute pas un saxophoniste soprano comparable à des géants comme Steve Lacy, Evan Parker ou Lol Coxhill, il suit sa route sans ciller en étendant son langage avec audace manifestant une volonté bien accrochée. Sa démarche est orientée vers une forme de lyrisme détaché, poétique, subtil par ses altérations sur les tonalités et des pointes sonores extrêmes. Le Duo I s’étend sur 28 :11. La sauce prend mieux encore dans la deuxième improvisation (Duo II 17 :39) où Derek Bailey joue acoustique en solitaire pour commencer, évoquant parfois la sonorité d’une cithare japonaise koto. Visiblement, cela inspire Takagi qui s’applique à dialoguer avec une belle logique. Duo III - 8:09 : le dialogue atteint la plénitude, le timbre du sax acquiert une lueur intense, une chaleur sereine. Il poursuit sa route et découvre un parcours sinueux alors que son compagnon s’est tu, face à un silence interrogateur strié par des aigus. On enchaîne sur le Duo IV - 16:37. Derek Bailey a repris sa guitare électrique et exploite les harmoniques avec la pédale de volume. Le jeu de Mototeru Takagi évoque les ritournelles et cascades polytonales de Lacy. Le duo bat alors à plein avec les staccatos secs aux harmoniques filantes du guitariste sans pour autant que le saxophoniste s’échappe de son attitude pensive, voire réservée. La guitare s’anime, les balancements du guitariste dans les intervalles distendus évoluent progressivement dans des cadences impénétrables et tel un canard face à un étang ensoleillé, le sopraniste caquète et nasille pour enfin étirer des aigus saturés en réponse aux couperets des clusters maniaques. Alors que le concert atteint dès lors un climax où chacun quitte ses procédés habituels en complète métamorphose en étirant les sons, on a le sentiment que D.B. aurait certainement sélectionné cette dernière partie dans un imaginaire album Company Made in Japan. Ce serait d’ailleurs une excellente idée de rééditer à nouveau l’album de 1978 « Duo and Trio » avec les excellentes prises alternatives publiées par la suite et un deuxième CD complété de sélections de rencontres ultérieures de Bailey avec ces musiciens dans les années 80 et 90.
Hint of Monk Duo Libertaire Pascal Bréchet et Thierry Waziniak intrication label Tri 003
https://labelintrication.wixsite.com/label/duo-libertaire
Qu’un Duo Libertaire consacre son premier album à la musique de Thelonious Monk me semble plus une Evidence qu’un quelconque Hommage. Les compositions de T.M. et son jeu lumineux et monolithique ont littéralement servi de tremplin – ouverture béante pour un très grand nombre de libérateurs du jazz. Des pianistes : Cecil Taylor,Jaki Byard, Misha Mengelberg, Ran Blake, Alex von Schlippenbach, des souffleurs : Steve Lacy, John Coltrane, Ornette Coleman, Eric Dolphy… Étrangement, le format guitare (Pascal Bréchet) et percussions (Thierry Waziniak) s’est retrouvé au centre de la carrière de Derek Bailey.C'est donc qu'il s'agit d'une formule instrumentale fort propice à la créativité et à de multiples possibilités, remarquablement mises au clair par nos deux duettistes. Dix compositions parmi les plus singulières de Monk servent de point de départ invisible à une perspective détournée, elliptique et introspective de certains de leurs secrets, intervalles et dynamiques induits, imaginaires ou éminemment logiques. Citons-les : Let’s Call This, San Francisco Holiday, Evidence, Japanese Folk Song, Trinkle, trinkle, Think Of One, Ugly Beauty, Hackensack, Work et In Walked Bud piochées dans les catalogues Prestige, Riverside et CBS. De ce corpus devenu canonique au fil des décennies, les deux improvisateurs ont tracé des univers sonores variés au fil d’échanges spontanés. Leurs éléments mélodiques ressurgissent sans crier gare, les successions d’accords sont décomposées, triturées, extrapolées alors que leurs structures rythmiques servent de base aux cadences évolutives imaginées par Thierry Waziniak. On apprécie grandement la concision suggestive du duo. Le travail sonore électroacoustique granulaire du guitariste « avec effets » Pascal Bréchet dans leur album Don’t Worry, Be Happy avec Franz Hauzinger et Isabelle Duthoit, fait place ici à la guitare « jazz » amplifiée avec une belle angularité (Monk) et une sonorité exquise ouvrant le champ sonore aux trouvailles rythmiques et percussives aériennes de son camarade. Leur version d’Hackensack pourrait figurer dans une anthologie de versions de compos de Monk. De même, la structure de Work est ruminée avec autant d’intuition que de savoir-faire sur la touche, coïncidant avec le va et vient des balais et baguettes. Le jeu oblique du batteur met les figures usuelles de la batterie jazz dans une perspective cubiste et ludique au fil de l’instant avec une économie de moyens dans le droit chemin . Le label Intrication est conçu comme une synergie entre musiciens, poètes / prosateurs et artistes graphiques / peintres. La peinture de Marc Feld 2000 Song For Thelonius offre un contrepoint pictural à Hint of Monk dont les lettres blanches obturent sa surface au verso de la pochette. Un texte « monkien » de Zéno Bianu découpe le profil de la personnalité du Genius de Harlem et des caractéristiques de son jeu pianistique : cristal imprévisible, astéroïdes, fulgurances fractales, lumière renversée, liberté, ouverture, nocturne, à gauche de nulle part, éruption, oubli, silence… il y aussi leur propre composition Three or Four Shades of Monk qui s'intègre au projet. Mais plus qu’un « projet », une expédition existentielle et salutaire !
Cecil Taylor & Tony Oxley « ……. being astral and all registers – power of two ……” Live at the Ulichsberg Festival, May 10th 2002. Discus 106cd.
https://discus-music.co.uk/catalogue-mobile/dis106-detail
Cecil Taylor et Tony Oxley ont été réunis en 1988 dans le gigantesque projet de concerts à Berlin dont le label FMP a publié une collection impressionnante de duos, un trio et deux grands orchestres initiant la plus importante collaboration de « l’inventeur du free-jazz » avec une compagnie discographique. De cette série berlinoise mémorable, s’est développée l’association la plus durable de Cecil Taylor avec un musicien après la disparition de Jimmy Lyons. Suite au duo historique de Palm Leaf Hand (FMP) de 1988, Taylor et Oxley se sont produits fréquemment dans le Feel Trio avec le contrebassiste William Parker (The Feel Trio : Looking et Celebrated Blazons) durant les années 90 et puis en duo. Depuis le décès de Cecil, sont parus trois albums réunissant les deux musiciens sur les labels jazzwerkstatt (Conversations with T.O.), Fundacja Sluchak (Birdland Neuburg 2011) et maintenant chez Discus, grâce à Tony Oxley et Martin Archer. La pochette de … being astral and all registers – power of two… est ornée de fragments de tableaux d’Oxley qui évoquent à la fois le Thelonious Monk de Victor Brauner figurant sur la pochette d’Only Monk de Steve Lacy et les œuvres du peintre Alan Davie avec qui Oxley a souvent joué et gravé un inoubliable duo (Alan Davie Music Workshop 005) réédité en cd par a/l/l il y a presque vingt ans). Alan Davie lui a instillé le déclic pour se mettre à la peinture.
La caractéristique fondamentale du travail de Cecil Taylor avec les batteurs successifs depuis Sunny Murray est à la fois un challenge et une complémentarité organique dans le jeu « libre » avec une profonde adéquation entre la pratique du jeu pianistique et celle de la batterie. Le tandem avec Andrew Cyrille reste dans toutes les mémoires, il y eut aussi Marc Edwards, Beaver Harris, Shannon Jackson, Rashid Baker, Thurman Barker… quand, soudainement, la présence de Tony Oxley a introduit d’autres paramètres inspirés par la musique contemporaine d’avant-garde. Il y a la volonté d’exprimer des contrastes abrupts, de briser les symétries, de diversifier les sources sonores et d’instaurer des disruptions centrifuges. Le rôle du hi-hat, de la caisse claire et de la cymbale ride qui servaient aux batteurs tayloriens à moduler et propulser le flux de la « danse dans l’espace » du pianiste s’est mué dans une transposition de la hiérarchie des éléments de la batterie et des frappes dans un no-man’s land moins prévisible, presqu’aléatoire tout aussi excitant et ô combien singulier ! Deux longues constructions communes s’étalent en contractant le temps et le sentiment de durée (… being astral and all registers …. : 33 minutes et power of two…. : 26 minutes 46 secondes). Dans cet opus titanesque, le batteur n’hésite pas à se faire très discret en fouettant légèrement ses cymbales et mettant quelques coups épars sur un woodblock ou un crotale cristallin dans une atmosphère plus intimiste. Il y a une réelle frénésie dans le jeu d’Oxley même quand ses alliages de timbres rares ne haussent pas le ton : il suggère la vitesse supersonique désarticulant les fondements des arcs fulgurants tracés par Taylor dans l’espace : les doigtés se contractent, se chevauchent et démultiplient dans un chant percussif explosif qui contracte inexorablement le temps. Chaque séquence de déflagrations d’énergie rencontre son pendant de drame au bord du gouffre : les silences naissent entre les touchers espacés qui font frémir les câbles et la carcasse du grand piano. Les éléments métalliques du kit oxleyien murmurent, parties intégrantes du silence taylorien et détails sonores minutieux de gestes précis à l’écoute anticipative de l’orage qui ne va pas tarder à gronder. Les incantations au clavier appellent progressivement les méandres fastueux d’un ballet jupitérien, les accessoires percussifs se soulèvent et résonnent sous la force tellurique des avant-bras, poignets, épaules et phalanges olympiennes de l’oracle du piano. Il y a autant de retenue dans la débauche d’énergies que d’explosions exacerbées. Par enchantement, les duettistes font durer et métamorphoser la surprise jusqu’au bout, créant ainsi le concept de certitude aléatoire, en laissant se développer des canevas mélodiques clairsemés dans un enchaînement impromptu de miniatures, retenant jusqu’au bout la combustion rituelle, escamotée ici pour un jeu purement introspectif et cela jusqu’à la dernière note. Cecil Taylor a parsemé son cheminement créatif de chefs d’œuvre enregistrés : Looking Ahead, D Trad, What’s That?, Nefertiti, Conquistador, Student’s Studies, Indent, Silent Tongues, One Too Many Swift, Olim, The Tree Of Life … On doit absolument ajouter à cette liste ces deux derniers duos avec Tony Oxley, soit le Birdland Neuburg 2011, magnifiquement aéré et épuré et ce Live At Ulrichsberg Festival 2002. Ils s’imposent comme les offrandes ultimes à son fidèle public et autant qu’à ceux qui seraient amenés à découvrir son art pour la première fois. Tous auront droit au meilleur de Cecil Taylor … et de Tony Oxley !
Orbits Harri Sjöström Andrea Centazzo Sergio Armaroli Giancarlo Schiaffini Ictus 190
https://ictusrecords.bandcamp.com/album/orbits
Album paru sur le label Ictus d’Andrea Centazzo, Orbits met en présence deux souffleurs atypiques, le saxophoniste soprano finlandais Harri Sjöström au travail sonore minutieux et intuitivement mélodique et le tromboniste italien Giancarlo Schiaffini à la voix contrastée, graveleuse et pleine de nuances sonores, et deux percussionnistes, le vibraphoniste suisse Sergio Armaroli au jeu aérien et délicat et le très fin Andrea Centazzo qui se diversifie avec un mallet kat, très complémentaire du vibraphone. La musique se déroule suspendue ou flottant dans l’espace et les improvisations de chacun impriment des attirances gravitationnelles comme si leurs trajectoires individuelles se croisaient dans des champs d’attraction suscitant ellipses subtiles et magnétismes sonores. Le principe de base de ce quartet atypique se définit par un sentiment paradoxal de mobilité statique ou d’illusion du mouvement et d’indépendance de chacun par rapport à l’ensemble. Les sautillements cristallins du vibraphone sont scandés par un maraca volatile (Orbits #3) et rejoints par les ponctuations sonores des deux souffleurs. Chacune des 13 improvisations développe sa dynamique propre et met en scène une nouvelle histoire+. Le principe d' Orbits consiste en ce qu’un des musiciens commence à improviser – jouer seul et est rejoint successivement par les trois autres qui viennent se placer en orbite, chacun choisissant sa position orbitale, sa vitesse, sa distance, le tracé elliptique… Cette formule orchestrale et sa dynamique évoquerait un peu celle du groupe de Leo Smith avec le vibraphoniste Bobby Naughton, mais la musique d’Orbits détient bien d’autres secrets qui valent la peine d’être découverts au fil d’écoutes successives. Harri Sjöström a été l’élève de Steve Lacy et a joué toute une époque avec Cecil Taylor, Centazzo et Schiaffini comptent sans nul doute parmi les quelques plus importants pionniers de l’improvisation libre de la péninsule, et sûrement les plus originaux. À l’écoute de ces superbes Orbits, annotées par Evan Parker, on se dit qu’ils n’ont pas fini de chercher de nouvelles voies en s’intégrant dans le concept-projet de Sergio Armaroli. Si Steve Lacy avait figuré dans un quartet sonnant de cette façon, les fans et critiques se seraient exclamés en louanges enthousiastes, donnant à cet album fictif un statut de légende. En tous cas, il s'agit ici d'une belle histoire marveilleuse qui éclaire quelques faces cachées de l'improvisation collective.
10 décembre 2020
NOT YET REISSUED IMPROVISED MUSIC EUROPEAN TOP NOTCH VINYLE ALBUMS OF THE SEVENTIES AND THE EIGHTIES
Dear Readers
Nowadays , many recorded treasures of the free improvised music are re-issued and their original copies are rising incredible prices on discogs or ebay to the point that I feel it quite insane...Even many sold-out CD or LP reissues are reaching amounts in dozens of euros (plus rising P.& P. charges). Sometimes, it is clear that some "reissuers" have no idea (or simply don't care) about the actual musical interest, and the quality of the recording which helps to actually figure out how the music actually sounded for the ones who caught it live.
Anyway, here my own list of some GREAT not-yet-reissued "master works" of recorded free improvised music.
Firstly, anyone serious enough would include almost all the Po-Torch label's catalog, the labour of love of Paul Lovens and Paul Lytton (until 1985). Here some huge albums !
WAS IT ME ? Paul Lovens and Paul Lytton drums percussions home made electronics Po Torch ptr - jwd 01 recorded 1975 by my great friend Michel Huon and issued 1977.
To my own taste the Lovens - Lytton duo was one of the GREATEST groups in improvised music.
WHEN I SAY SLOWLY I MEAN AS SOON AS POSSIBLE ptr - jwd 03 Paul Rutherford and Paul Lovens trombone and percussion
Derek Bailey wrote in 1995 that the legendary solo album The Gentle Harm of the Bourgeoisie of Paul Rutherford is the genuine article of solo free improvisation.
I would add another reference in this : OLD MOERS ALMANACH Paul Rutherford solo trombone on Ring Records and reissued on Moers Music.
A MOINHO DA ASNEIRA - À CERCA DA BELA VISTA A GRAÇA Po Torch ptr - jwd 05. Paul Lovens and Paul Lytton percussions 1977
This is their second one effort and it reaches the no man's land of experimentation - dérive - écriture automatique.
THE FETCH Po Torch PTR - jwd 08 Paul Lovens and Paul Lytton percussions 1984 . Recorded in Pisa 1980 and London Actual Music 1981 by Jean-Marc Foussat. Bill Dixon who attended their duo set and Evan Parker 's large group with Lytton, Lovens, Barry Guy... was completely smackgobbled ! This is the point of origin of the process through wich Bill Dixon went to perform and record with Tony Oxley and Barry Guy. Some years after , Cecil Taylor performed and recorded in Berlin with Lovens, Bennink, Oxley, Moholo and Sommer (1988). This was issued in a legendary Cecil Taylor Box by Free Music Production in 1989
The legendary critic and photograher Gérard Rouy's BEST free improvised album is :
IDYLLEN und KATASTROPHEN Po Torch ptr - jwd 06 Sven Åke Johansson / Alexander von Schlippenbach/ Derek Bailey / Derek Bailey / Gûnter Christmann / Wolfgang Fuchs / Paul Lovens / Candace Natvig / Maarten van Regteren Altena 1979.
WEAVERS PO TORCH ptr - jwd 07 Günter Christmann / Maarten Altena/ Paul Lovens 1979 . One of the very best trio ever !
