Concerts
Marsafouty Fred Marty
– Jean-Marc Foussat FOU CD 011
Preneur de son patenté « free improvised music »
radicale depuis des décennies, Jean
–Marc Foussat a lancé récemment son propre label , FOU Records, pour publier des concerts qu’il a enregistrés et aussi sa propre musique. Avec
les deux cds Live au Dunois (George
Lewis -Derek Bailey - Evan Parker - Joëlle Léandre), aux Instants Chavirés (Annick Nozati – Daunik Lazro – Peter Kowald) et
l’album Quod (Joe McPhee – Sylvain Guérineau – Jean-Marc Foussat), FOU
Records a frappé fort. Je me suis laissé dire que d’autres surprises sont au
programme dont un double Willem Breuker Kollektief du meilleur crû en concert.
Mais on aurait tort de prendre le reste de la production de FOU Records sous la
jambe. Je viens de chroniquer l’excellent cd « Cuir », un projet
remarquable avec les deux trompettes de Nicolas Souchal et Jérôme Fouquet, les
clarinettes de Jean-Brice Godet , la contrebasse de Yoram Rosilio et le
piano de John Cuny d’une fraîcheur étonnante qui stimule l’attention de bout en
bout. J’avais apprécié le duo de Foussat
avec le percussionniste Ramon Lopez, Ça
barbare, là !, mais j’ai vraiment aimé ce nouveau duo avec Fred Marty. Le contrebassiste est
solide et sait comment s’intégrer dans l’esthétique d’autrui même si on peut
dire que les deux protagonistes ne sont pas tout à fait de la même planète.
C’est bien cela qui fait le sel de l’improvisation dite libre. Jean-Marc Foussat a travaillé comme
preneur du son en améliorant son art au fil des ans et son tableau de chasse
est assez impressionnant. Joëlle Léandre, bien sûr, une série d’enregistrements
historiques d’Evan Parker avec Paul Lytton et Paul Lovens (Pisa 80 Improvisors Symposium, Incus et The Fetch , Po Torch) , le trio Schlippenbach à Pise (Detto Fra di Noi, Po Torch), Aïda, le génial solo acoustique de Derek
Bailey (Incus), le disque le plus radical de la Company de Derek Bailey, Epiphany,
Epiphanies `/ Incus. On s’attendait avec une telle fréquentation, que
l’art électro-acoustique de Jean-Marc Foussat se rapprocherait des
démarches classieuses et très complexes de Furt,
le processing de Lawrence Casserley (avec qui Evan Parker travaille
régulièrement) ou le très ludique synthé vintage de Thomas Lehn. Ou encore les microcontacts
hyper sensibles des objets d’Hugh Davies. Que nenni. Mais il n’y a pas que
Parker, Bailey et cie comme éclaireurs dans cette musique. Un autre
enregistrement culte est révélateur : Catalogue
Antwerpen Live, le groupe de Jac Berrocal, avec Gilbert Artman et Jean- François
Pauvros à Anvers en 1979, édité par Spalax en 2008. J’y étais, c’était le festival Free-Music du WIM avec une affiche
à vous donner le tournis (dont Lacy, Sommer-Gumpert, Irene etMaggie, Phil W et
Fred VH). Ces zombies tranchaient dans le programme. C’est plutôt chez Catalogue, Pauvros et cie, qu’il faille
trouver une filiation. Bruitisme, un côté brut de décoffrage, fréquences
saturées, noise et drone, vibrations
mystérieuses, boucles folles, voix hantée… plutôt post-rock expérimental si on
veut définir dans un jargon médiatique. Mais est-ce définissable ? Un NoMan’s
Land qui tient « ensemble » par l’intuition du contrebassiste Fred Marty, impassible sur le sommet du
chevalet ou lyrique par la diffraction des harmoniques qui se tordent sous la
pression habile de l’archet. Son art ajoute ce qu’il faut de mystère pour
rendre celui de Foussat pertinent et réellement craignos. Ils construisent un
monde dans la réalité secrète des
grandes villes, entre entrepôts désaffectés et parkings de semi-remorques sous
la lueur blafarde des néons d’une autre temps, jaune surréel se réfléchissant sur
les pavés glissants d’une voie abandonnée. Oubliez la notion de chef d’œuvre.
