27 février 2022

Cecil Taylor the Legendary Return Concert 1973/ Toma Gouband & Rosa Parlato/ Pedro Chambel/ Kenny Millions Damon Smith & Weasel Walter

Cecil Taylor the Legendary Return Concert Town Hall 4 nov 1973 Oblivion records. With Jimmy Lyons, Sirone & Andrew Cyrille.
https://oblivionrecords2.bandcamp.com/album/the-complete-legendary-live-return-concert-at-the-town-hall-nyc-november-4-1973
1. Autumn/Parade (quartet) 88:00 - 2. Spring of Two Blue-J’s Part 1 (solo) 16:15 - 3. Spring of Two Blue-J’s Part 2 (quartet) 21:58.
Les morceaux deux et trois, Spring of two Blue Jeans Part 1 & 2 avaient été publiés en 1974 par Cecil Taylor lui-même sur son éphémère label Unit Core. The Return Concert : ce titre s'explique parce qu'il intervient après une période de sa carrière durant laquelle en réaction au manque d’intérêt des promoteurs et organisateurs pour sa musique, Cecil Taylor a cessé de quémander des concerts qui ne rencontraient pas ses attentes et ses exigences tant financières qu’organisationnelles. Après avoir tourné quatre fois en Europe (1961 en Suède et à Copenhagen avec Sunny Murray et Jimmy Lyons - cfr Live at Montmartre/ What's New - , en 1965 - cfr album Student’s Studies, Paris - , en 1968 cfr album live solo "Respiration" et rencontre avec Han Bennink aux Pays-Bas, 1969 : concerts avec Sam Rivers, Lyons et Cyrille - cfr Second Act of A, Fondation Maeght - , Cecil Taylor adopte une stratégie proche de son ami Bill Dixon. Il se réfugie dans l’enseignement en créant un cursus – atelier au sein d'Universités (Antioch College) afin de travailler avec de jeunes étudiants curieux de sa musique et engagés culturellement et politiquement. Ne croyez pas que Cecil Taylor n’attirait pas le public dans la deuxième partie des années 50 et durant les années 60 à cause de sa musique « difficile » ! Cecil a commencé sa carrière à l’incontournable Five Spot dès 1956 avec Dennis Charles, Steve Lacy et Buell Neidlinger et il fut le premier artiste d’importance à s’y produire avant tout le monde : Mingus, Monk, Mal Waldron, John Coltrane, Johny Griffin, Jimmy Giuffre. Si les organisateurs de jazz proprement dits se référaient à l’opinion des personnalités « jazzmaniaques » : journalistes, critiques importants comme Leonard Feather ou Dan Morgenstern, pontes de maisons de disques, patrons de clubs, propriétaires de salles, photographes de presse, collectionneurs, DJ’s de radios, marchands de disques, producteurs, etc…, Cecil n’avait aucune chance, car ces gens étaient bornés et déjà tournés vers le passé. Ils venaient à peine de digérer les avancées de Monk et de Mingus. Mais cela ne signifiait pas que Cecil n’avait pas un public assez important à New - York que pour remplir une salle enthousiaste. Au Five Spot, ses concerts attiraient la scène naissante des peintres abstraits, des poètes, acteurs, écrivains et des jeunes musiciens. En effet dès les premiers concerts au Five Spot, les peintres Franz Kline, Willem De Kooning, Jackson Pollock etc… se pressent toutes les semaines. Poète d’avant-garde, lui – même, les concerts de Cecil Taylor rassemblent chaque fois les poètes New-Yorkais et leur entourage. À chaque concert important, la salle est remplie, mais aucun promoteur « jazz » ne veut se mouiller ni le payer décemment. Et, pourtant, il se fait des amis fidèles dont le compositeur Edgar Varèse, Gil Evans et le producteur Tom Wilson. Celui-ci n’hésite pas à produire son premier album « Jazz Advance » sur son label Transition sur lequel on trouve aussi John Coltrane, Paul Chambers et Sun Ra. Tom Wilson produira ensuite son album avec John Coltrane et Kenny Dorham « Hard Driving Jazz a/k/a « Coltrane Time » et “Love For Sale”. Tom Wilson fut aussi le producteur de plusieurs albums de Bob Dylan dont les révolutionnaires Bringing it All Back Home et Highway 61 Revisited, de Simon et Garfunkel et des premiers LP’s de Velvet Underground et de Frank Zappa/ Mothers pour Verve !. Vous rendez-vous compte ? Écoeuré par cette situation et même s’il a deux albums Blue Note à son actif, Cecil ne cherche plus à se produire « cap in hand » en quémandant agents, fixeurs et compagnies de disques, jusqu’à ce que, sa réputation grandissante, la demande du public et ses invitations en Europe (festival de Montreux 1973 cfr Silent Tongues - Arista) fassent de lui une personnalité incontournable et que le microcosme du jazz professionnel U.S. se dise qu’ils doivent passer pour des imbéciles. Et donc voilà pourquoi « the Return Concert»: c'est son premier vrai grand concert New Yorkais depuis des années. Jusqu’en novembre 1973, Cecil n’avait jamais enregistré une composition entière de cette durée CONVENABLEMENT d’un point de vue "technique, Autumn Parade, et aussi longue (1h28’) ...et fascinante, documentant ainsi sa musique telle qu’elle doit être jouée. Il y a bien sûr Second Act of A à la Fondation Maeght (Shandar) répartie sur six faces de vinyle, mais celles-ci souffrent d’une technique d’enregistrement et d’une gravure pas trop réussies. Et puis , il faut encore et toujours retourner les 33t sur les deux faces, disque par disque, ce qui entrave l'écoute. Composée pour ce concert de retour, Autumn Parade permet de goûter à la dynamique et à l’architecture mouvante des forces en présence : Cecil au piano, Sirone à la contrebasse, Jimmy Lyons au sax alto et Andrew Cyrille à la batterie . Cette longue première partie de The Return Concert est à mon avis un document essentiel de la musique de Cecil Taylor, plus enthousiasmant que ses deux disques Blue Note (Unit Structures et Conquistador) où sa musique, plus formelle est mise en boîte pour coïncider aux limites de deux faces de 33t d’une vingtaine de minutes et à la capacité du public lambda d’ingérer sa musique hors norme. À mon avis ce nouvel album posthume de CT se situe à égalité avec Student’s Studies , le double album enregistré en 1965 à Paris avec Alan Silva à la contrebasse, en tant que document sur la musique telle qu’elle était jouée sur scène par l’Unit de Cecil Taylor.
Autumn / Parade démarre dans une extrapolation des accords et de la mélodie d’Autumn Leaves dont le groupe s’éloigne en insérant progressivement des éléments tayloriens, pulsations, fragments mélodiques disjoints, intervalles dissonnants du saxophoniste dans une profonde volonté de dialogue et de partage. Chaque musicien développe sa musique anguleuse et tournoyante de manière indépendante l’un de l’autre ET en connexion étroite ou relâchée avec ses collègues selon les instants. L’enregistrement très soigneux et le mixage distingue clairement le saxophone alto brûlant de Jimmy Lyons, les riffs – pulsations en cascades virevoltantes et rebondissantes de Cecil Taylor sur toute l’étendue du clavier et les frappes multiples, très coordonnées du jeu elliptique en constant décalage d’Andrew Cyrille, toujours subtil, extrêmement précis. Le contrebassiste est quelque peu enterré par la furia des trois précités, mais sa présence se fait sentir lorsque le souffleur laisse le champ libre au pianiste vers la dix-huitième minute, le batteur relâchant la pression. Toute la puissance locomotrice inouïe du groupe repose sur les doigts (et les lèvres) de Cecil et Jimmy : ils déchirent l’espace et déchaînent les éléments, le pianiste jouant le rôle conjoint de percussionniste rythmicien et de pianiste proprement dit comme lui seul peut le faire. Légèrement en retrait et commentant très finement ses deux compères, le jeu extrêmement foisonnant d’Andrew Cyrille est constamment et nettement en dessous de la barre du mezzo-forte, tout en légèreté et d’une élégance inouïe. La toute grande classe ! L’auditeur peut concentrer son écoute sur les détails somptueux de son jeu et s’en délecter, frénésie de vibrations, de roulements dont les formes et affects se renouvellent en permanence démontrant une sagacité évidente dans le toucher des cymbales. En maniant ses balais en douceur sur la surface des fûts, Cyrille active une foultitude de cellules rythmiques et de vagues de sons en contraste complémentaire de la débauche démentielle de puissance du pianiste en lui permettant de se faire entendre pleinement sans lui faire obstruction. Le saxophoniste insuffle un lyrisme survolté tout en volutes aux facettes multiples, un travail d’orfèvre : il imprime la dimension du blues et celle du post – bebop en en étendant tous ses rudiments, accents, inflexions et réflexes jusqu’à leur annihilation avec une méthode et une logique imparables, galvanisé par l’extraordinaire énergie du leader sur les 88 touches du clavier en montagnes russes volcaniques. Quatre improvisateurs évoluant de manière aussi intense en allant jusqu’au bout (où à l’infini) de leurs idées musicales aboutit au stade ultime du free-jazz en toute musicalité. Ils ne se contentent pas d’éclater les formes , ils les surmultiplient, les entrecroisent à l’infini en développant leurs improvisations – variations des motifs rythmico – mélodiques décrits / induits par la partition. 88 minutes à ce régime sans devoir retourner quatre faces de vinyle est le véritable nirvana du free – jazz taylorien enregistré en concert. Les deux morceaux suivants offrent une autre perspective en solo et une conclusion triomphale en quartet. Plus que ça, tu meurs !!

Phonogravie Toma Gouband et Rosa Parlato petit label PLSON 23 100 copies
https://collectionpetitlabelson.bandcamp.com/album/phonogravie

Quel bonheur ! La flûtiste Lilloise Rosa Parlato vient de m’envoyer ce bel objet – emballage cartonné, bleuté et illustré par l’artiste Hélène Belcer. Et imprimé par l’atelier de sérigraphie associatif l’Encrage de Caen. Ça nous change de ces fichiers digitaux accompagnés de .PDF insipides. Et quelle musique ! Le percussionniste Toma Gouband s’affirme de plus en plus comme un des percussionnistes à suivre. Un récent concert de Trance Map (février 2020) à Bruxelles en compagnie d’Evan Parker et Matt Wright m’a vraiment convaincu de l’authenticité et de la profondeur de sa démarche. Je rappelle l’existence d’un album où sa sensibilité est vraiment appréciée : As The Wind avec Parker et Mark Nauseef (Psi). Tout récemment, j’avais vraiment flashé sur Isophone, un très beau duo de Rosa Parlato avec sa collègue flûtiste Claire Marchal sur Setola di Maiale et fait part de mon enchantement. Dans cette Phonogravie, la musique est étirée, aérée, méticuleuse, infiniment nuancée, zen d’une certaine façon. Les deux improvisateurs sont crédités : batterie, pierres sonnantes, branchages (Toma Gouband) et flûtes, objets, voix et électronique (Rosa Parlato) et si cette électronique intervient à bon escient à certains moments, c’est surtout le travail de souffle acoustique, coups de lèvres, art du crescendo, effets sonores, décortication des éléments du phrasé de la flûte, sons voilés, articulations volière délicate, douceur et acuité. Face à cette colonne d’air fragile et sa lumineuse sensibilité et au fil des six morceaux enregistrés ici, Toma Gouband se plonge dans un travail obstiné de martèlement discret sur la grosse caisse et des coups secs sur l’arête des deux ou trois pierres brutes qui jonchent les peaux de ces fûts ou sur une cymbale retournée. Lumineuse sensibilité qui évolue avec goût et une maîtrise évolutive, évoquée par les titres : Distance Focale, Flare, Arrière-Plan Flou Bougé, Autofocus, Basse lumière, Flou du Mouvement. Après avoir tissé patiemment sa toile, Toma Gouband se lance avec une sereine détermination dans des entrelacs de pulsations et de frappes croisées qui découlent des avancées d’un Milford Graves dans Autofocus. C’est le moment choisi par Rosa Parlato pour faire éclater et tournoyer les multiphoniques. Dans Basse Lumière où elle vocalise subtilement tout en filant les sons de sa flûte avec un peu d’électronique, un groove tribal sourd imperceptiblement, désarticulé dans une manière de folk imaginaire assumé. On a encore droit à ce drumming libre et sauvage, subtil et insidieux et cette frappe contrôlée - peu expansive qui laisse le champ libre aux sons goûteux d’une flûte basse en suspension dans l’espace. Une belle musique à la fois hiératique, éthérée et profondément acoustique.

