29 novembre 2011

Molecular music : real time complex electro acoustic sounds in motion

       Inventé par Richard Scott du groupe Grutronic , le terme molecular music décrit subjectivement et simplement une manière complexe et approfondie d'envisager la musique électronique, l'électro-acoustique, live signal processing etc... à travers l'improvisation et la composition. Sont rassemblés ici des textes publiés par le magazine Improjazz et qui tentent de décrire un territoire aux contours passionnants. Ces musiques ne sont pas construites en studio, mais entièrement improvisées et/ou réalisées en temps réel sans aucun overdubbing ni transformation à posteriori. Elles doivent plus à l'imagination et au talent des protagonistes qu'aux récents développements technologiques que ces artistes transcendent au point qu'avec des écoutes successives, on en oublie l'aspect technique, emporté par les mouvements secrets et imprévisibles qui les animent.   Richard Barrett & Paul Obermayer du duo Furt, Lawrence Casserley, Walter Prati, Bill Vecchi, Joel Ryan, Grutronic, soit Richard Scott, Stephen Grew, Nick Grew et David Ross et aussi Ulli Böttcher sont représentatifs d'une tendance multiforme qu'on retrouve au sein de l'Electro-Acoustic Ensemble d'Evan Parker. Lui-même a tenu à produire tous ces albums sur son label Psi avec une belle constance.  Le label ECM a publié cinq cédés de l'EAE.     Jean Michel Van Schouwburg 

Sense FURT Richard Barrett & Paul Obermayer Psi 09.08 http://furtlogic.com/

Pour quiconque s’intéresse à la musique contemporaine électronique au sens large depuis les recherches des années 50 jusqu’au sampling et à MaxMSP à la portée de tous, de Klaus Schulze à Sun Ra, des tentatives de Paul Bley au moog (en première mondiale) au succès des artistes Mego etc…. etc…. il est inconcevable qu’aujourd’hui on ne considère pas sérieusement la musique du duo FURT. Richard Barrett et Paul Obermayer sont de brillants compositeurs contemporains aventureux conquis dès leur plus jeune âge à la cause de l’improvisation radicale libre … et collective. Leur duo FURT joue une musique unifiée comme si elle était faite par un seul homme. Impossible de distinguer qui fait quoi, Richard de Paul. Véritablement improvisée collectivement, elle est animée par un sens du rythme fabuleux et, dans le cas de la composition Uranus qui couvre 46 minutes de Sense en se découpant en 12 Limen (de I à XII), par une gamme ludique d’échantillonnages articulés comme un ballet incessant de marionnettes délirantes. La musique d’Uranus, réalisée en studio, est très imagée et en appellera à l’imagination d’un public qui dépasse largement la scène relativement exiguë de l’impro radicale. La lisibilité et la complexité de l’œuvre sont absolument ahurissantes tout comme l’absence de prétention des protagonistes et leur sens de l’humour (certains y trouveront un côté amusant et ce n’est pas plus mal). Et la multiplicité des lignes  rythmiques est absolument unique !!!  Des voix de chanteuse, des instruments déformés, des phonèmes et cet orgue gargantuesque des deux premières minutes du final (Limen XII) qui abouti à des effets d’orgue de barbarie accompagnant un Holiday on Ice imaginaire. Délirant !!  Si Barrett et Obermayer avaient un pedigree rock, on appellerait cela du post-rock. Si ces deux artistes avaient une notoriété comme celles d’Eno, de David Toop ou de Rioji Ikeda, on crierait au génie. La deuxième composition, curtains, est dédiée à Karlheinz Stockhausen et enregistrée en concert à l’université de Cork en Irlande. Elle offre un autre aspect de leur talent et est aussi dense et détaillée qu’en studio. Se collisionnent une variété infinie de claviers et des souffleries qui évoquent un trombone ou un orgue explosés. Cela évolue vers un véritable feu d’artifice. Densité et complexité avec une articulation démentielle. Par rapport à Dead/ Live et Omnium, leurs deux premiers cédés pour Psi, Uranus et curtains sont un départ vers une nouvelle dimension qui est susceptible de rendre leur musique plus populaire. On imagine un Jacques Tati ou un Charlie Chaplin utilisant cette musique pour leurs films s’ils avaient été nos contemporains. Evidemment, l’efficacité se double ici d’un sens des nuances peu commun et de compétences dans la composition nettement supérieures à celles de nombreux artistes qui officient dans des univers proches.  Oublions les catégories et plongeons-nous tous ensemble dans l’univers de FURT. Absolument unique.



Integument  Lawrence Casserley -  Adam Linson Psi   http://www.chiltern.demon.co.uk/

Dans cette époque où beaucoup se veulent post moderne et d’autres branchés, la scène des musiques alternatives est envahie par  une quantité de propositions esthétiques / démarches électroniques parmi lesquelles certaines laissent perplexes. Un ordinateur portable, une carte son, une mixette, un ampli (de guitare ?) et le tour est joué. Lawrence Casserley a consacré toute son existence au développement de la musique électronique et plus précisément au Real Time Live Signal Processing.  Il a mis au point son propre système  de traitement du son des instruments en direct qui tire profit d’une expérience considérable. A l’écoute des différents projets auxquels il participe, il faut bien avouer qu’il est difficile de se faire une idée exacte de son champ d’action et de son potentiel  sans suivre notre homme à la trace. Live aux Instants Chavirés chez Leo /1997 avec Noël Akchoté, Evan Parker et Joël Ryan était une excellente carte de visite. Mais depuis cette époque, Casserley a multiplié les collaborations et chacune d’entre elles révèle une nouvelle dimension interactive (avec Barry Guy & Evan Parker, Charlotte Hug, Jeffrey Morgan, Gianni Mimmo etc…). Adam Linson est un excellent contrebassiste qui a développé un travail avec l’électronique et l’échantillonnage. Il a joué avec l’Electro-Acoustic Ensemble d’Evan Parker dont Casserley est un membre actif depuis des années. Son coup d’archet est remarquable. Il concentre ici son jeu sur les variations très subtiles de pression sur les cordes et le crin. Integument nous entraîne dans une singulière mise en commun de l’instant, des possibilités expressives de la contrebasse et des multiples métamorphoses via l’électro-acoustique. Lawrence Casserley utilise la source sonore de la contrebasse de son collaborateur en direct, en échantillonnant et avec un savant dosage des retards (lire delay) qu’il manipule via la surface d'i-Pads. Ses mains impriment des mouvements secrets sur la surface des écrans et ses pieds actionnent un assortiment de pédales alors qu’il contrôle les écrans de ses Mac  portables. De temps à autres ses machines projettent une improvisation « virtuelle » qui évoque distinctement une vision surréelle des échanges précédents. Casserley et Linson transforment le temps et l’espace et plusieurs écoutes successives n’en altèrent le rayonnement multidimensionnel. Fascinant.