Deux sets de concerts. C’est du vrai, du vécu, de l’émotion noire. Ils ne
s’agitent pas, mais sont bien campés sur leur territoire, accroché au temps qui
se déroule dans l’instant. Je cite J-M Foussat : Nous avons une
association où la musique se fait toute seule sans que nous ayons besoin de
faire quoi que ce soit de spécial ». Plutôt que de se passer de croissants et de
desserts pendant quatre mois pour se procurer la boîte vinyle de Merzbow, achetez un ticket de métro pour
aller écouter MarsaFouty en banlieue.
Ce n’est peut être pas un « cédé de référence »,
Choc, Emoi, Etoiles etc … mais cela donne bien l’envie de ne pas rater leur
prochain concert. Le vivant, il n’y a que ça qui compte.
Dada Han
Bennink & Sabu Toyozumi Chap-Chap POCS 9351 dist Universal Japon (Serie Free Jazz Japan in Zepp)
Enregistrée le 1 octobre
1995 à Yamaguchi, cette rencontre est vraiment historique : Han Bennink
& Sabu Toyozumi partagent la scène,
chacun en solo et en duo. C’est le seul album d’Han Bennink, un artiste
prolifique et incontournable, EN DUO avec un autre percussionniste, Sabu Toyozumi, une
personnalité aussi unique que légendaire. Chacun à leur tour, Han puis Sabu
questionnent les sons, les frappes, les pulsations, les rythmes en toute
liberté. Les vibrations et les résonances des membranes, trouent ou
envahissent l’espace. Pour les fanatiques, le folklore Bennink est intact et
son introduction avec les baguettes sur
plancher, morceau de bois, gong métallique retourné et orifice bucal est
fascinante. Une fois sur son siège de
batteur, il sollicite une déclinaison de figures de la plus simple à la plus
complexe pour enchaîner son battement favori qu’il agrémente de roulements où l’auditeur est médusé par son aisance
improbable. Il est sûrement le batteur « blanc » qui sonne le plus africain, feeling rythmique
s’entend. A un moment donné, il actionne un piano d’une main tout en
mesurant une bribe de ritournelle par
une frappe décalée sur un tambour… Un petit quart d’heure de
bonheur ! Ensuite, Sabu Toyozumi
crée ici un solo d’anthologie enchaînant au feeling des variations de rythmes
croisés, chaloupés en décalant les mesures
et les temps au fil des secondes avec le plus grand naturel. Rien à envier à son collègue. Le duo transite
de figures jouées avec délicatesse sur des accessoires qui accroche
immanquablement l’oreille, vers de puissants pics polyrythmiques aussi chargés que
volatiles. Le dialogue et la complémentarité est fascinante quelque soit le
niveau de puissance ou de dynamique. Scéniquement, on imagine le géant batave
et rougeaud, un hyperactif délirant, côte à côte avec le nippon minuscule, celui-ci
étant aussi impénétrable que son sourire candide est communicatif. À deux, ils
forment une des paires les plus
invraisemblables de la free music qu’on puisse imaginer. Celle que feu
Derek Bailey aurait aimer coller dans son tableau de chasse de la légendaire Company.
Hollandais oblige, il y a un court gag humoristique auquel Toyozumi se prête de
bonne grâce. Cela débouche sur des trouvailles jouées au sol où Bennink tape
des baguettes sur ses godasses avec une remarquable dynamique et Sabu agite un ou
deux ustensiles. C’est bien un fabuleux
témoignage de deux esprits libres de la percussion qui se mettent à jouer
comme s’ils n’étaient qu’un ! Et quel UN ! Il y a dans ces 24 minutes
une cohésion et une connivence du grand
Bennink de la maturité et qui démontre à ravir, ô combien, Sabu Toyozumi réussit
le challenge haut la main. Faisant suite au fabuleux duo Dialogue of the Drums de Milford Graves et Andrew Cyrille de 1974
(IPS ST001), Dada contient des moments
de grâce fabuleux et vient en tête de ma liste des enregistrements
« percussions only » où la grâce et l’émotion croise le génie musical
des pulsations imprimées dans l’air et le temps. Une des grandes pièces à
conviction de la free-music.