Solomusiken Für Posaune Und Kontrabaß Günter Christmann trombone and double bass C/S records. The master of the short form with a kind of fantasy.
From the INCUS label founded by Evan Parker, Derek Bailey and Tony Oxley, there is a absolutely wonderful album which embodies the so-called British free - improvisation at his best and most idiosyncratic !
BALANCE Incus 11 Ian Brighton / Radu Malfatti/ Frank Perry / Philipp Wachsmann / Colin Wood 1973.
Other INCUS gems !
COMPATIBLES INCUS 50 Derek Bailey - Evan Parker duo 1985. No comment !
SUNDAY BEST INCUS 32 Garry Todd & Roger Turner tenor saxophone and percussion 1979.
Again from PO TORCH label a real gem
THE LAST SUPPER PO TORCH ptr - jwd 09 Toshinori Kondo and Paul Lovens 1984. The trumpet implosion with incredible percussive sounds.
SPARKS OF THE DESIRE MAGNETO BEAD 7 Chamberpot : Phil Wachsmann violin electronics, Richard Beswick electric guitar, Tony Wren double bass 1977. I attended their concerts two times seated so close of them that I opened the door of what was actually free improvisation.
ALTERATIONS BEAD 9 Steve Beresford Peter Cusack Terry Day David Toop !QUARTZ006 UP YOUR SLEEVE Steve Beresford Peter Cusack Terry Day David Toop
OUTSPAN N° 1 FMP 0180 Peter Brötzmann Fred Van Hove Han Bennink + Albert Mangelsdorff. Recorded 14-15 Of April 1974 During The Workshop Freie Musik, Berlin, Akademie Der Künste.
OUTSPAN N°2 FMP 0020 Peter Brötzmann Fred Van Hove Han Bennink Recorded Live at Ost - West Festival in Nürnberg 4 May 1974. Plus que ça tu meurs !
Nowadays , many recorded treasures of the free improvised music are re-issued and their original copies are rising incredible prices on discogs or ebay to the point that I feel it quite insane...Even many sold-out CD or LP reissues are reaching amounts in dozens of euros (plus rising P.& P. charges). Sometimes, it is clear that some "reissuers" have no idea (or simply don't care) about the actual musical interest, and the quality of the recording which helps to actually figure out how the music actually sounded for the ones who caught it live.
Anyway, here my own list of some GREAT not-yet-reissued "master works" of recorded free improvised music.
Firstly, anyone serious enough would include almost all the Po-Torch label's catalog, the labour of love of Paul Lovens and Paul Lytton (until 1985). Here some huge albums !
WAS IT ME ? Paul Lovens and Paul Lytton drums percussions home made electronics Po Torch ptr - jwd 01 recorded 1975 by my great friend Michel Huon and issued 1977.
To my own taste the Lovens - Lytton duo was one of the GREATEST groups in improvised music.
WHEN I SAY SLOWLY I MEAN AS SOON AS POSSIBLE ptr - jwd 03 Paul Rutherford and Paul Lovens trombone and percussion
Derek Bailey wrote in 1995 that the legendary solo album The Gentle Harm of the Bourgeoisie of Paul Rutherford is the genuine article of solo free improvisation.
I would add another reference in this : OLD MOERS ALMANACH Paul Rutherford solo trombone on Ring Records and reissued on Moers Music.
A MOINHO DA ASNEIRA - À CERCA DA BELA VISTA A GRAÇA Po Torch ptr - jwd 05. Paul Lovens and Paul Lytton percussions 1977
This is their second one effort and it reaches the no man's land of experimentation - dérive - écriture automatique.
THE FETCH Po Torch PTR - jwd 08 Paul Lovens and Paul Lytton percussions 1984 . Recorded in Pisa 1980 and London Actual Music 1981 by Jean-Marc Foussat. Bill Dixon who attended their duo set and Evan Parker 's large group with Lytton, Lovens, Barry Guy... was completely smackgobbled ! This is the point of origin of the process through wich Bill Dixon went to perform and record with Tony Oxley and Barry Guy. Some years after , Cecil Taylor performed and recorded in Berlin with Lovens, Bennink, Oxley, Moholo and Sommer (1988). This was issued in a legendary Cecil Taylor Box by Free Music Production in 1989
The legendary critic and photograher Gérard Rouy's BEST free improvised album is :
IDYLLEN und KATASTROPHEN Po Torch ptr - jwd 06 Sven Åke Johansson / Alexander von Schlippenbach/ Derek Bailey / Derek Bailey / Gûnter Christmann / Wolfgang Fuchs / Paul Lovens / Candace Natvig / Maarten van Regteren Altena 1979.
WEAVERS PO TORCH ptr - jwd 07 Günter Christmann / Maarten Altena/ Paul Lovens 1979 . One of the very best trio ever !
Solomusiken Für Posaune Und Kontrabaß Günter Christmann trombone and double bass C/S records. The master of the short form with a kind of fantasy.
From the INCUS label founded by Evan Parker, Derek Bailey and Tony Oxley, there is a absolutely wonderful album which embodies the so-called British free - improvisation at his best and most idiosyncratic !
BALANCE Incus 11 Ian Brighton / Radu Malfatti/ Frank Perry / Philipp Wachsmann / Colin Wood 1973.
Other INCUS gems !
COMPATIBLES INCUS 50 Derek Bailey - Evan Parker duo 1985. No comment !
SUNDAY BEST INCUS 32 Garry Todd & Roger Turner tenor saxophone and percussion 1979.
Again from PO TORCH label a real gem
THE LAST SUPPER PO TORCH ptr - jwd 09 Toshinori Kondo and Paul Lovens 1984. The trumpet implosion with incredible percussive sounds.
SPARKS OF THE DESIRE MAGNETO BEAD 7 Chamberpot : Phil Wachsmann violin electronics, Richard Beswick electric guitar, Tony Wren double bass 1977. I attended their concerts two times seated so close of them that I opened the door of what was actually free improvisation.
ALTERATIONS BEAD 9 Steve Beresford Peter Cusack Terry Day David Toop !QUARTZ006 UP YOUR SLEEVE Steve Beresford Peter Cusack Terry Day David Toop
OUTSPAN N° 1 FMP 0180 Peter Brötzmann Fred Van Hove Han Bennink + Albert Mangelsdorff. Recorded 14-15 Of April 1974 During The Workshop Freie Musik, Berlin, Akademie Der Künste.
OUTSPAN N°2 FMP 0020 Peter Brötzmann Fred Van Hove Han Bennink Recorded Live at Ost - West Festival in Nürnberg 4 May 1974. Plus que ça tu meurs !
4 décembre 2020
Fred Van Hove & Peter Brötzmann/Anton Mobin – Jean-Jacques Duerinckx/Masaharu Showji & Shoji Hano/Mike Adcock Ludwig Variations/Simon H Fell Rhodri Davies Mark Wastell Burkhard Beins
Van Hove / Brötzmann Front to Front Dropa disk #009
https://dropadisc.bandcamp.com/album/front-to-front-3
https://soundinmotion.be/product/van-hove-brotzmann-front-to-front-lp/
Alors que tout récemment le label Trost a célébré les 50 ans de la vieille garde de la free-music européenne (Machine Gun – May 1968) en rassemblant Han Bennink, Peter Brötzmann et Alex von Schlippenbach (https://www.trost.at/broetzmann-schlippenbach-bennink-fifty-years-after-live-at-the-lila-eule-2018.html) à la mythique Lila Eule, Koen Vandenhoudt et Christel Kumpen (de Dropa Disc/ Sound In Motion) ont eu l’excellente idée de réunir encore une fois (pour toutes ?) le pianiste Fred Van Hove et le saxophoniste de Wuppertal à Anvers. N’avaient-ils pas partagé l’aventure du trio avec Han Bennink entre 1968 et 1976 ? Trio plus que mémorable. Si vous voulez mon avis tout à fait personnel, je pense que Peter Brötzmann n’est jamais en meilleure compagnie qu’avec un instrument différent comme le piano par exemple ou la pedal-steel de Heather Leigh que la sempiternelle paire contrebasse – batterie. Peter dégage tellement d’énergie, de puissance, de force brute, il y a une telle expressivité, qu’il n’a en fait pas vraiment besoin d’être propulsé par une « section rythmique ». Je peux me tromper, mais il faut avouer qu’un son aussi tranchant comme une lame sera toujours mis en valeur face au silence ou par des instruments aux timbres et sonorités autrement résonnantes. À cette force de la nature du souffle, Fred Van Hove apporte à la fois les raffinements de la musique savante et une pratique anti-académique du grand piano, instrument culturellement « bourgeois » par excellence. Cet enregistrement eut lieu à Anvers le 24 août 2019 durant le Summer Bummer Festival organisé par Oorstof, l’organisation sœur de Dropa disc. À l’âge de 82 ans et malgré sa santé déclinante, Fred Van Hove (avec un V en lettres capitales !) a conservé une belle énergie et la maîtrise de son univers pianistique si singulier. Il nous régale encore de ses sonorités particulières au clavier et en sa compagnie, vous avez droit à la quintessence lyrique et hurlante de Peter Brötzmann en quatre pièces bien calibrées, lui-même incarnation ultime de « l’art brut » dans la musique. Le contraste est saisissant au point qu’en interagissant de curieuse manière, « chacun dans leur trip », les deux improvisateurs se bonifient mutuellement. Pas besoin d’échanger des signaux pour se comprendre et se compléter… de manière tout à fait unique. Front to Front n’est pas « un album en plus », mais une leçon de chose bien utile.
Bloem : Anton Mobin – Jean-Jacques Duerinckx Middleeight Recordings [AABA#23] https://middleeightrecordings.bandcamp.com/album/bloem-aaba-23
Super duo entre les preparated chambers d’Anton Mobin et les saxophones sopranino et baryton de Jean-Jacques Duerinckx. Les chambers d’A.M. sont de magnifiques boîtes faites main contenant filins métalliques, lames flexibles, ressorts, etc…soigneusement installés et amplifiés par micro-contact. Démarche bruitiste via une installation ambulante et portative où le bruiteur est vraiment concerné par les variations de hauteur (notes sur une gamme imaginaire), de timbres, de textures, avec une subtile dimension percussive. Ni acoustique, ni électronique, mais les deux à la fois. Confronté au souffle et au jeu sur le bec, l’anche, la colonne d’air et les clapets qui se ferment et s’ouvrent sur celle-ci de manière faussement désordonnée de JJD, le saxophoniste, Anton s’active à faire oublier qu’il manipule une caisse à objets en extrayant des vibrations, crissements, percussions, interagissant dans la même sphère sonore que son camarade. Le souffleur fait vibrer l’anche du petit sax sopranino en perçant la couche soyeuse du timbre et en le lacérant, déchiquetant les notes, bulles d’air en voie d’explosion, gaz multicolores. Son sax baryton se hérisse, ses notes graves rebondissent et éclatent à la surface épaisse d’un étang visqueux où viennent coasser crapauds et rainettes dans un sabbat féérique. Une ménagerie visuelle s’imprime dans notre imagination aux prises avec leur tournis acoustique. On est ici en phase avec ces utopistes de l’objétisme allumé, à la fois sauvages et méticuleux de l’art sonore sur table, et du recyclage maniaque d’objets égarés, Hugh Davies, Adam Bohman, Lee Patterson, Giles Leaman. Excentriques ? Non ! Mais concentrés et focalisés sur la recherche du son et d’articulations en expansion et conflagrations continues / discontinuse. Le label s’appelle Middleeight, sans doute que le milieu d’un huit est un point de rencontre de courbes infinies. J'ajoute encore que J.J., un as du saxophone sopranino partage de surprenants duos de souffleurs en phase avec Adrian Northover (CD Hearoglyphics), et avec les clarinettistes Tom Jackson ou Jacques Foschia. Quant à Anton Mobin, on l'entend fréquemment en duo avec le "violoniste" alto Benedict Taylor, un des cordistes à suivre.
Masaharu Showji & Shoji Hano :
Shouji & Shouji Label E.G.G. 2003
Shoji & Shoji 2 E.G.G. 20172
Deux cd’s du duo du batteur Shoji Hano et du sax alto Masaharu Showji, l’un datant de 2003 l’autre de 2017, publiés tous les deux sur le label E.G.G. de Shoji Hano avec qui Peter Brötzmann lui-même a enregistré en duo (Funny Rats et Funny Rats 2) pour le même label. Derek Bailey, lui se trouve sur un autre album en duo avec le même batteur. Ces deux CD’s Shouji & Shouji et Shoji & Shoji 2 nous permettent de découvrir un exemple presque parfait de free – drumming voisin du concept polyrythmique à oscillation de vitesses simultanée et multiple comme si le sol se dérobait sous nos pieds. La qualité de l’enregistrement de la batterie est optimale et la position des micros idéale. Entraîné dans le tournoiement des pulsations contradictoires et croisées, accélérées et ralenties, le souffleur reste bien ancré les deux pieds dans le sol tirant de son sax alto les sons parmi les plus brûlants, les plus bruts qu’on puissent entendre. Pourquoi j’aborde ces deux albums assez insolites de cet improvisateur dont on n’a jamais entendu parler ou même mentionner parmi les insatiables fanatiques du free japonais. Curieux ! Collectionner tous les albums et CD’s qui documentent la multitude de concerts de Kaoru Abe, souvent enregistrés avec un cassettophone entre 1969 et 1978, année de sa mort, ne nous ressusciteront pas ce phénomène atypique. Ayant joué et tourné moi-même avec Sabu Toyozumi, j’ai pu recueillir ses impressions et ses souvenirs de première main au sujet de son camarade disparu il y a plus de quarante ans. Mais à quoi bon ! C’est bien de se réfugier dans le passé avec passion, mais autant ne pas laisser un inspiré toujours vivant comme Showji dans la banlieue d’Hiroshima. Autant en profiter, car il n’y a que le plaisir qui compte.
Fort heureusement, en tournant au Japon, John Russell a eu l’occasion de jouer et de rencontrer Masaharu Showji et l’a invité à se produire à son dernier festival Fête Quaqua au Vortex à Londres en août 2019. Masaharu est un solide souffleur avec une sonorité abrasive, cabossée, une articulation brute et un timbre doré, brûlant. Le contraste et l’empathie entre le batteur et le souffleur les rendent irrésistibles à quatorze années d’intervalle. Il y a bien le bassiste électrique Dai Nakamura dans le Shoji & Shoji n°2 dans l’interlude de 9 minutes et quelques qui relie les premier morceau à la pièce de résistance , The Face and Wrong Side de 28 minutes. L’album n°1 est plus basé sur les pulsations et le n° 2 vers une sorte de dérive qui s’échauffe tout au long de The Face and The Wrong Side et là vous tomberez pile sur la belle sonorité et le flux polyrythmique mouvant de Shoji Hano et le son erraillé et saturé de Masaharu Showji qui s’emballe, éructe, tourbillonne fiévreusement. La partie de batterie est lumineuse et on goûte la qualité de frappe avec toutes ces nuances en contraste parfait avec les sons enflammés et intenses du souffleur. Le découpage millimétré des temps et pulsations qui se chevauchent sur chaque point précis des différentes surfaces des peaux font résonner le timbre exact de chacun d’eux comme si les tambours vous parlaient une langue inconnue mais pourtant familière Un régal acoustique pour les oreilles. Bonne chance pour trouver ces deux compacts.