Contraption  Bark !  (Rex Casswell Phillip Marks Paul Obermayer) psi 07.03
OMNIVM    furt   (Richard Barrett et Paul Obermayer) psi 06.09   http://furtlogic.com/

L’extrême cohésion rythmique et sonore de la plage 1, Polaris, évoque un Brésil de machines et de scories électro pulsée par un batteur aussi elliptique que discret, Phillip Marks. La guitare de Rex Casswell et les échantillonnages de Paul Obermayer s’interpénètrent faisant corps avec les rythmes esquissés et implicites du batteur au point que l’auditeur se demande : qui joue quoi ? Et conclut : mais c’est dans le rythme. Ayant apprécié leur prestation mémorable du festival Freedom of The City 2001 où ils avaient été invités par Eddie Prévost, je suis encore plus ravi par cette Contraption. Ce que le trio perd en énergie brute par rapport à ce concert est largement compensé par la fluidité et la subtilité de la musique enregistrée ici. Je n’ai pas écouté le précédent cédé de Bark ! paru chez Matchless, le label d’Eddie Prévost. Pour les amateurs de post-rock, d’électro-improv et autre sub-catégorie, cet enregistrement marquera plusieurs de ces territoires d’une pierre blanche. Et il tranchera avec la grisaille ambiante. Je peux vous assurer que les responsables de Psi ont eu la main heureuse.  Paul Obermayer collabore avec Richard Barett depuis 1988 au sein de Furt.  Leur récent Omnivm (Psi 06.09) est une des meilleures parutions récentes dans le domaine des musiques électroniques live. Les duettistes sont crédités live electronics et l’auditeur sera surpris par l’extraordinaire variété de sons, de textures, de timbres et leur agencement que ce terme live electronics recouvre. Le contraste entre certains échantillons sonores (percussions, cithare, piano, voix, radios) et le grouillement rythmique qui leur donnent une autre vie. La présence d’une mbira (ou sanza) « géante » au début d’Obliged est saisissante. Il est d’ailleurs impossible de distinguer Barett ou Obermayer dans ce continuum sonore et rythmique. Car force est de souligner l’excellence rythmicienne des deux compères en temps réel et leur connivence incomparable . A mon humble avis, nous tenons là deux chefs-d’œuvre, faits pour être écoutés avec passion et avidité par dessus les catégories et la documentabilia. D’ailleurs, j’interromps cette chronique pour me replonger dans leur écoute : le temps est trop précieux et c’est bien une qualité première de Contraption et d’Omnium que de nous en faire partager l’urgence et l’évidence.



SET Evan Parker avec Barry Guy, Paul Lytton, Marco Vecchi, Walter Prati, Lawrence Casserley, Richard Barrett & Paul Obermayer Psi   http://evanparker.com/ 


Enregistré en 2003, ce concert, commandé par la SWR à Evan Parker pour les Donaueschinger Musiktage, rassemble le trio du saxophoniste avec Barry Guy et Paul Lytton et les improvisateurs électroniques Marco Vecchi, Walter Prati, Lawrence Casserley, Richard Barrett et Paul Obermayer. Pour le duo Furt (Barrett et Obermayer), c’est leur première collaboration avec Parker et des membres de son Electroacoustic Ensemble. Pourquoi rassembler autant de musiciens électroniques, alors que jouer avec un seul d’entre eux  est déjà une chose suffisamment complexe en soi ? On pense à Lawrence Casserley. Le duo Furt est déjà un orchestre à lui seul. En fait, la réponse se trouve dans l’évolution du trio Parker / Guy / Lytton et de l’Evan Parker Electroacoustic Ensemble. Au travers des nouvelles technologies, on en revient aux premières heures de la scène improvisée londonienne et son utopie collective. Comme il s’agit d’une commande à son nom propre et sous son entière responsabilité, ces enregistrement sont intitulés au nom de Parker, même si le groupe est une version de l’EAE sans Phil Wachsmann, Agusti Fernandez et Joël Ryan. Le concert est dédié à Lynn Margulis, auteur de la Serial Endosymbiosis Theory (SET) et icône de la science biologique évolutive. Son travail a montré les similitudes structurelles entre les cellules des plantes et celles des bactéries. Evan Parker, doit-on le répéter, avait abandonné des études de biologie pour se consacrer à la musique. SET nous fait entendre des relations véritablement organiques entre la musique électroacoustique et l’improvisation musicale instrumentale. Une pièce électronique de cinq minutes (SET part 1 intro - studio) nous met en appétit auditif pour ce véritable chef-d’œuvre réalisé en concert. Dès la première seconde, on entend vrombir les tympani par frottement sur les peaux au moyen de mailloches en caoutchouc. Ce timbre s’immisce rapidement dans le tissu sonore électronique. Les nuances de l’introduction nous font profiter du travail de chacun des électroniciens sans qu’on devine lequel. Vraiment remarquable. S’ouvrant par une improvisation du trio sax ténor / contrebasse / percussions de quelques minutes, SET part 2 est un univers en mouvement perpétuel doté d’une architecture originale. Le ténor se détache du trio et s’évanouit presque dans les sons bruités ou « instrumentaux » des cinq électroniciens. Des bribes éclatées du trio se mêlent aux sons des instrumentistes.  Plusieurs sections mettent en évidence des séquences électroniques inouïes où chaque instrument est successivement aux prises avec l’inventivité des Casserley, Vecchi, Prati et Furt. J’écris Furt, car Barrett et Obermayer sont absolument indissociables dans leur musique : ils jouent ensemble depuis 23 ans comme un seul homme. Ici, le duo a fait le plein d’échantillons du trio Parker/ Guy/ Lytton. L’ensemble est étonnamment lisible et aéré malgré le nombre des participants. Marco Vecchi s’occupe exclusivement de la projection du son et son travail est essentiel. Entre les 22ème et 26ème minutes, ils multiplient les contrepoints autour du solo en frag -mentations de Parker au soprano. Cela débouche sur une atmosphère mystérieuse en demi-teintes et tout en souffleries, avec de longs mouvements amples qui mettent en évidence les détails des échantillonnages et des métamorphoses du son. La percussion de Paul Lytton s’intègre dans les rebondissements électro-acoustiques au point qu’elle semble générée par la machinerie. C’est à ce moment-là que le sax ténor et la contrebasse reviennent au premier plan pour relancer et puis clôturer ce voyage de 39 : 55 minutes. Notez qu’il était sans doute prévu de jouer 40 minutes, durée que les improvisateurs en action sont capables de mesurer in vivo sans horloge. SET part 3 nous offre encore une pièce électroacoustique remarquable.


Rot / Roh Ulli Boettcher – Martin Klapper  NurNichtNur  107 07 27
Schnack 3 Paul Hubweber – Ulli Boettcher NurNichtNur / Berlston 108 03 31 http://www.paulhubweber.com/




Il faut qu’on le dise : Ulli Boettcher est un des hommes à suivre de « l’électronique qui traite les sons acoustiques d’un improvisateur en temps réel » ou de l’electro acoustic impro (EAI). Tout comme  le duo Furt  de Paul Obermayer et de Richard Barrett, la complexité et une passionnante dimension rythmique sont sa marque de fabrique, Böttcher étant aussi un véritable percussionniste. Son matériel dérive du logiciel LISA mis au point au STEIM d’Amsterdam, l’institution dirigée par feu Michel Waiszwicz, tragiquement disparu cette année. Dans Rot/Roh, il fait corps avec l’attirail improbable de Martin Klapper, un cinéaste tchèque installé à Copenhague. Crédité jouets et objets amplifiés, Martin Klapper a un côté farce et attrapes réjouissant qui donne à la musique une approche fortement ludique. Les échantillonnages sont parfois humoristiques et les jouets… ! Dictaphones, thérémin, instruments électroniques (et samples) bon marché et devenus obsolètes etc… dont il transcende le côté fruste avec un réel sens de la dynamique et de l’à propos. Quinze pièces réparties avec 59 points digitaux et qu’on peut écouter en aléatoire, comme le suggèrent les artistes en passant d’une des 59 plages à n’importe quelle autre. La musique s’enchaîne de façon parfois surprenante, multipliant ainsi les possibilités de lecture. On ne s’ennuie pas un seul instant tout en se demandant souvent qui joue quoi. Avec Schnack !, Boettcher fait un fantastique tandem avec le tromboniste maison de NurNichtNur, Paul Hubweber. Enregistré au Steim en avril 2007, Schnack 3 se découpe dans une suite de 20 pièces concises et courtes d’une phénoménale diversité. Par rapport à leur précédent vinyle Schnack ! (aufabwegen/anthopometrics 2005), les champs sonores de chacun s’imbriquent autrement et se complètent toujours avec une créativité très imaginative. Leurs modes de jeux déjà sophistiqués et complexes y sont renouvelés. Pas de longues envolées, mais une précision infernale. Cela fourmille de détails, de questions-réponses abruptes et de clin d’œil improbables. Quand Boettcher échantillonne directement le trombone, c’est un vrai régal. Mais Hubweber mime le trombone trafiqué à la perfection pour notre plus grande confusion.  Ces deux – là ont un sens de la forme exceptionnel qui marie l’aspect compositionnel et le goût de l’improvisation la plus vive. On réécoute ce cédé une dizaine de fois pour en découvrir toute la substance : un sommet dans le genre. Ce duo a invité Michel Waiszwicz en personne pour plusieurs concerts avant que celui-ci soit emporté par la maladie. C’est dire la consistance de leur démarche. Paul Hubweber est bien un tromboniste improvisateur majeur et dans le subtil, un maître à jouer unique en son genre. Il transcende le rutherfordisme et le malfattisme avec génie. Schnack ! est un groupe de tout premier plan.  Deux cédés hautement recommandables et qui démontrent le rôle de premier plan de NurNichtNur en Allemagne. Le nombre de pièces à convictions de la plus haute qualité publiées par le label de Kleve et son parti pris de découverte de talents exceptionnels qu’on peine à voir ailleurs en font des 3 N la marque allemande à suivre. 


