21 novembre 2021

Splinters: Kenny Wheeler Tubby Hayes Trevor Watts Stan Tracey Jeff Clyne Phil Seamen & John Stevens/ El Pricto Pawel Doskocz Hubert Koskiewicz Diego Caicedo Michael Sember Jasper Stadhouders/ Zlatko Kaučič & Tomaž Grom/ Udo Schindler & Wilbert De Joode

Inclusivity Splinters: Kenny Wheeler Tubby Hayes Trevor Watts Stan Tracey Jeff Clyne Phil Seamen & John Stevens. Jazz in Britain Coffret illustré 3CD. 1972
https://jazzinbritain.co.uk/album/inclusivity


Une absolument extraordinaire production discographique en hommage à l’inclusivité de cette scène jazz - improvisée londonienne pas comme les autres. Oui l’extraordinaire inclusivité qui reliait activement les musiciens de jazz Londoniens dès la fin des années soixante et durant les années septante est restée une valeur fondamentale dans la scène improvisée britannique jusqu’à ce jour. Splinters est un des nombreux groupes collectifs suscités par l’infatigable John Stevens, son alter ego Trevor Watts et leurs nombreux camarades avec une idée créative ou l’autre en tête. Celle – ci consistait à trouver un point d’ancrage musical entre le hard bop, représenté ici par l’iconique saxophoniste ténor Tubby Hayes, LE pianiste Stan Tracey et le légendaire batteur Phil Seamen, le jazz rock expérimental (Jeff Clyne dans Nucleus) et les partisans du free jazz et membres du Spontaneous Music Ensemble, le batteur John Stevens, le trompettiste Kenny Wheeler et le saxophoniste alto Trevor Watts. La réalisation de cet album est époustouflante et luxueuse : un livre cartonné avec de nombreuses photos des musiciens lors du premier concert du 22 mai 1972 au 100 Club dans Oxford Street, un club iconique toujours en activité. Trois cédés !! Les photos ont toutes été prises par le légendaire Jak Kilby, un ami proche de John Stevens et Trevor Watts, qui leur servait aussi de chauffeur et qui a couvert systématiquement des centaines de concerts. Simon Spillett a concocté un long texte passionnant et très circonstancié/ documenté, plongeant le lecteur dans le vif du sujet en décrivant la scène jazz londonienne de l’époque. Le label Jazz In Britain a déjà publié une série d'enregistrements inédits quelques pans cruciaux de l'évolution du jazz britannique : le trompettiste Ian Carr, le saxophoniste Joe Harriott grâce au travail méticuleux d'une équipe soudée autour du collectionneur John Thurlow, producteur exécutif d'Inclusivity
Le concert avait été organisé à l’initiative de Martin Davidson et est documenté dans les deux premiers CD’s grâce aux enregistrements sur une cassette C120 réalisés par Trevor Watts. Les plus âgés d’entre nous se souviennent que ces cassettes de 120 minutes (60 par face) étaient très fragiles et leur bobinage menaçait de transformer la bande en un zig-zag catastrophique et de casser net, sans parler de son épaisseur trop ténue pour résister à l’usure du temps et aux chocs. C’est donc un véritable miracle que ces enregistrements soient venus jusqu’à nous, chaque face de 60 minutes (A et B) permettent un enregistrement d'un set complet sans interruption, surtout que la musique est continue. La musique du troisième cd a été enregistré de la même manière lors de la série Grass Roots au pub The Swan en septembre 1972 à Stockwell dans le même quartier où John Stevens établira son quartier général « free-jazz » au pub the Plough. Cet ensemble Splinters est une sorte de groupe œucuménique dans lequel des musiciens « hard-bop » (Tracey, Seamen et Hayes) de classe internationale, deux improvisateurs radicaux free (John Stevens et Trevor Watts) et deux pointures se situant à mi-chemin des deux mondes et tentent d’improviser librement sans aucune préparation tout en créant une musique de groupe distinctive où chacun trouve sa place et puisse s’exprimer. Sous-jacent à ce nouveau groupe, baptisé Splinters par Tracey, il y a la volonté commune de nombreux musiciens de créer une sorte de cause commune pour améliorer leurs conditions de travail et réunir sous la même plateforme des musiciens de diverses obédiences sur la base d’un respect mutuel et de relations amicales. Cette espèce de super-groupe, inhérent à la scène rock (Cream, CSNY, ELP, etc…), se justifiait artistiquement : Stan Tracey avait largué le système des accords et des standards et jouait régulièrement avec le formidable saxophoniste alto Mike Osborne et le bassiste Harry Miller. Il lui arrivait aussi de jouer avec Stevens et Watts, entre autres dans une pièce de théâtre The Connection ou dans son propre Open Circle ou encore dans Amalgam, le projet de Watts . Il enregistrera aussi en duo avec Keith Tippett. Stevens avait joué avec Tubby Hayes vers 1964, juste avant la fondation du Spontaneous Music Ensemble avec Watts et Paul Rutherford. Kenny Wheeler avait lui activement participé au Spontaneous Music Ensemble figurant dans une demi-douzaine d’enregistrements du groupe dont les légendaires Karyobin (1968), Oliv (69) et So What do You Think We Are (71). Il fut aussi impliqué à 100% dans le quartet d’Anthony Braxton entre 1973 et 1977, lequel fut publié par une major sur l’étiquette Arista et tourna dans un grand nombre de festivals. Quant au bassiste Jeff Clyne, il figure dans le premier album d’Amalgam en 1969 avec Trevor et John lesquels font assez souvent appel à lui. Comme l’aire musicale de Splinters peut être décrite comme étant du « Free-Bop », je signale l’existence d’un album extraordinaire du John Stevens Quintet, Chemistry, en compagnie de Watts, Wheeler, Clyne et Stevens et le fabuleux saxophoniste alto Ray Warleigh, un musicien de studio très demandé (View et réédité par Konnex). Aussi cette démarche inclusive qui est à la base du jazz afro-américain (Lester Young, Buck Clayton et cie) est le leitmotiv de Stevens et Watts dans de nombreux projets musicaux impliquant un nombre exponentiel de musiciens et musiciennes de tout bord et d’expériences diverses au Little Theatre Club, dans leur Spontaneous Music Orchestra et les ateliers permanents qu’ils animaient alors.
Malheureusement, Phil Seamen, le héros de John Stevens, décéda un mois plus tard. Peu avant, il avait partagé avec John Stevens ses secrets de batteur. Tubby Hayes s’en alla l’année suivante. Et le projet Splinters fut abandonné la même année, bien que le saxophoniste alto Pete King remplaça le fabuleux ténor pour plusieurs concerts au Ronnie’s Scott durant lesquels Art Blakey, engagé au même programme ne tarissait pas d’éloges à Trevor Watts. Dois- je encore répéter ici-même, que Trevor Watts a une projection sonore et une aisance (très) peu commune au saxophone alto et une connaissance supérieure de la musique et des rythmes ? C’est un saxophoniste exceptionnel. Aujourd’hui, Trevor Watts reste l’unique survivant de l’aventure. Malgré quelques soucis de balance, la musique est très impressionnante quand on pense que ce premier concert avait été présenté comme une « Jam – Session ». Les enregistrements sont répartis chronologiquement et intégralement en quinze phases de jeu entre les sept et les quinze minutes dont deux sont reproduites en vidéo. Spontanément, les sept musiciens ont créé un univers musical collectif à tendance polytonale et basé sur des modes, les improvisations individuelles soutenues par les échanges entre les deux batteurs, sont relayées les unes aux autres par des voicings des trois souffleurs ou des duos de batterie. Au fil du concert, des audaces surgissent dans une atmosphère d’écoute mutuelle, avec une coordination aussi spontanée que précise. Kenny Wheeler atteint des hauteurs stratosphériques. Le jeu de Tubby Hayes y est plus profond et moins virtuose que sur ses enregistrements précédents. Il avait subi une opération douloureuse et refaisait son come-back. Le bassiste Jeff Clyne est le pivot central … et audacieux de l’ensemble dans lequel le pianiste Stan Tracey a du mal à se faire entendre car le piano connaissait de sérieux soucis de pédales défectueuses. Quand aux deux batteurs, si l’enregistrement reproduit leurs sons de manière, disons, tronquée voire défigurante, les grosses caisses au premier plan, on entend bien qu’ils s’entendent comme des larrons en foire. Durant le concert (CD2), Tubby Hayes dut quitter la scène pour assurer un concert programmé ailleurs. En résumé, leur musique est à la fois une aventure de quelques concerts, mais symbolise les facteurs humains et la capacité instinctive et rationnelle des improvisateurs British à collaborer et à s’apprécier au-delà des étiquettes, cup of tea et orientations musicales, en tentant parfois l’impossible. Inclusivity n’est pas un vain mot et ces trois cédés en sont une preuve tangible.