Pedro Chambel Another View From Another Place Fractal Sources 02 http://fractalsources.blogspot.com/2021/11/another-view-from-another-place.html

Quatre titres de 11 à 12 minutes : 1/ elect + ste 000 + ste 002 – 2 , 2 / elect + w v + 002+001-4, 3 / elect+ st 00 +st 001o, 4 / sine + st003 + w voic. Pedro Chambel est crédité saxophone alto, électroniques et bande magnétique et joue seul sur toutes les pistes qui ont été assemblées dans un collage réparti en deux faisceaux. Des boucles – pulsations électroniques polyrythmiques avec des grooves croisés et imbriqués et des lambeaux mélodiques au saxophone parfois doublés dans le premier morceau. La formule devient plus fragmentée et bruissante dans une tentative assez réussie de disruption de la cadence et de l’imbrication des boucles dans le morceau 2 et sax free qui figure parfois sur deux pistes concurrentes. Univers plus radical avec des faisceaux de procédés sonores différents qui trouvent une homogénéité entêtante, se contredisent ou se subvertissent. Boucles désarticulées de scories sonores sur lesquelles le souffleur multiplie les coups de langues et effets de souffle dans les pistes inachevées qu’il écarte d’un coup bref pour laisser chuinter des grésillements ou rassemble à nouveau. Une forme d’utopie expérimentale, hybride qui insuffle à ces éléments parfois hétérogènes d’autres significations… imprévues... par leur imprévisible juxtaposition. Le dernier morceau avec sine wave et vibrations bruissantes et crachotantes de la colonne d’air sont nettement plus inquiétantes … Une volonté créative non conventionnelle s’affirme dans ces collages étranges, « faussement » hésitants ou mystérieux. Souhaitons à Pedro Chambel de continuer plus avant ces investigations sonores en développant ses idées encore plus à fond.

Fuck Music, Tell Jokes, You'll Make More Money Kenny Millions Damon Smith Weasel Walter Unhinged cassette UH 004
https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/uh-004-fuck-music-tell-jokes-youll-make-more-money
Kenny Millions - alto saxophone, bass clarinet, voice Damon Smith - amplified double bass Weasel Walter – percussion. Recorded live at Heck 2//2/18
Free jazz punk avec un souffleur acide, virulent et expressionniste dur : Keshavan Maslak a/k/a Kenny Millions, un cracheur de feu. Dans son équipe improbable, un batteur free-rock hard-core indomptable devenu un véritable batteur de jazz-free en compagnie de nombreux outcasts vitrioliques : Weasel Walter. Pour corser le tout, un contrebassiste classieux as de l’archet avec un très solide bagage classique contemporain et jazz : Damon Smith. Musique allumée irrévérencieuse au vitriol avec des « blagues » (Jokes) racontées d’un ton goguenard par Kenny Millions. Kenny a un long passé européen de flibustier du free avec Han Bennink, Misha Mengelberg, Sunny Murray, John Lindberg, Burton Greene et même Paul Bley vers la fin des années septante début quatre-vingt (cfr Leo Records). Râpeux à souhait, défiant les bienséances, énergie ramassée, expulsée, frénétique. Le batteur a assimilé les incertitudes excessives du free drumming confiant au contrebassiste les fluctuations du tempo intériorisé. Ce n’est pas une tentative de chef d’œuvre ou de plénitude, peut être un questionnement et sûrement une mise en abîme irrédentiste.

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19 février 2022

Alex von Schlippenbach Sven Åke Johansson Alan Tomlinson & Wolfgang Fuchs/ Urs Leimgruber Axel Dörner Roger Turner Oliver Schwerdt/Tristan Honsinger Talk/ Pandit Pran Nath Terry Riley LaMonte Young Marian Zazeela

Alex von Schlippenbach & Sven Åke Johansson Scheinwerfer Suite w Alan Tomlinson & Wolfgang Fuchs SÅJ digital
https://saj-rec.bandcamp.com/album/scheinwerfer-suite

Enregistré le 4 décembre 1990, on aurait aimé avoir découvert ce concert très remarquable lorsque le label FMP s’est mué en compact disc, à l’ombre de la massive boîte exhaustive et légendaire de Cecil Taylor Total qui eut un impact retentissant à l’époque. Le label FMP fut un peu avare en rencontres de ce type après ce coup d'éclat. Quatre individualités bien distinctes qui excellent à se stimuler, s’émuler et tirer parti de leurs points forts en dialoguant tout en maintenant le cap de leur recherche individuelle dans l’instant. Le pianiste virtuose Alex von Schlippenbach et l’improbable batteur Sven Åke Johansson s’amusent tout autant réciproquement que l’un , impénitent farfadet déjanté des fûts, dérègle le flux constant des grandioses et dynamiques effets d’arpèges et cadences polyphoniques en cascade de l'autre. Avec un souffleur aussi explosif et rageur que Wolfgang Fuchs au sax sopranino ou à la clarinette basse, deux instruments à anche aussi éloignés l’un de l’autre qu’il puisse paraître, la communauté FMP – l’axe Wuppertal – Berlin a gagné une recrue de choix. En y adjoignant l’extraordinaire tromboniste britannique et personnage de scène excentrique qu’est Alan Tomlinson, on a mis la main sur l’équipe idéale dans la droite ligne de l'atypique trio Brötzmann – Van Hove – Bennink augmenté du tromboniste Albert Mangelsdorff qui sévit en Europe durant une décennie. Si la musique improvisée libre est un éternel challenge de créations de formes continuellement remises en question , d’expansivité ludique instrumentale (extraordinaire pianiste, souffleur inouï dans l’éclatement total du souffle et de tous ses éléments de base), de délire poétique (les poèmes fous de SAJ), des échanges de haut vol, connivence et mise au défi, interactions subtiles ou obstructions contrastées et cette formidable énergie, vous en avez ici pour tous les goûts. Les deux souffleurs font éclater les limites de leurs instruments avec excès et un contrôle du son magistral. La puissance du tromboniste est gargantuesque et son sens de l’humour carnavalesque est sous tendu par une maîtrise instrumentale quasiment inégalée de la masse sonore vocalisée et borborygmique à souhait. L’art de Wolfgang Fuchs se situe dans le sillage et la logique de la démarche d’Evan Parker dont il adopte le sens de l’extrême, des bruissements explosifs avec des effets de coup de langue qui fragmentent le flux du souffleur en scories, gravats, craquements des notes et l’intrusion des bruits au cœur du langage musical. Le degré d’écoute mutuelle se situe au niveau de l’invention individuelle qui fait se coïncider les changements d’humeur de chacun en jouant ce qui semble leur passer par la tête tout en calibrant leurs énergies en profonde relation avec l'état d'esprit individuel. Ils semblent parler une autre langue en se comprenant sans détour. Des passages au piano ébouriffants qui s’estompent régulièrement pour s’ouvrir aux trouvailles – collisions des trois autres. Sven Åke Johansson s’impose comme un commentateur sarcastique inspiré avec des frappes singulières qui tentent de désarçonner les deux imperturbables souffleurs, le bagout du tromboniste pouvant suggérer des fragments de mélodie, surréalistes dans ce contexte, alors que Wolfgang exacerbe multiphoniques, growls comme un danseur fou sur une corde raide tendue par-dessus une improbable scène de cirque. Il en cisaille l’atmosphère avec ses extrêmes aigus. Mais Tomlinson est aussi celui dont les interventions se situent au niveau du silence. Toutes les notes jouées au sopranino par Fuchs sont tordues, faussées, pliées, étirées ou compressées : un véritable phénomène ! Une hybridation non sensique de la musique de chaque individualité qui la rend plus attractive, délirante, jouïssive. L’auditeur a le loisir d’orienter son écoute sur l’un des protagonistes qui, tous, semblent suivre leur cheminement individuel (ou course effrénée) pour nous surprendre par les instants inopinés de convergence avec son alter ego. Avec deux longs morceaux de 19:45 (Obnoxia) et de 22:59 (Marsch der Waldgnome 1) et deux très courts de trois et deux minutes, on tenait là le LP de free-music parfait au niveau de l’équilibre instable, de la rage de jouer, de la folie et du désir. Mais il en a été autrement. Donc rattrapez-vous, car malgré tous les efforts réalisés parmi les plus jeunes générations, vous ne trouverez pas si facilement un tel assemblage aussi convaincant aujourd’hui !!

Urs Leimgruber Roger Turner Ribo Flesh (Oliver Schwerdt) Axel Dörner London Leipzig Luzern Euphorium CD EUPH 060a
http://www.euphorium.de/rubriken/records/ulondonleipzigluzern.htm
Axel Dörner (Untitled) Euphorium EUPH 060b (mini-CD) http://www.euphorium.de/rubriken/records/uberlin.htm
Urs Leimgruber (Untitled) Euphorium EUPH 060c (mini-CD) http://www.euphorium.de/rubriken/records/uluzern.htm
Leipzig London Berlin Axel Dörner Roger Turner Ra Ra da Boff (Oliver Schwerdt) Euphorium EUPH 047
http://www.euphorium.de/rubriken/records/ulondonleipzigberlin.htm

Publication originale (c’est le moins qu’on puisse dire) du label Euphorium de Leipzig, dirigé par le pianiste Oliver Schwerdt de Leipzig. Oliver est connu pour avoir travaillé et enregistré (sur le même label) avec Gunther Sommer, les bassistes Daniel Landfermann et John Edwards, le batteur Christian Lillinger en compagnie de qui il a travaillé et enregistré aux côtés d’Ernst Ludwig Petrowsky et de Peter Brötzmann. Plusieurs albums en trio ou quintet sont parus documentant ces collaborations. Comme je ne peux pas ratisser large vu les limites de mes finances, je vous ai dégotté quelques curieux témoignages de ce label Euphorium. Une espèce de quadriptique composé de deux minis CD solos et de deux improvisations réunies sur un vrai CD, London Leipzig Luzern, réunissant deux trios où alternativement le trompettiste Axel Dörner et le saxophoniste Urs Leimgruber sont confrontés aux paysages sonores de Rada Da Boff ou de Ribo Flesh et de la percussion raréfiée de Roger Turner. Rada Da Boff = Ribo Flesh = Oliver Schwerdt, vous l’avez compris. Les deux mini CD’s contiennent des solos « absolus » : Untitled (Berlin) de Dörner et Untitled (Luzern)de Leimgruber et le tout fut enregistré en 2015 à Leipzig avec des durées respectives de 17’49’’ et 13’59’’. Mini , c’est vraiment mini. Afin de meubler l’intérêt, Euphorium m’a gratifié d’un autre CD de 2013, Leipzig Berlin London avec Dörner/ Schwerdt/ Turner. Dans ces deux CD’s format « normal » emballé dans un simple pochette de papier fort ornée de photos de fleurs sauvages, Oliver Schwerdt joue des orgues électriques et des petits instruments dans l’EUPH047. On y trouve Leimgruber et Dörner dans leur démarche radicale de « méta-souffleurs » et un Roger Turner appliqué et ultra-précis percutant légèrement (avec baguettes de riz chinoises ou aiguilles à tricoter ? ), gratouillant ou secouant légèrement ses instruments métalliques. Oliver Schwerdt a, lui, adopté une démarche zen – drone, laissant le champ au trompettiste ou au percussionniste d’y insérer un brin d’animation un instant ou l’autre. J’entends quand même un peu de piano dans le trio EUPH047… ? Bref, il s’agit d’une musique avec des intentions radicales et jouées avec une belle décontraction et un sens déraisonnable du minimalisme. Il y a une certaine spontanéité… Les bruissements nuageux ou brumeux et les suraigus compressés de Dörner à la trompette varient clairement entre chaque enregistrement (2013 et 2015) et le saxophone soprano de Leimgruber est poussé à la limite de ses possibilités acoustiques. Des fragments de dialogues impromptus surgissent entre Turner et les effets de timbre et de souffle de Dörner, lesquels suggèrent des mouvements plus amples. Roger Turner est un musicien incontournable et exemplaire au niveau de la percussion dans ce type de musique improvisée ouverte et détaillée à l'infini. Après l’écoute qui commence dans l’interrogation curieuse, on se trouve agréablement surpris, satisfait et envieux de se replonger dans cet univers somme toute délicat et singulier où la musique naît de riens pour incarner sens et intentions sans défaut. J’espère ne pas égarer les deux mini-disc en solo d’une contenance presqu’égale à une face de LP vinyle, assez pour servir de carte de visite sonore au cas où vous voudriez fous faire une idée de la démarche instrumentale individuelle peu commune de ces deux souffleurs essentiels de l’improvisation, explorateurs émérites des timbres secrets de leurs tuyaux d’air… Le jeu d’Urs Leimgruber dans Untitled fausse et dérègle la colonne d’air en contraignant les aigus comme s’il s’agissant d’une machine venue d’ailleurs. Souffle organique, singulier, âpre, volatile et terrien. Le côté joli et décoratif auquel nombre de souffleurs cantonnent cet instrument est complètement oblitéré, pour une espèce de diatribe de canard sauvage ou de cacatoès perdu en haute mer… merveilleux.