GRUTRONIC Essex Foam Party Psi 2009

GRUTRONIC +  Evan Parker Together in Zero Space Psi 2011

Grutronic est un groupe d'improvisation électronique établi en Grande - Bretagne et composé de Stephen Grew, ici aux claviers électroniques et processing, de Richard Scott, crédité "buchla lighting", kaoss pads, synthé analogique, sampler, Nick Grew, transduction et processing, et David Ross au drosscillator. Le label Psi d'Evan Parker sort coup sur coup leurs deux enregistrements, Essex Foam Party, où interviennent parfois le vibraphoniste Orphy Robinson et l'électronicien Paul Obermayer, et Together in Zero Space, avec Evan Parker en invité. Les notes de Richard Scott revendiquent l'héritage du Spontaneous Music Ensemble de John Stevens, légende que Scott a bien connu et interviewé il y a 25 ans. Au-delà de cette lignée assumée, il évoque l'appartenance de Grutronic à une tendance électronique "dure" vouée à l'improvisation radicale et à la complexité auxquels se rattachent les groupes frères Furt (Richard Barrett et Paul Obermayer), Bark! (Obermayer, Phil Marks et Rex Casswell) et la nébuleuse Electro Acoustic Ensemble d'Evan Parker. Scott qualifie cette approche de "moléculaire",  en relation avec des modes de jeux d'un nouvel âge et qui étendent la syntaxe de l'impro libre avec des paramètres peu usités et des innovations / solutions originales qui transcendent les nouvelles technologies. Personnellement, je pense à Lunge et à Super Model Super Model, deux groupes réunis par la tromboniste Gail Brand avec Pat Thomas ou Gino Robair (label Emanem). Une fois tracés ces liens quasi-familiaux, on s'aperçoit dès les la première écoute que les musiciens de Grutronic ont construit un univers original immédiatement reconnaissable qui se distingue franchement des autres groupes précités oar les sons et les formes créées dans le vif de l'improvisation. Oubliés les lap-top austères de l'EAI tendance, on traverse ici un univers bruissant, coloré, polyphonique, plein de contrastes et de rebondissements imprévisibles. Musique spacieuse et aérée, à l'opposé du tourbillon dense et tendu  de Furt ou des rafales claudicantes de Bark! Joyeusement ludiques, sa lisibilité
 et son dynamisme éclairent les détails infimes du travail sonore. Accélérations, mues, glissements, textures évolutives, pulsations, leur répertoire est vaste. Essex Foam Party s'accroche épisodiquement à des beats distendus, alors que Together in Zero Space, comme son titre l'indique scrute les failles du continuum espace -temps. Pas d'overdub : tout a été enregistré en concert depuis 2006. Chaque musicien contribue au son collectif sans qu'il soit possible de discerner l'apport individuel et deviner les gestes des instrumentistes. Tous les quatre ont une solide expérience instrumentale acoustique. Simon Grew est un pianiste qui compte, ayant enregistré un quartet de pianos avec Howard Riley, Keith Tippett et Pat Thomas. Pour un musicien aussi demandé et incontournable qu'Evan Parker, il est tout-à-fait remarquable que son label Psi consacre autant de cédés à cette école "moléculaire", alors que ces musiciens figurent rarement dans des événements majeurs (1). Il faut se rendre à l'évidence. Le saxophoniste, figure quasi (grand-) paternelle, véritable Santa Claus de l'improvisation libre, est resté un indécrottable utopiste qui ne lésine pas pour soutenir indéfectiblement des artistes brillants, trop méconnus. Souvent, les véritables innovateurs n'enfoncent pas des portes déjà largement ouvertes par d'autres et doivent s'imposer malgré l'indifférence. Evan Parker pourrait se contenter de faire des ronds de jambe avec des artistes archi-reconnus et pipeuliser son label. Cherchez Simon et Nick Grew, Richard Scott ou David Dross aux programmes des festivals qui comptent, vous aurez bien du mal. Pourtant leur cohérence et leur entente parfaite produisent des moments superbes, surtout durant les deux longues improvisations de concert de Together in Zero Space. Evan Parker s'y inscrit parfaitement dans les espaces ouverts avec son soprano comme cinquième membre du groupe, plutôt que comme soliste invité. Il nous fait entendre l'atomisation de la phrase musicale et cette articulation démentielle qui alterne bruitages, sons effilés, doigtés impossibles, harmoniques, coups de bec et accélérations vertiginieuses du souffle. La musique de Grutronic évoque réellement cette approche dite moléculaire : notre imagination visionne ces dessins multidimensionnels qui représentent l'infinitésimale architecture des particules de la vie. Une musique palpitante et trop rare. Ces deux albums  sont, malgré l'absence de notoriété des protagonistes de Grutronic, une affaire à suivre dans l'univers des musiques électroniques au-delà des modes.  
 J-M Van Schouwburg   http://soundcloud.com/jean-michelvanschouwburg

28 novembre 2011

Carcasses vibrantes, cuivre sur le fil , ivoire à la dérive

Quelques albums du piano transformé en machine à sons, carcasse vibrante, cordages frémissants, objet percutoire par quelques explorateurs intrépides....  hommage aussi à cet album peu connu du pianiste Martin Theurer en compagnie de Paul Lovens, Der Traum der Roten Palme (FMP 095 1981) et aux Constructions of Ruins de Greg Goodman,  pianiste préféré du mystérieux Woody Woodman. Constructions of Ruins, titre révélateur ...  Le pianiste Denman Maroney a laissé un témoignage fécond et rare, HyperPiano (Monsey Music 1998) où interviennent des séquences rythmiques d'une grande complexité. Il utilise systématiquement "un tas d'objets pour bloquer, glisser sur, gratter, frotter, frapper les cordes : barres, bols, cloches et écraseurs métalliques, boîtes et bouteilles plastiques, mailloches de plusieurs sortes et des blocs de caoutchouc, conjointement avec l'action normanle du clavier". Un document indispensable.... J-M VS.

