ROT / ROH Ulli Boettcher – Martin Klapper NurNichtNur 2007
A dix ans d’intervalle, deux enregistrements révélateurs de l’art de la table recouverte d’une kyrielle d’instruments électroniques d’un autre temps et de jouets en compagnie de deux improvisateurs parmi ceux chez qui le don d’improviser confine à l’urgence immédiate et à une intuition infaillible. Le percussionniste vif-argent Roger Turner a trouvé chez l’objétiste tchèque Martin Klapper une capacité à répondre, anticiper, imaginer et détourner (à) toutes les associations de sons qui peuvent / doivent survenir. Cela dépasse les limites du dialogue, de l’interaction ou même de l’entendement dans les liens de causes à effets, soulignés par le contraste saisissant entre la fine sensibilité du percussionniste et l’aspect brut de décoffrage des bruitages de son acolyte. Recent Croaks est une rencontre aussi imagée et joyeusement ludique qu’elle requiert un sens très aigu de l’acte d’improviser basé sur une réflexion profonde et imaginative. Artiste visuel praguois impliqué dans le cinéma expérimental et danois d’adoption, Martin Klapper a sillonné les scènes nordiques et allemandes avec tout ce qui compte dans la scène improvisée active de base de Hambourg à Vienne et de Berlin à Amsterdam et Londres. Depuis le début des années nonante, il a croisé les Butcher, Chris Burn, Jeffrey Morgan, Birgit Uhler, Ulli Philipp, Roger Turner, Adam Bohman, Clive Graham, Ray Strid, etc... Contraint par l’urgence des situations, il a développé une capacité à se servir de ses objets amplifiés, gadgets électroniques, vieux tourne-disque, thérémine d’avant-guerre, dictaphone et cassettes pré-enregistrées avec un à propos ludique et une dynamique remarquable. Dans Recent Croaks, l’imagination de Roger Turner et sa frappe hyper-kinétique font des merveilles pour inventer les agrégats de sons qui semblent jaillir des bruitages de Martin Klapper. Celui-ci conserve un sang-froid admirable en contenant / contournant ce qui simule une activité débordante dans le chef du percussionniste virtuose. On rentre dans l’intimité de la complémentarité des contraires. Bon nombre de commentateurs sont obnubilés soit par l’hyper-virtuosité d’improvisateurs renommés (Evan Parker, Derek Bailey, Barry Guy ou Paul Lovens) ou la maîtrise de la concentration zen (Eddie Prévost, John Tilbury) et ne conçoivent pas qu’un virtuose brillant comme Roger Turner puisse faire sens avec un « non-musicien » devenu au fil des ans un solide artiste sonore. L’aspect humoristique « bandes dessinées » des inventions de Klapper ne doit pas occulter la conscience partagée de toutes les possibilités d’agencement spontané des sons au fil de leurs improvisations. Recent Croaks en est un véritable guide pratique. J’ajoute encore, qu’à Copenhagen, Martin Klapper dispose d’un arsenal effarant de jouets étalés sur deux tables de quatre mètres et qu’il ne peut pas transporter en voyage.
Autre percussionniste, passé celui-là dans le camp de l’électro-acoustique, Ulli Boettcher est un vétéran du collectif très pointu de Wiesbaden qui a fédéré bien des énergies autour de leur Humanoise Festival. Il a utilisé le système LISA mis au point par le STEIM d’Amterdam pour l’adapter à sa conception rythmico-pulsatoire du live-signal-processing. Cela consiste à transformer les sons d’un instrumentiste improvisateur en temps réels et pour celui-ci à dialoguer avec des éléments transformés de sa propre musique, parfois au-delà de l’imaginable. On l’a entendu en duo avec le tromboniste Paul Hubweber et leurs inventions méritaient mieux qu’une distribution confidentielle (Schnack ! NurNichtNur). Paul Hubweber est un improvisateur exceptionnel et un collaborateur de prédilection de Paul Lovens et John Edwards depuis plus de dix ans (PaPaJo). Le duo Boettcher/Hubweber est un sommet d’intégration interactive de tous les paramètres musicaux / sonores dans le cadre électro-acoustique live. L’exemple parfait de la symbiose la plus intelligente qui puisse exister dans ce domaine. C’est pourquoi, je pense, il faut écouter Rot/ Roh avec deux grilles de lectures. Les sons inventifs complètement fous de Klapper ont un côté potache évident qui amusera la galerie. Mais la construction de l’album, composé de 15 pièces distinctes, est munie de 59 ID qu’on peut utiliser en mode aléatoire en zappant d’un moment à un autre au gré de sa fantaisie. Il en résulte une cohésion dans le mariage des timbres et l'enchaînement des actions alors que la démarche semble aléatoire. Fort heureusement, Martin Klapper joue ici avec de nombreux jouets qui apportent une dynamique différente. La musique de son partenaire est réalisée en temps réel en captant et transformant les échantillons des sons de l’objétiste danois. Le duo atteint un degré de sophistication inouï dans les échanges / emprunts qui rend cette rencontre d’un type nouveau naturellement spontanée. Le sens du timing du tandem Martin Klapper – Ulli Boettcher est impressionnant. Mais qui joue quoi ? On s’en fiche ! Hautement recommandable.