Tristan Honsinger Small Talk Cristina Vetrone, Vincenzo Vasi, Luigi Lullo Mosso, Enrico Sartori, Edoardo Maraffa, Antonio Borghini, Cristiano De Fabriitis Setola di Maiale S4330 https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4340

Tristan Honsinger a résidé longtemps en Italie et a travaillé assez souvent avec une joyeuse bande de musiciens italiens improvisateurs irrévérencieux et impliqués dans des collectifs, comme ceux de Bologne dont font partie la plupart des musiciens présents lors de cette session enregistrée à Radiotre à Rome le 11 décembre 2007. Si la plupart des titres sont signés par le violoncelliste Tristan Honsinger, on y trouve de ci de là des « Small Talks » délirants inventés et dits par Vincenzo Vasi qui joue aussi de la theremin, Luigi « Lullo » Mosso,aussi contrebassiste et Cristina Vetrone. Leurs interventions théâtrales et textuelles improvisées sont typiquement péninsulaires et la musique est conçue pour coïncider avec la diction (parfois chantée) et la métrique, dans une forme narrative que ma connaissance active de l’italien ne permet pas d’en relever le cheminement. Mais j’en devine la bouffonnerie. Cristina Vetrone est créditée organetto et voix, Enrico Sartori, clarinette, Edoardo Marraffa, sax contralto et ténor, Antonio Borghini, contrebasse et Cristiano De Fabritiis, batterie. Il y a de courts passages free goûteux, une certaine légèreté et un sens de l’espace afin de mettre en valeur les dialogues. Borghini, Maraffa, De Fabritiis, Honsinger et Sartori alternent et rivalisent d’inspiration dans l’instant. Il leur suffit parfois d’un seul trait pour faire passer une idée ou un sentiment. On est là dans la suggestion, le narquois, le burlesque, le sournois et l’amusement sans prétention. On retrouve les traits marquants des compositions de Tristan Honsinger lorsque son archet suscite la pulsation avec son accentuation tout à fait particulière, catalysatrice. Certains de ses morceaux sont chantés par les deux joyeux drilles. La pochette est dessinée par Gianluca Varone, lequel a collaboré avec Tristan Honsinger dans une bande dessinée dont le musicien a écrit l’histoire (Wild Rice/ JBP). J’ajoute encore que plusieurs de ces musiciens sont des solides improvisateurs. Vincenzo Vasi est un super bassiste électrique et vient de publier un album fou avec « Lullo » Mosso, et Massimo Simonini dont je viens de rendre compte dans ces lignes (Fuoriforma/ Angelica). Antonio Borghini est devenu un des contrebassistes demandés sur la scène germanique (Kaufmann, Schlippenbach , Sequoia, Braxton Standards Quartet, Cristiano Calganile etc..). Edoardo Maraffa joue régulièrement en duo avec le pianiste Nicolà Guazzaloca et en trio avec Thollem McDonas et Stefano Giust, le responsable de Setola di Maiale. Quant au batteur, Cristiano De Fabritiis, il a acquis une véritable jeu free avec la dynamique nécessaire et intentionnelle. Un beau projet mélangeant la joie irrépressible, le délire ou la mélancolie.

Pandit Pran Nath Midnight – Raga Malkauns Just Dreams JD003 2CD 2002 avec Terry Riley et LaMonte Young
https://prannath.bandcamp.com/album/midnight-raga-malkauns

Double CD publié en 2002 par le compositeur LaMonte Young et l’artiste Marian Zazeela et trouvé par hasard dans un des magasins de disques et cd’s d’occasion parmi les plus légendaires en Europe : Hors – Série , rue du Midi 67 – 1000 Bruxelles. Ils vendent aussi DVD, livres (rares), bandes dessinées, partitions et CD's / vinyles classques, jazz , rock, musiques du monde, chansons etc.... C’est dans cette caverne d’Ali Baba qu’on peut faire des découvertes inespérées et à des prix tout à fait abordables. Ce magnifique témoignage du chant Khyal de la Kirana Gharana par Pandit Pran Nath son plus illustre et mystérieux chamane m’a seulement coûté 20 euros (80 € via discogs !!) contient deux versions du Raga Malkauns, enregistrées respectivement les 4 juillet 1971 à San Francisco et le 21 août 1976 à New-York City aux alentours de minuit et produites / publiées par LaMonte Young et Marian Zazeela sur leur label ultra-rare Just Dreams. Les enregistrements de ce chanteur puriste de la musique classique d’Inde du Nord se comptent sur les doigts de la main gauche, la droite marquant les temps avec la paume et le revers. Cet artiste exigeant insiste ardemment que chaque raga « interprété » le soit à l’heure requise, car il y a des ragas du matin, des ragas de mi-journée, de l’après-midi, du soir ou du milieu de la nuit. Ce double CD est un véritable scoop : la performance de juillet 1971 à San Francisco est accompagnée par Terry Riley aux tablas avec l’épouse de ce dernier, Ann Riley et la danseuse Simone Forti aux tamburas. Celle d’août 1976 nous le fait entendre avec le tabliste K.Paramjyoti et le tandem Marian Zazeela et LaMonte Young aux tamburas. Il faut dire que ces cinq artistes américains sont des élèves de Pran Nath. Il y a donc une filiation esthétique entre la musique de Riley et Young et la pratique de la musique indienne. Olivier Messiaen lui-même reconnaissait avoir été marqué par la musique de Raga et surtout JOHN COLTRANE qui imposait à son batteur, Elvin Jones, de s'inspirer du tabliste Alla Rakha, compagnon des défunts Ravi Shankar et Ali Akbar Khan. Dans un enregistrement de 1968 publié en 1982 par Gramavision (Ragas of the Morning and Night), le chanteur Pran Nath était accompagné par un joueur de sarangi, ce qui est aujourd’hui devenu tout à fait exceptionnel. Il existe aussi un autre CD de Pran Nath , Raga Cycle, publié cette fois par Terry Riley sur son label shrimoonshine et enregistré au Palace Theatre à Paris en 1972 en compagnie de Terry Riley aux tablas avec Zazeela et Young aux tamburas. Ce CD fut d’ailleurs trouvé chez Hors-Série , tout comme le vinyle U.S. Earth Groove de 1969 du même Pran Nath publié par le producteur Alan Douglas (Last Poets, J.Hendrix, Ellington-Mingus-Roach, Wildflowers Loft Jazz sessions). C’est vous dire le niveau de la boutique !! Riley et Young avaient vu leurs œuvres publiées dans deux albums mémorables du label parisien Shandar, lequel avait Albert Ayler à son catalogue (Fondation Maeght vol 1 et 2) mais aussi Cecil Taylor (Second Act of A), Sun Ra et .. un LP de Pandit Pran Nath… enregistré à Paris avec LaMonte Young et qui s'échange en bon état pour une somme entre 70 et 200 € . Un quidam réclame 104 USD pour une copie pirate... a-t-il la moindre idée de cette musique ?
Que dire de plus que ce chant indien classique dit « khyal » qui gravite et oscille indéfiniment autour d’une tonique et d’une dominante immuable en s’insinuant irrésistiblement sur les trois, quatre ou cinq notes de la gamme du raga en glissant d’une à l’autre par des cheminements – arcanes à la fois simples et complexes, est assurément une des manifestations les plus extraordinaires de la voix humaine et du chant musical. Que dire alors du chant Dhrupad, plus « archaïque » ? Mais cela est une autre histoire. Cette faculté vocale qui consiste à tenir une note en l’augmentant ou la descendant presqu’insensiblement avec un glissement d’une infime fraction de la tonalité en utilisant certains intervalles spécifiques à chaque Raga est absolument fascinante et constitue la base de cette musique dans ses facettes instrumentales. Le Raga Malkauns est un des Ragas parmi les plus essentiels et les notes de pochette sont très précises à ce sujet ainsi que pour le contenu culturel et sémantique, le texte du chant. On comprend très vite que l'artiste et les producteurs sont infiniment concernés avec le sens profond et les valeurs spirituelles constitutives de cette musique et des faisceaux de sens qui en émanent. Le public mélomane occidental connaît évidemment les instrumentistes Ravi Shankar, Ali Akbar Khan ou Hariprasad Chaurasia et un peu moins un chanteur comme Bhimsen Joshi. Mais il ignore des phénomènes comme Pandit Pran Nath ou les « frères » Dagar, les quels furent quatre et, avec leurs cinq autres cousins, les maîtres du Dhrupad de la Dagarvani, une des musiques les plus fondamentales de l’humanité. Bref, dans un temps où certains producteurs U.S. osent publier des double, triple ou même septuple vinyles coûteux voire luxueux d’artistes essentiels du free-jazz (Cecil Taylor & Bil Dixon, NYAQ – Tchicaï/Rudd/Workman/Graves ou Frank Lowe Out Loud ! chez Triple Point Records, Brötzmann-WParker-Milford Graves aux Black Editions Archives, l'intégrale Albert Ayler à la Fondation Maeght intitulée Revelation d'Elemental Records en 5LP's pour le Record Store Day) dont les coûts d’importation font « skyrocketter » leurs prix au-delà du raisonnable pour le commun des mortels, je préfère consacrer mon budget disques à dénicher des merveilles de ce genre chez des commerçants humanistes qui veillent à ce que leurs prix affichés ne constituent pas une moquerie sarcastique des conditions d’existence étriquées de nombre d’entre nous, musiciens improvisateurs compris. Et cela pour découvrir des artistes qui n'en n'ont que faire du bourdonnement de la réussite sociale et des convenances, tant ils sont plongés de leur univers sans aucune concession mercantile, mondaine, ni la moindre prétention
Thierry Syfer, réputé pourtant être un solide homme d’affaires, et son collègue d’Hors-Série, Luc, proposaient ce magnifique CD Midnight Raga Malkauns à un prix tout à fait raisonnable de 20 € , vu sa rareté, quatre fois moins élevé que sur le marché des vendeurs indépendants fédérés par la plate-forme Discogs ou E-Bay. Au diable, les snobs, les spéculateurs et collectionneurs complétistes obsessionnels ! J’ai aussi trouvé la boîte The Heavy Weight Champion – John Coltrane Complete Atlantic 7CD pour 35 € quasi-neuve chez Pêle-Mêle Waterloo, ainsi que 1963 : New Directions de John Coltrane 3CD Impulse avec des enregistrements de concert en bonus pour 12€, le double CD Impulse Love Supreme avec l’enregistrement live de Love Supreme d’Antibes 1965 pour 10 € et l'extraordinaire 80 Minutes Raga 2CD d'Ali Akbar Khan de 1969 jouant le majestueux Raga Darbari Kanada publié sur son label AMMP pour la somme de 7,50 €. Thierry d’Hors Série m’a vendu The Final Tour Bootlegs Series Vol.6 de Miles Davis – John Coltrane (4 CD CBS – Sony) avec les concerts de la tournée de 1960 à l’Olympia, Tivoli Gardens et Stockholm pour seulement 22 €. On n'a jamais fini d'écouter Coltrane et les grands chanteurs d'Inde du Nord !! Camarades improvisateurs, révoltez-vous ! Conspuez la cuscunisation chronologiste complétiste aveugle des albums préférés de nos grands maîtres à jouer disparus (Coltrane, Ornette, etc..) et l’élitisme hyper luxueux « posh » vinylique (aiiiie les frais d’envois et de douane !) de ce réseau sélect de Prof d’Univ pontifiants, vedettes rock « d’avant-garde », collectionneurs obsessionels fortunés, spéculateurs avides, galeristes friqués, et autres fils à papa qui trustent les trésors sonores (et trébuchants) de nos artistes légendaires à la lueur de leurs projets mythomanes. On se souvient de la boîte "Holy Ghost" bourrée d'inédits d'Albert Ayler, parfois inaudibles et/ou dispensables avec quelques perles... publiées d'ailleurs avec un texte qui ignorait volontairement ... Sunny Murray... très mal vu par le représentant légal des ayant droits malgré le fait que ce batteur a joué un rôle incontournable dans la saga aylérienne
D'abord, le modèle vinylique cossu va à contre courant des circonstances économiques qui font que le coût des transports est en hausse constante et que le poids du vinyle renchérit les frais d'envoi, surtout par delà l'Atlantique. Un exemple concret: le label Black Editions Archives facture 30 USD l'envoi du double album Historic Concert Past Present Future de Peter Brötzmann - William Parker - Milford Graves (2LP à 40€ d'une grande qualité si j'en crois la seule face du double album en streaming). En y ajoutant les frais de douane et la TVA douanière, on arrive à un total qui avoisine les 100€ et cela pour une heure de musique qui peut être contenue sur un seul CD beaucoup plus léger et nettement moins coûteux. Les documents sur la musique de Milford Graves sont assez clairsemés ... cette édition limitée inaccessible est assez frustrante par rapport à l'amour inconditionnel qu'on porte à un artiste qui a défini le free drumming de manière aussi virtiginieuse qu'irrévocable. Question : Milford jouait-il pour les riches ??
J’ai grandi à l’époque où de nombreux artistes rebelles comme Peter Kowald, Alex von Schlippenbach, Han Bennink, Misha Mengelberg, Evan Parker, Derek Bailey, Harry Miller et Leo Smith tenaient absolument à ce que leurs albums - manifestes publiés sur leur propre label soient disponibles à des prix raisonnables, distribués intelligemment et réédités régulièrement. Cette attitude était sous tendue par un esprit solidaire et une réflexion sociale engagée. Je me souviens avoir payé 220 francs belges (5,50€) pour un album du label ICP (Bennink- Mengelberg) et à peine 300 bef, ou même 2,99 £, pour les vinyles Incus (Evan Parker-Derek Bailey). L’art pour le peuple, les improvisateurs étant pour la plupart issus de la classe des travailleurs !! Aujourd’hui encore, Martin Davidson d’Emanem proposent ses CD’s à 11 ou même 7 euros et un tarif d'envoi postal minime. Certains acteurs actuels du marché du disque « free-jazz » ont une vision issue directement du « marché de l’art » en complète contradiction avec les fondements et les valeurs de cette musique improvisée dont la grande majorité des praticiens rament avec beaucoup de difficultés. Ajoutons encore que les zélateurs exclusifs et maniaques des "artistes géniaux" au détriment des artisans de première grandeur peu connus (d'eux mêmes à cause de leur inculture, bien souvent) méprisent ou maltraitent avec une condescendance bourgeoise les musiciens "qui n'ont pas réussi", - on se demande bien quoi, d'ailleurs. Faisons vibrer leurs tours d’ivoire discographiques mercantiles jusqu’à ce qu’elles s’effritent irrémédiablement et s’effondrent dans les eaux glacées du calcul égoïste. Plus un balle aux marchands du Temple ! Vive la musique vivante ! À bas sa réification élitiste et idolâtre !