One Island  Jacques Demierre Creative Sources
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Comme sous- titre : One Is Land. Deux longs morceaux intitulés respectivement Smell of Sea et Smell of Land . Ce goût de la mer donnera le mal de mer à beaucoup de pianophiles, Jacques Demierre actionnant avec grand fracas le maximum de touches, faisant vibrer la carcasse du monstre comme dans un maëlstrom sans fin. Bien des activistes du noise (électrifié) paraissent être des enfants de chœur face à un tel raffut. Si on préfèrerait écouter ce Smell of Sea en public, le deuxième morceau nous livre un moment mémorable de l’histoire de la musique improvisée radicale. Comment faire grincer et vibrer les cordes aussi viscéralement et … organiquement …, mystère ! Vous tenez avec Smell of Land une pièce à conviction qui, d’un point de vue sonique, nous ramène à l’esprit des Aerobatics d’Evan Parker, des solos sadiques de Maarten Altena martyrisant sa contrebasse, à Keith Rowe avant qu’il ne devienne la coqueluche de l’EAI. La prise de son est pour quelque chose dans ce qu’on écoute. Mais au fond, c’est l’enregistrement qu’on apprécie et à travers lui, l’idée qu’on se fait de la musique, laquelle a disparu…. le souvenir fonctionne encore… Le pianiste fait vibrer cette machinerie comme rarement elle l’a été à ma connaissance. Indispensable pour ceux qui s’intéresse au piano radical.

Night Kitchen Ross Bolleter Emanem 5108

Emanem a encore frappé. Martin Davidson a ralenti le rythme de ses parutions pour se concentrer sur des chefs d’œuvre. Après les solos de pianos de Veryan Weston (Allusions) et de Sophie Agnel (Capsizing Moments) et ces deux fantastiques ensemble de cordes (Stellari String Quartet et le trio Arc), voici la cuisine nocturne et infernale de Ross Bolleter. Ce pianiste australien de l’extrême a détourné la hantise des pianistes, l’état parfois catastrophique des pianos, en recherchant des pianos abandonnés, détériorés et à l’état de ruines pour les recycler. S’adaptant avec ce qui reste de sonore, Bolleter crée un nouvel univers musical qui n’appartient qu’à lui. On reconnaît son empreinte assez vite. Après un premier album Emanem mémorable, Secret Sandhills and Satellites, voici le chef d’œuvre total de l’équarissage définitif du piano en tant que symbole musical de la civilisation occidentale. Dans la cuisine du WARPS studio, il y a quatre engins ruinés qui eurent servi en leur temps de piano …! Quatorze pièces, la plupart assez courtes nous emmènent dans un tour du propriétaire de ce sanctuaire de carcasses, de touches et de cordes en état pitoyable. On aurait essayé de préparer des pianos, impossible de parvenir à un ensauvagement aussi naturel. Dans la pénombre de la nuit, cela sonne encore mieux. Un morceau, Kiss Kiss, est enregistré dans le Wamblyn Ruined Piano Sanctuary en pleine cambrousse. La pochette contient une liste détaillant chaque instrument original. RB recommande de ne pas confondre un West Australian Ruined Piano d’un Neglected Piano ou un Devastated Piano ! Certaines des improvisations sont inspirées par les Peintures Noires de Goya, d’autres par le désert d’Australie Centrale ou les photographies de Vivienne Robertson comme celles qui ornent la pochette. Rassurez – vous : c’est vraiment de la musique et c’est magnifique. Irrésistible !

PS : Impossible de faire venir ces ruines sur une scène européenne ! Il ne vous reste plus qu’à vous rendre sur place !

Capsizing Moments   Sophie Agnel Emanem 5004

Cette série 5000 d’Emanem s’annonce passionnante ! L’accent est mis sur les pianistes (Allusions de Veryan Weston, Check for Monsters avec Steve Beresford et Ananke avec Milo Fine au piano) et parmi  ces excellents cédés il y a fort à parier que ces Capsizing Moments retiendront sûrement l’attention. De longue date, les pianistes free ou impro (comme vous voulez), jouent à l’intérieur du piano, dans les cordes, en utilisant des instruments de percussion ou des objets et le préparant. Des pianistes comme Fred Van Hove, Keith Tippett ou Sakis Papadimitriou s’y sont particulièrement distingués tout en conservant le jeu « traditionnel » sur les touches durant une bonne partie de leurs concerts. Plus récemment, Frédéric Blondy, Sophie Agnel  ou Sébastien Lexer jouent quasi exclusivement avec des préparations et des objets. Les notes de pochette de Capsizing Moments (en français) examinent cette pratique sous l’angle du monde contemporain (les artéfacts utilisés par Sophie Agnel : gobelets en plastique, cendriers aluminium, balles en caoutchouc etc…) envahissant le piano, symbole de la culture musicale européenne. Le pianiste californien Greg Goodman avait énuméré jadis avec une précision exhaustive les objets les plus hétéroclites qu’il avait utilisé dans l’enregistrement d’un de ces disques (The Construction of Ruins : The Australian Site/ Beak Doctor BD04 1982). Il inspira irrévocablement l’accordéoniste australien Ross Bolleter dans sa quête des Pianos Ruinés au fin fond de la campagne australienne (Secret Sandhills and Satellites Emanem 4128). Son collègue allemand Martin Theurer fut, à ma connaissance, un des tout premiers pianistes à plonger  par-dessus le clavier toute la durée d’un concert en utilisant des objets en vibration avec la table d’harmonie et les cordages. Le duo qu’il enregistra en 1981 avec Paul Lovens pour FMP, Der traume der roten palme (FMP0950), était sans doute un des enregistrements les plus radicaux pour l‘époque. Toujours – est-il que si la démarche de Sophie Agnel s’inscrit dans l’évolution d’une pratique subversive du piano, elle se distingue par son naturel et un sens aigu de l’instant. Ces qualités, parmi beaucoup d’autres, confèrent à sa performance enregistrée aux Instants Chavirés un air d’éternité comme si elle concentrait dans l’activité de ses mains au milieu de son « jardin potager » (cfr son interview in Improjazz) les souvenirs et les espoirs de ceux qui se sont adonnés à cet exercice exclusif : l’ensauvagement du piano, « the bourgeois beast » ( dixit Veryan Weston). Dans la partie médiane, des grappes de notes carillonnent avec un arrière-goût saturé, causé sans doute par des objets placés sur les cordes voisines. Ce concert se termine dans un quasi-silence et un gémissement fantomatique de cordes sous la pression d’un quelconque objet plastique. Balançant inexorablement les grincements, stridulations, étouffements, vibrations voilées, etc…dans une étonnante polyphonie, des mouvements irréels soulèvent le flux musical comme ces courants marins dont les directions insaisissables à proximité de la terre ferme nous éloignent ou nous rapprochent des écueils contre toute attente. Une véritable révélation.