Au rayon des collections, un sympathique vinyle 10 cm 33t, Irregular dévoile deux faces du duo Martin Küchen - Martin Klapper (Fylkingen FYSP 1006). Küchen joue ici du sax baryton. L’enregistrement date de 2001 bien avant que le vinyle ne fasse sa réémergence.
Midwest Disquiet Hal Rammel Penumbra CD 015. 99 copies en édition limitée numérotée et 201 copies en version standard.
On croirait avoir fait le tour du propriétaire avec Agog et Fractures. Ce serait méconnaître les ressources d’Hal Rammel. Il semble préparer son instrument en modifiant la dynamique de l’amplification. Il privilégie une dimension introvertie faite de pressions sur les tiges, de frottements avec une activité rythmique assez dense qui entraîne la musique dans une polyphonie de sons sourds, flûtés et glissés (Lost Bridge 7 :55). Un motif de cloches en boucles évolue insensiblement avec un charme plein d’hésitations qui enrichit la rythmique (The Undiscovered I 4 :29). Une évocation de sifflements de flûtes d’habitants d’une forêt vierge imaginaire (Dust of Details 10 :28). Cette impression est accentuée comme si cette polyphonie était entraînée par un cours d’eau invisible (Throttle and Disregard 8 :27). Soubresauts de marimba ou xylophone accordé dans une échelle improbable (The Undiscovered II 4 :25) qui aboutit à un tournoiement final de timbres percussifs assez étonnant. Sa musique se réfère indirectement à des racines africaines et ce n’en est pas le moindre paradoxe. Une musique réalisée avec soin et précision et une grande dynamique. On retrouve ces qualités au niveau des superbes pochettes et illustrations. Comme dans la série des Lost Data, trois 45t édités en édition limitée à 99 copies numérotées pour célébrer le 10 ème anniversaire du label, Penumbra Music. Lost Data, First Sleep et Next Memory (45-01/ 45-02/45-03), elles sont illustrées chacune d’œuvres d’art de Rammel ou du cliché d’une sculpture en céramique sa compagne Lilian (First Sleep). Un autre de ces instruments, l’Interocyter est documenté dans le 45t Song of the Interocyter (Penumbra 45-04). Entre art sonore et galerie d’art, Hal Rammel est un activiste connu de la planète improvisation pour les concerts du Woodland Pattern Book Center à Milwaukee.
Cette manie de l’édition artistique soignée et limitée est poussée au paroxysme par les albums du trio Audiotrope auquel participent Rammel, le guitariste Thomas Gaudinsky et le saxophoniste soprano Steve Nelson-Raney, dont deux enregistrements figurent au catalogue de Penumbra (Improvisations for saxophone and organ avec Gary Verkade Penumbra CD 12 et Cutting Off The Edge avec le percussionniste Jon Mueller Penumbra CD 011). Les albums d’Audiotrope font l’objet des publications tout aussi léchées du label Necessary Arts dont Gaudinsky est le maître d’œuvre. Veuillez attendre patiemment une prochaine page d’Orynx Blog, que je retrouve ma plume et vous serez servis.
J-M VS
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......