17 février 2022

LAWRENCE CASSERLEY BRUSSELS HAEKEM RESIDENCY 11th & 12th March with Audrey LAURO, Piroska VISNYEI, Guilherme RODRIGUES, Istvan DROESHAUT, Jean DEMEY & J-M Van SCHOUWBURG

LAWRENCE CASSERLEY RESIDENCY @HAEKEM, BRUSSELS 11-12 March : SIGNAL PROCESSING INSTRUMENT in Improvisation Musics.
Born 1941, Lawrence Casserley is a British Composer and Improviser involved in Processing (the Signal) of acoustic sounds of fellow instrumentalists, singers and improvisers in Real Time through his own designed electro-acosutic installation with computers, devices and his own programmed softwares based on MaxMsp. He was Professor in Electronic Music at the London Royal College of Music during + 25 years. Director of the ColourScape, an unique, installation of inflatable multi-colored sculptures, a legendary U.K. migrating event - performance on urban sites and parks all around the country, sometimes on hundreds of meter squares. Lawrence has worked intensively in Evan Parker Electro-Acoustic Ensemble in different EU countries from 1995 to 2008 and they recorded six landmark albums for the ECM label. He performed and recorded in duos, trios and quartets with Evan Parker, Barry Guy, Joel Ryan and Paul Lytton, touring in Japan w Parker, Ryan and Lytton in 2000. His most fascinating recordings and works include Integument with double bassist Adam Linson, Garuda with violinist Phil Wachsmann, Isla Decepciòn with Sverdrup Balance - pianist Yoko Miura & singer J-M Van Schouwburg. Two players invited in L.C.'s Residency Concerts have developped deep musical ties with him : alto saxophonist Audrey Lauro and his MouthWind duo partner Jean- Michel Van Schouwburg Audrey performed some great concerts w Lawrence in London and Brussels and they have recorded a duo due to be issued in a next future. From 2007, Lawrence and Jean-Michel have developped a long standing collaboration as a duo (MouthWind) and with other musicians as violonist Phil Wachsmann, clarinettist Jacques Foschia and pianist Yoko Miura with who they recorded two CDs and toured UK, Belgium and Italy.
Lawrence Casserley (GB), Signal Processing Instrument, is an unique processing sound designer improvising with other musicians in real time. Here :
Audrey Lauro Alto saxophone (France) / Piroska Visnyei Voice / Guilherme Rodrigues Cello (Portugal) Istvan Droeshaut Violin / Jean Demey Double Bass (on 12th only)/ Jean-Michel Van Schouwburg Voice.
Musicians will perform enhanced by & transformed through Lawrence Casserley’s own Signal Processing Instrument + one acoustic trio each day.
11th March 8PM :
- Jean-Michel Van Schouwburg - Istvan Droeshaut - Guilherme Rodrigues
- Lawrence Casserley - Piroska Visnyei - Guilherme Rodrigues
- Duo Audrey Lauro - Lawrence Casserley

12th March 8 PM :
- Audrey Lauro - Piroska Visnyei - Lawrence Casserley
- Istvan Droeshaut - Guilherme Rodrigues - Jean Demey
- Lawrence Casserley - Guilherme Rodrigues - Istvan Droeshaut - Jean-Michel Van Schouwburg


HAEKEM THEATRE Rue de Laeken 66 - 1000 Brussels https://haekem.blogspot.com/ Doors at 7:30 PM Music : 8PM Entrance Free donation.

Audrey LAURO : Études musicales et Philologie Slave. Composition et saxophone au Conservatoire de Bruxelles - Département Jazz. Évolue dans la scène Belge et internationale de jazz et d'improvisation en se consacrant à la recherche sonore tout en créant son projet art-rock Bambeen Grey fin des années 2000. Tourne en France, G-B, Belgique, Norvège, avec de nombreux improvisateurs : John Russell, J-M Van Schouwburg, Lawrence Casserley, Florian Bergmann, Mia Zabelka, Ståle Liavik Solberg, Veryan Weston et Gotis Diamandis avec qui elle a enregistré en duo (LP Dark Ballads). Projet Wolves avec une équipe d'improvisatrices féminines et la chanteuse Maggie Nicols aux Ateliers Claus. Lauroshilau avec la pianiste Pak Yan lau et la percussionniste Yuko Oshima (CD paru). Utilise de nombreuses ressources sonores, musicales et expressives du saxophone alto dans le flux de l'improvisation libre. Groupe La Nuée .


D'origine hongroise, Piroska VISNYEI obtient en 1993 une licence en musicologie à L'ULB. Par deux de ses professeurs, Madame Daloze et Myriam Beugnies, elle reçoit l'enseignement de la méthode de chant du professeur parisien Madame Rex. Dans cette voie elle poursuit ses études avec le ténor argentin Carlos Belbey et le ténor urugayen Antonio Leonel Cañete et plus récemment avec le ténor Zeljko Manic. A été membre de plusieurs chœurs et ensembles vocaux en y assumant toujours un rôle de soliste. Elle est admise dans les chœurs supplémentaires au Théâtre de la Monnaie.
Aujourd'hui en plus des airs d'opéra et d'airs baroque , elle travaille le répertoire du lied allemand, hongrois ainsi que de la mélodie française avec le pianiste Pierre Droeshaut et avec le pianiste finlandais Jaako Helske. Ensemble, ils ont constitués un répertoire de lied de Sibelius en finnois et suédois . Parallèlement elle développe tout un répertoire de chant tsigane hongrois qu'elle interprète soit 'a cappella' soit avec un ensemble tsigane classique. Dans sa quête du son, elle a toujours pratiqué l'improvisation voix ainsi que l'impro libre au piano.


Guilherme RODRIGUES is a cellist, improviser, sound explorer and composer from Lisboa, Portugal.
He was born in 1988 and started to study cello and trumpet when he was seven at Orquestra Metropolitana de Lisboa and later in Conservatório Nacional de Música de Lisboa to study classical and music theory until his twenty-three.
With an intuitive approach to improvisation and exploration of the timbres, 
using both classical and extensive techniques, his music is exciting, polyrhythmic and full of contrasts. His work probes the physicality of the space in which listening occurs. His music, comprising both acoustic and electro-acoustic works has been described as delicate, intense, focused and physical. 
Apart from work in music ensembles ranging for contemporary classical to free improvisation, he often works with dancers. Has created music aswell for theater, radio, television and silent film.
He is part of Creative Sources Recordings record label, music director of Hosek Contemporary Art Gallery and active member of Reanimation Orchestra.
Has been following a professional career in music since 1997 and performs in concerts and workshops around Europe and Asia. Currently living in Berlin.

Active as composer and improviser sharing the stage with the dancers Valérie Métivier, Yuko Kaseki, Gianni Penna, Catalina Lans, Hany Park, Catalina Lescano, Coline Tanzt, Gio JU and with musicians like Ernesto Rodrigues, Jean-Luc Guionnet, Alexander von Schlippenbach, Tristan Honsinger, Axel Dörner, Sei Miguel, Harri Sjöström, Michel Doneda, Fred Longberg-Holm, Jeffrey Morgan, Mia Dyberg, Klaus Kurvers, Gabriel Paiuk, Blaise Siwula, Gino Robair, Michael Thieke, Wade Matthews, Ame Zek, Leonel Kaplan, Tom Djll, Birgit Ulher, Sharif Sehnaoui, Christine Abdelnour, Isabel Duthoit, Carlos Zingaro, Nuno Rebelo, Nuno Torres, Naoto Yamagashi, Heddy Boubaker, Gerhard Uebele, Guillermo Torres, Tomas Gris, Carlos Santos, Bruno Parrinha, Miguel Ivo Cruz, Alberto Cirera, Nuno Morão, Heather Frasch, Mark Sanders, Raymond Macdonald, Neil Davidson, David Stachenas, Lisa Ullén, D'incise, Cyril Bondy, Miguel Mira, Abdul Moimême, Rodrigo Pinheiro, Matthias Bauer, Christian Wolfarth, Kurt Liedwart, Ilia Belorukov, Andrew Lafkas, Eric Wong, Magda Mayas, Carl Ludwig Hübsch, Joker Nies, Matthias Muller, Alexander Frangenheim, Vasco Trilla, Hui-Chun Lin,Ingólfur Vilhjálmsson, Sarah Saviet, Maria Luchese, Richard Scott, Ido Bukelman, Johnny Chang, Emilio Gordoa, Rieko Okuda, Adam Goodwin, Samuel Hall, Simon Rose, Olaf Rupp, Philippe Lemoine, José Oliveira, Luís Lopes, Hernâni Faustino, Biliana Voutchkova, Fred Marty, Gabriel Ferrandini, João Silva, Marco Scarassatti, Yorgos Dimitriadis, Bertrand Denzler, Paulo Curado, Nicola Hein, Luís Vicente, Tom Malmendier, Mike Majkowski, Albert Cirera, Karoline Leblanc, Paulo Ferreira Lopes, Raoul van der Weide, Ricardo Guerreiro, Ulrich Mitzlaff, Paulo Galão, Ramon Lopéz, Adam Pultz Melbye, Paul Pignon, Klaus Janek, Yedo Gibson, Christophe Berthet, Fredrik Rasten, Bryan Eubanks, Dietrich Petzold, André Hencleeday, Andrew Drury, Harald Kimmig among others. Released more than 50 albums of his own projects.