Kryscraft  Marjolaine Charbin & Frans Van Isacker Creative Sources CS 196

cs196.jpg
Une étendue d’eau boueuse parsemée de moignons de béton qui se dressent à la surface, un cable électrique pendouille par-dessus une vieille balise. Ce cliché photo est repris au verso et dans le boîtier avec des cadrages insensiblement différents. Un des morceaux de l’album fut enregistré dans une salle voisine de cette mare, source près de laquelle se tenaient autrefois des brasseries fameuses emportées aujourd’hui par la mondialisation. La nappe phréatique submerge le terrain excavé pour un projet immobilier abandonné lors du krach de 2008. Un décor désolé. L’eau reflète comme dans un songe le flottement des vibrations dans la carcasse du piano. Le saxophoniste explore, fragmente ou enfle la colonne d’air à l’écart des évidences. Son chant intériorisé éclate par instants dans des morsures. La pianiste ouvre et ferme le portfolio des improvisations avec un sautillement d’ivoires limpide et caractéristique. Son toucher suggère la danse, le mouvement du corps. On goûte la saveur de subtils décalages d’une aisance saisissante. Le frottement du bois et du caoutchouc sur les cordes, les grattes et les griffes tout concourt à noyer le souffle. La vibration de l’anche semble disparaître et renaître  au fil des tremblements de la table d’harmonie et des glissés sur les fils de cuivre. Cette mise à nu des sons arrête le temps, méditation et cri sourd mêlés, dégrossit le subtil entrevu dans les froissements des cordes. Cette volonté de renouveler la pratique et le sens de l’improvisation convainc sans appel. Marjolaine Charbin et Frans Van Isacker, liés par une amitié humaine et musicale, sont de sincères aventuriers de leur quête sonore ; celle-ci laisse parler leurs instincts dans un état second de questionnement poétique. La vie profonde en lieu et place d’une posture mimétique qui s’est figée. Pour qui les ont entendus in vivo, ces deux musiciens ont une grande présence… Très attachant et à écouter en concert.

the middle distance chris BURN philip THOMAS simon h.FELL another timbre at24

La tendance de la typographie britannique contemporaine est de privilégier l’usage des minuscules dans les titres d’œuvres littéraires ou musicales. La musique contemporaine actuelle vivante s’est elle-même débarassée du formalisme et d’une emphase d’un autre temps. looking ahead, seeing nothing et les quatre morceaux qui suivent forment the middle distance et mettent en scène une contrebasse et deux pianos . L’un « non préparé » via le canal gauche de la stéréo et l’autre « préparé » via le canal droit. Celui de gauche est joué par Chris Burn dans le piano et sur le clavier et celui de droite par Philip Thomas sur le clavier. La contrebasse de Simon H. Fell, un musicien installé en France depuis quelques années, s’inscrit au milieu de ces échanges avec beaucoup d’à propos. Cette musique retenue, concentrée et sans concession frise le chef d’œuvre, si cela est possible en musique improvisée. La démarche des trois artistes se rapproche de la musique contemporaine occidentale tout en conservant le goût de l’instant qui s’échappe inexorablement.
L’atout majeur de cette formation réside dans le degré profond d’intégration et de complémentarité des deux claviers l’un à l’autre comme si les deux pianistes jouaient d’un seul instrument. La subtilité avec laquelle le contrebassiste s’insère dans la construction de la musique le rend parfois « invisible » et pourtant c’est bien lui qui semble entraîner les deux pianistes vers l’aventure. Si aujourd’hui, le pianiste John Tilbury est devenu une référence incontournable, ce serait dommage que des collègues tels que Chris Burn et Philip Thomas restent dans l’ombre. Chris Burn fut longtemps l’alter ego de John Butcher et est un excellent interprète de Cage et d’Henry Cowell. Philip Thomas avait réalisé un superbe enregistrement solo, Comprovisation (.Bruce’s Fingers , le label de SH Fell). Il y interprétait / jouait des œuvres  de Paul Obermayer, John Cage, Michael Finissey et Mick Beck. Ces enregistrements de ces deux pianistes n’ont rien à envier à ceux du maître. the middle distance sera une belle découverte pour tous ceux qui apprécient John Tilbury. Celui-ci a définitivement réinventé le toucher du clavier du piano préparé et sa résonance dans le temps et l’espace comme a pu le faire en son temps un Paul Bley avec son légendaire opus ECM , Open, To Love. Ici Philip Thomas et Chris Burn recyclent l’expérience tilburyenne en la vivifiant à l’aune de la complexité. Si le duo d’AMM (Prévost – Tilbury) semble flotter magistralement dans une définition toute particulière du temps, étirant une action durant plus d’une demi-heure, nos trois compères abordent la matière de plusieurs hypothétiques concerts en développant les idées /canevas de leurs cinq « comprovisations » tout en synthétisant magistralement ces options dans des durées nettement plus courtes. Stase, répétition, variation, investigation, réponse, cycle, échappée, cadence, rebond, fragments qui se complètent, similitudes contradictoires, échos presque mimétiques, on peine à recenser toutes leurs figures de style. La réécoute de cette musique ne finit pas de revisiter ses innombrables détours et perspectives. Un vrai plaisir !

Carré Bleu Michel Doneda Frédéric Blondy Tetsu Saitoh Travessia Trv 03

Publié sur le microlabel Travessia du contrebassiste nippon Tetsu Saitoh, cet enregistrement de concert est dédié à la mémoire de Bernard Prouteau, un supporter indéfectible des musiques libres disparu après avoir travaillé des années dans un endroit rare, Carré Bleu, où ce concert a été enregistré. Au centre, une carcasse frémissante, un radeau grinçant qui semble remonter une rivière sans fin et traverser des lacs froids au-dessus des abîmes. C'est ce qui reste d’un piano « grand », quand les mains adroites et l’imaginaire réactif de Frédéric Blondy métamorphosent cette machinerie de cables sous tension en l’appareillant de baguettes et d’objets mystérieux. Les  marteaux, touches, billes en verre et morceaux de bois s'affolent, grincent, glissent, l'âme s'émeut, éclate, divague … A la godille, Tetsu Saitoh anime la torsion des quatre cordes et des crins dans le ventre du gros violon. Frémissements sous le vernis du bois qui enfle et se tord indéfiniment. Sur la quille, Michel Doneda éructe des appels à travers le tube, le bec et les clapets de sa corne magique frictionnant le flux d’air audible par-dessus le fracas assourdi du pied par le pirate du clavier. Emportés par une force invisible, ils ne se parlent pas, mais chacun mêle ses bribes de sens dans un courant de conscience éperdu – d’inconscients en éveil – les variations de signes et leurs perceptions étant infinies, libres, sans appel ! Une belle aventure en témoignage de l’amitié d’un frère disparu.