Spontaneous Live Series 007 El Pricto Electric Guitar Quintet Live at the Spontaneous Music Festival El Pricto Pawel Doskocz Hubert Koskiewicz Diego Caicedo Michael Sember Jasper Stadhouders http://spontaneousmusictribune.blogspot.com/

Cinq guitaristes électriques radicalement noise interprètent la partition du Electric Guitar Quintet « 2020 » écrite par le saxophoniste et compositeur-improvisateur El Pricto à l’occasion du 4th Spontaneous Music Festival 2020 au Social Club Dragon de Poznan, dont de nombreux extraits sont publiés dans les Spontaneous Music Series. L’écoute de la suite en quatre mouvements, le troisième ‘RIP Van HALEN’ me fait songer à la stupeur qui me saisit il y a quarante ans lorsque je mis les Guitar Trios d’Henry Kaiser, Eugene Chadbourne et Owen Maercks (Parachute 003) sur la platine. Particulièrement énergétique et variée dans les aspects ludiques, sonores, dynamiques, cette œuvre bien enregistrée nous fait découvrir une utilisation intelligente et bien organisée de l’amplification électrique, des nombreux effets électroniques et techniques alternatives bruitistes dans un bel équilibre de saturations, fourmillements et résonances au niveau de l’écoute et de maëlstrom – patchwork constructif au niveau des formes et de leur multiplication, tuilages, contrastes et imbrications. Le vif intérêt réside dans la primauté du collectif et l’alternance des interventions individuelles qui s’enrichissent mutuellement et relancent l’intérêt. Rondement mené. Je ne pense pas avoir entendu un quintet de guitares électrique qui fonctionnent aussi bien pour une performance ponctuelle dans un festival truffé de moments intéressants ou passionnants (CFR les Live Series 006 et 008). Chapeau à l’équipe Spontaneous, c’est du beau travail !!