The Ludwig Variations Mike Adcock MJA 009 avec Simon Adcock, Sylvia Hallett, Clive Bell, Chris Cundy, Nick Haeffner, Beth Porter, Stuart Wilding & Xanthe Wood.
https://mikeadcock.bandcamp.com/album/the-ludwig-variations
Confiné chez lui durant la pandémie le pianiste – accordéoniste Mike Adcock, connu par son groupe Accordion Go Crazy, s’est mis à jouer avec un antique accordéon Luther fabriqué en Allemagne il y a une centaine d’années en espérant retrouver le charme désuet de cet instrument acheté dans une brocante. Plus très jouable avec des anches défectueuses ou qui nécessitent d’être adaptées, ce vieil accordéon a une qualité de timbre et une profondeur parfois tremblante qu’on aurait peine à chercher sur un instrument récent. En s’entêtant un tant soit peu, il est parvenu à créer une dizaine de pièces dont il envoya les enregistrements à une série de musiciens amis en vue de former des duos à distance. Il leur avait demandé de créer leurs propres improvisations en relation avec les siennes et de lui envoyer l’enregistrement. La réponse fut enthousiaste au point qu’il décida d’utiliser deux ou trois enregistrements de musiciens différents pour en faire une musique d’ensemble. Dans certains passages, il a enlevé sa propre partie tant les contributions individuelles coïncidaient. Claviers, vièle Hardanger, sax et clarinette basse, percussion, violoncelle, thérémine, mélodica, shakuhachi. Lui-même joue aussi de l’harmonium, ukélélé, tuiles de toit… ou on l’entend en solo dans trois morceaux. Musique aérienne, enjouée ou nostalgique, un écho de moments enfouis dans la mémoire qui ressurgissent comme dans un film. Les instruments et musiciens choisis s’accordent à merveille avec la sonorité enchantée et lunaire du vieux Ludwig, que ce soit la vielle, le sax baryton, les percussions etc… Une évocation de polka entrevue au gré d’un voyage , des impressions de valse lente, ou une forme de tango introverti. Un parfum de musiques populaires d’un autre temps avec la sonorité fantomatique de l’accordéon qui imprègne l’ensemble des morceaux. On y entend aussi le bruit d’un orage ou une moto qui s’en va dans le lointain . Une musique raffinée en toute simplicité, un folklore inventé, idyllique et éphémère. Vraiment magnifique !
IST At the Club Room (for Simon Fell) Rhodri Davies Simon H. Fell Mark Wastell confront bandcamp digital https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/at-the-club-room-for-simon-h-fell
Simon H Fell nous a quitté il y a quelques mois, fort malheureusement. Il nous laisse des enregistrements très souvent remarquables et j’ai laissé du temps depuis la parution de At The Club Room du trio IST (le 06/07/2020) pour en décrire la musique et les circonstances en relation avec un futur album d’un autre groupe réunissant ces deux camarades, Mark Wastell et Rhodri Davies, the Sealed Knot , avec le percussionniste Burkhard Beins et enregistré le 3 mars 2020. Simon était une personnalité hors norme et musicien déjà très accompli, compositeur extraordinaire et contrebassiste très expérimenté par tous les types de musiques qu’il maîtrisait, lorsqu’il s’engagea avec ces deux jeunes musiciens qui s’initiaient alors à l’improvisation libre : le violoncelliste Mark Wastell et le harpiste Rhodri Davies, tous deux très étonnés qu’un maestro de son envergure puisse être si enthousiaste. Juillet 1996, Club Room à Londres, la série de gigs de Richard Sanderson, John Russell et Mike Walter. La contrebasse de Simon H Fell, le violoncelle de Mark Wastell et la grande harpe de Rhodri Davies lors de leur premier concert du trio IST, lequel grava un peu plus tard Ghost Notes, un recueil de compositions écrites par Simon et quelques-uns de ses amis et d’improvisations pures et un vinyle pour le label SIWA (Anagrams To Avoid). On pourrait dire que leur musique d’alors incarne une sorte d’archétype de la musique improvisée « anglaise » (alors que Simon vient du Yorkshire et Rhodri est un Gallois fier de l’être) . Mark a commencé sa démarche très jeune en assistant d’abord aux concerts londoniens du Spontaneous Music Ensemble dans leurs dernières années et ceux de John Russell, John Butcher, Roger Turner, Derek Bailey, etc… alors que les deux autres ont aussi un parcours académique et ont une pratique de la musique savante contemporaine écrite. Les circonstances de ce premier jet sont narrées dans les notes incluses sur la page bandcamp.
Dès le départ, leur concert s’annonce en frottements graves et mouvants, vibrations sombres et boisées, la harpe étant aussi jouée à l’archet, actions reliées par des zones au bord du silence, chocs, grattements, sursauts, une musique fourmillante de détails sonores à l’infini. La multiplication des approches instrumentales au niveau des techniques alternatives, de l’exploration du son et de l’altération des timbres et frictions sonores est vraiment peu commune. On songe aussi à All Angels, le premier album du trio Cranc qui réunissait Rhodri Davies, la violoniste Angarhad Davies et le violoncelliste Nikos Veliotis. En fait, ce premier concert de IST est l’aboutissement d’une démarche collective d’une génération d’improvisateurs britanniques acoustiques depuis les années septante (John Russell, Phil Wachsmann, Paul Rutherford, Barry Guy, Roger Smith) porté sur les instruments à cordes et une dimension de « musique de chambre ». At The Club Room avec ses trois improvisations de 23, 20 et 10 minutes, aurait été un album parfait pour la série de disques de l’étiquette Bead Records, tant l’écoute et le jeu collectif est poussé à un point ultime d’empathie, de sérénité et d’exploration. Si les procédés et l’esprit sont proches de leurs prédécesseurs (Wachsmann et compagnie), leur musique ne ressemble en rien à ce que nous avions déjà entendu sur disque. À l’époque, cette musique improvisée libre restait toujours sous-documentée depuis le début des années septante, mis à part le catalogue de Derek Bailey. Un exemple : en 1996 le trio Iskra 1903 avec Paul Rutherford, Barry Guy et Philip Wachsmann (trio fondé en 1970 avec Derek Bailey) venait de publier son premier album pour Maya et Concert Moves de Butcher/Durrant/Russell (Random Acoustics) était paru l’année précédente. At Club Room est donc un document incontournable qui, s’il avait été publié à l’époque sur un label important aurait compté dans les parutions les plus significatives, surtout par son extrême richesse sonore et le renouvellement constant de l’inspiration.Ist jouait une musique si réussie que Derek Bailey lui-même les a invités à participer à un Company exclusivement formé du trio Ist et le danseur de claquettes Will Gaines. Cette édition de Company est d’ailleurs la seule à avoir tourné en Europe et enregistré à l’étranger depuis l’époque héroïque entre 1977 et 1982. Et John Zorn a invité ensuite IST au Tonic. On peut les entendre dans deux doubles cd’s de Company avec Bailey, In Marseille (Incus) et Klinker (Confront).
Bien sûr, la mémoire d’événements s’estompe irrémédiablement au fil des décennies, mais les choses les plus remarquables finissent par émerger. C’est d’ailleurs le sujet d’un article futur. Quelques années après avoir enregistré ce chef d’œuvre au Club Room, IST et surtout Davies et Wastell se sont lancés dans une musique « minimaliste » basée sur d’autres principes et intentions qualifiée de réductionniste, puis de lower case en connection avec d’autres artistes comme Phil Durrant, Axel Dörner, Burkhard Beins, etc… Cette démarche radicale aboutit au tout récent album Twenty de Sealed Knot publié par Confront Recordings. Toutefois, si la musique d’IST a évolué vers plus de silence et de raréfaction de l’activité instrumentale, le pointillisme inhérent à la démarche de départ, ce sens du timing particulier, est resté une constante. Parmi leurs albums, je recommande particulièrement leurs albums Berlin, Lodi, London Conway Hall, Ist in New York featuring John Zorn.
Félicitations à Mark Wastell pour son extraordinaire travail (méticuleux) de documentation et d’édition et l’ouverture de son label à d’autres formes d’expression « improvisées » créant ainsi une synergie créative et émulative entre artistes aux points de vue différents, mais animés d’une volonté d’expression sans concession.
The Sealed Knot Twenty Burkhard Beins Rhodri davies Mark Wastell confront core series / core 17 https://www.confrontrecordings.com/the-sealed-knot-twenty
Twenty : il y a vingt ans débutait ce groupe pas comme les autres, The Sealed Knot, initiateur de la tendance « réductionniste » ou lower case. À l’époque, Mark Wastell jouait du violoncelle, puis de la contrebasse et Rhodri Davies de la harpe classique. Le 3 mars 2020 au Café Oto, Burkhard Beins joue de la percussion amplifiée en faisant vibrer jouets, moteurs et accessoires sur les peaux des tambours, alors que Rhodri amplifie sa petite harpe traditionnelle (lap harp) et Mark fait vibrer une paire de tam-tams de 32 pouces, des gongs et des bols musicaux népalais. Frémissements, sons continus aux variations très lentes qui s’agrègent et s’interpénètrent comme un chœur d’outre-tombe, sensations de chute infinie dans le vide, suspension de timbres mouvants, résonnances irisées, frappe lointaine d’une peau à la mailloche… La musique flotte vers l’infini, rejoint le pianissimo en s’approchant du silence ambiant, des vibrations métalliques oscillent lentement, se multiplient insensiblement alors que la rotation d’une petite hélice heurte légèrement le bord d’un tam-tam. Des sons ténus et aigus meurent, harmoniques d’un gong ou cymbales frottées à l’archet, ou disparaissent dans une rumeur imprécise ou une action plus marquée tranche un instant. Cette musique a quitté le champ de l’action narrative, elle incarne le mouvement de micro-événements sonores qui trouble la sérénité du climat dans un paysage quasi désertique. On devine à peine qui joue quoi et comme il s’agit d’un collectif partageant un univers très défini, homogène dont la cohérence se joue d’instant en instant, lesquels semblent imperceptibles tant le sentiment de durée nous échappe, peu importe. C’est le résultat final qui emporte notre adhésion, la richesse sonore est ici évidente. Final d’un mouvement perpétuel, celui d’une écoute intense, onirique ou lucide c’est à vous d’apporter la conclusion ou vos définitions éventuelles. Remarquable et fascinant.
https://dropadisc.bandcamp.com/album/front-to-front-3
https://soundinmotion.be/product/van-hove-brotzmann-front-to-front-lp/
Alors que tout récemment le label Trost a célébré les 50 ans de la vieille garde de la free-music européenne (Machine Gun – May 1968) en rassemblant Han Bennink, Peter Brötzmann et Alex von Schlippenbach (https://www.trost.at/broetzmann-schlippenbach-bennink-fifty-years-after-live-at-the-lila-eule-2018.html) à la mythique Lila Eule, Koen Vandenhoudt et Christel Kumpen (de Dropa Disc/ Sound In Motion) ont eu l’excellente idée de réunir encore une fois (pour toutes ?) le pianiste Fred Van Hove et le saxophoniste de Wuppertal à Anvers. N’avaient-ils pas partagé l’aventure du trio avec Han Bennink entre 1968 et 1976 ? Trio plus que mémorable. Si vous voulez mon avis tout à fait personnel, je pense que Peter Brötzmann n’est jamais en meilleure compagnie qu’avec un instrument différent comme le piano par exemple ou la pedal-steel de Heather Leigh que la sempiternelle paire contrebasse – batterie. Peter dégage tellement d’énergie, de puissance, de force brute, il y a une telle expressivité, qu’il n’a en fait pas vraiment besoin d’être propulsé par une « section rythmique ». Je peux me tromper, mais il faut avouer qu’un son aussi tranchant comme une lame sera toujours mis en valeur face au silence ou par des instruments aux timbres et sonorités autrement résonnantes. À cette force de la nature du souffle, Fred Van Hove apporte à la fois les raffinements de la musique savante et une pratique anti-académique du grand piano, instrument culturellement « bourgeois » par excellence. Cet enregistrement eut lieu à Anvers le 24 août 2019 durant le Summer Bummer Festival organisé par Oorstof, l’organisation sœur de Dropa disc. À l’âge de 82 ans et malgré sa santé déclinante, Fred Van Hove (avec un V en lettres capitales !) a conservé une belle énergie et la maîtrise de son univers pianistique si singulier. Il nous régale encore de ses sonorités particulières au clavier et en sa compagnie, vous avez droit à la quintessence lyrique et hurlante de Peter Brötzmann en quatre pièces bien calibrées, lui-même incarnation ultime de « l’art brut » dans la musique. Le contraste est saisissant au point qu’en interagissant de curieuse manière, « chacun dans leur trip », les deux improvisateurs se bonifient mutuellement. Pas besoin d’échanger des signaux pour se comprendre et se compléter… de manière tout à fait unique. Front to Front n’est pas « un album en plus », mais une leçon de chose bien utile.
Bloem : Anton Mobin – Jean-Jacques Duerinckx Middleeight Recordings [AABA#23] https://middleeightrecordings.bandcamp.com/album/bloem-aaba-23
Super duo entre les preparated chambers d’Anton Mobin et les saxophones sopranino et baryton de Jean-Jacques Duerinckx. Les chambers d’A.M. sont de magnifiques boîtes faites main contenant filins métalliques, lames flexibles, ressorts, etc…soigneusement installés et amplifiés par micro-contact. Démarche bruitiste via une installation ambulante et portative où le bruiteur est vraiment concerné par les variations de hauteur (notes sur une gamme imaginaire), de timbres, de textures, avec une subtile dimension percussive. Ni acoustique, ni électronique, mais les deux à la fois. Confronté au souffle et au jeu sur le bec, l’anche, la colonne d’air et les clapets qui se ferment et s’ouvrent sur celle-ci de manière faussement désordonnée de JJD, le saxophoniste, Anton s’active à faire oublier qu’il manipule une caisse à objets en extrayant des vibrations, crissements, percussions, interagissant dans la même sphère sonore que son camarade. Le souffleur fait vibrer l’anche du petit sax sopranino en perçant la couche soyeuse du timbre et en le lacérant, déchiquetant les notes, bulles d’air en voie d’explosion, gaz multicolores. Son sax baryton se hérisse, ses notes graves rebondissent et éclatent à la surface épaisse d’un étang visqueux où viennent coasser crapauds et rainettes dans un sabbat féérique. Une ménagerie visuelle s’imprime dans notre imagination aux prises avec leur tournis acoustique. On est ici en phase avec ces utopistes de l’objétisme allumé, à la fois sauvages et méticuleux de l’art sonore sur table, et du recyclage maniaque d’objets égarés, Hugh Davies, Adam Bohman, Lee Patterson, Giles Leaman. Excentriques ? Non ! Mais concentrés et focalisés sur la recherche du son et d’articulations en expansion et conflagrations continues / discontinuse. Le label s’appelle Middleeight, sans doute que le milieu d’un huit est un point de rencontre de courbes infinies. J'ajoute encore que J.J., un as du saxophone sopranino partage de surprenants duos de souffleurs en phase avec Adrian Northover (CD Hearoglyphics), et avec les clarinettistes Tom Jackson ou Jacques Foschia. Quant à Anton Mobin, on l'entend fréquemment en duo avec le "violoniste" alto Benedict Taylor, un des cordistes à suivre.
Masaharu Showji & Shoji Hano :
Shouji & Shouji Label E.G.G. 2003
Shoji & Shoji 2 E.G.G. 20172
Deux cd’s du duo du batteur Shoji Hano et du sax alto Masaharu Showji, l’un datant de 2003 l’autre de 2017, publiés tous les deux sur le label E.G.G. de Shoji Hano avec qui Peter Brötzmann lui-même a enregistré en duo (Funny Rats et Funny Rats 2) pour le même label. Derek Bailey, lui se trouve sur un autre album en duo avec le même batteur. Ces deux CD’s Shouji & Shouji et Shoji & Shoji 2 nous permettent de découvrir un exemple presque parfait de free – drumming voisin du concept polyrythmique à oscillation de vitesses simultanée et multiple comme si le sol se dérobait sous nos pieds. La qualité de l’enregistrement de la batterie est optimale et la position des micros idéale. Entraîné dans le tournoiement des pulsations contradictoires et croisées, accélérées et ralenties, le souffleur reste bien ancré les deux pieds dans le sol tirant de son sax alto les sons parmi les plus brûlants, les plus bruts qu’on puissent entendre. Pourquoi j’aborde ces deux albums assez insolites de cet improvisateur dont on n’a jamais entendu parler ou même mentionner parmi les insatiables fanatiques du free japonais. Curieux ! Collectionner tous les albums et CD’s qui documentent la multitude de concerts de Kaoru Abe, souvent enregistrés avec un cassettophone entre 1969 et 1978, année de sa mort, ne nous ressusciteront pas ce phénomène atypique. Ayant joué et tourné moi-même avec Sabu Toyozumi, j’ai pu recueillir ses impressions et ses souvenirs de première main au sujet de son camarade disparu il y a plus de quarante ans. Mais à quoi bon ! C’est bien de se réfugier dans le passé avec passion, mais autant ne pas laisser un inspiré toujours vivant comme Showji dans la banlieue d’Hiroshima. Autant en profiter, car il n’y a que le plaisir qui compte.