Nobody’s Matter But Our Own. Paul Hubweber & Philip Zoubek. NurNichtNur



Si vous avez été conquis par Paul Rutherford et Fred Van Hove, ce disque est pour vous. J’ai eu l’occasion d’écouter deux concerts de leur duo, il y a très longtemps, et je regrette fort l’absence de témoignage enregistré de leur collaboration. Le travail de Van Hove de 1976 à la fin des années n'est quasi pas documenté et c’est bien dommage. Alors, mettez la main sur ce Nobody’s Matter But Our Own de Philip Zoubek et Paul Hubweber. Leur musique est aussi excellente et inspirée que celle de nos deux pionniers. Si Hubweber évoque Rutherford, c’est aussi parce qu’on entend chez lui autant de sincérité et de subtilité que de poésie et d’humour tendre. Et sans esbrouffe ! Bien sûr, le tromboniste de Cologne ne s’en cache pas, Paul Rutherford fut une inspiration et l'élève n'a plus rien à envier au maître. Il suffit d’entendre son magnifique Tromboneos pour le même label Nurnichtnur (2002) pour s’en convaincre : c'est le top ! Dans ce très beau duo avec le pianiste Philip Zoubek, le tromboniste met en valeur les inventions du pianiste, un des meilleurs dans ce genre de musique, « improvisée libre ». « Meilleur » est une affaire de profondeur d’inspiration et de faire véritablement sonner l’instrument à travers la technique qu’il s’est choisie. Zoubek atteint ici le vécu et l’intensité d’un Van Hove avec des moyens différents. Il prépare soigneusement son piano et son jeu avec les cordes offre quelques similitudes avec la démarche de Denman Maroney (cfr Hyperpiano /Monsey Music, un enregistrement solo de 1998 autoproduit et hautement recommandable). Mais l’affect et les sons de Zoubek agissent dans un autre registre sonore et émotionnel que celui du pianiste de New-York. Les sons des cordes « stoppées » sont superbement intégrées aux notes des cordes vibrantes avec une précision rythmique et harmonique confondantes et des doigtés singuliers.  Sans effets clinquants et avec des sons de harpe folle, il laisse le champ/ chant libre aux vents de la coulisse durant les 3’51’’ de Moving Foreward, qui inaugure ce cd. Leur musique s’épanche sans précipitation dans Night (21’32’’). On se souvient de la formule de Paul Rutherford « When  I Say Slowly I Mean As Soon As Possible », le titre du disque de son duo avec Paul Lovens, alors jeune et impatient (Po Torch/ PTR JWD 003). Dans ce même état d’esprit, les sons suspendus et flottants de  Zoubek et Hubweber captivent l’attention dans cette très longue plage. C’est véritablement une belle performance. Hubweber a comme Rutherford un sens harmonique très sûr et une véritable fantaisie d'improvisateur. Il confère ainsi  une consistante musicalité à toutes les turbulences de sa colonne d’air  dans les tuyaux du trombone.  Et quand, passée la dix- huitième minute, les échanges s’agitent et que le pianiste fait songer à l’éternel Thelonious, on est vite surpris d’entendre les vingt et une minutes de Night s’achever. Le morceau qui donne son titre à l’album, Nobody’s Matter But Own, prolonge Night avec intelligence et un rythme enlevé.  Les quatre plages suivantes (entre 7 et 4 minutes) offrent d’autres perspectives bien rendues par la prise de son. Je pense à ces très beaux « intérieurs » de piano de Not Against JC et de What Else Can I Say. C’est d’ailleurs le cas de le dire. C’est pourquoi je résume : c’est très sincèrement de l’improvisation libre dans ce qu’elle a de meilleur. Un état de grâce à recommander absolument et Nurnichtnur s’affirme de plus en plus comme un label à suivre. On peut écouter Nobody’s Matter vingt fois par semaine sans se lasser un instant que ce soit le matin, le midi ou le soir. J’adore.
PS :  C'est la raison pour la quelle j'ai produit personnellement le CD "Archiduc Concert" du même duo (Emanem 5011) et comme Nobody's Matter n'est quasi plus disponible... 

Kopros Lithos  EFG : Peter Evans / Agusti Fernandez / Mats Gustafsson  Multi Kulti

Trio EFG et l’ABC de l’impro libre au confluent de pas mal de tendances. Enregistrement et rencontre réussis. Ceux-qui apprécient Gustafsson, mais ne tiennent pas à le suivre dans les méandres de ses nombreux projets musclés et rutilants (avec Zu, O’Rourke, Sonic Youth, Brötzmann, The Thing, Barry Guy, Paal Nilsson-Love et même Merzbow etc..) trouveront sans doute leur bonheur. Les autres aussi, car l’énergie est palpable ! Un précédent duo de MG avec Fernandez avait atteint la masse critique (Critical Mass /Psi), mais ferait un peu figure de cliché pour ceux qui sont rompus à l’écoute de ces musiques, les autres y trouvant l’occasion d’une découverte rafraîchissante. Ici, avec l’inspiration et les techniques ahurissantes de Peter Evans, on voyage, et dans la recherche et dans les trouvailles. Gustafsson fait vibrer son baryton comme un marteau-piqueur au ralenti. Par-dessus les piquetages et les frottements d’Agusti dans les cordes du piano, l’effet est surprenant. Agusti se décarcasse pour faire sonner le piano comme un artefact bruissant, vibrant, post industriel. En brisant la gangue des pierres (Lithos) et en écartant les éclats, on trouve le cuivre, métal de plus en plus convoité par les voleurs. Métal souple et malléable, c’est avec lui qu’on fait vibrer les harmoniques, froisser les fréquences et résonner les carcasses… Les aléas statiques sont transfigurés par la grâce du talent, l’imagination s’échangeant comme un ballon dans les meilleures équipes. Kopros – Lithos justifie la réputation d’improvisateurs de ces trois musiciens très demandés, parfois contraints d’assurer dans les nombreuses aventures que leur notoriété suscite. Un bel album !!

Avenues Jacques Demierre - Isabelle Duthoit  Unit Records UTR 4201

Clarinettiste et vocaliste, Isabelle Duthoit s’immerge totalement dans le paysage – cadre du piano transformé en objet sonore – table de résonances, déconstruit et reconsidéré par la longue pratique et la réflexion de Jacques Demierre. Point de virtuosismes ici, les sons flottent en suspension ou saturent l’espace durant les huit pièces « avenues ». Nous entendons ce qu’il est advenu durant l’improvisation. On aurait aimé être présent. En effet, en tant que vocaliste, j’aurais aimé avoir pu me glisser dans le studio pour écouter ça. Voir triturer les cordages et vibrer le cadre de l’instrument, l’ensauvagement de ce symbole de la culture musicale occidentale. Mais surtout ça : la voix d’Isabelle Duthoit. Voir la chanteuse en action. La surprise provient ici de ce cri extraordinaire !  Une sauvagerie aussi et un raffinement inespéré. Ceux qui tiennent, à raison, Sainkho Namchylak comme la diva ultime de l’impro vocale, seront interloqués. Pas de trance, de déflagrations inouïes du larynx, ni de longues échappées ici, mais la même violence. De brèves expectorations pleines d’une rage froide, d’une douleur cérébrale, indescriptible. Son jeu éclaté à la clarinette complète très bien la démarche de Jacques Demierre. Celui-ci a développé une approche sonique faite d'outrances. La prise de son (remarquable) met en évidence la matière métallique faite de fils enroulés ou tendus, la résonance mécanique amortie d'une machine ruineuse et ... ruinée par ses grattements qui n'appartiennent qu'à Demierre. De la ferraille dans une grande caisse en bois. Un ready-made qui s'échappe de nos conventions. La musique du duo pose des questions et fascine. Fort heureusement, Duthoit et Demierre renouvellent le champ de l’improvisation sans pour autant faire allégeance à un -isme quelconque. Remarquable !

Ross Bolleter  Secret Sandhills and Satellites Emanem 4128
Pieces for ruined pianos and pianos on the edge of ruin.

Enfin accessible en nos contrées, un témoignage sonore d’une activité bien particulière : parvenir à s’exprimer sur des pianos ruinés qui gisent dans la nature australienne. Sur la photo de pochette, on voit Ross Bolleter trôner face à un tel piano au milieu des champs à la saison des moissons. Il ne s’agit pas de pianos transformés, détériorés, désséchés au soleil ou inondés avec l’intention d’en jouer ultérieurement, mais bien d’authentiques objets trouvés. Ross Bolleter tient à se distinguer de tous les John Cage du monde. Il ne force pas la chance : il la prend au vol. Le piano de la photo a perdu toute sa peinture émaillée, délivrant au regard le bois de sa carcasse. Celle-ci tremble au vent et sous les paluches de notre trouveur de claviers égarés. Au début des années ’80, Ross Bolleter fit la rencontre d’un pianiste singulier, Greg Goodman. Celui-ci publia entre autres un vinyle intrigant : « Construction of Ruins, the Australian Site » sur son label « The Beak Doctor » (dist.Improjazz). Goodman s’y livrait à une investigation sonore de l’intérieur des pianos au moyen d’objets trouvés australiens, cités d’ailleurs par Ross Bolleter dans son intéressant livret. Cet enregistrement n’est plus disponible, mais heureusement, depuis cette époque, Bolleter a creusé ce filon inespéré. Le piano droit abandonné comme ready – made (dans un champ !), depuis Marcel difficile de faire mieux. Pensez-vous que Johannes Rosenberg eût abandonné un de ses claviers dans un champ en prévision d’une installation d’instruments à cordes et violons repiqués ? Je laisse aux enquêteurs de la Rosenberg Foundation le soin de vérifier cette rumeur. Les World Association of Ruined Pianos Studies (WARPS ?) ont initié le relevé et l’étude des West Australian Ruined Piano (WARP). Espérons que le champ de leurs investigations couvrent des régions comme la Laponie, le Népal ou le Queyras. Quiconque s’intéresse à l’improvisation et à toutes sortes de manifestations de l’art sonore radical, au Performance Art ou au Land Art, ferait bien d’être oublieux de toutes ces catégories. Voici ce dont un artiste modeste est capable à force d’obstination. Secret Sandhills, la pièce la plus importante du disque, dure 28 minutes et est dédiée à la mémoire de Timmy Payungka Tjapangati, un artiste aborigène dont le Secret Sandhills est reproduit au dos du livret de pochette. Cette composition de Ross Bolleter est l’objet d’un montage d’enregistrements de six pianos différents via Pro Tools. La provenance et la localisation de chaque instrument est indiquée avec précision. On entend aussi un accordéon, instrument inséparable de l’idée que les Anglo-Saxons se font de la France (« Going to War Without the French is Like Going to War Without an Accordion »). Si je vous dis que parmi les satellites figurent une version du Time Waits de Bud Powell … Avec Ross Bolleter, on découvre comment le piano, symbole culturel occidental, s’intègre dans la nature australienne pas très loin des Great Fences de Jon Rose et des Lines de Jim Denley. 