Zlatko Kaučič Tomaž Grom Torn Memories of Folklore Zavod Sploh ZASCD26
https://sploh.bandcamp.com/album/torn-memories-of-folklore-raztrgana-folklora-spomina

Zavod Sploh a encore frappé ! Le jeu physique (sadique) du contrebassiste Tomaž Grom et la frappe aérienne du percussionniste Zlatko Kaučič , superbement enregistrées, se combinent dans un dialogue expressif et nuancé tout au long de dix vignettes rassemblées sous le titre Torn Memories of Folklore. Si folklore il y a, c’est surtout un folklore imaginaire et une allusion à une technique spécifique à Kaučič , consistant à secouer subrepticement de très fins accessoires métalliques qui s’entrechoquent comme le feraient un bracelet de coquillages attaché aux chevilles de danseurs. Aussi la puissance du jeu des doigts sur les cordes à la Charlie Haden de la contrebasse de Tomaž Grom, lequel utilise de temps en temps un « cacophonator », soit un boîtier électronique bruissant ( ?). Le jeu particulier et free de Zlatko Kaučič suggère le rythme et un sens rare du swing tout en ne marquant pas le temps. La qualité de l’enregistrement mettant la percussion au premier plan, le savoir – faire très précis du batteur et sa sensibilité font que cet album est sûrement un document remarquable pour les amateurs de percussions per se. Par rapport à leur album précédent, The Ear is the Shadow of the Eye, les intentions musicales et le résultat sonore sont remarquablement différents. Autant quelque chose de viscéralement organique et touffu émanait de ce premier essai, fort réussi, alors que nous avons affaire dans cette nouvelle mouture de leur très attachante collaboration, à un aspect plus ludique et une acoustique aérienne, axée sur la clarté et la lisibilité des deux musiciens par rapport à l’autre. Dans ces Torn Memories règne une bienfaisante diversité des frappes, chocs, caresses, frottements et une efficacité sans défaut à faire passer un message différent. Musicalement, j’aime autant leur premier que cet album suivant. De même, les informations détaillées sur la pochette de the Ear is The Shadow dans un style graffiti déstructuré et multicolore sont quasi illisibles, celles de Torn Memories sont imprimées de manière rationnelles noir sur blanc. Bien sûr, comme très souvent avec ce label, les pochettes (graphic design Matej Stupica) et ses collègues successifs, sont remarquables avec un insert très graphique en format A3 plié en douze dans la pochette en carton laminé. Un label Slovène à suivre qui fait le pari d’une musique pointue, radicale avec l’ouverture nécessaire

Udo Schindler & Wilbert De Joode Participation and Interplay Low Tone Studies FMR
https://arch-musik.de/project/udo-schindler-und-wilbert-de-joode/

Enregistré lors de deux événements Munichois en Février 2020, cette Participation et Interplay publiée par FMR, illustre une des nombreuses rencontres du multi instrumentiste Udo Schindler ici crédités clarinette basse, sax soprano, f-tuba et tubax avec des improvisateurs de passage dans sa région. FMR a publié pas mal de choses dont de superbes duos avec le clarinettiste basse Ove Volquartz, la violoniste Irene Kepl et les vocaliste Jaap Blonk et Franziska Baumann, et des sessions avec Sebi Tramontana, Damon Smith, Korhan Erel, Etienne Rolin, Xu Feng Xia, Ute Völker etc… une discographie impressionnante. Se situant au niveau de ses productions les plus achevées, ce duo avec le contrebassiste néerlandais Wilbert De Joode, un instrumentiste fort demandé, joue à fond la carte de la recherche, de l’embrassade sans réserve du challenge de l’improvisation instantanée et du parti-pris d’Udo pour la diversité instrumentale avec ses instruments contrastés. Quoi de plus différents qu’un sax soprano ou un tuba ou que les textures respectives de la clarinette basse et du tubax. Son acolyte de deux soirs explore toute la tessiture des graves, de leurs grondements, leur richesse de timbre, leur majesté, un panorama d’harmoniques étudiées, la diffraction des sonorités boisées sous la pression de l’archet, frottements à la limite du murmure ou saturé en force, pizz baladeurs ou inquiets. Il est confronté à la poésie d’un souffle examinateur de bribes de mélodie et d’intervalles hésitants, à un art du conte sonore. Le courant passe bien entre les deux artistes qui livre ici une partie en plusieurs manches basée sur la méditation, la réflexion et, progressivement un esprit de dérive, s’installe vers le silence. Quand soudain, apparaît le tuba en fa qui change la perspective.

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