Fort heureusement, en tournant au Japon, John Russell a eu l’occasion de jouer et de rencontrer Masaharu Showji et l’a invité à se produire à son dernier festival Fête Quaqua au Vortex à Londres en août 2019. Masaharu est un solide souffleur avec une sonorité abrasive, cabossée, une articulation brute et un timbre doré, brûlant. Le contraste et l’empathie entre le batteur et le souffleur les rendent irrésistibles à quatorze années d’intervalle. Il y a bien le bassiste électrique Dai Nakamura dans le Shoji & Shoji n°2 dans l’interlude de 9 minutes et quelques qui relie les premier morceau à la pièce de résistance , The Face and Wrong Side de 28 minutes. L’album n°1 est plus basé sur les pulsations et le n° 2 vers une sorte de dérive qui s’échauffe tout au long de The Face and The Wrong Side et là vous tomberez pile sur la belle sonorité et le flux polyrythmique mouvant de Shoji Hano et le son erraillé et saturé de Masaharu Showji qui s’emballe, éructe, tourbillonne fiévreusement. La partie de batterie est lumineuse et on goûte la qualité de frappe avec toutes ces nuances en contraste parfait avec les sons enflammés et intenses du souffleur. Le découpage millimétré des temps et pulsations qui se chevauchent sur chaque point précis des différentes surfaces des peaux font résonner le timbre exact de chacun d’eux comme si les tambours vous parlaient une langue inconnue mais pourtant familière Un régal acoustique pour les oreilles. Bonne chance pour trouver ces deux compacts.
The Ludwig Variations Mike Adcock MJA 009 avec Simon Adcock, Sylvia Hallett, Clive Bell, Chris Cundy, Nick Haeffner, Beth Porter, Stuart Wilding & Xanthe Wood.
https://mikeadcock.bandcamp.com/album/the-ludwig-variations
Confiné chez lui durant la pandémie le pianiste – accordéoniste Mike Adcock, connu par son groupe Accordion Go Crazy, s’est mis à jouer avec un antique accordéon Luther fabriqué en Allemagne il y a une centaine d’années en espérant retrouver le charme désuet de cet instrument acheté dans une brocante. Plus très jouable avec des anches défectueuses ou qui nécessitent d’être adaptées, ce vieil accordéon a une qualité de timbre et une profondeur parfois tremblante qu’on aurait peine à chercher sur un instrument récent. En s’entêtant un tant soit peu, il est parvenu à créer une dizaine de pièces dont il envoya les enregistrements à une série de musiciens amis en vue de former des duos à distance. Il leur avait demandé de créer leurs propres improvisations en relation avec les siennes et de lui envoyer l’enregistrement. La réponse fut enthousiaste au point qu’il décida d’utiliser deux ou trois enregistrements de musiciens différents pour en faire une musique d’ensemble. Dans certains passages, il a enlevé sa propre partie tant les contributions individuelles coïncidaient. Claviers, vièle Hardanger, sax et clarinette basse, percussion, violoncelle, thérémine, mélodica, shakuhachi. Lui-même joue aussi de l’harmonium, ukélélé, tuiles de toit… ou on l’entend en solo dans trois morceaux. Musique aérienne, enjouée ou nostalgique, un écho de moments enfouis dans la mémoire qui ressurgissent comme dans un film. Les instruments et musiciens choisis s’accordent à merveille avec la sonorité enchantée et lunaire du vieux Ludwig, que ce soit la vielle, le sax baryton, les percussions etc… Une évocation de polka entrevue au gré d’un voyage , des impressions de valse lente, ou une forme de tango introverti. Un parfum de musiques populaires d’un autre temps avec la sonorité fantomatique de l’accordéon qui imprègne l’ensemble des morceaux. On y entend aussi le bruit d’un orage ou une moto qui s’en va dans le lointain . Une musique raffinée en toute simplicité, un folklore inventé, idyllique et éphémère. Vraiment magnifique !
IST At the Club Room (for Simon Fell) Rhodri Davies Simon H. Fell Mark Wastell confront bandcamp digital https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/at-the-club-room-for-simon-h-fell
Simon H Fell nous a quitté il y a quelques mois, fort malheureusement. Il nous laisse des enregistrements très souvent remarquables et j’ai laissé du temps depuis la parution de At The Club Room du trio IST (le 06/07/2020) pour en décrire la musique et les circonstances en relation avec un futur album d’un autre groupe réunissant ces deux camarades, Mark Wastell et Rhodri Davies, the Sealed Knot , avec le percussionniste Burkhard Beins et enregistré le 3 mars 2020. Simon était une personnalité hors norme et musicien déjà très accompli, compositeur extraordinaire et contrebassiste très expérimenté par tous les types de musiques qu’il maîtrisait, lorsqu’il s’engagea avec ces deux jeunes musiciens qui s’initiaient alors à l’improvisation libre : le violoncelliste Mark Wastell et le harpiste Rhodri Davies, tous deux très étonnés qu’un maestro de son envergure puisse être si enthousiaste. Juillet 1996, Club Room à Londres, la série de gigs de Richard Sanderson, John Russell et Mike Walter. La contrebasse de Simon H Fell, le violoncelle de Mark Wastell et la grande harpe de Rhodri Davies lors de leur premier concert du trio IST, lequel grava un peu plus tard Ghost Notes, un recueil de compositions écrites par Simon et quelques-uns de ses amis et d’improvisations pures et un vinyle pour le label SIWA (Anagrams To Avoid). On pourrait dire que leur musique d’alors incarne une sorte d’archétype de la musique improvisée « anglaise » (alors que Simon vient du Yorkshire et Rhodri est un Gallois fier de l’être) . Mark a commencé sa démarche très jeune en assistant d’abord aux concerts londoniens du Spontaneous Music Ensemble dans leurs dernières années et ceux de John Russell, John Butcher, Roger Turner, Derek Bailey, etc… alors que les deux autres ont aussi un parcours académique et ont une pratique de la musique savante contemporaine écrite. Les circonstances de ce premier jet sont narrées dans les notes incluses sur la page bandcamp.
Dès le départ, leur concert s’annonce en frottements graves et mouvants, vibrations sombres et boisées, la harpe étant aussi jouée à l’archet, actions reliées par des zones au bord du silence, chocs, grattements, sursauts, une musique fourmillante de détails sonores à l’infini. La multiplication des approches instrumentales au niveau des techniques alternatives, de l’exploration du son et de l’altération des timbres et frictions sonores est vraiment peu commune. On songe aussi à All Angels, le premier album du trio Cranc qui réunissait Rhodri Davies, la violoniste Angarhad Davies et le violoncelliste Nikos Veliotis. En fait, ce premier concert de IST est l’aboutissement d’une démarche collective d’une génération d’improvisateurs britanniques acoustiques depuis les années septante (John Russell, Phil Wachsmann, Paul Rutherford, Barry Guy, Roger Smith) porté sur les instruments à cordes et une dimension de « musique de chambre ». At The Club Room avec ses trois improvisations de 23, 20 et 10 minutes, aurait été un album parfait pour la série de disques de l’étiquette Bead Records, tant l’écoute et le jeu collectif est poussé à un point ultime d’empathie, de sérénité et d’exploration. Si les procédés et l’esprit sont proches de leurs prédécesseurs (Wachsmann et compagnie), leur musique ne ressemble en rien à ce que nous avions déjà entendu sur disque. À l’époque, cette musique improvisée libre restait toujours sous-documentée depuis le début des années septante, mis à part le catalogue de Derek Bailey. Un exemple : en 1996 le trio Iskra 1903 avec Paul Rutherford, Barry Guy et Philip Wachsmann (trio fondé en 1970 avec Derek Bailey) venait de publier son premier album pour Maya et Concert Moves de Butcher/Durrant/Russell (Random Acoustics) était paru l’année précédente. At Club Room est donc un document incontournable qui, s’il avait été publié à l’époque sur un label important aurait compté dans les parutions les plus significatives, surtout par son extrême richesse sonore et le renouvellement constant de l’inspiration.Ist jouait une musique si réussie que Derek Bailey lui-même les a invités à participer à un Company exclusivement formé du trio Ist et le danseur de claquettes Will Gaines. Cette édition de Company est d’ailleurs la seule à avoir tourné en Europe et enregistré à l’étranger depuis l’époque héroïque entre 1977 et 1982. Et John Zorn a invité ensuite IST au Tonic. On peut les entendre dans deux doubles cd’s de Company avec Bailey, In Marseille (Incus) et Klinker (Confront).
Bien sûr, la mémoire d’événements s’estompe irrémédiablement au fil des décennies, mais les choses les plus remarquables finissent par émerger. C’est d’ailleurs le sujet d’un article futur. Quelques années après avoir enregistré ce chef d’œuvre au Club Room, IST et surtout Davies et Wastell se sont lancés dans une musique « minimaliste » basée sur d’autres principes et intentions qualifiée de réductionniste, puis de lower case en connection avec d’autres artistes comme Phil Durrant, Axel Dörner, Burkhard Beins, etc… Cette démarche radicale aboutit au tout récent album Twenty de Sealed Knot publié par Confront Recordings. Toutefois, si la musique d’IST a évolué vers plus de silence et de raréfaction de l’activité instrumentale, le pointillisme inhérent à la démarche de départ, ce sens du timing particulier, est resté une constante. Parmi leurs albums, je recommande particulièrement leurs albums Berlin, Lodi, London Conway Hall, Ist in New York featuring John Zorn.
Félicitations à Mark Wastell pour son extraordinaire travail (méticuleux) de documentation et d’édition et l’ouverture de son label à d’autres formes d’expression « improvisées » créant ainsi une synergie créative et émulative entre artistes aux points de vue différents, mais animés d’une volonté d’expression sans concession.
The Sealed Knot Twenty Burkhard Beins Rhodri davies Mark Wastell confront core series / core 17 https://www.confrontrecordings.com/the-sealed-knot-twenty
Twenty : il y a vingt ans débutait ce groupe pas comme les autres, The Sealed Knot, initiateur de la tendance « réductionniste » ou lower case. À l’époque, Mark Wastell jouait du violoncelle, puis de la contrebasse et Rhodri Davies de la harpe classique. Le 3 mars 2020 au Café Oto, Burkhard Beins joue de la percussion amplifiée en faisant vibrer jouets, moteurs et accessoires sur les peaux des tambours, alors que Rhodri amplifie sa petite harpe traditionnelle (lap harp) et Mark fait vibrer une paire de tam-tams de 32 pouces, des gongs et des bols musicaux népalais. Frémissements, sons continus aux variations très lentes qui s’agrègent et s’interpénètrent comme un chœur d’outre-tombe, sensations de chute infinie dans le vide, suspension de timbres mouvants, résonnances irisées, frappe lointaine d’une peau à la mailloche… La musique flotte vers l’infini, rejoint le pianissimo en s’approchant du silence ambiant, des vibrations métalliques oscillent lentement, se multiplient insensiblement alors que la rotation d’une petite hélice heurte légèrement le bord d’un tam-tam. Des sons ténus et aigus meurent, harmoniques d’un gong ou cymbales frottées à l’archet, ou disparaissent dans une rumeur imprécise ou une action plus marquée tranche un instant. Cette musique a quitté le champ de l’action narrative, elle incarne le mouvement de micro-événements sonores qui trouble la sérénité du climat dans un paysage quasi désertique. On devine à peine qui joue quoi et comme il s’agit d’un collectif partageant un univers très défini, homogène dont la cohérence se joue d’instant en instant, lesquels semblent imperceptibles tant le sentiment de durée nous échappe, peu importe. C’est le résultat final qui emporte notre adhésion, la richesse sonore est ici évidente. Final d’un mouvement perpétuel, celui d’une écoute intense, onirique ou lucide c’est à vous d’apporter la conclusion ou vos définitions éventuelles. Remarquable et fascinant.
30 novembre 2020
Benedict Taylor & Daniel Thompson/ Steve Beresford Pierpaolo Martino Valentina Magaletti/ Tatatsuki Trio with/ Paul Jolly & Mike Adcock/ Thollem McDonas
‘t other Benedict Taylor & Daniel Thompson empty birdcage records
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/tother
Nouveau label lancé par le guitariste improvisateur britannique Daniel Thompson , empty birdcage records exprime par ce nom un peu non sense que la musique improvisée est libre de cages, barres verticales, et autres espaces clos. Daniel Thompson a convié un de ses meilleurs camarades, l’altiste Benedict Taylor, lui-même un phénomène du (violon) alto qui aime à étirer les notes des gammes de manière aussi instinctive que systématique. Pour situer la démarche du guitariste (acoustique) , on peut citer deux musiciens : Derek Bailey (version purement acoustique) et John Russell, avec qui il a pris quelques cours voilà une dizaine d’années. Usage abusif des harmoniques, d’intervalles dissonants, techniques alternatives, son sec et abrupt, parcours arachnéen faisant éclater les gammes, sens aigu des variations, Daniel a un beau parcours de collaborations enregistrées à son actif : trios avec Benedict Taylor et les clarinettistes Tom Jackson et Alex Ward, duo et trio avec le flûtiste Neil Metcalfe (+ Guillaume Viltard), duo avec le percussionniste Andrew Lisle, duo avec Adrian Northover et trio avec Northover et Steve Noble, et tout récemment avec les Bellowing Earwigs, etc….
Dans ‘t other, les deux musiciens ont choisi d’explorer au maximum les possibilités sonores en confiant au support digital l’intégrale d’une session où le sens ludique et la volonté d’aller jusqu’au plus profond de leur endurance instrumentale et de leurs ressources. Dans de longues et moins longues improvisations, les deux musiciens parviennent à étendre leur rayon d’action, l’altiste en faisant frémir la boiserie de son instrument dont il étire les timbres et les intervalles dans une dimension microtonale tout à fait identifiable : du Benedict Taylor ! Le guitariste partage avec Derek Bailey une goguenardise expressive et irrésistible. Les positions de ses doigts de la main gauche écartèlent les configurations de notes sensées les harmoniser et les coups de griffes imprévisibles du plectre font le reste. Ils auraient pu éditer la quintessence de leurs improvisations comme le faisait Derek Bailey, mais ils ont préféré nous livrer leur travail d’un bloc à travers de longues improvisations de plus de 20 minutes, 18, 16, 13, 12, 9, 8 et 7 minutes dans lesquelles nous pouvons suivre leur cheminement progressif dans leurs recherches expressives où se confrontent, se juxtaposent et se nouent leurs inventions sur les timbres, bruissements, variations insensées, grattages minutieux, ambiances magiques, affolements lyriques, questionnements, pizzicati maniaques … À vous de localiser les séquences les plus remarquables, délirantes ou même extatiques, la fureur ou le recueillement. Ces deux-là sont faits pour s’entendre et à ma connaissance, il n’existe pas d’enregistrement de Bailey, Russell ou Roger Smith (acoustique !! ) en duo avec Wachsmann, Zingaro , Goldstein, Rose etc… ou un autre violoniste de haute volée. Et comme leurs personnalités musicales sont fortement affirmées, il s’agit à mon avis d’un must listen. J’ajoute encore qu’un (violon) alto se révèle être un instrument finalement plus fascinant dans le domaine de l’exploration de textures, sonorités,… microtonalité etc.. qu’un violon. Pour pas mal de choses, ‘t other est une véritable merveille.
Frequency Disasters Steve Beresford Pierpaolo Martino Valentina Magaletti confront core series / core 18
https://www.confrontrecordings.com/frequency-disasters
On peut féliciter Mark Wastell, musicien et responsable de Confront Records, pour sa volonté de proposer des musiques parfois vraiment différentes de celle pour laquelle il est impliqué personnellement. C’est un réflexe de synergie et de bon sens élémentaire, voire de survie. Son catalogue Confront attire la curiosité et l’intérêt de personnes sensées écouter les musiques de secteurs spécifiques et très variés de l’improvisation et de l’expérimental et lesquelles se révèlent en majorité être les mêmes individus. Son tout récent album Twenty du trio The Sealed Knot avec Rhodri Davies et Burkhard Beins se situe aux antipodes de la musique inclassable de Frequency Disasters. Pierpaolo Martini est un contrebassiste originaire des Pouilles en Italie qui cherche à s’exprimer de manière valable et intéressante. Pour notre plus grand bonheur, il forme équipe avec un musicien improvisateur parmi les plus curieux et le moins prétentieux du monde, le pianiste Steve Beresford, et une « batteuse » originale qui a le chic de coller à l’esprit vagabond et la démarche dégingandée du pianiste, Valentina Magaletti. Un trio cohérent pour un trajet musical pas vraiment cohérent en apparence, mais qui réserve des surprises et vous rendra la joie de vivre, même dans cette période sinistrée.