J-M VS (textes publiés dans le magazine Improjazz auquel on peut s' abonner)

26 novembre 2011

John Russell

John Russell, guitar free improvisor 

John Russell, photo by Helen Petts.


Note This text was published as the notes of John Russell's CD HYSTE on Evan Parker's Psi label in 2010.   http://www.emanemdisc.com/psi.html    http://www.mopomoso.com/ 

Guitarist John Russell, born 1954, was raised by his grandparents in Ruckinge, a small village on the edge of Romney Marsh, Kent.  From an early age, he worked on neighbouring farms.  Like so many youngsters of that sixties era, he was fascinated by playing an electric guitar on the progressive side of rock music - the likes of Soft Machine, Frank Zappa and Captain Beefheart.  In order to have the chance to play with dedicated musicians, he found a job as a farm worker in Kings Langley, a rural place close to London, and visited the Little Theatre Club and the Musicians' Co-operative concerts around 1971.  

At this point John felt that he must investigate his instrument, its technique and roots more deeply.  He took guitar lessons from Derek Bailey, learning mainly traditional techniques.  The late John Stevens invited him to sit in at the LTC.  At that time the motto of the improvisers was “come and play“.  (One of the first phrases I learned myself about English improvisation was “to be involved” in the scene.)  The 17 year old country boy quickly met many of his friends for life.  From the start, he befriended musicians like John Stevens and Evan Parker who both read in his eyes potential and sincerity.

After discovering what improvised music was about and having played with young enthusiasts and some of “the elders”, he moved to London around 1973.  John slept many nights on the floor of friends’ apartments before sharing a flat in Belsize Park with drummer Dave Solomon.  Dave and John began staging their first serious improvised exploration as a duo, but rapidly this moved to an ongoing situation with a larger circle: drummers Roy Ashbury and Roger Turner, saxophonist Garry Todd, violinists Nigel Coombes and Phil Wachsmann, guitarist Roger Smith and pianist Steve Beresford, the People Band’s free spirit Terry Day, and others.  They tried every combination possible at their gigs.  Derek Bailey said at the time that their groups’ shifting and playfulness inspired him to create Company.  As a guitarist, John acknowledges having learned a lot from the drummers: Dave Solomon, Roy Ashbury, Roger Turner, Terry Day and John Stevens.

By the end of 1973, the LTC was coming to an end.  John Russell began to organise at the Artists Meeting Place in Covent Garden.  AMP was an experimental outfit open to painters, poets, moviemakers and dancers, and controlled by the performers there, among them Genesis P-Orridge, David Medalla and Tom Puckey   He ran his first series of gigs.  Roy Ashbury and John played in a trio with the saxophonist Garry Todd and occasionally joined forces with the performance art group Reindeer Werk.  

The AMP gig was far from the last!  Since 1974 John has continued to organise concerts, being perhaps at this point the longest continuously active free improvisation organiser in London.  When the AMP ceased operations, John and Dave worked with the Musicians'Co-operative  at the Unity Theatre:  groups with Russell, Beresford, Todd, Coombes and Solomon played and recorded there between August 74 and April 75.  A rare and unique document, Teatime, issued by Incus the same year (and soon to be reissued on Emanem) documents many aspects of the so-called “second generation” free improvisation of the time.

John sold his solid body electric guitar and bought one acoustic hollow body archtop model from Louis Gallo, a legendary guitarist and jazz pioneer.  (Gallo had introduced Eddie Lang’s music to British audiences, during the thirties.) This guitar was built during the swing era and was made to be heard in a roaring big band context with loud brass and drums, before electric amplification.  Since 1977, Russell has performed exclusively with acoustic guitar, and this changed his relationships with other players, requiring them to adapt their dynamics.  He began to work closely with percussionist Roger Turner who was developing a quieter approach.  Following the disbanding of the Co-op, a gathering of the London improvisers founded the London Musician’s Collective and John was a founder member.  He organised some concerts at the old London Film Makers’ premises before their move to Gloucester Avenue .

Around that time, John developed his solo music, reasoning that that way he could play more often.  In 1978 Evan Parker and Derek Bailey invited him to issue a joint solo guitar album with guitarist Richard Coldman, each taking an LP side . Homecooking. Bedroom Music 1 & 2 was recorded in his grandmother’s home in Ruckinge and  fitted well with the new wave of improvisers who popped from everywhere, and who John met and played with - guitarists Eugene Chadbourne, Henry Kaiser, Davey Williams, violinists La Donna Smith and Jon Rose and trumpet player Toshinori Kondo.



The Incus directors had great intuition producing John’s first solo effort when free improvisation was scarcely documented.  Proof of that is the recording you are now holding in your hand - his heavy custom-made plectrums plucking thick metal strings, the constant use of overtones inside complex strange harmonies and all sorts of string and body manipulations characterising John's approach.  For those who are unaware of the guitar’s harmonics or overtones, it should be said that the control of their emission and pitch is quite tricky.  The player is plucking the string while the finger of the left hand is touching and releasing the string in one stroke without stopping it on the fret board.  This gesture must be very quick and precise.  The points of each interval of tone or semitone of these sounds are located in a quite different ratio than the plucked notes, which are following frets one by one.  To make the pitches of the overtones coincide with the plucked notes inside the harmonies in a sort of logic musical construction is quite a feat.  To carry on a whole concert and to express feelings and beauty is definitely the work of a master.  The subtle variations he combines through his genuine technique seem to be infinite.  His solo music avoids sensational virtuosity to focus rather on a deep emotional content - his sounds evolving from exquisite patterns repeated with subtle alterations and microscopic details to wild rattlings and otherworldly instrumental vibrations known only to himself. 

John’s playing has a clear affinity with Derek Bailey’s acoustic guitar solo concepts.  Both took up acoustic guitar around the same time, 1975, and if Bailey had a bigger musical training and experience at that time, Hyste stands comparison to Bailey ‘s Aïda (Incus reissued on Dexterscigar) or Lace (Emanem).  For my taste, Russell’s solo music recorded herein is as original and stunning as are these great Bailey’s acoustic solos.  Both artists are expressing different minds and sensibilities while adopting similar instrumental logic lying in the specificity of the instrument (“where’s the 12th fret?”).  In comparing Homecooking with Hyste, you will realise how John Russell’s music has evolved, his musical journey being an inimitable lifework nurtured by deep experiences where music making is completely drawn in the harshness of existence.