NB : Sera promu collector’s item introuvable much-sought-after sous peu !
PS : Si on ne présente plus
Han Bennink, le parcours de Sabu Toyozumi est une belle histoire extraordinaire qui l’a fait
croiser Braxton, l’Art Ensemble, Charlie Mingus, Leo Smith, Kaoru Abe,
Brötzmann, Misha Mengelberg, John Russell et Derek Bailey.
Brzytwa
/ Golia Performed by Maryclare Brzytwa and Vinny Golia, flutes
and electronics. Setola di Maiale SM2810
On savait Vinny Golia multi-instrumentiste
total des anches, le voici truster les flûtes à l’appel de la remarquable
flûtiste Maryclare Brzytwa, une
résidente active dans la scène du centre de l’Italie. Rien d’étonnant de retrouver ce disque très
intéressant sur le label Setola di Maiale
(Stefano Giust, un cœur gros comme
çà) vu son implication à Bologne. Toutes les flûtes sont engagées du piccolo à
la grosse flûte contrebasse entre le contemporain alternatif et
l’improvisation libre. L’électronique est utilisée via Max Msp pour enrichir,
prolonger ou démultiplier les souffles croisés de nos deux chercheurs. C’est à la
fois, délicat, surprenant, diaphane, bruissant, vocalisé, complexe et fort bien
mené. Le morceau 3 qu’on qualifiera de post- rock instrumental convoque des
loops et, par instant, des séquences avec une boîte à rythme binaire auxquelles
les flûtistes répondent avec une belle inventivité. Malgré tout, ce morceau est
un peu trivial à mon goût. Mis à part ce péché véniel, on frise ici le grand
art. Ailleurs l’usage de Max/Msp est tout – fait approprié et en liaison
organique avec leurs souffles inspirés. Leur musique et les risques pris, tant
le savoir-faire que l’inspiration, tout concourt à faire de l’écoute de ce
beau projet un belle découverte, pleine de sensibilité, de sons merveilleux et
d’empathie. Quand le grain de la flûte basse de Golia chavire gravement entre
les notes et que le souffle fouette la colonne d’air presque immobile, la flûte
alto s’élève en zigzag et on perçoit un cri perçant à travers le corps de
l’instrument. Très beau ! De multiples nuances et techniques étendues sont sollicitées et font de cet album un
excellent moment à l’écart des chemins battus de la free-music. Tropistic Unity et Enumerated and Cultivated (en 4 et 5) sont des pièces de choix où le temps est
suspendu. Les duettistes font plus que de mettre en valeur leur grand
talent : ils s’essaient à des combinaisons et des occurrences sonores
inusitées qui nécessitent de la recherche et demandent une bonne dose d’imagination.
Pour résumer, un disque vraiment requérant, engagé, contemporain et somme toute
réussi.