Istvan DROESHAUT commence le violon à l'âge de 4 ans, bien plus tard, il suivra des cours à l'Imep de Namur en section jeune talent avec comme professeur Marc Danel(premier violon du quatuor Danel) et ensuite comme bachelier avec Gilles Millet (second violon du quatuor Danel).
Musicien hétéroclite, il s'intéresse à d'autres genres musicaux comme le blues et le jazz et apprends d'autres instrument en chemin (harmonica, guitare). Il poursuit son exploration dans le milieu de l'improvisation , élément qu'il a toujours recherché dans son approche de la musique. Istvan développe une relation intensément physique, organique avec le corps boisé du violon, sa résonance, la tension des cordes et le grain du son.

Jean-Michel VAN SCHOUWBURG improvising singer born 1955 Belgium - develops vocal improvisation and voice extended techniques : jodels, deep throat singing, falsetto, mouth noises, imaginary languages, etc… He coined the word « phonoetry » (phonésie in french) to describe the kind of poésie sonore in his solo voice performance « ORYNX ». Believes in and pratices free improvisation by mutual listening and imagination. Performed as a free improviser with John Russell as a duo, Kris Vanderstraeten & Jean Demey in Sureau, Lawrence Casserley & Yoko Miura as Sverdrup Balance, Ivo Perelman, Günter Christmann, Sabu Toyozumi, Audrey Lauro, Adam Bohman, Zsolt Sörès, Benedict Taylor… Toured in Great Britain, Italy, Germany,Hungary, France, Slovakia, Italy & Austria. Recorded around fifteen cd’s. www.orynx.bandcamp.com and http://soundcloud.com/jean-michelvanschouwburg

Jean DEMEY double bass Born 1953 Brussels, since the late sixties, Jean Demey learnt jazz bass with bass players Paul Van Gijsegem and Hein Van Der Gein. He took part in the first improvised music festivals of the WIM collective in ’73 and ’74 with the trio of free music legend Kris Wanders. He opened for the Brötzmann Van Hove Bennink and Schlippenbach / Parker/ Kowald / Lovens groups. Toured Belgium, Netherlands and Germany with the groups of Alfred Harth and Kees Hazevoet. Played with Kris Joris, André Goudbeeck, Noah Howard, Beaver Harris, among others. Lived in California and Australia while working as a free-lance musician. Since the late eighties, european tours with World Musique Company of dedicated tabla player Pierre Narcisse and Luk Mishalle projects. With the Moroccan singer and lute player Hassan Erraji and Narcisse, Jean Demey performed around three hundred concerts all over Europe as Arabesque Trio. He learnt to play darbukka and daf professionnally, teaching oriental percussion in his own workshops. Worked also with West African kora player N'Faly Kouyaté and Turkish musician Mahir Dezerdi. Toured with raï singers Cheb Mimoun and Cheb Kader with an electric bass.
His craft and sensitivity are revealing the organic nature and the densities of the big violin’s strings rather than a display of techniques. As a free improviser, Jean recorded and toured in Sureau trio with J-M Van Schouwburg & Kris Vanderstraeten, Kind of Dali with Ove Volquartz & Luc Bouquet, 876 + with Marcello Magliocchi, Matthias Boss & J-M VS, and many other players like Yoko Miura Jacques Foschia, Cel Overberghe, Mike Zinzen and the group Embryo.

4 février 2022

Paul Dunmall Jonathan Impett Andrew Ball Paul Rogers Phil Gibbs/ Stepanida Borisova & Pavel Fajt/ Frédéric Leroux Frans Van Isacker & Kris Vanderstraeten

Undistracted Paul Dunmall Jonathan Impett Andrew Ball Paul Rogers Phil Gibbs FMR CD614-721


Pour se faire une idée précise où se situe et dans quelle direction esthétique se dirige Paul Dunmall et ses associés, qu’ils soient d’un jour (Jonathan Impett trompette , Andrew Ball piano) ou installés à demeure (Paul Rogers contrebasse, Phil Gibbs guitare), il faut le suivre à la trace CD après CD à travers ses innombrables albums. Si la musique est jouée de manière égalitaire et collective dans une écoute mutuelle permanente, c’est bien Dunmall qui avait invité ces quatre collègues issus du jazz contemporain (Rogers et Gibbs) et de la musique classique, baroque pour Jonathan Impett et contemporaine pour Andrew Ball. Cette session de 2004 avait été initialement publiée par la série en édition limitée « Duns Limited Edition » de Paul Dunmall, mode « cottage craft » avec une superbe lithographie en noir et blanc sur le recto de la pochette, réalisée par le saxophoniste, ici au ténor et au soprano. La chimie créative du groupe respecte les ingrédients esthétiques et personnels de chaque individu et on est frappé par la précision et la lisibilité des échanges, interactions et correspondances évidentes ou secrètes de ce quintet bien singulier qui échappe aux clichés et idées toutes faites de la vulgate du free-jazz. Réédition bienvenue au niveau de la documentation car que je sache, il se passe des choses au niveau musical bien différentes des albums « habituels » réunissant Dunmall, Gibbs et Rogers. Une façon d’étaler la musique dans le temps, l’absence de batterie, le rôle du pianiste, ce travail en canon des voix instrumentales et la tournante des dialogues successifs et imbriqués entre chaque instrument, l’un vis-à-vis de l’autre. Chacun accède à la prépondérance d’un instant à l’autre. Variantes, répétitions, insertions, interruptions, relais, échos, unissons, chacune des improvisations collectives autour du quart d’heure s’inscrivent dans une suite mentale et sensible où s’inscrit un renouvellement des sons, des équilibres, de l’approche musicale dans une solution de continuité dans la diversité. Comme si chacun se souvenait de ce qu’il avait déjà joué et proposait d’autres aspects au niveau des formes fugaces et du contenu sonore, mélodique et textural. C’est de toute évidence spontané, mesuré, réfléchi et aventureux. Bref, du grand art où le noyau de base dunmallien (Paul D, Paul R et Phil G) démontre sa capacité à se projeter dans d’autres univers dans une démarche de rencontre. L’occasion, aussi, de découvrir ce magnifique trompettiste, Jonathan Impett avec sa sonorité pure, ses intervalles casse-cou (dodécaphonique) et ses aigus d’une belle pureté qui tranche sur la basse à six cordes de Paul Rogers. Dunmall a restreint son expressionnisme explosif et le guitariste contient l’électricité pour des couleurs nuancées.

Algys Stepanida Borisova – Pavel Fajt Indigenous Lifeforms ILRLP 002 Vynile transparent

Un autre extraordinaire document paru sur le label Indigenous Lifeforms en vynile transparent illustrant magnifiquement le chant, la musique et l’expérience humaine de la chanteuse yakoute Stepanida Borisova. J’ai déjà attiré l’attention récemment sur l’album Siberia Extreme d’une autre chanteuse yakoute, Chyyskyrai, en compagnie de Ken Hyder et Tim Hodgkinson paru lui aussi sur le même label Indigenous Lifeforms (ILRLP 001). Pour Algys, Stepanida Borisova est accompagnée par le percussionniste tchèque Pavel Fajt, connu pour avoir travaillé intensément avec sa compatriote, la chanteuse Iva Bittova. Ne croyez pas que la musique de cette chanteuse soit du « folklore » ou qu’elle fasse partie d’une tradition codifiée et surannée. À l’écouter attentivement, on est convaincu qu’il s’agit d’une expression authentiquement contemporaine, audacieuse par ses techniques vocales et l’intensité de son port de voix et des inflexions organiques de son chant issu tout droit de la communion avec les esprits et du vent glacial qui souffle dans les forêts impénétrables de sa Yakoutie natale. Cette république sibérienne de la Fédération de Russie se situe à l’extrême Nord Est du continent asiatique pointant vers les rives des banquises de l’Arctique. Une des régions les plus froides du monde.
Sa musique est inspirée par le chamanisme et la spiritualité des Sakha. Pavel Fajt et ses percussions très variées s’insèrent parfaitement avec la chanteuse : il a absorbé les rythmes décalés et tournoyants de cette musique avec un magnifique dynamisme et un grand respect pour l’expression vocale de cette chanteuse exceptionnelle. Stepanida Borisova est une chanteuse et actrice au Théâtre Sakha à Yakutsk, la capitale de la République de Sakha-Yakutia, en Sibérie du Nord. Sa grande réputation comme chanteuse et maestra de l’improvisation lyrique Tojuk, un style improvisé basé sur la narration épique traditionnelle Olonkho et Algys, un genre sacré, font d’elle une artiste incontournable dans la culture et la musique de cette partie de la Sibérie. Le Tojuk a deux styles fondamentaux, le dierettii yrya chanté de manière mélismatique et florissant, et degeren yrya, un chant rythmique et mesuré, exécuté sur des métriques spécifiques. Ces deux styles utilisent les ornements avec effets de glotte kylsakhs. Stepanida est à la fois experte du repertoire Sakha de l’ère Soviétique and et championne de l’antique idiome improvisé and spirituel de l’ olonkho et du chant chamanique. Dans cet album Algys, Stepanida Borisova exécute avec passion un épisode complet d'Algys. Du point de vue de l’auditeur Européen, on est frappé par la puissance vocale, expressive, comme si c’était un esprit invisible qui parle et anime le corps et la voix de la chanteuse. Ses inflexions très spéciales la rapprochent du courant des vocalistes contemporaines qui transforment la voix humaine pour la faire renaître dans une nouvelle dimension sonore et imaginaire / imaginative. La dynamique rythmique de Pavel Fajt imprime un surcroit d’authenticité dans les moindres détails de ces frappes, sons et cadences. Plus qu’un album réussi, une véritable tranche de vie, une expérience humaine exceptionnelle !!
Pour le commander veuillez attendre que son éditeur l'installe sur le compte bandcamp d'Indigenous Lifeforms : https://indigenouslifeforms.bandcamp.com/

Als ik niets meer van de kano zie Frédéric Leroux Frans Van Isacker Kris Vanderstraeten aspen edities.
https://aspenedities.bandcamp.com/album/als-ik-niets-meer-van-de-kano-zie