The Red Rose Seven Sisters Rd picture by Susan Ferrar


When the LMC venue closed down, John ran the Quaqua club at Angel and Crown in Islington, the Club Room with Mike Walters and Richard Sanderson, and The Demolition club with Gina Southgate and Alan Wilkinson - so named because the pub was due for demolition.  Then came the Charteris Community Centre, and finally, the Red Rose on Seven Sisters Road. near Finsbury Park.  His Mopomoso series started there in 1990 with the help of Chris Burn.  Since then, the concerts have taken place on the third Sunday every month.  The Red Rose and its superb acoustics became the main place for improvised music in London and often hosted a dozen concerts a month.  Finally, the venue closed down in 2008 and Mopomoso moved to the new Vortex in Dalston.  (Quaqua is Latin for « withersoever » and became the working title for John’s larger groups.  Mopomoso is an abbreviation for Modernism Post-Modernism So What?)

Mopomoso’s programmes contain the names of famous virtuosos, visiting improvisers from around the globe, unknown young and less young players and many original projects from the vast London scene.  As this scene functions like an entry point into the international map for many rising artists, John’s rare intuition at quickly estimating their potential has been helpful to many.  After so many years at the heart of the free music scene in London, nothing essential has changed for him: many young aspiring musicians have experienced his warm smile and heartfelt welcome just as it was at the old LTC.

One very important phrase that John says quite often is ‘Sometimes I feel like an idiot’.  Evidently, he took years to become the great player he is by now and his modesty worked for the best.  The man is completely open to listen and to understand what he has to share with anybody else sincerely interested in improvised music.  Thirty years ago, he began to work in Gunter Christmann’s Vario ensemble with Paul Lovens, Maarten Altena, Torsten Müller and Maggie Nicols (Vario II & Vario 12 – 21 both on Moers Music).  Gunter Christmann and Paul Lovens were significant figures in the world of European improvised music.  Improvising with such great players helped him to make a jump in his own awareness of how to create new musical templates out of sound exploration with a sense of form.  Some of his orchestral ideas came out of this experience.

Then, Maarten Altena played in his trio with percussionist Terry Day (A Fairly Young Bean Emanem).  This recording was originally meant to be issued on the CAW label that Russell started with Roger Turner and promoter Anthony Wood, the founder of The Wire.  CAW folded soon after the issue of Artless Sky, an album which saw John with one of his main London brothers-in-music, Roger Turner and the then upcoming Toshinori Kondo from Tokyo.   Artless Sky marks perhaps the close of the first cycle in John’s musical evolution. After the discovery, the meetings with many players from London and all over the world and the enthusiasms of the first years, many players vanished.  John has stuck with it through thin and thinner.




In the early eighties, John Russell and violinist Phil Durrant set out with the purpose to play with a third musician and to focus on having a regular fixed group over a long period.  The material came from the instruments and musicians.  After having played with saxophonist Mark Pickworth, they began to rehearse with John Butcher, then a newcomer.  From 1983 on, this trio developed a genuine sound world and had a key role in new developments of free improvisation in the 80’s and 90’s.  Their unique concert with singer Phil Minton subbing for Butcher in Brussels’ Palais des Beaux Arts made a deep impression on me.  (This was also the last of the series in this venue where John had performed his first concert out of Britain, pairing with Roger Smith in December 1976.)

Russell, Durrant and Butcher created a new label, Acta, and issued Conceits, a 1986 recording of their trio which became legendary.  Recordings for Random Acoustics (Concert Moves) and Emanem (The Scenic Route) followed. In 1986 the trio was enlarged to a quintet with Paul Lovens and Radu Malfatti.  Although the group had not intended to make a ”new“ manifesto, and their music was the result of a steady organic development, their recording of 1989 issued by Acta (and reissued by Emanem), News From The Shed, stands as a clear precursor to more recent developments in free improvisation.  Softer gestures, textures more than “colloquiality”, tangential interactivity avoiding too easy ping-pong call and responses.  Undoubtedly, NFTS is one of the most accomplished documents of improvised music, paving the way to further historical developments.

Butcher’s closest collaborator, pianist Chris Burn had fresh ideas creating original scores for improvisers in his Ensemble.  He enrolled Russell, Butcher, Durrant, saxophonist and flautist Jim Denley, cellist Marcio Mattos, electronic keyboardist Matt Hutchinson and hurdy-gurdy performer Stevie Wishart.  Acta also issued Cultural Baggage, the first radical improvised music CD by the Chris Burn Ensemble.  One decade later, the Chris Burn Ensemble also included Axel Dörner, Rhodri Davies, Mark Wastell and Nikos Veliotis, players who along with Malfatti and Durrant defined new territories as being “reductionism“, “lower-case“ or even “new silence “.  Although some musicians with whom he worked are long on theories or even ideological rhetorics, Russell’s own definition of music seems quite simple.  He says: “Music is the organisation of sound and silence.  It employs pitch, rhythm, timbre, dynamics, location and tempo.  It can be manufactured or chosen.  It takes place in a context “.

John has subsequently distanced himself somewhat from this “school”, and is more interested in sharing the creation of music with many friendly players and listening audiences, and in having fun in performing or listening to colleagues or unknown musicians of any genre.  To stay open to what is given and with sincerity and creativity coming from everywhere, without any “political“ agenda, is more a second nature belief than a non idiomatic attitude.  As a recent duo meeting with drummer Tony Marsh illustrated well, the art of inventing music in real time can still surprise anyone who takes it for granted.  The incredible variety of musics and musicians, individual philosophies and moods at work in the field of improvisation can render the building of theories about this musical activity as labyrinths of contradictions.

John Russell’s recent collaborations include the longstanding duo with sopranino sax specialist Stefan Keune (Excerpts and Offerings / Acta & Frequency of Use /  NurNicht Nur), a trio with German accordionist Ute Völker and French violinist Mathieu Werchowski (Three Planets / Emanem), a trio with Evan Parker and John Edwards (House Full of Floors / Tzadik), a duo with cellist Martine Altenburger (Duet / another timbre) and a trio with soprano saxophone explorer Michel Doneda and Roger Turner with whom he  toured in France.  He performs regularly in Japan and Britain with Japanese percussion veteran Sabu Toyozumi, and, whenever he can, with French guitar virtuoso Pascal Marzan, the elusive tenor saxophonist Garry Todd, trumpet legend Henry Lowther, young violinist Satoko Fukuda, singer Ute Wassermann and pipa player Luo Chao Yun.  John and I  recorded the Mercelis Concert as a duo and with Jean Demey (Inaudible) and No Room For Doubt with the Five Rooms quintet reunited by soprano sax great Gianni Mimmo (Amirani), and of course, he continues to perform with his London colleagues like Phil Minton, Lol Coxhill, John Butcher, Phil Wachsmann and Steve Beresford.  John has recently performed and recorded again in Gunter Christmann’s Vario.  At this point, John is planning a Fete Quaqua  involving Gunter in which he will develop new ensemble combinations to create some fresh music, most of them having worked together or being aware of each other’s work.  That kind of work could be described merely as the language of dialogue and the mind of one who understands. These are John Russell’s lifelines and they are expressed most consistently in his solo playing: Hyste.




Jean-Michel Van Schouwburg

Jean-Michel Van Schouwburg is a Belgian historian of improvised music with a special affection for the English scene.  He writes regularly for Improjazz and other European publications.  In the last period, he has increased his profile as a vocalist/performer. 











Note : above ,  the cover my favourite solo improv guitar recording along with Lot 74,  Aïda & Domestic and Public Pieces (Emanem ) of the late Derek Bailey. Below, our very first recording together (Bonnington) are included in the Mercelis  Concert CD on Inaudible, still available.