Au contraire de pas mal de pianistes virtuoses de la scène improvisée, Steve Beresford se distingue par son jeu de piano viscéralement anti-académique. Comme Thelonious Monk ou Misha Mengelberg, il ne joue pas des paquets de notes avec des doigtés savants et ultra-logiques qui découlent d’une pratique intensive issue de l’enseignement dans les Conservatoires et dont on ressent la pratique, l’organisation mentale et le système inscrit dans l’ADN de nombreux collègues qui sonnent quasi tous un peu (voire beaucoup) pareils. Son parcours est buissonnier et ses idées n’appartiennent qu’à lui. Aucune idée fixe quant à ce que « doit » être la musique improvisée « idéale ».
Comme Steve adore jouer pour le plaisir dans la scène des gigs londoniens avec qui se présente depuis bientôt cinq décennies, il a développé une pratique de musique électronique low-fi avec une kyrielle d’instruments bon marché, Casio, porte-voix, effets, jouets sonores, gadgets. Souvent, ces instruments sont à portée du grand piano et il en joue plus ou moins simultanément de manière imprévisible et surprenante avec un sens du timing précis et ultra-convainquant. Ayant souvent joué en duo avec Han Bennink, ceci explique cela. Aussi, S.B. est un enthousiaste de la musique des autres musiciens assistant à un nombre incalculable de concerts sans le moindre préjugé, sachant par expérience que les artistes sont en évolution permanente et qu’il y a toujours quelque chose de bon ou d’intéressant à partager. Son attitude et celle de nombre de ses pairs et nombreux copains font que la scène Londonienne est sans doute la plus cool d’Europe. Et cet état d’esprit se reflète dans cette séance londonienne et pas comme les autres.
Étrangement, une ambiance à base de kalimba, de pizzicati bourdonnant et de bruissements discrets introduit l’album, des grattements de cordes et de clés de piano, archet sombre et glissandi sur la touche, quelques notes au clavier, vibrations de cymbales (Low Gulp 9:34) brouillent complètement les cartes, mais avec finesse et délicatesse avant que le parcours de la session nous délivre sa trajectoire improbable. Ce premier jet agit comme une plongée égalitaire dans l’écoute mutuelle approfondie, laquelle permet de s’envoler. 2/ Studded Shirt 2 :34 affirme une sorte de monkisme assumé, joyeux et personnel de la part du pianiste dans lequel s’inscrit le jeu malicieux,ludique et décalé de Valentina Magaletti. Fin abrupte introduisant 3/ Tuttodipunta (7 :11), un trilogue délirant dont la logique échappe aux radars des donneurs de leçons continentaux, genre prof sérieux qui sont incapables de s’amuser : ostinato obsessif sur la contrebasse et la batterie où le piano (clavier ou intérieur grinçant) ou quelques effets électroniques interviennent et se superposent. Imprévisible, ludique, narquois, cocasse. 4/ Pink Quote surgit du continuum dans sa lignée en offrant une tout autre perspective : électronique cheap zézayante, rafallettes de fines baguettes sur le rebord de la caisse claire, un joyeux contraste de l’indéfinissable et du récurrent, du fortuit et du persiflage. Cette observation se vérifie au fil de l’écoute. 5/ A Clumsy Title : Rythmique sautillante, claudicante et bruitages. Se succèdent des occurrences de sons, d’idées, d’inventions spontanées, de bruitages, d’ostinatos curieux.. d’une diversité quasi maniaque (Energetic Binge)qui forcent l’écoute, amuse ou affole l’auditeur. Tout ça n’a pas l’air sérieux, cadré, répertorié, soupesé, matière à thèse musicologique, carte de visite pour festival guindé, projet pour Université élitiste ou label pointilleux géré par un ponte omniscient. Que sais-je encore.
Surtout on échappe à la démonstration irréfutable du talent et de la maîtrise de la musique savante pour laisser libre cours à des intuitions originales, des idées folles, des tentatives de la dernière seconde qui font mouche. Une mention toute spéciale à la "batteuse" Valentina qui à l'art de mettre des accents suggestifs et d'inventer une répartie savoureuse / clin d'oeil jubilatoire aux frasques deu pianiste. Les percussionnistes qui parviennent à s'adapter avec une vraie créativité dans les circonstances hasardeuses de la free-music sont denrée rare. Voilà qu'on en tient une comme Valentina Magaletti, il ne faut pas la laisser s'échapper : "savoir jouer" est une chose, mais apporter sa part de folie, de plaisir et d'astuce comme elle le fait n'est pas choase courante ! Bravo ! Et dans la 7/ Cosmic Blunders, des accents au piano fort convainquant ou un brin de mélancolie dans 8/ Boyish Animation : un mignon jeu de chat à la souris entre les deux mains au clavier. Valentina a donc tout compris et son pote de bassiste donne la bonne dose à la contrebasse qui agit comme un pivot unificateur. Pierpaolo Martino a d’ailleurs un sens du groove discret, mais efficace qui apporte une manière enjouée dans les derniers morceaux quoi que fasse Steve Beresford avec ces jouets et objets sonores ou Valentina Magaletti avec son imagination. Le dernier et onzième morceau s’intitule Delusion Metabolist (sic !).
Inclassable. Cette caractéristique, vous allez me dire, n’est pas un but en soi, mais quand cela devient un aboutissement folichon, réellement amusant et unique en son genre, on ne peut que se régaler, se réjouir et passer un excellent moment.
Tatatsuki Trio Quartett Live in Hessen with Matthias Schubert and Dirk Marwedel Creative Sources CS682CD
Tatatsuki est un Trio itinérant qui ne se produit qu’avec un quatrième invité, ici avec le saxophone ténor de Matthias Schubert le 21.05.2019 à la Kulturhaus Dock4, Kassel (28 :32) et avec le saxophone étendu de Dirk Marwedel (33 :04) le 08.11.2019 à la Mauritius-Mediathek, Wiesbaden. Le Trio Tatatsuki proprement dit est composé de Rieko Okuda, piano, alto et voix, d’Antti Virtaranta, contrebasse et de Joshua Weitsel, guitare et shamisen. En compagnie de Matthias Schubert, le Tatatsuku Trio tisse un réseau sonore exploratoire en introduisant au départ des lignes aérées et légères, froissements de timbres, glissements sur les cordes dans lesquels s’insèrent l’extrême aigu du sax ténor. Ouverture introspective et retenue, jusqu’à ce que Matthias Schubert introduise un jeu saccadé en tordant son excellente articulation. Les trois autres, alto, guitare électrique et contrebasse, réagissent de manière ludique, pointilliste en évoluant à des cadences divergentes. Le piano de Rieko Okuda entre ensuite en scène faisant face au shamisen de Joshua Weitzel. L’ADN du groupe est marqué autant par une volonté de concentrer l’improvisation dans une direction définie qu’en juxtaposant des cheminements individuels presque contrastés, voire centrifuges. Une dimension heuristique à la limite de l’insouciance, exprimant une joie de jouer et la curiosité face à la confrontation de démarches individuelles dans le jeu instrumental et la pratique de l’improvisation à l’écart des formalisations théorisantes que d’aucuns ressentent comme excessives. Exultation, dérive, introspection, jeu de dés, tentative, exploration, confrontations de sonorités, textures, actions et réactions. Dans la longue improvisation de Wiesbaden, on transite depuis un no man’s land où interviennent les cycles harmoniques du piano contemporain, les cordes frappées du shamisen et le souffle extensible et éthéré jusqu’à des altérations métamusicales vraiment curieuses où l’effort de l’écoute n’arrive plus à départager l’origine instrumentale des sonorités murmurantes, vibratoires, mystérieuses qui se développent dans un consensus partagé. Questions posées diversement à l’inverse de solutions réconfortantes. L’improvisation collective revêt ici l’irrésolu, l’éphémère, des instants - séquences qui échappent à une forme de rationalité pour revêtir la primauté du moment vécu, rêvé ou secrètement désiré.
Paul Jolly & Mike Adcock Risky Furniture 33xtreme 013
Le saxophoniste Paul Jolly fut un des membres du People Band, formation séminale de l’improvisation libre britannique (Terry Day, Mel Davis, Mike Figgis, George Khan, Davey Payne, Charlie Hart, Tony Edwards, etc…) entre 1965 et 1972 et rassemblée à nouveau de 2008 à 2014. Paul Jolly avait même produit leur « Live at Café Oto » (33eXtreme 007) avant la disparition de Mel Davis, une des « têtes pensantes » du groupe. Encore si on pouvait définir la musique anarchiste du People Band comme celle d’un groupe plutôt qu’un état d’esprit partagé ou disputé. On retrouve pour cette parution 33eXtreme, un intrigant duo de Paul Jolly aux saxophones sopranino, soprano et ténor et clarinette basse avec le pianiste Mike Adcock, lui-même un accordéoniste surprenant. On se souvient du Café de la Place en compagnie d’un Lol Coxhill de haute volée (label Nato) et de l’étonnant duo Sleep It Off avec le flûtiste Clive Bell, un très bel album publié par Emanem qui ne ressemble à aucun autre. Et dans cet opus il doublait au piano. Sous un côté faussement folk et introspectif, c’est encore au piano qu’on le trouve face à un souffleur inspiré dans ce vraiment Risky Furniture. Leur musique est parfois tellement de guingois qu’on ne se risquera pas ranger nos catégories dans leur mobilier. Pas de grandes envolées, mais une approche sensible, épurée à petites touches, vibrations de ses doigts et mains sur le clavier qui se meuvent à l’écoute du souffle sinueux de son camarade. Mike Adcock use des dissonances et couleurs sonores comme un peintre sur sa palette. Complètement anti-académique, son jeu free est agréablement et profondément réjouissant et ses doigtés rivalisent avec les circonvolutions de Paul Jolly au sax soprano (What Not). Avec la clarinette basse, une marche sombre est relevée par une forme d’humour à froid minimaliste dont l’allant impavide jusqu’au dérisoire fait tourner le marcheur en rond avec des sursauts dégingandés. À l’instar de leurs compatriotes Lol Coxhill, Steve Beresford, Terry Day, Paul Rutherford, Jon Rose, nos deux lascars peuvent tout se permettre, leur délire mené jusqu’à l’absurde conserve une réelle crédibilité quoi qu’il arrive. Comme le Fred Van Hove de Verloren Maandag (SAJ 1977), Mike Adcock a un don inné pour jouer avec les couleurs du piano et d’en extraire des lignes mélodiques improbables. Paul Jolly imprime un lyrisme touchant tout en enfonçant le clou d’un persiflage tout juste palpable. Le dosage de cet humour délicieux transcende les formes que leurs improvisations investissent pour leur faire exprimer ce que notre imagination nous suggère. The Accidental Splinter nous fait entendre des harmoniques criardes par-dessus un toucher de piano hésitant et méchamment dissonant. Dans Bureau of Change, ils se permettent de réclamer la monnaie en nous jouant un tour : comment friser le ténu, l’accessoire avec pas grand-chose : quelques notes bancales au piano et des bribes de mélodies dans l’aigu du sax soprano et un peu d’audace suffisent à exprimer le trouble. Changement de registre avec une main gauche fofolle (by the fainting couch) et quelques consonances un peu farce : la dose exacte de dérision sans qu’il n’y paraisse. Ces deux improvisateurs, s’ils ne font pas montre de virtuosité et de brilliance, sont passés maîtres dans la suggestion, l’expressivité improbable d’éléments mélodiques en apparence simples et presque convenus , répétitifs ou consonants, issus d’une pratique empirique voire « populaire » de la musique. Le trait n’étant pas du tout forcé, l’entreprise de Jolly & Adcock passe aisément la rampe. Un bel album.
Thollem A Day in The Leap Setola di Maiale. https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4190
Thollem Mc Donas, un solide pianiste, virtuose, dense et précis, avait enregistré deux remarquables albums énergétiques et racés avec le saxophoniste ténor Edoardo Marraffa et le puissant batteur Stefano Giust pour Amirani et Setola di Maiale, label dont Stefano est le maître d’œuvre. Rien d’étonnant de voir venir cet étonnant opus, A Day in The Leap, surgir au catalogue du label de Porcia, Pordenone. Et, figurez-vous, un chef d’œuvre de musique électronique où le pianiste est aux prises avec un Korg Wavestate, un clavier électronique dont l’instrumentiste peut modifier les paramètres sonores, attaques, dynamique, registres, pulsations, fréquences pour atteindre un véritable raffinement et une palette instrumentale fascinante. On retrouve dans son travail une extension de sa musique au piano avec une dimension percussive et pulsatoire avec une richesse dans les timbres qui empruntent aux marimbas, vibraphones, orgues électriques, instruments à vents, en trafiquant les tonalités et jonglant avec les boucles au point où on oublie le prosaïsme de ce procédé banal. Thollem Mc Donas appartient à cette génération de chercheurs en musique électronique pour qui l’aspect du rythme est une valeur aussi importante que la dimension sonore : Thomas Lehn, Richard Scott, Paul Obermayer, Richard Barrett, Julien Palomo, Lawrence Casserley, Joker Nies, Alan Silva, ou Veryan Weston et sa keystation et son pote Steve Beresford et sa table recouverte d’instruments vintage, jouets et gadgets, etc… Une démarche musicale défendant l’option « complexité » face à la grisaille minimaliste focalisée sur les textures et les drones qui parfois peut lasser ou à certaines démarches frisant la facilité. Qu’on n’aime ou pas la musique électronique per se, on conviendra, à moins d’être faux jeton, du réel talent de ce musicien. De toute façon, un pianiste de free-music n’a pas le choix. Ceux qui aiment jouer dans leur environnement immédiat et rencontrer d’autres camarades pour le plaisir ne trouvent pas toujours/ souvent un piano à demeure et cela dans de nombreux lieux. Et donc, nombre de ces improvisateurs militants ont développé une musique intéressante avec d’autres moyens, souvent électroniques (Steve Beresford, Pat Thomas, Veryan Weston). Dans le cas de Thollem Mc Donas, c’est une véritable réussite esthétique et musicale. Cecil Taylor décrivait sa musique au piano comme représentant les mouvements un danseur dans l’espace (hors gravitation). C’est l’effet ressenti à l’écoute d’A Day in The Leap.
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/tother
Nouveau label lancé par le guitariste improvisateur britannique Daniel Thompson , empty birdcage records exprime par ce nom un peu non sense que la musique improvisée est libre de cages, barres verticales, et autres espaces clos. Daniel Thompson a convié un de ses meilleurs camarades, l’altiste Benedict Taylor, lui-même un phénomène du (violon) alto qui aime à étirer les notes des gammes de manière aussi instinctive que systématique. Pour situer la démarche du guitariste (acoustique) , on peut citer deux musiciens : Derek Bailey (version purement acoustique) et John Russell, avec qui il a pris quelques cours voilà une dizaine d’années. Usage abusif des harmoniques, d’intervalles dissonants, techniques alternatives, son sec et abrupt, parcours arachnéen faisant éclater les gammes, sens aigu des variations, Daniel a un beau parcours de collaborations enregistrées à son actif : trios avec Benedict Taylor et les clarinettistes Tom Jackson et Alex Ward, duo et trio avec le flûtiste Neil Metcalfe (+ Guillaume Viltard), duo avec le percussionniste Andrew Lisle, duo avec Adrian Northover et trio avec Northover et Steve Noble, et tout récemment avec les Bellowing Earwigs, etc….
Dans ‘t other, les deux musiciens ont choisi d’explorer au maximum les possibilités sonores en confiant au support digital l’intégrale d’une session où le sens ludique et la volonté d’aller jusqu’au plus profond de leur endurance instrumentale et de leurs ressources. Dans de longues et moins longues improvisations, les deux musiciens parviennent à étendre leur rayon d’action, l’altiste en faisant frémir la boiserie de son instrument dont il étire les timbres et les intervalles dans une dimension microtonale tout à fait identifiable : du Benedict Taylor ! Le guitariste partage avec Derek Bailey une goguenardise expressive et irrésistible. Les positions de ses doigts de la main gauche écartèlent les configurations de notes sensées les harmoniser et les coups de griffes imprévisibles du plectre font le reste. Ils auraient pu éditer la quintessence de leurs improvisations comme le faisait Derek Bailey, mais ils ont préféré nous livrer leur travail d’un bloc à travers de longues improvisations de plus de 20 minutes, 18, 16, 13, 12, 9, 8 et 7 minutes dans lesquelles nous pouvons suivre leur cheminement progressif dans leurs recherches expressives où se confrontent, se juxtaposent et se nouent leurs inventions sur les timbres, bruissements, variations insensées, grattages minutieux, ambiances magiques, affolements lyriques, questionnements, pizzicati maniaques … À vous de localiser les séquences les plus remarquables, délirantes ou même extatiques, la fureur ou le recueillement. Ces deux-là sont faits pour s’entendre et à ma connaissance, il n’existe pas d’enregistrement de Bailey, Russell ou Roger Smith (acoustique !! ) en duo avec Wachsmann, Zingaro , Goldstein, Rose etc… ou un autre violoniste de haute volée. Et comme leurs personnalités musicales sont fortement affirmées, il s’agit à mon avis d’un must listen. J’ajoute encore qu’un (violon) alto se révèle être un instrument finalement plus fascinant dans le domaine de l’exploration de textures, sonorités,… microtonalité etc.. qu’un violon. Pour pas mal de choses, ‘t other est une véritable merveille.