NEEM
Teatrinz 1983 Francesco Donnini Edoardo Ricci Massimo Falascone Eugenio
Sanna Roberto Del Piano Filippo Monico Andrea Pippo Pichietti. Setola di Maiale SM 2790
Formée par des piliers de la free-music de Milan et Florence,
NEEM est une aventure délirante avec une saveur profondément péninsulaire
enregistrée à l’époque où les Giancarlo Schiaffini, Andrea Centazzo, Gaetano
Liguori, Guido Mazzon, Massimo Urbani et Demetrio Stratos avaient le vent en
poupe. Evoquant l’esprit des débuts de Breuker, l’ICP Orchestra ou le Mike Westbrook Brass Band des seventies avec une part de lyrisme
sarcastique, cet orchestre itinérant rassemble une bande de joyeux drilles qui
sont toujours actifs et célèbrent encore leur amitié éternelle. Il semble que
les NEEM se déplaçait aussi en mode portatif l’un se chargeant de la grosse
caisse, le batteur de la caisse claire et le bassiste embouchant
approximativement un saxophone. Francesco
Donnini, cornettiste, tromboniste et pianiste, décrit leurs équipées dans
les notes de pochette. Sa prose gratinée est en soi un morceau d’anthologie relatant
leurs mémorables virées : cortili
populaires où les billets de mille lires pleuvaient des balcons, osteria de banlieue où une française
éméchée salua leur performance en dévoilant son postérieur, cachets dévolus à
l’œuvre de la soif. Roberto Del Piano
bassiste électrique par nécessité. Une malformation de la main gauche lui
interdisant la contrebasse, Del Piano inventa doigtés et figures sur sa
fretless homemade à l’instar de Django. Filippo
Monico, batterie. Lui et Del Piano, ont cachetonné avec Gaetano Liguori
dans les clubs interlopes de Lombardie nella
musica leggera et joué après Miles Davis ( !) avec Massimo Urbani
encore ado ou à Cuba dans des méga-festivals. Massimo Falascone et Edoardo
Ricci, saxophones. Fins connaisseurs de Roscoe Mitchell et d’Eric Dolphy,
toujours d’aplomb quoi qu’il arrive et parmi les plus fins souffleurs
transalpins. Eugenio Sanna, guitare.
Entre free-rock et exploration sonique. Andrea
« Pippo » Pichietti, recitazione
et trombone d’occasion. C’est le poète provocateur de la bande qui prend tout
en dérision y compris ses collègues ! Ça démarre avec Happy Together, le tube des Turtles dont les chanteurs Howard
Kaylan et Mark Volman furent des Mothers of Invention de Zappa en 1971. Le répertoire se délecte des chansons
italiennes, d’airs d’opérette ou de standards improbables (Old Cowhand) joué de manière narquoise, persifleuse ou faussement
candide, le tout émaillé d’improvisations tous azimuts. Au fil des plages, leur
assurance croît pour se terminer par Mamma
Rosa qu’on jurerait interprété par un orphéon endiablé dans un coin perdu
des Apennins. À tout point de vue ceux de NEEM ne se prenaient pas au sérieux
et l’orchestre est resté un des secrets
les mieux gardés de la free-music de la péninsule. Tout ce qu’ils ont gagné se
résume aux accolades des auditeurs d’un soir abasourdis par leur évocation d’un
autre monde, utopique, celui de la vraie vie.
the Marsyas Suite Evan Parker - Peter Jacquemyn El
Negocito.
Belle pochette en papier recyclable avec une œuvre de Peter
Jacquemyn, contrebassiste de choc de l’improvisation. Rencontre au sommet Evan
Parker - Peter Jacquemyn. Saxophone soprano et ténor, contrebasse. Puissant,
majestueux, intrépide. Des duos et chacun en solo. Enregistrée au festival de
Jazz de Gand, la musique superlative montre quel immense musicien est Evan
Parker et combien Jacquemyn a magistralement évolué depuis l’époque où je
l’avais rencontré il y a trente ans. Il s’essayait alors modestement à la
contrebasse sur les traces de Peter Kowald et d'Alan Silva. C’était lors du
festival d’où est sorti le cédé d’Evan Parker et Paul Rutherford publié chez
Emanem (Waterloo 1985 CD 4030). Qui allait imaginer que Peter allait un jour se
faire entendre avec son saxophoniste préféré ? Il eut une patience extraordinaire
et une foi inébranlable pour trouver sa voie, frottant éternellement sa
contrebasse jusqu’à plus soif durant plusieurs décennies cherchant presque
désespérément les sons qu’il entendait dans sa tête. Aujourd’hui nous avons ce
magnifique témoignage. Une musique éternelle qui me fait évoquer le Coltrane de
toujours…. Evan Parker étant devenu un artiste sublime. Comme disait Coltrane,
pas d’exégèse et de littérature, la musique parle pour elle-même.
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