Un superbe album vinyle avec pochette art abstrait colorée pour un trio d’improvisation méticuleux, coloré et chercheur de sonorités et d’actions interactives introspectives. Du point de vue sonore – hi-fi, la prise de son est parfaite, très professionnelle et il ne pouvait en être autrement, tant leur musique d’improvisation libre n’existe et ne se réalise auprès de celui qui écoute par une audition intense et attentive du moindre détail des sons, des touchers, des textures, des résonnances. Frédéric Leroux manie sa guitare avec la même distance oblique et cette suprême attention à la qualité du toucher, de l’orientation du plectre, de la dynamique et du maniement précis des pédales électroniques dans des cycles de spirales échancrées et fragmentées auxquelles s’accrochent et oscillent le souffle appliqué et accentué « anti soliste » de Frans Van Isacker, un as du sax alto qui a une connaissance approfondie et experte du jazz moderne et des spécificités secrètes de son instrument. Il évite soigneusement de s’envoler en gesticulant dans les harmonies complexes comme il le ferait s’il jouait le jazz post bop « and beyond » pointu à la Tristano – Konitz dont il est un véritable expert. Il plie ses notes comme s’il tordait le tuyau à la sortie du bec… Le but ultime et unique de leur musique est l’écoute mutuelle et la création collective dans l’instant dans la simplicité et la complexité conjuguées. Et pour ce faire, la participation à la fois discrète et astucieuse du percussionniste « bricoleur » Kris Vanderstraeten est indispensable. Celui-ci explore les surfaces de ses instruments que nous qualifieront d’hétéroclites, « fait-maison », assemblés de bric et de broc avec des objets recyclés et des tambours (chinois) sélectionnés, du brol en Bruxellois. Il s’agit en fait de la méta-batterie jouée dans une optique où les bruits de toutes natures sont intégrés au discours musical fait de notes et éventuellement d’harmonies révélées par cette écoute attentive. Cette démarche fait découvrir à l’auditeur des aspects magiques auxquels les improvisateurs eux-mêmes n’avaient pas imaginés ou ressentis. Frédéric d’ailleurs, adapte des tiges ou fils métalliques au travers des cordes faisant osciller une sonorité métallique irisée et chevrotante qui illumine les crissements sur les cymbales de son collègue. Au fil des morceaux, assez courts en général, le souffleur et le guitariste introduisent des éléments formels et sonores nouveaux alimentant l’exigence de l’auditeur, multipliant la variété des climats dans lesquels l’imagination du percussionniste se laisse aller à ses délires favoris. Il tape peu sur ses peaux (mode pulsatoire banni !), mais agite, frotte, gratte et titille les objets et accessoires ou actionne éventuellement des roulements improbables sur ses ustensiles amortis et métaux curieux… Cette pratique musicale se situe aux antipodes de la lingua franca du free-jazz. Intuitive Music ? Fourrez-les sous les étiquettes drone, soft- noise, ambient, soundscapes etc… si ça vous chante… Je n’hésite pas à dire que leur musique est un modèle du genre et, au niveau de la Belgique, un des groupes les plus représentatifs d’une manière radicale d’improviser issue de ces temps lointains où des groupes légendaires, AMM, M.I.C. (ques aquo ?), Iskra 1903, etc… effrayaient les suiveurs inconditionnels du free-jazz le plus agressif. J’ai acheté les files digitaux de l'album pour 10 euros, mais je ne peux résister à commander leur vinyle quoi qu’il m’en coûte. Fantastique !!

22 janvier 2022

John Butcher Dominic Lash & John Russell/ Patrizia Oliva Roberto Del Piano & Stefano Giust/ Hideaki Shimada / Ola Rubin & Martin Küchen

John Butcher Dominic Lash John Russell But Everything now left before it arrived meenna – 962
https://dominiclash.bandcamp.com/album/but-everything-now-left-before-it-arrived

Un album récent produit par Dominic Lash en quartet sur son label Spoonhunt, rassemble ces trois improvisateurs avec le batteur Mark Sanders : Discerment, enregistré en janvier 2020 au Café Oto. Tout comme les derniers albums de John Butcher avec Steve Beresford (Paradise Airs/ Illuso), avec Barre Phillips et Ståle Liavik Solberg (We Met and Then/ Relative Pitch), John Edwards et Mark Sanders (Last Dream of the Morning/ Trost), Jennifer Allum, Ute Kanngiesser et Eddie Prévost (Sounds of Assembly/Meenna), Phil Minton et Gino Robair (Blasphemious Fragments/Rastascan), Sharon Gal and David Toop (Until the Night Melts Away/Shrike Records) ou Veryan Weston, Oyvind Storesund et Dag Erik Knedal Andersen (Mapless Quiet/Motvind), ce Discernement a été commenté dans ces lignes. Bien que j’essaie de diversifier les musiciennes et musiciens discutés ici, on arrive souvent à retomber sur John Butcher en matière d’improvisation libre. En fait John Butcher s’adapte « soniquement » aux formations auxquelles il contribue en évitant le flux et le phrasé du soliste au saxophone et en élargissant sa palette sonore pour s’insérer dans l’ensemble, à l’opposé du rôle acquis par les saxophonistes free comme solistes « supportés » par les autres. Il faut ajouter que la démarche de J.B. avec ces deux instruments, soprano et ténor, coïncident et découlent l’un de l’autre et vice et versa, extension de leurs possibilités sonores respectives. On retrouve cette attitude esthétique chez deux autres de ses brillants confrères, Urs Leimgruber, qui ,lui aussi joue du ténor et du soprano, et Michel Doneda dont l’absence dans les festivals français importants étonne et interloque les connaisseurs. Car tout comme Butcher, on le retrouve dans des enregistrements produits ou réalisés à l’autre bout de la planète tant son apport musical au niveau du saxophone contemporain est unanimement approuvé et reconnu. Heureusement pour ces musiciens britanniques, leur(s) scène(s) est fort inclusive et solidaire et de nombreuses personnalités maintiennent des ponts et des va et vient entre les différentes écoles musicales, créant ainsi un véritable sentiment de communauté. Aussi ce « But Everything now left before it arrived » nous permet de retrouver John Butcher avec son mentor et camarade de ses tout débuts, le guitariste John Russell, spécialiste de la guitare acoustique et de ses secrets sonores faits d’harmoniques et de clusters décomposés et réinsérés dans un narratif atonal cristallin et pointilliste. Les deux compères ont développé une musique improvisée avec le violoniste Phil Durrant qui a joué un rôle incontournable pour mettre l’improvisation radicale exploratoire entre 1983, année de la fondation du trio jusqu’en 1996. Les deux musiciens ont le don de créer un équilibre dynamique aussi contrasté qu’empathique, se distinguant l’un de l’autre au niveau des propositions sonores autant qu’ils se complètent, sans doute, par la profondeur et l’originalité de leur jeu respectif. John Russell eut un rôle tout aussi incontournable en programmant mensuellement sa série de concerts « MoPoMoSo » où étaient invités trois ou quatre groupes différents entre 1991 jusqu’à sa mort l’année dernière, après avoir déjà organisé des séries depuis 1974 sans interruption. Son ouverture d’esprit et son enthousiasme ont permis à un très grand nombre d’improvisatrices et improvisateurs émergents de se faire entendre et de créer des connections. Le contrebassiste Dominic Lash s'est révélé plus récemment aux côtés de Phil Wachsmann (Imaginary Trio/ Bead), Chris Cundy (Two Pumps Together/ Creative Sources), Axel Dörner & Roger Turner (Tin/Confront), Javier Carmona, Alex Hawkins, A,ngarhad Davies, Alex Ward, ... mais aussi Nate Wooley, Joe Morris, Denman Maroney, etc lors de son séjour New Yorkais. Bref si vous le suivez à la trace, vous allez rencontrer des artistes pointus parmi les plus remarquables de la scène actuelle avec des démarches différentes les unes des autres. La contrebasse de Dominic Lash s’inscrit à merveille dans la merveilleuse musique de chambre de ce trio.
Une démarche d’impassibles explorateurs des résonances et textures cachées dans les recoins et marges de leurs instruments. Chacun truste plusieurs des composantes essentielles de la musique instrumentale : sonorités, influx des pulsations et cadences, interrelations harmoniques, et des variations de formes et de suggestions mélodiques dans tous les ordres et désordres possibles et imaginaires. Une musique aussi abstraite que gestuelle tout comme les gestes s’expriment visuellement dans la peinture abstraite. Leur parcours sonore kaléidoscopique durant ce concert du 10 décembre 2010 lors du GIO Fest III à Glasgow nous livrent une masse de détails, d’éclairages, de perspectives, d’atmosphères parmi les plus variées tout en maintenant en permanence la cohérence profonde du son d’ensemble du groupe , collectivement et individuellement. Cinq pièces dans les 9,5, 7, 6 et 11 minutes et quelques sont enfilées avec l’aplomb d’une œuvre d’un seul tenant. Leur concentration et leur minutie nous attire dans ce culte innocent et bienfaiteur de l’écoute intensive. Le va et vient irrégulier et circulaire du plectre de John Russell ébauche des épures d’arabesques alors que les vibrations de la colonne d’air du soprano ou du ténor sont carrément compressées, fragmentées, étirées voire tire-bouchonnées en spirales elliptiques ou bourdonnements bruitistes. Les frottements et manipulations des cordes, de la touche du contrebassiste procurent un effet de sympathie sonore et de liaison subtile entre les deux instruments rattachant les deux improvisateurs volatiles à la terre ferme. Quand il semble qu’on ne l’entend pas, la présence de Dominic Lash se fait sentir et quand son jeu s’impose dans le champ auditif c’est pour mettre en valeur ses camarades. Glissandi soyeux et vibrants ondoyants comme le souffle de la terre, matière malléable à souhait à l’opposé des crissements et cliquetis métalliques de John Russell qui se métamorphosent en soubresauts frénétiques quand les lèvres du souffleur aspirent l’anche et le bec dans de curieux sifflements d’oiseaux de nulle part. Leur imagination les mènent où ils s’égarent et leurs tournoiements trouvent toujours l’issue imprévue, la conclusion surprenante. Une intéressante réunion au cœur d’une communion sonore réussie.

Patrizia Oliva Roberto Del Piano Stefano Giust That is Not So Setola di Maiale SM 3830
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM3830

Voici un album que j’ai reçu sur le tard alors qu’il a été publié en 2019. Le patron du label à la batterie, Stefano Giust, le bassiste (électrique) des groupes du pianiste Gaetano Liguori depuis un demi-siècle, Roberto Del Piano. Une chanteuse diseuse inspirée et très convaincante, Patrizia Oliva, voix fragile, élégante, suggérant la mélodie. Session impromptue le 30 -09-2018dans le foyer d’un squat hors-norme de citoyennes et citoyens sans abri niché dans une gigantesque tour au creux des anneaux autoroutiers qui ceinturent l’agglomération milanaise, Aldo Dice 26X1. Cette résidence citoyenne est le fruit du travail intense de trois associations : Clochards Alla Riscossa and Comitato Diritto Alla Casa di Milano soutenue par Unione Inquilini. Ce projet animé par les sans – abri eux-mêmes est complètement différent de ce que propose les autorités institutionnelles pour faire face à l’urgence de la pénurie de logement critique à Milan alors qu’il existe des milliers de km2 disponibles dans des tours vides, les « palazzi ». Les notes de la pochette imprimée en 2019 indique qu’Aldo Dice héberge 43 familles, 227 hôtes dont 54 sont des mineurs d’âge. Il doit y en avoir bien plus à l’heure qu’il est. Bon nombre d’entre eux travaillent et ont des revenus, d’autres sont pensionnés et tous mettent leurs compétences et leur savoir-faire au service de la communauté. Les repas (excellents) sont préparés et servis sur place par ces citoyens – militants. Chaque mois, ils récoltent environ 400.000 € pour leurs services sociaux grâce au soutien populaire et plusieurs artisans et entrepreneurs locaux contribuent en les assistant à construire des appartements dans les étages de la tour. Leur capacité à faire face aux situations relève de l’exploit militaire. Lorsqu’ils furent éjectés du jour au lendemain du « palazzo » de la RAI 3, leur transfert dans l’actuel complexe de tours dont ils ignoraient même l’existence se fit en 24h !! Clochards à la rescousse livre quotidiennement des repas aux sans abri dans les quartiers de Milan. Au premier niveau de la tour, un espace commun sert de restaurant de foyer d’animations et accueille des concerts de musique improvisée dont celui qui fait l’objet de cette belle parution. Robert et Stefano assure subtilement une ossature rythmique – sonore à la pérégrination chantée – parlée de Patrizia Oliva qui révèle ici tout son talent de chanteuse – diseuse qui défie l’espace et le temps avec un goût sûr pour la suggestion mélodique et des harmonies complexes dans la veine d’un Robert Wyatt. Patrizia invente sa narration dans l’instant et les titres reflètent la réalité vécue par les habitants du lieu au plus près de leur réalité. Vivre Sur le Sol, Ricordati Bambino, Identità Ploverizzata, Synchronicity, Il Sole Splendido della Note, Raccontami del Cielo. L’enregistrement réalisé par Walter Molteni a cette réverbération caractéristique et l’atmosphère de cette structure en béton. Il s’en dégage une véritable poésie. La question de l’art engagé a souvent fait sourire les vrais artistes. Ici, la démarche des musiciens rencontre l’urgence et le quotidien, les émotions et l’expérience de ceux qui les écoutent avec une réelle pertinence et un grand respect. Ce faisant, Patrizia Oliva s’affirme comme une des plus puissantes chanteuses de la scène improvisée. Ces deux camarades s’inscrivent parfaitement dans ce projet en ayant l’intelligence et le feeling idéal. Une ou deux interventions en solo du bassiste illuminent le parcours. Une petite merveille sans prétention créée de toutes pièces par trois artistes solidaires et généreux pour coïncider avec le lieu et les personnes qui les accueillent. Dialogue, droits humains, amitié, solidarité.