Frequency Disasters Steve Beresford Pierpaolo Martino Valentina Magaletti confront core series / core 18
https://www.confrontrecordings.com/frequency-disasters
On peut féliciter Mark Wastell, musicien et responsable de Confront Records, pour sa volonté de proposer des musiques parfois vraiment différentes de celle pour laquelle il est impliqué personnellement. C’est un réflexe de synergie et de bon sens élémentaire, voire de survie. Son catalogue Confront attire la curiosité et l’intérêt de personnes sensées écouter les musiques de secteurs spécifiques et très variés de l’improvisation et de l’expérimental et lesquelles se révèlent en majorité être les mêmes individus. Son tout récent album Twenty du trio The Sealed Knot avec Rhodri Davies et Burkhard Beins se situe aux antipodes de la musique inclassable de Frequency Disasters. Pierpaolo Martini est un contrebassiste originaire des Pouilles en Italie qui cherche à s’exprimer de manière valable et intéressante. Pour notre plus grand bonheur, il forme équipe avec un musicien improvisateur parmi les plus curieux et le moins prétentieux du monde, le pianiste Steve Beresford, et une « batteuse » originale qui a le chic de coller à l’esprit vagabond et la démarche dégingandée du pianiste, Valentina Magaletti. Un trio cohérent pour un trajet musical pas vraiment cohérent en apparence, mais qui réserve des surprises et vous rendra la joie de vivre, même dans cette période sinistrée.
Au contraire de pas mal de pianistes virtuoses de la scène improvisée, Steve Beresford se distingue par son jeu de piano viscéralement anti-académique. Comme Thelonious Monk ou Misha Mengelberg, il ne joue pas des paquets de notes avec des doigtés savants et ultra-logiques qui découlent d’une pratique intensive issue de l’enseignement dans les Conservatoires et dont on ressent la pratique, l’organisation mentale et le système inscrit dans l’ADN de nombreux collègues qui sonnent quasi tous un peu (voire beaucoup) pareils. Son parcours est buissonnier et ses idées n’appartiennent qu’à lui. Aucune idée fixe quant à ce que « doit » être la musique improvisée « idéale ».
Comme Steve adore jouer pour le plaisir dans la scène des gigs londoniens avec qui se présente depuis bientôt cinq décennies, il a développé une pratique de musique électronique low-fi avec une kyrielle d’instruments bon marché, Casio, porte-voix, effets, jouets sonores, gadgets. Souvent, ces instruments sont à portée du grand piano et il en joue plus ou moins simultanément de manière imprévisible et surprenante avec un sens du timing précis et ultra-convainquant. Ayant souvent joué en duo avec Han Bennink, ceci explique cela. Aussi, S.B. est un enthousiaste de la musique des autres musiciens assistant à un nombre incalculable de concerts sans le moindre préjugé, sachant par expérience que les artistes sont en évolution permanente et qu’il y a toujours quelque chose de bon ou d’intéressant à partager. Son attitude et celle de nombre de ses pairs et nombreux copains font que la scène Londonienne est sans doute la plus cool d’Europe. Et cet état d’esprit se reflète dans cette séance londonienne et pas comme les autres.
Étrangement, une ambiance à base de kalimba, de pizzicati bourdonnant et de bruissements discrets introduit l’album, des grattements de cordes et de clés de piano, archet sombre et glissandi sur la touche, quelques notes au clavier, vibrations de cymbales (Low Gulp 9:34) brouillent complètement les cartes, mais avec finesse et délicatesse avant que le parcours de la session nous délivre sa trajectoire improbable. Ce premier jet agit comme une plongée égalitaire dans l’écoute mutuelle approfondie, laquelle permet de s’envoler. 2/ Studded Shirt 2 :34 affirme une sorte de monkisme assumé, joyeux et personnel de la part du pianiste dans lequel s’inscrit le jeu malicieux,ludique et décalé de Valentina Magaletti. Fin abrupte introduisant 3/ Tuttodipunta (7 :11), un trilogue délirant dont la logique échappe aux radars des donneurs de leçons continentaux, genre prof sérieux qui sont incapables de s’amuser : ostinato obsessif sur la contrebasse et la batterie où le piano (clavier ou intérieur grinçant) ou quelques effets électroniques interviennent et se superposent. Imprévisible, ludique, narquois, cocasse. 4/ Pink Quote surgit du continuum dans sa lignée en offrant une tout autre perspective : électronique cheap zézayante, rafallettes de fines baguettes sur le rebord de la caisse claire, un joyeux contraste de l’indéfinissable et du récurrent, du fortuit et du persiflage. Cette observation se vérifie au fil de l’écoute. 5/ A Clumsy Title : Rythmique sautillante, claudicante et bruitages. Se succèdent des occurrences de sons, d’idées, d’inventions spontanées, de bruitages, d’ostinatos curieux.. d’une diversité quasi maniaque (Energetic Binge)qui forcent l’écoute, amuse ou affole l’auditeur. Tout ça n’a pas l’air sérieux, cadré, répertorié, soupesé, matière à thèse musicologique, carte de visite pour festival guindé, projet pour Université élitiste ou label pointilleux géré par un ponte omniscient. Que sais-je encore.
Surtout on échappe à la démonstration irréfutable du talent et de la maîtrise de la musique savante pour laisser libre cours à des intuitions originales, des idées folles, des tentatives de la dernière seconde qui font mouche. Une mention toute spéciale à la "batteuse" Valentina qui à l'art de mettre des accents suggestifs et d'inventer une répartie savoureuse / clin d'oeil jubilatoire aux frasques deu pianiste. Les percussionnistes qui parviennent à s'adapter avec une vraie créativité dans les circonstances hasardeuses de la free-music sont denrée rare. Voilà qu'on en tient une comme Valentina Magaletti, il ne faut pas la laisser s'échapper : "savoir jouer" est une chose, mais apporter sa part de folie, de plaisir et d'astuce comme elle le fait n'est pas choase courante ! Bravo ! Et dans la 7/ Cosmic Blunders, des accents au piano fort convainquant ou un brin de mélancolie dans 8/ Boyish Animation : un mignon jeu de chat à la souris entre les deux mains au clavier. Valentina a donc tout compris et son pote de bassiste donne la bonne dose à la contrebasse qui agit comme un pivot unificateur. Pierpaolo Martino a d’ailleurs un sens du groove discret, mais efficace qui apporte une manière enjouée dans les derniers morceaux quoi que fasse Steve Beresford avec ces jouets et objets sonores ou Valentina Magaletti avec son imagination. Le dernier et onzième morceau s’intitule Delusion Metabolist (sic !).
Inclassable. Cette caractéristique, vous allez me dire, n’est pas un but en soi, mais quand cela devient un aboutissement folichon, réellement amusant et unique en son genre, on ne peut que se régaler, se réjouir et passer un excellent moment.
Tatatsuki Trio Quartett Live in Hessen with Matthias Schubert and Dirk Marwedel Creative Sources CS682CD
Tatatsuki est un Trio itinérant qui ne se produit qu’avec un quatrième invité, ici avec le saxophone ténor de Matthias Schubert le 21.05.2019 à la Kulturhaus Dock4, Kassel (28 :32) et avec le saxophone étendu de Dirk Marwedel (33 :04) le 08.11.2019 à la Mauritius-Mediathek, Wiesbaden. Le Trio Tatatsuki proprement dit est composé de Rieko Okuda, piano, alto et voix, d’Antti Virtaranta, contrebasse et de Joshua Weitsel, guitare et shamisen. En compagnie de Matthias Schubert, le Tatatsuku Trio tisse un réseau sonore exploratoire en introduisant au départ des lignes aérées et légères, froissements de timbres, glissements sur les cordes dans lesquels s’insèrent l’extrême aigu du sax ténor. Ouverture introspective et retenue, jusqu’à ce que Matthias Schubert introduise un jeu saccadé en tordant son excellente articulation. Les trois autres, alto, guitare électrique et contrebasse, réagissent de manière ludique, pointilliste en évoluant à des cadences divergentes. Le piano de Rieko Okuda entre ensuite en scène faisant face au shamisen de Joshua Weitzel. L’ADN du groupe est marqué autant par une volonté de concentrer l’improvisation dans une direction définie qu’en juxtaposant des cheminements individuels presque contrastés, voire centrifuges. Une dimension heuristique à la limite de l’insouciance, exprimant une joie de jouer et la curiosité face à la confrontation de démarches individuelles dans le jeu instrumental et la pratique de l’improvisation à l’écart des formalisations théorisantes que d’aucuns ressentent comme excessives. Exultation, dérive, introspection, jeu de dés, tentative, exploration, confrontations de sonorités, textures, actions et réactions. Dans la longue improvisation de Wiesbaden, on transite depuis un no man’s land où interviennent les cycles harmoniques du piano contemporain, les cordes frappées du shamisen et le souffle extensible et éthéré jusqu’à des altérations métamusicales vraiment curieuses où l’effort de l’écoute n’arrive plus à départager l’origine instrumentale des sonorités murmurantes, vibratoires, mystérieuses qui se développent dans un consensus partagé. Questions posées diversement à l’inverse de solutions réconfortantes. L’improvisation collective revêt ici l’irrésolu, l’éphémère, des instants - séquences qui échappent à une forme de rationalité pour revêtir la primauté du moment vécu, rêvé ou secrètement désiré.
Paul Jolly & Mike Adcock Risky Furniture 33xtreme 013
Le saxophoniste Paul Jolly fut un des membres du People Band, formation séminale de l’improvisation libre britannique (Terry Day, Mel Davis, Mike Figgis, George Khan, Davey Payne, Charlie Hart, Tony Edwards, etc…) entre 1965 et 1972 et rassemblée à nouveau de 2008 à 2014. Paul Jolly avait même produit leur « Live at Café Oto » (33eXtreme 007) avant la disparition de Mel Davis, une des « têtes pensantes » du groupe. Encore si on pouvait définir la musique anarchiste du People Band comme celle d’un groupe plutôt qu’un état d’esprit partagé ou disputé. On retrouve pour cette parution 33eXtreme, un intrigant duo de Paul Jolly aux saxophones sopranino, soprano et ténor et clarinette basse avec le pianiste Mike Adcock, lui-même un accordéoniste surprenant. On se souvient du Café de la Place en compagnie d’un Lol Coxhill de haute volée (label Nato) et de l’étonnant duo Sleep It Off avec le flûtiste Clive Bell, un très bel album publié par Emanem qui ne ressemble à aucun autre. Et dans cet opus il doublait au piano. Sous un côté faussement folk et introspectif, c’est encore au piano qu’on le trouve face à un souffleur inspiré dans ce vraiment Risky Furniture. Leur musique est parfois tellement de guingois qu’on ne se risquera pas ranger nos catégories dans leur mobilier. Pas de grandes envolées, mais une approche sensible, épurée à petites touches, vibrations de ses doigts et mains sur le clavier qui se meuvent à l’écoute du souffle sinueux de son camarade. Mike Adcock use des dissonances et couleurs sonores comme un peintre sur sa palette. Complètement anti-académique, son jeu free est agréablement et profondément réjouissant et ses doigtés rivalisent avec les circonvolutions de Paul Jolly au sax soprano (What Not). Avec la clarinette basse, une marche sombre est relevée par une forme d’humour à froid minimaliste dont l’allant impavide jusqu’au dérisoire fait tourner le marcheur en rond avec des sursauts dégingandés. À l’instar de leurs compatriotes Lol Coxhill, Steve Beresford, Terry Day, Paul Rutherford, Jon Rose, nos deux lascars peuvent tout se permettre, leur délire mené jusqu’à l’absurde conserve une réelle crédibilité quoi qu’il arrive. Comme le Fred Van Hove de Verloren Maandag (SAJ 1977), Mike Adcock a un don inné pour jouer avec les couleurs du piano et d’en extraire des lignes mélodiques improbables. Paul Jolly imprime un lyrisme touchant tout en enfonçant le clou d’un persiflage tout juste palpable. Le dosage de cet humour délicieux transcende les formes que leurs improvisations investissent pour leur faire exprimer ce que notre imagination nous suggère. The Accidental Splinter nous fait entendre des harmoniques criardes par-dessus un toucher de piano hésitant et méchamment dissonant. Dans Bureau of Change, ils se permettent de réclamer la monnaie en nous jouant un tour : comment friser le ténu, l’accessoire avec pas grand-chose : quelques notes bancales au piano et des bribes de mélodies dans l’aigu du sax soprano et un peu d’audace suffisent à exprimer le trouble. Changement de registre avec une main gauche fofolle (by the fainting couch) et quelques consonances un peu farce : la dose exacte de dérision sans qu’il n’y paraisse. Ces deux improvisateurs, s’ils ne font pas montre de virtuosité et de brilliance, sont passés maîtres dans la suggestion, l’expressivité improbable d’éléments mélodiques en apparence simples et presque convenus , répétitifs ou consonants, issus d’une pratique empirique voire « populaire » de la musique. Le trait n’étant pas du tout forcé, l’entreprise de Jolly & Adcock passe aisément la rampe. Un bel album.
Thollem A Day in The Leap Setola di Maiale. https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4190
Thollem Mc Donas, un solide pianiste, virtuose, dense et précis, avait enregistré deux remarquables albums énergétiques et racés avec le saxophoniste ténor Edoardo Marraffa et le puissant batteur Stefano Giust pour Amirani et Setola di Maiale, label dont Stefano est le maître d’œuvre. Rien d’étonnant de voir venir cet étonnant opus, A Day in The Leap, surgir au catalogue du label de Porcia, Pordenone. Et, figurez-vous, un chef d’œuvre de musique électronique où le pianiste est aux prises avec un Korg Wavestate, un clavier électronique dont l’instrumentiste peut modifier les paramètres sonores, attaques, dynamique, registres, pulsations, fréquences pour atteindre un véritable raffinement et une palette instrumentale fascinante. On retrouve dans son travail une extension de sa musique au piano avec une dimension percussive et pulsatoire avec une richesse dans les timbres qui empruntent aux marimbas, vibraphones, orgues électriques, instruments à vents, en trafiquant les tonalités et jonglant avec les boucles au point où on oublie le prosaïsme de ce procédé banal. Thollem Mc Donas appartient à cette génération de chercheurs en musique électronique pour qui l’aspect du rythme est une valeur aussi importante que la dimension sonore : Thomas Lehn, Richard Scott, Paul Obermayer, Richard Barrett, Julien Palomo, Lawrence Casserley, Joker Nies, Alan Silva, ou Veryan Weston et sa keystation et son pote Steve Beresford et sa table recouverte d’instruments vintage, jouets et gadgets, etc… Une démarche musicale défendant l’option « complexité » face à la grisaille minimaliste focalisée sur les textures et les drones qui parfois peut lasser ou à certaines démarches frisant la facilité. Qu’on n’aime ou pas la musique électronique per se, on conviendra, à moins d’être faux jeton, du réel talent de ce musicien. De toute façon, un pianiste de free-music n’a pas le choix. Ceux qui aiment jouer dans leur environnement immédiat et rencontrer d’autres camarades pour le plaisir ne trouvent pas toujours/ souvent un piano à demeure et cela dans de nombreux lieux. Et donc, nombre de ces improvisateurs militants ont développé une musique intéressante avec d’autres moyens, souvent électroniques (Steve Beresford, Pat Thomas, Veryan Weston). Dans le cas de Thollem Mc Donas, c’est une véritable réussite esthétique et musicale. Cecil Taylor décrivait sa musique au piano comme représentant les mouvements un danseur dans l’espace (hors gravitation). C’est l’effet ressenti à l’écoute d’A Day in The Leap.
23 novembre 2020
Ivo Perelman with Nate Wooley, with Matthew Shipp & Whit Dickey & with Matthew Shipp & Joe Morris. Duo Ivo Perelman & Pascal Marzan
Polarity Ivo Perelman & Nate Wooley burning ambulance CD https://ivoperelman-bam.bandcamp.com/album/polarity
There is a long story of trumpet and saxophone tenor playing, moving and singing as a pair. Remember Don Cherry and Albert Ayler, Miles Davis and John Coltrane, Buck Clayton and Lester Young, Clifford Brown and Sonny Rollins, Kenny Dorham and Joe Henderson, this is the endless motion of creativity of two elements – principles – dynamics inside the longstanding process of the mutual listening and spontaneous invention which permeates through the works of the artists inventors of the jazz to be and to come. Two poles of different timbres and sounds which are in need of each other, contrasting from or complementing each other. The Brazilian tenor sax player Ivo Perelman and the American trumpet instrumentalist Nate Wooley are firm believers of the value of jazz music and heirs of their own jazz heroes and fondly involved in free improvisation based on instant invention and close mutual listening through a process of extending and discovering new sounds and their impromptu aggregations in unexpected ways. So if there is a kind of throwing dices way of doing, a very subtle logic and a deep sensitivity are at work. They use some short melodic patterns which jump and vanish, various manners of glissandi, buzzing, harmonics and split tones which are echoing between them, odd accents, repetitions and disjoint articulations, bits and pieces extracted out of the realms of jazz soloing and dancing on shared invisible moving beats. Exact mutual listening is happening here each minute, each second or even nano-second. They don’t follow a map or a route, but they invent an imaginary score made of beautiful sounds from their souls in the almost jazz canon and / or from the shrapnel shards from the free jazz explosion. Speed, spirals and endless curves are mingled with subdued rallentando, voice-like overtone, outrageous note bending and odd pitch placements. Perhaps one will say that this is not new as Albert Ayler and Don Cherry or Roscoe Mitchell and Lester Bowie already played and recorded that kind of stuff fifty years ago. But their work fits amazingly well in a complete reconsideration of jazz practice through the process of total free-improvisation without any kind of previous discussion and agreement of what to play in the line of such European improvisers like Evan Parker and Derek Bailey, John Stevens and Trevor Watts. No score, no theme, no solo, no comping. The rewards of their improvising method, their sensitivity and skills are offering us constant variations and extensions of forms, feelings and sounds. Their improvising journey are made of quite different – ever moving musical pieces, ten instant compositions from exquisite miniatures around the two minutes and others stretching longer as the opening (6:53) and the closing (10:49). This kind of man to man dialogue was made possible because they have worked together in other projects with Matthew Shipp (Philosopher’s Stone) and Mat Maneri (Strings 3). While trying at succeeding in such challenges, they build in the same time what could happen next. Their duo was not planned but answered to an existential need of creating beauty and surprise.
Garden of Jewels Ivo Perelman – Matthew Shipp – Whit Dickey Taoforms
J’étais en train de finir l’écriture et la traduction d’un livre sur la musique d’Ivo Perelman et Matthew Shipp en duo et leurs nombreux albums, voici que me parviennent huit joyaux du studio de Jim Clouse : Garden of Jewels. C’est leur première session depuis le pic de la pandémie à NYC. À leurs côtés, le fidèle percussionniste Whit Dickey. Quelque chose a changé dans le jeu du souffleur, la vocalité de son timbre s’est épanouie et il malaxe l’articulation vers les suraigus et dans un tendre legato, on croit entendre sa peau trembler. Sans doute, est-ce la conséquence de tous les exercices intenses durant l’inactivité de la pandémie. La qualité du dialogue entre Ivo et Matthew, s’est encore renforcée au niveau de l’acuité des accents et du dialogue. Qui connaît Matthew Shipp en solo ou en trio, (sans Ivo), sera surpris par son style épuré qui embrasse littéralement le souffle poétique de son collègue et par les métamorphoses de son jeu au fil de chaque improvisation. Leur musique n’est pas faite de thèmes et de solos individuels où le pianiste « accompagne » le souffleur. Il s’agit de jouer et faire corps ensemble en distillant la musique vers l’essentiel dans l’instant et une écoute mutuelle totale. Leur musique improvisée raconte une histoire inventée qui cherche en permanence de nouvelles formes nées du jeu et de leur imagination. Whit Dickey s’introduit dans leur dialogue en sélectionnant ses frappes, les vibrations des cymbales et en évitant les roulements. Un sens de l’espace et un jeu plus pointilliste qui s’agrège à l’ensemble et s’en détache lorsque l’intuition point. On sent Whit Dickey entièrement à l’écoute des enchaînements mélodiques spontanés et mouvants du piano et du souffle éperdu. Chacun de ces joyaux exprime un autre état de conscience, un feeling renouvelé. Onyx semble commencer comme des rêves croisés et finit par se déplacer par rebonds simultanés des trois musiciens, échancrés par quelques élans d'Ivo Perelman auquel fait écho trois ou quatre notes du piano en guise d’accord. Turquoise démarre en vives questions - réponses soutenues avec un motif au piano énoncé brièvement et tenu en réserve, et comme souvent et de manière peu prévisible, les trois musiciens ralentissent et s’étalent, le motif apparu brièvement ressurgit et entraîne des contrepoints tournoyants en cascade alors que le batteur décroise les battements. Cette proximité de plus en plus fertile entre le pianiste et le saxophoniste s’est communiquée au batteur. Nous avons déjà aperçu cette empathie profonde, ce sentiment d’unité lors de la session d’Ineffable Joy avec Bobby Kapp et William Parker. Nous ressentons très fort ici leur communion intense dans la qualité sonore et les réactions intimes à la fraction de seconde près. Ces trois musiciens ne pensent plus « sax ténor » « piano » ou « batterie », mais sonorités, langages, dialogue, images, couleurs, nuances, mouvements mêmes infimes, émotions, déchirements ou apaisements, intériorité ou surgissement de l’expression comme au cœur de Sapphire. Un joyau
Shamanism Ivo Perelman Joe Morris Matthew Shipp Mahakala Music https://ivoperelman.bandcamp.com/album/shamanism
Ces trois musiciens partagent une histoire commune : le guitariste Joe Morris a joué et enregistré séparément avec le pianiste Matthew Shipp en duo (Thesis - Hatology) et en groupe et plus récemment avec le saxophoniste Ivo Perelman : Blue en duo et Counterpoint en trio avec le violoniste Mat Maneri (Leo Records), lequel est un habitué des sessions de Shipp et Morris. Et bien sûr, Ivo et Matt partagent un duo incontournable pour lequel de nombreux albums ont été publiés (Corpo, Callas, Saturn, Oneness, Efflorescence Vol.1, Live In Brussels et In Nuremberg) leur dernier en date étant Amalgam chez Mahakala Music, justement. Dans tous leurs efforts communs et ce nouveau trio , Perelman, Morris et Shipp confient à Jim Clouse, leur ingénieur du son, une musique entièrement improvisée sur l’instant, sans thèmes ni schémas préétablis, en s’unissant sur la seule base de l’écoute mutuelle et d’interactions toujours renouvelées. Bien sûr, leurs connaissances approfondies du jazz moderne et de la musique classique vingtiémiste s’agrègent à une capacité étincelante d’improvisateurs expérimentés. Si le tandem saxophone – piano profite d’une complémentarité évidente, de même la combinaison guitare - saxophone, associer un piano avec une guitare dans le domaine de l’improvisation totale, n’est pas une mince affaire. À titre de comparaison, un duo tel que celui de Bill Evans et Jim Hall navigue à vue en combinant les solos improvisés respectifs du pianiste et du guitariste avec l’accompagnement de l’autre partenaire sur la base de compositions, l’invention mélodique de chaque « soliste » reposant sur la trame harmonique et rythmique fournie par son partenaire. C’est un art qui fonctionne sur des règles éprouvées et auquel de tels musiciens ont conféré une aura exceptionnelle.
Mais une fois que tous les coups sont permis dans une totale liberté « free », cette combinaison piano - guitare devient ardue et l’entreprise risque d’être lassante : la guitare et le piano étant deux instruments harmoniques qui se suffisent déjà à eux-mêmes une fois solitaire. On risque en improvisant continuellement de part et d’autre, de superposer deux pensées musicales voisines de manière abstraite en surchargeant les échanges ou en se contredisant, rendant la collaboration verbeuse et indigeste. D’ailleurs, Cecil Taylor et Derek Bailey ont enregistré une seule fois en 1988 (Pleistozaen mit Wasser- FMP), et à mon avis, c’est ce qu’on appelle une « tentative », … sans lendemain. Ils ne l’ont d’ailleurs jamais rééditée, alors que le scoop était géant ! De même, cherchez dans la discographie des Don Pullen, Muhal Abrams, Marylin Crispell, Alex von Schlippenbach, Fred Van Hove, Irene Schweizer, Agusti Fernandez, Craig Taborn, Sylvie Courvoisier, Veryan Weston etc… , vous constaterez que le sujet est bien évité. Quant à Derek Bailey, c’est une option qu’il n’a jamais choisie en duo ou en trio, alors qu’il est sans doute l’improvisateur libre qui a tout essayé. Donc, Thesis était un essai fort honorable, intéressant, mais pas vraiment attirant pour certaines oreilles, si je me souviens. Dans le morceau final de Shamanism, Religious Ecstacy, il y a toute une séquence en duo piano - guitare où les doigtés du pianiste font accélérer et tournoyer l’inventivité échevelée du guitariste sur le manche, lequel actionne son seul plectre face aux dix doigts sur le clavier. Il règne alors une tension électrique à la limite du déraillement et on a l’impression de se diriger vers un cul de sac que détourne l’intervention du saxophoniste.
Alors, nos trois apôtres se sont dits : « Et avec un saxophone en plus ? ». La bonne idée ! Et ça marche à merveille, à ma plus grande surprise. Et pourtant, a-t-on entendu Steve Lacy et Mal Waldron, Trevor Watts et Veryan Weston ou Dave Burrell et David Murray etc.. s’adjoindre un guitariste ? Ce serait tout à fait incongru. Dans ce triangle aux proportions mouvantes, les trois improvisateurs multiplient les opportunités géométriques dans l’espace et, dans les architectures successives des neuf improvisations, insufflent spontanément dynamisme, énergie, expressivité, rage et langueur jonglant avec les articulations de leurs phrasés qu’ils combinent avec un vrai bonheur, parfois comme un acrobate évoluant sur un fil tendu au-dessus du vide. Ici les zig-zags intrépides du guitariste peuvent compter sur l’articulation abrupte ou coulante du saxophoniste, elle-même hérissée d’harmoniques mordantes et chantantes, alors que le pianiste percute des accords brisés à contre – courant. Lorsqu’Ivo Perelman lance un motif dans Trance ou dans Divination, Matthew Shipp trouve instantanément une cadence dans laquelle le guitariste s’insère en faisant rebondir ses notes aiguës obliquement, le schéma ainsi créé se métamorphose naturellement au fil des secondes en enchaînant des variations qui s’imbriquent comme un puzzle en trois dimensions. Dans ce partage égalitaire à trois, Ivo Perelman confère une puissance à l’étonnante douceur de son souffle saisi par ces extrêmes aigus expressifs et mordants et des circonvolutions microtonales ouatées et faussement suaves. Cette propension à étirer ses notes au-delà du simple effet pour se muer littéralement en chanteur (influence de la saudade ou d’un flamenco aylérien) confère une coloration tropicale aux harmonies complexes et nourries de ces deux compagnons. Il pousse le cri du free-jazz « sauvage » dans ses derniers retranchements avec une suavité et un lyrisme paradoxal. Si Matthew et Joe rivalisent de science harmonique généreusement appliquée (comme on dit « les sciences appliquées ») à leurs échanges virevoltants, majestueux ou saccadés, leur performance déjà fascinante d’invention se voit conférer un merveilleux supplément d’âme, Ivo déployant son extraordinaire inventivité mélodique à travers les registres de son sax ténor qu’il distend avec excès tout en maintenant une expressivité lyrique. On note d’ailleurs une mutation récente dans la vocalité de son style. Mais les deux autres ne sont pas sans reste : on appréciera la qualité de leur toucher et les nuances des timbres qui transcende leurs échappées folles au travers des cycles harmoniques, montagnes russes chromatiques et cascades limpides. Du grand art !
Chacun s’active à varier les plaisirs et à trouver des solutions à la fois contrastées et complémentaires aux questions posées par leurs partenaires, qui, s’ils manifestent le plus profond fair-play, ne se gênent pas pour s’exprimer de manière exigeante, poussant leurs collègues dans leur derniers retranchements ou les forçant à faire couler la sève lors d’une ballade en porte-à-faux. Afin sans doute de procurer des zones de relâchement à l’attention du « spectateur » auditeur de ces extravaganza colorées, Matt Shipp propose trois courts solos agréablement calibrés et laissant libre cours à sa magnifique sonorité : 1/Prophet and Healers, 5/ Altered States of Consciousness et 9/ Supernatural Faith, lequel introduit le tournoiement final et infini de 10/ Religious Ecstacy, une conclusion haletante vers un point final en ralentando habilement négocié pour se solder par un parcours très accidenté et anguleux où s’exténue l’articulation trépidante du souffleur. Tout en s’exprimant avec lyrisme et connivence heureuses, le trio explore des territoires agités et des constructions éphémères avec un sens du challenge impressionnant et une lucide pureté d’intentions.
Dust of Light/Ears Drawing Sounds on Setola di Maiale SM4200 : Pascal Marzan & Ivo Perelman https://ivoperelmanmusic.bandcamp.com/album/dust-of-light-ears-drawing-sounds
Coincidence came out at the meeting of French guitarist Pascal Marzan with Ivo Perelman. Like Ivo, but later in his life, Pascal Marzan dedicated his time to the learning and the mastering the classical acoustic guitar, studying and performing the same Brazilian composer that the young Ivo teethed as a youngster : Heitor Villa-Lobos and his Préludes, Études and Guitar Concerto … But after having performed classical music and also improvised music with legendary British improvisers like guitarist John Russell, violinist Phil Wachsmann, saxist Urs Leimgruber and clarinettist Alex Ward, Pascal decided very recently to refound completely his practice of his axe in tuning it very differently. He bought a new ten strings classical guitar build at the requirements of the legendary virtuoso Narciso Yepes, one of the greatest guitarist of the Twentieth Century. With a lucid and premonitory intuition, he tuned each string with an interval of a third of a tone from the next string in order to develop a kind of microtonality. Coincidentally, one of the closest musical mate of Ivo, alto virtuoso improviser Mat Maneri is completely involved in this microtonal universe since he learned it from his father, the now deceased composer and reed maestro, Joe Maneri. They even both recorded for the ECM label. When Pascal and Ivo met at one London gig, they both clicked like twins. I would add that Pascal’s tuning is allowing to play in sixth of tone, because, as you know, guitar frets are slicing one tone in two half-tones… and in two different scales of thirds of tones and also in equal temperament as the “normal” notes are still available. Mindboggling. Ivo Perelman strives to challenge his own diving in microtones playing above or below the “pure” notes adjusting meticulously his reed and mouthpiece air pressure and sticking to no Forte, but a softer breath with more nuances. As the intervals of the notes of this 6th tone guitar are so tiny, you wonder at listening to Dust of Light/ Ears Drawing Sounds. Is it a hybrid string instrument, a harp or a harpsichord? For my opinion of dedicated writer about improvised music, this is the most brilliant and deepest guitar concept in contemporary improvisation since the legendary Derek Bailey. Strangely, this string arrangement produces a spooky reverberation revealing the frail nature of the Spanish guitar body made of glued tiny pieces of wood. The session went unnoticed and the result went beyond any expectation. Confronted to all kinds of plucking and touching the strings with Pascal Marzan incredible right hand, fingers and nails and his multivoiced wild arpeggios,Ivo Perelman exceeds his current inspiration concentrating his breath and fingering to extend forcefully his high soaring notes and his singing alto range while you hear clear ruminations of past jazz heroes like Ben Webster and Don Byas or nods to Albert Ayler. The variety of musical forms created in the spur of the moment is absolutely amazing and strangely lyrical and earthy, both players making a tour de force of this unexpected musique de chambre.