Hideaki Shimada October Variations scätter digital
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/october-variations

Scätter archives est un label atypique exclusivement digital dirigé par Liam Stefani , lui-même un excellent improvisateur électronique. Scätter a documenté des concerts de Lol Coxhill et Pat Thomas, Adam et Jonathan Bohman, Mark Browne, Xavier Charles, The Recedents, IST, Olaf Rupp & Thomas Lehn, bBb (Olaf Rubin & Martin Küchen, Edward Lucas & Daniek Kordik, etc… Avec Hideaki Shimada, Scätter a réalisé un vrai scoop : violoniste japonais d’envergure, Shimada a construit une œuvre hybride intitulée October Variations et intégrant l’improvisation à une forme composée d’une durée de 21 :30. Concevant ces Variations d’octobre de juin à décembre 21, le musicien joue lui-même les violons, l’alto, le violoncelle, la contrebasse, le piano, l’électronique et des bandes magnétiques en multipistes. Un travail de haute qualité réalisé avec un sens du moment musical, de superbes nuances et une vision de la forme vraiment originale. Un collage subtil de différents motifs, approches sonores et instrumentales, idées musicales, combinaisons instrumentales concentrées en brèves mini-sections de plusieurs secondes, se succèdent dans la durée avec plusieurs fils conducteurs qui alternent, contrastent, s’imbriquent et se répondent. L’attention de l’auditeur est continuellement sollicitée par la richesse du matériau sollicité et leur interaction dynamique. Le multitracking peut se révéler ennuyeux, maussade, collagiste ou molasson, mais ces October Variations, malgré leur titre passe-partout se révèlent incisives, denses, concises et d’une efficacité orchestrale redoutable. Une œuvre remarquable !

Ola Rubin & Martin Küchen https://olarubin.com/bbb/ scätter digital
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/tape-1-no-passion-so-effectually-robs-the-mind-of-all-its-powers-of-acting-and-reasoning-as-fear https://scatterarchive.bandcamp.com/album/tape-2-an-event-has-happened-upon-which-it-is-difficult-to-speak-and-impossible-to-be-silent https://scatterarchive.bandcamp.com/album/tape-3-necessity-is-the-plea-for-every-infringement-on-human-freedom-it-is-the-argument-of-tyrants-it-is-the-creed-of-slaves https://scatterarchive.bandcamp.com/album/tape-4-one-must-lie-like-the-devil-not-timidly-not-for-a-time-only-but-boldly-and-always

Extrait de leur site:
bBb makes everyday music for distracted times. Influences from near and afar blow in and over - and out again. Most of it pulls through the narrow neck of the sopranino sax and the emerging sounding facets of the trombone vault, but also almost archaeologically colored sound-bearing artefacts are displayed and dissected in real time. A crack and a bang - and then jazz like a glowing blanket thrown over everything.
Ola Rubin and Martin Küchen make music for our leaking Now - both trying closing the gaps and intensively listening to the hard metaphysical rain that the present is flooded with .... Original acoustics.
Ola Rubin: trombones, multi band radio, selected reeds, mutes Martin Küchen: sopranino saxophone, multi band radio, mutes, drummings Tape series 1-4 recorded on a two track reel to reel tape machine using recycled magnetic tapes. Released on the Scatter label

Quatre albums d’un duo atypique travaillant dans une direction esthétique à l’écart de toute « école » au sein de la galaxie improvisation. Expressive, expressionniste, bruissante, bricoleuse, rebelle, sauvage et très réjouissante. Titres à coucher dehors comme la musique , en fait. Bric à brac du free - jazz, basse - cour, dialogues de gallinacés picorant sur un fumier organique, recyclage écologique (duos enregistrés sur des bandes magnétiques recyclées),que sais je encore ? Rien...
À découvrir en payant la somme que vous désirez.

27 décembre 2021

Chyskyyrai Tim Hodgkinson Ken Hyder/ Evan Parker Saxophone Solos/ Makoto Sato Michel Kristof Julien Palomo/ Paul Dunmall Simon Thoumire John Edwards Phillip Gibbs

Siberia Extreme Chyskyyrai Tim Hodgkinson Ken Hyder Indigenous Life Forms ILR LP 001
https://indigenouslifeforms.bandcamp.com/


Chyskyyrai est une chanteuse yacoute, originaire de la république Sakha en Sibérie du Nord un état de la Féderation de Russie en Extrême Orient. Elle est complètement immergée dans la culture shamanique et a assimilé une variété de techniques vocales traditionnelles basées de chants populaires, imitations d’animaux et surtout l’antique épopée mythologique Olonkho, sous une forme de théâtre ou « opéra » avec une unique chanteuse qui truste tous les rôles. L’Olonkho réunit un faisceau vivant d’expressions vocales et chantées archaïques par un unique acteur – chanteur ,voyageur et raconteur d’histoires qui va d’une communauté à l’autre, de tribu en tribu. On peut faire un parallèle avec le P’ansori coréen où tous les rôles sont tenus par une seule chanteuse qui, accompagnée par un percussionniste, transforme sa voix pour investir physiquement et vocalement chaque personnage de la narration. Elle ou il remplit la même fonction qu’un chaman. Par beaucoup, ces chanteurs chamanes sont considérés comme des guides spirituels, enseignants et détenteurs des valeurs spirituelles de leur peuple. Leurs performances peuvent durer plusieurs jours et ne sont pas seulement des spectacles (entertainment) mais aussi une manière d’éduquer la population au fait que les êtres humains ne sont pas séparés de la nature et s’accordent avec elle. Tim Hodgkinson et Ken Hyder respectivement clarinettiste / steel – guitariste et percussionniste, effectuent un travail de longue haleine depuis 1978 par leurs voyages en Sibérie (Bouriatie, Touva, Altaï, Yakoutie) afin de découvrir, étudier et participer musicalement en lien direct et vivant avec ces « artistes » chamans traditionnels. Leur duo s’intitule « Shams » et se destine principalement à jouer avec un chanteur ou une chanteuse sibérienne auxquels il se dédient entièrement en créant un véritable écrin pour les mettre en valeur en s'éffaçant devant une expression aussi extraordinaire. Pour rappel, l’album Black Sky avec le chanteur Gendos Chamzyrin avec qui ils forment K-Space (Label Setola di Maiale). Dans ce disque merveilleux qu’est Siberia Extreme, on est médusé par l’intensité profonde avec laquelle ils entrent en symbiose avec cette fabuleuse chanteuse. Chyskyyrai , Valentina Romanova à l’état-civil, chante passionnément dans une esthétique unique avec une voix de transe, puissante et mystérieuse qui revêt une multitude d’états d’âme, s’électrise dans des changements de registre échappant à une quelconque format. Elle semble conter, scander malheurs et moments heureux, guidant ses auditeurs dans les méandres de la condition humaine. La scansion et la métrique de Ken Hyder sur ses instruments de percussions est totalement intégrée à cet art : il trouve spontanément les pulsations et battements rythmiques un peu décalés, un micro- instant à côté du temps, qui sont la marque de cette musique traditionnelle. Le souffle de Tim Hodgkinson en devient happé et hanté par les visions des chamanes, très loin de sa pratique quand il joue des pièces contemporaines dans d’autres projets. Il ajoute des sonorités électriques par petites touches avec sa pedal-steel guitare toute en glissandi. Il s’agit d’une collaboration magique, authentique qui correspond pour Ken et Tim à une motivation et un amour pour cette expérience de vie et de communion spirituelle telle qu’elle est vécue par ces populations sibériennes. Quant à la chanteuse, sa performance est indescriptible, sacrée, imprécations d’une pythie d’un autre monde, celui qui sépare celui des vivants et des morts, les esprits criant par sa bouche et modulant le timbre de sa voix. Le vinyle lui - même est « milky-way » : vous allez être happé par la Voie Lactée et ces voix de la nature issues d’un autre monde, celui qui entoure la mythologie vécue des Sakha…
Un autre album aussi ébouriffant est publié par ce label Indigenous Life Forms : Algys de la chanteuse Stepanida Borisova, elle aussi originaire de Sakha - Yakoutia et du percussionniste Pavel Fajt, connu pour son travail avec la chanteuse Tchèque Iva Bittova. Rendez-vous à la prochaine livraison sur ce blog !

Evan Parker Saxophone solos LP Otoroku ROKU (RE) 10
https://www.cafeoto.co.uk/shop/saxophone-solos/