Please Note that physical CD's are available here : https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4200 Pascal Marzan (arcantilege@gmail.com) has copies of Dust Of Light in his hom in London. By now the bandcamp https://ivoperelmanmusic.bandcamp.com/album/dust-of-light-ears-drawing-sounds is providing only digital albums for logistic reasons.
There is a long story of trumpet and saxophone tenor playing, moving and singing as a pair. Remember Don Cherry and Albert Ayler, Miles Davis and John Coltrane, Buck Clayton and Lester Young, Clifford Brown and Sonny Rollins, Kenny Dorham and Joe Henderson, this is the endless motion of creativity of two elements – principles – dynamics inside the longstanding process of the mutual listening and spontaneous invention which permeates through the works of the artists inventors of the jazz to be and to come. Two poles of different timbres and sounds which are in need of each other, contrasting from or complementing each other. The Brazilian tenor sax player Ivo Perelman and the American trumpet instrumentalist Nate Wooley are firm believers of the value of jazz music and heirs of their own jazz heroes and fondly involved in free improvisation based on instant invention and close mutual listening through a process of extending and discovering new sounds and their impromptu aggregations in unexpected ways. So if there is a kind of throwing dices way of doing, a very subtle logic and a deep sensitivity are at work. They use some short melodic patterns which jump and vanish, various manners of glissandi, buzzing, harmonics and split tones which are echoing between them, odd accents, repetitions and disjoint articulations, bits and pieces extracted out of the realms of jazz soloing and dancing on shared invisible moving beats. Exact mutual listening is happening here each minute, each second or even nano-second. They don’t follow a map or a route, but they invent an imaginary score made of beautiful sounds from their souls in the almost jazz canon and / or from the shrapnel shards from the free jazz explosion. Speed, spirals and endless curves are mingled with subdued rallentando, voice-like overtone, outrageous note bending and odd pitch placements. Perhaps one will say that this is not new as Albert Ayler and Don Cherry or Roscoe Mitchell and Lester Bowie already played and recorded that kind of stuff fifty years ago. But their work fits amazingly well in a complete reconsideration of jazz practice through the process of total free-improvisation without any kind of previous discussion and agreement of what to play in the line of such European improvisers like Evan Parker and Derek Bailey, John Stevens and Trevor Watts. No score, no theme, no solo, no comping. The rewards of their improvising method, their sensitivity and skills are offering us constant variations and extensions of forms, feelings and sounds. Their improvising journey are made of quite different – ever moving musical pieces, ten instant compositions from exquisite miniatures around the two minutes and others stretching longer as the opening (6:53) and the closing (10:49). This kind of man to man dialogue was made possible because they have worked together in other projects with Matthew Shipp (Philosopher’s Stone) and Mat Maneri (Strings 3). While trying at succeeding in such challenges, they build in the same time what could happen next. Their duo was not planned but answered to an existential need of creating beauty and surprise.
Garden of Jewels Ivo Perelman – Matthew Shipp – Whit Dickey Taoforms
J’étais en train de finir l’écriture et la traduction d’un livre sur la musique d’Ivo Perelman et Matthew Shipp en duo et leurs nombreux albums, voici que me parviennent huit joyaux du studio de Jim Clouse : Garden of Jewels. C’est leur première session depuis le pic de la pandémie à NYC. À leurs côtés, le fidèle percussionniste Whit Dickey. Quelque chose a changé dans le jeu du souffleur, la vocalité de son timbre s’est épanouie et il malaxe l’articulation vers les suraigus et dans un tendre legato, on croit entendre sa peau trembler. Sans doute, est-ce la conséquence de tous les exercices intenses durant l’inactivité de la pandémie. La qualité du dialogue entre Ivo et Matthew, s’est encore renforcée au niveau de l’acuité des accents et du dialogue. Qui connaît Matthew Shipp en solo ou en trio, (sans Ivo), sera surpris par son style épuré qui embrasse littéralement le souffle poétique de son collègue et par les métamorphoses de son jeu au fil de chaque improvisation. Leur musique n’est pas faite de thèmes et de solos individuels où le pianiste « accompagne » le souffleur. Il s’agit de jouer et faire corps ensemble en distillant la musique vers l’essentiel dans l’instant et une écoute mutuelle totale. Leur musique improvisée raconte une histoire inventée qui cherche en permanence de nouvelles formes nées du jeu et de leur imagination. Whit Dickey s’introduit dans leur dialogue en sélectionnant ses frappes, les vibrations des cymbales et en évitant les roulements. Un sens de l’espace et un jeu plus pointilliste qui s’agrège à l’ensemble et s’en détache lorsque l’intuition point. On sent Whit Dickey entièrement à l’écoute des enchaînements mélodiques spontanés et mouvants du piano et du souffle éperdu. Chacun de ces joyaux exprime un autre état de conscience, un feeling renouvelé. Onyx semble commencer comme des rêves croisés et finit par se déplacer par rebonds simultanés des trois musiciens, échancrés par quelques élans d'Ivo Perelman auquel fait écho trois ou quatre notes du piano en guise d’accord. Turquoise démarre en vives questions - réponses soutenues avec un motif au piano énoncé brièvement et tenu en réserve, et comme souvent et de manière peu prévisible, les trois musiciens ralentissent et s’étalent, le motif apparu brièvement ressurgit et entraîne des contrepoints tournoyants en cascade alors que le batteur décroise les battements. Cette proximité de plus en plus fertile entre le pianiste et le saxophoniste s’est communiquée au batteur. Nous avons déjà aperçu cette empathie profonde, ce sentiment d’unité lors de la session d’Ineffable Joy avec Bobby Kapp et William Parker. Nous ressentons très fort ici leur communion intense dans la qualité sonore et les réactions intimes à la fraction de seconde près. Ces trois musiciens ne pensent plus « sax ténor » « piano » ou « batterie », mais sonorités, langages, dialogue, images, couleurs, nuances, mouvements mêmes infimes, émotions, déchirements ou apaisements, intériorité ou surgissement de l’expression comme au cœur de Sapphire. Un joyau
Shamanism Ivo Perelman Joe Morris Matthew Shipp Mahakala Music https://ivoperelman.bandcamp.com/album/shamanism
Ces trois musiciens partagent une histoire commune : le guitariste Joe Morris a joué et enregistré séparément avec le pianiste Matthew Shipp en duo (Thesis - Hatology) et en groupe et plus récemment avec le saxophoniste Ivo Perelman : Blue en duo et Counterpoint en trio avec le violoniste Mat Maneri (Leo Records), lequel est un habitué des sessions de Shipp et Morris. Et bien sûr, Ivo et Matt partagent un duo incontournable pour lequel de nombreux albums ont été publiés (Corpo, Callas, Saturn, Oneness, Efflorescence Vol.1, Live In Brussels et In Nuremberg) leur dernier en date étant Amalgam chez Mahakala Music, justement. Dans tous leurs efforts communs et ce nouveau trio , Perelman, Morris et Shipp confient à Jim Clouse, leur ingénieur du son, une musique entièrement improvisée sur l’instant, sans thèmes ni schémas préétablis, en s’unissant sur la seule base de l’écoute mutuelle et d’interactions toujours renouvelées. Bien sûr, leurs connaissances approfondies du jazz moderne et de la musique classique vingtiémiste s’agrègent à une capacité étincelante d’improvisateurs expérimentés. Si le tandem saxophone – piano profite d’une complémentarité évidente, de même la combinaison guitare - saxophone, associer un piano avec une guitare dans le domaine de l’improvisation totale, n’est pas une mince affaire. À titre de comparaison, un duo tel que celui de Bill Evans et Jim Hall navigue à vue en combinant les solos improvisés respectifs du pianiste et du guitariste avec l’accompagnement de l’autre partenaire sur la base de compositions, l’invention mélodique de chaque « soliste » reposant sur la trame harmonique et rythmique fournie par son partenaire. C’est un art qui fonctionne sur des règles éprouvées et auquel de tels musiciens ont conféré une aura exceptionnelle.
Mais une fois que tous les coups sont permis dans une totale liberté « free », cette combinaison piano - guitare devient ardue et l’entreprise risque d’être lassante : la guitare et le piano étant deux instruments harmoniques qui se suffisent déjà à eux-mêmes une fois solitaire. On risque en improvisant continuellement de part et d’autre, de superposer deux pensées musicales voisines de manière abstraite en surchargeant les échanges ou en se contredisant, rendant la collaboration verbeuse et indigeste. D’ailleurs, Cecil Taylor et Derek Bailey ont enregistré une seule fois en 1988 (Pleistozaen mit Wasser- FMP), et à mon avis, c’est ce qu’on appelle une « tentative », … sans lendemain. Ils ne l’ont d’ailleurs jamais rééditée, alors que le scoop était géant ! De même, cherchez dans la discographie des Don Pullen, Muhal Abrams, Marylin Crispell, Alex von Schlippenbach, Fred Van Hove, Irene Schweizer, Agusti Fernandez, Craig Taborn, Sylvie Courvoisier, Veryan Weston etc… , vous constaterez que le sujet est bien évité. Quant à Derek Bailey, c’est une option qu’il n’a jamais choisie en duo ou en trio, alors qu’il est sans doute l’improvisateur libre qui a tout essayé. Donc, Thesis était un essai fort honorable, intéressant, mais pas vraiment attirant pour certaines oreilles, si je me souviens. Dans le morceau final de Shamanism, Religious Ecstacy, il y a toute une séquence en duo piano - guitare où les doigtés du pianiste font accélérer et tournoyer l’inventivité échevelée du guitariste sur le manche, lequel actionne son seul plectre face aux dix doigts sur le clavier. Il règne alors une tension électrique à la limite du déraillement et on a l’impression de se diriger vers un cul de sac que détourne l’intervention du saxophoniste.
Alors, nos trois apôtres se sont dits : « Et avec un saxophone en plus ? ». La bonne idée ! Et ça marche à merveille, à ma plus grande surprise. Et pourtant, a-t-on entendu Steve Lacy et Mal Waldron, Trevor Watts et Veryan Weston ou Dave Burrell et David Murray etc.. s’adjoindre un guitariste ? Ce serait tout à fait incongru. Dans ce triangle aux proportions mouvantes, les trois improvisateurs multiplient les opportunités géométriques dans l’espace et, dans les architectures successives des neuf improvisations, insufflent spontanément dynamisme, énergie, expressivité, rage et langueur jonglant avec les articulations de leurs phrasés qu’ils combinent avec un vrai bonheur, parfois comme un acrobate évoluant sur un fil tendu au-dessus du vide. Ici les zig-zags intrépides du guitariste peuvent compter sur l’articulation abrupte ou coulante du saxophoniste, elle-même hérissée d’harmoniques mordantes et chantantes, alors que le pianiste percute des accords brisés à contre – courant. Lorsqu’Ivo Perelman lance un motif dans Trance ou dans Divination, Matthew Shipp trouve instantanément une cadence dans laquelle le guitariste s’insère en faisant rebondir ses notes aiguës obliquement, le schéma ainsi créé se métamorphose naturellement au fil des secondes en enchaînant des variations qui s’imbriquent comme un puzzle en trois dimensions. Dans ce partage égalitaire à trois, Ivo Perelman confère une puissance à l’étonnante douceur de son souffle saisi par ces extrêmes aigus expressifs et mordants et des circonvolutions microtonales ouatées et faussement suaves. Cette propension à étirer ses notes au-delà du simple effet pour se muer littéralement en chanteur (influence de la saudade ou d’un flamenco aylérien) confère une coloration tropicale aux harmonies complexes et nourries de ces deux compagnons. Il pousse le cri du free-jazz « sauvage » dans ses derniers retranchements avec une suavité et un lyrisme paradoxal. Si Matthew et Joe rivalisent de science harmonique généreusement appliquée (comme on dit « les sciences appliquées ») à leurs échanges virevoltants, majestueux ou saccadés, leur performance déjà fascinante d’invention se voit conférer un merveilleux supplément d’âme, Ivo déployant son extraordinaire inventivité mélodique à travers les registres de son sax ténor qu’il distend avec excès tout en maintenant une expressivité lyrique. On note d’ailleurs une mutation récente dans la vocalité de son style. Mais les deux autres ne sont pas sans reste : on appréciera la qualité de leur toucher et les nuances des timbres qui transcende leurs échappées folles au travers des cycles harmoniques, montagnes russes chromatiques et cascades limpides. Du grand art !
Chacun s’active à varier les plaisirs et à trouver des solutions à la fois contrastées et complémentaires aux questions posées par leurs partenaires, qui, s’ils manifestent le plus profond fair-play, ne se gênent pas pour s’exprimer de manière exigeante, poussant leurs collègues dans leur derniers retranchements ou les forçant à faire couler la sève lors d’une ballade en porte-à-faux. Afin sans doute de procurer des zones de relâchement à l’attention du « spectateur » auditeur de ces extravaganza colorées, Matt Shipp propose trois courts solos agréablement calibrés et laissant libre cours à sa magnifique sonorité : 1/Prophet and Healers, 5/ Altered States of Consciousness et 9/ Supernatural Faith, lequel introduit le tournoiement final et infini de 10/ Religious Ecstacy, une conclusion haletante vers un point final en ralentando habilement négocié pour se solder par un parcours très accidenté et anguleux où s’exténue l’articulation trépidante du souffleur. Tout en s’exprimant avec lyrisme et connivence heureuses, le trio explore des territoires agités et des constructions éphémères avec un sens du challenge impressionnant et une lucide pureté d’intentions.
Dust of Light/Ears Drawing Sounds on Setola di Maiale SM4200 : Pascal Marzan & Ivo Perelman https://ivoperelmanmusic.bandcamp.com/album/dust-of-light-ears-drawing-sounds
Coincidence came out at the meeting of French guitarist Pascal Marzan with Ivo Perelman. Like Ivo, but later in his life, Pascal Marzan dedicated his time to the learning and the mastering the classical acoustic guitar, studying and performing the same Brazilian composer that the young Ivo teethed as a youngster : Heitor Villa-Lobos and his Préludes, Études and Guitar Concerto … But after having performed classical music and also improvised music with legendary British improvisers like guitarist John Russell, violinist Phil Wachsmann, saxist Urs Leimgruber and clarinettist Alex Ward, Pascal decided very recently to refound completely his practice of his axe in tuning it very differently. He bought a new ten strings classical guitar build at the requirements of the legendary virtuoso Narciso Yepes, one of the greatest guitarist of the Twentieth Century. With a lucid and premonitory intuition, he tuned each string with an interval of a third of a tone from the next string in order to develop a kind of microtonality. Coincidentally, one of the closest musical mate of Ivo, alto virtuoso improviser Mat Maneri is completely involved in this microtonal universe since he learned it from his father, the now deceased composer and reed maestro, Joe Maneri. They even both recorded for the ECM label. When Pascal and Ivo met at one London gig, they both clicked like twins. I would add that Pascal’s tuning is allowing to play in sixth of tone, because, as you know, guitar frets are slicing one tone in two half-tones… and in two different scales of thirds of tones and also in equal temperament as the “normal” notes are still available. Mindboggling. Ivo Perelman strives to challenge his own diving in microtones playing above or below the “pure” notes adjusting meticulously his reed and mouthpiece air pressure and sticking to no Forte, but a softer breath with more nuances. As the intervals of the notes of this 6th tone guitar are so tiny, you wonder at listening to Dust of Light/ Ears Drawing Sounds. Is it a hybrid string instrument, a harp or a harpsichord? For my opinion of dedicated writer about improvised music, this is the most brilliant and deepest guitar concept in contemporary improvisation since the legendary Derek Bailey. Strangely, this string arrangement produces a spooky reverberation revealing the frail nature of the Spanish guitar body made of glued tiny pieces of wood. The session went unnoticed and the result went beyond any expectation. Confronted to all kinds of plucking and touching the strings with Pascal Marzan incredible right hand, fingers and nails and his multivoiced wild arpeggios,Ivo Perelman exceeds his current inspiration concentrating his breath and fingering to extend forcefully his high soaring notes and his singing alto range while you hear clear ruminations of past jazz heroes like Ben Webster and Don Byas or nods to Albert Ayler. The variety of musical forms created in the spur of the moment is absolutely amazing and strangely lyrical and earthy, both players making a tour de force of this unexpected musique de chambre.
Please Note that physical CD's are available here : https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4200 Pascal Marzan (arcantilege@gmail.com) has copies of Dust Of Light in his hom in London. By now the bandcamp https://ivoperelmanmusic.bandcamp.com/album/dust-of-light-ears-drawing-sounds is providing only digital albums for logistic reasons.