Je tiens à attirer l’attention sur cet enregistrement des Solos de Saxophone (soprano) d’Evan Parker datant de 1975 et publié par Incus (n°19) et réédité successivement par Chronoscope et Psi, le label du saxophoniste. De nombreux amateurs ont sûrement entendus en concert, sur disque ou CD cette musique répétitive mais intense et fascinante d’Evan Parker dans laquelle il crée l’illusion d’une polyphonie avec la respiration circulaire, des doigtés croisés, un contrôle du son hors du commun, des harmoniques irréelles etc… (cfr albums, Lights Burnt in Line, Six of One, The Snakes Decides, Conic Sections) qui partagent des similitudes et des inspirations avec les flûtes du Rajasthan, les launeddas sardes, le pibroch écossais… En 1975, Parker essaie pour la première fois de s’exprimer en solo de saxophone soprano en public (comme Braxton, Lacy, Coxhill) dans le sillage de ses duos avec Derek Bailey et avec Paul Lytton, dont Incus allait oublier deux manifestes incontournables : the London Concert (Incus 16) et Unity Theatre (Incus 14). Avec ce Saxophones Solos de 1975 et la photo de Roberto Masotti prise à l'Akademie der Kunsten à Berlin, la musique improvisée « européenne » issue du free-jazz passe un cap sonore, instrumental, créatif qui la distingue de son homologue Afro-Américain. Bien que contrairement à Derek Bailey, Evan Parker a toujours considéré, dit et redit, que sa musique a été conçue dans le courant du jazz… avec ses conceptions personnelles, conclusions pragmatiques et musicales des découvertes et innovations des créations contemporaines les plus pointues … Bref, cette année – là, le jeu et les possibilités techniques d’Evan Parker n’avait pas encore atteint les sommets qui lui permirent quelques années plus tard de graver Six of One (Incus 39). Il y a dans cette musique, une rage folle, une énergie inouïe, une transgression du rôle de l’instrument et de ses limites, une appétence pour le bruit musical et l’évitement systématique de ce qui ressemble à une musique conventionnelle, même « free-jazz ». L’album commence par une longue note saturée en glissandi ralenti « fausse » obtenue en obstruant progressivement le pavillon du soprano avec le mollet de la jambe gauche. Cet effet sonore était utilisé pour répondre à un effet sonore de Derek Bailey qui en jouant des harmoniques sur plusieurs cordes enfonçait celle-ci derrière le chevalet créant ainsi un glissandi vers l’aigu de cette sonorité fantôme, les deux musiciens rivalisant pour multiplier l’empli d’harmoniques. Le concert est repris dans son intégralité, soit un set d’une demi-heure lors d’une soirée collective à l’Unity Theatre, et divisé en trois parties. Afin d’obtenir deux faces complètes d’un 33 tours, Evan a ajouté un quatrième morceau enregistré au studio FMP à Berlin. Dans la version CD, d’autres morceaux de cette même session ont été ajoutés. Grâce à l’enregistrement en solo, il nous est permis d’entendre l’articulation hallucinante du souffleur dans le moindre détail, explosant complètement le flux, le timbre, avec de rapides coups de langue sur le bord de l’anche, une vocalisation hachant menu les sons dans des spirales brisées à une vitesse étonnante, comme si les sillons d’un disque 33 tours étaient lus par la cellule en vitesse accélérée. À la base de ce jeu, intervient l’utilisation systématique de doigtés fourchus lesquels furent inaugurés par Lester Young pour jouer la même note avec un timbre différent. En ouvrant une clé à un niveau supérieur, entre l’embouchure et la dernière clé fermée avant le trou ouvert qui détermine la vibration note jouée « normalement », le souffleur expérimenté obtient un effet multiphonique, deux notes différentes se concurrencent. Evan fausse aussi les notes en écartant avec précision la pression des lèvres du centre de l’anche (technique habituelle pour un jazzman) ce qui modifie encore le son et le contrôle de celui-ci et de la note fantôme obtenue par les doigtés fourchus. À cela, s’ajoute de rapides coups de langue sur le bord de l’anche qui stoppent l’émission sonore et font curieusement alterner des hauteurs différentes qui se télescopent à cause d’un enchaînement furieux de doigtés fourchus et de changements malicieux de la pression du souffle. La technique du saxophone dépasse ici la limite du possible par la grâce d’un contrôle surhumain de la vibration de la colonne d’air.
Ce qui paraissait à l’époque comme le produit d’une spontanéité rebelle, d’un état de transe chamanique broyant et étirant les sonorités du saxophone au-delà des limites est, en fait, le fruit d’une technique très sophistiquée, scientifique. Paradoxalement, son étalement dans une structure temporelle est minutieusement préparée (« composée »), mais réalisée au moyen de l’improvisation instantanée. Pour l’exprimer autrement, on dira qu’Evan Parker avait tracé son cheminement dans une structure conçue au préalable, laissant à l’improvisateur toute la liberté dans le jeu dans l’instant. Aussi, l’auditeur attentif pourra être médusé d’entendre de très brèves harmoniques suraigües émises à la fin d’interjections accélérées qui semblent jaillir du mouvement rotatif des contorsions extrêmes du phrasé du souffleur. Paradoxalement, cette musique brute avec ses sonorités agressives au vitriol, cette fragmentation excessive du phrasé, expression épidermique d’un sentiment de révolte exacerbé est en fait le résultat d’une réflexion profonde et très informée des processus de la création musicale. Evan Parker s’impose comme un explorateur scientifique des possibilités sonores du saxophone du soprano en utilisant systématiquement toutes ses ressources sonores et la juxtaposition de tous les intervalles entre chaque note de la gamme, l’auditeur ayant l’impression d’écouter avec un microscope l’empilement simultané de techniques de souffle divergentes qu’il parvient à faire coïncider par magie. L’exécution de plusieurs de ces intervalles demandent un travail intense pour réussir à émettre deux notes successives de manière parfaite, quelques soit leurs écarts dans la gamme. Il souffle en usant des positions de clés comme si les doigts d’un pianiste parvenaient à s’écarter les uns des autres comme dans un effet de dessin animé. On n’entend pas la moindre influence des saxophonistes qui l’ont précédé si ce n’est qu’il évoque cet effet sonore de Coltrane lorsque celui-ci s’égare en improvisant sur My Favourite Things, cheval de bataille coltranien et point de départ des recherches de Parker.
Dès ses débuts, Evan Parker s’est engagé à suivre la trace de Coltrane en poussant encore plus loin le cheminement jusqu’à donner l’impression d’une explosion ultime et jusqu’au boutiste des formes musicales et des sonorités consacrant l’intégration des bruits dans la pratique instrumentale. C’est une impression, car derrière cette véritable cacophonie appararente ressentie comme telle par l’auditeur lambda de musiques « idiomatiques » conventionnelles ou traditionnelles, se cache un musicien de très haut niveau et une pensée musicale supérieure. À l’époque, pour la majorité des auditeurs du free-jazz prédominant, il faisait figure d’outsider énigmatique face aux poids lourds des héros du saxophone, disparus (Dolphy, Coltrane et Ayler) ou confirmés et émergents (Shepp, Braxton, Lacy, Rivers, Liebman, Murray), bien que son ami Anthony Braxton déclarait tout le bien qu’il en pensait dans ses interviews. Deux critiques français d’alors ont soutenu son travail avec Bailey et Lytton : Laurent Goddet qui hébergea et aida activement Steve Lacy (The Rent) et l’indéfectible Gérard Rouy qui se fit le chroniqueur privilégié de l’improvisation « européenne » et immortalisa ses musiciens par ses innombrables photos dans Jazz Magazine. À l’époque, la mode était à Jan Garbarek qui enregistra avec Keith Jarrett chez ECM et fort heureusement, Anthony Braxton avait décroché le contrat du siècle avec Arista et Lacy faisait enfin son envol tant en solo qu’avec des albums en duo.
L’esprit et l’aspect sonore de ce premier concert solo est très voisin de celui qu’on découvre lorsqu’il joue en duo avec son partenaire préféré d’alors, le percussionniste Paul Lytton, duo initié en 1969 (Collective Calls et Unity Theatre publiés par Incus). Il faut quand même signaler que Paul et Evan travaillèrent intensément quasi deux années avant de faire leur premier concert en duo en 1971. Ce concert solo intervient l’année même du départ de Lytton pour la région frontalière Belge proche d’Aix la Chapelle où habitait alors Paul Lovens avec qui il créa un autre duo légendaire. C’est aussi l’année qui précède les premiers concerts de la Company de Derek Bailey et des rencontres avec Braxton, Lacy et Coxhill au sein de celle-ci. Evan est alors à un tournant de sa carrière où il se sent devenir un compositeur au moyen de l’improvisation « totale ». L’enregistrement solo suivant et publié en vinyle par Otoroku, Monoceros, date de 1978 et est très différent, inaugure magistralement ses performances solos tournoyantes où l’effet répétitif et « polyphonique » enrichissent l’aspect minimaliste d’une profusion de prouesses sonores. Et donc il s’agit d’un enregistrement unique qui permet de comprendre et d’expliquer sa démarche et de déniaiser l’auditeur comme ce le fut à l’époque. Comparer Saxophones Solos (1975), Monoceros (1978) et Six of One (1980), permet d’appréhender avec justesse le virage d’Evan Parker du bruitisme pur et dur issu des recherches de la M.I.C. vers une sorte de lyrisme inédit où se chevauchent différents aspects esthétiques. Otoroku publie ces trois albums en vinyle et aussi un boîtier qui rassemble les quatre albums solos de Parker en LP’s : Collected Solos https://www.cafeoto.co.uk/shop/evan-parker-collected-solos/ . Les précédentes éditions de Saxophone Solos se sont épuisées au bout de quelques années, la première ayant déjà été repressée par Incus en 1980 avec une qualité supérieure, il ne faut pas tarder à acquérir cette version vinyle si vous voulez découvrir assez vite cet album incontournable qui fit l’effet d’une bombe à l’époque. John Zorn et Michel Doneda, Mats Gustafsson et Stefan Keune vinrent y puiser une inspiration décisive. Brötzmann publia son premier album solo un peu avant (FMP 0360) et j’écoutais l’un et l’autre successivement. On trouve dans la discographie de Braxton solitaire une ou deux improvisations qui offrent des similarités évidentes au niveau des sonorités : dans ses Saxophone Improvisations Series F, je pense à ce morceau qui occupe toute la face B du double album publié par America. Mais aucun autre album solo de saxophone n’a laissé un tel souvenir à ses auditeurs médusés, rite d’initiation fascinant à la free-music radicale. PS : s'il est devenu Sold Out chez Otoroku, vous le trouverez encore neuf chez de nombreux vendeurs via le web et discogs.

Makoto Sato Michel Kristof Julien Palomo Heaven of Discontent pas de label https://othermatter.bandcamp.com/album/heaven-of-discontent

Album autoproduit par le guitariste noise Michel Kristof, le boss du label Improvising Beings Julien Palomo aux synthétiseurs et le fidèle percussionniste du free intégral parisien, Makoto Sato et enregistré à Aulnay sous Bois le 24 janvier 2021. Pochette et musique en forme de bilan momentané de la situation confuse et opaque de notre société. Photo au recto : micro nuages blancs de gaz lacrymogène au ras du bitume en noir et blanc, le titre heaven of discontent commenté « if hell is full of good meanings ». Après la crise des gillets jaunes, au vif de la pandémie et de sa gestion difficile, l’incompréhension mutuelle aidant, leur musique électrique dressée sur ses ergots, échappée free dosée en cinq pièces bien distinctes, dont une se souvient d’(Itaru) Oki, délivre un message d’urgence, de réflexions, de sonorités brutes ou très recherchées, des atmosphères tumultueuses (Prélude to a slap 6 :21) ou ouvertes à une forme d’introspection (I Remember Oki 12 :59). La guitare singulière, acide, tranchante comme les dents d’une tronçonneuse ou métamorphique, spasmes d’une harangue intérieure face aux adversités. Précarités, violences, hausse exorbitante des loyers, murs d’incompréhensions, péril sur le climat, dénis, soubresauts logistiques continentaux, extrême-droite galopante, déglingue dans les rapports humains, afflux de réfugiés, capitaux exorbitants. Le sentiment d’oppression est exprimé crûment dans les photos de pochette : panneau de manif : À qui profite le calme … ou imprimé à la bombe sur un mur métallique : Demain est annulé avec des manifestants masqués et émergeant d'un nuage de gaz. Lucidité et ressenti. Le batteur fait tournoyer la sauce sur ses fûts, le synthé oscille entre l’orgue cosmique ou un trombone métempsychosé éructant comme à la genèse du free radical européen. Les doigts du guitariste se crispe sur le manche, le plectre sautillant comme un écureuil dans les branches un soir de tempête. Mais It started to snow (9 :08) présente une autre perspective et pas la moins intéressante de cet album, avec un beau sens de l’espace. Chacun occupe son territoire et suit son chemin sonore tout en formant une unité soudée par l’élan ludique et la recherche confluente de sonorités dont le batteur souligne les scories par des frappes dosées en métrique libre sur ses peaux. Et une volonté de ne pas surjouer laissant chacun des deux autres en pleine lumière. Là où le "free" free-jazz rencontre le noise post-rock rétif à toute récupération - assimilation. Une excellente initiative réalisée avec soin et réflexion dans l’urgence.

Brothers In Music Paul Dunmall Simon Thoumire John Edwards Phillip Gibbs FMR CD615-0721


Fraîchement produit par FMR, cet enregistrement du 25/08/2004 avait été publié par Paul Dunmall sur son label Duns Limited Edition à un nombre très restreint de copies. Dans sa trajectoire musicale et les deux ou trois différentes directions suivies par ses groupes en constante mutation, Brothers in Music s’inscrit dans le sillage de la rencontre avec le guitariste Phillip Gibbs matérialisée par le CD Master Musicians Of Mu (SLAM) où le duo multiplie les approches sonores dans une espèce de musique de chambre fourmillante poussant Dunmall à ajouter flûtes et d’autres instruments de souffle. Ce duo s’est étendu au contrebassiste Paul Rogers, partenaire habituel de PD et qui inaugurait alors sa contrebasse à sept cordes et cordes sympathiques et une avalanche d’enregistrements en trio (Moksha Trio), auquel d’adjoignirent des invités, fut publiée par Duns Limited Edition au début des années 2000. Parmi les invités, le joueur de concertina et bagpipes Simon Thoumire et votre serviteur. Brothers In Music se situe parmi les plus belles réussites de cette époque délirante de l’évolution de Paul Dunmall. Si l’effet enivrant - microtonal de la contrebasse à sept cordes de Rogers a disparu, il est agréablement remplacé par l’énergie à la fois brute et sophistiquée de John Edwards sur un instrument plus conventionnel à quatre cordes dont il sait subvertir les codes. Imparable, le jeu fébrile, subaquatique et à peine amplifié (voire assourdi) de Phil Gibbs qui apporte des couleurs très particulières et contribue à la dynamique du quartet en créant un espace de jeu pour ses camarades. Simon Thoumire obtient des effet sonores qui se marient à merveille avec la guitare alors que les doigts du contrebassiste font résonner le gros son puissant du gros violon comme lui seul peut le faire. C’est surtout un son collectif, une sorte de folklore imaginaire, une circulation d’idées musicales, d’impressions et d’échanges subtils de propositions sonores expressives qui se complètent, se distancient, se distinguent tout en convergeant dans une réelle écoute. Sept improvisations collectives au modus vivendi en mutation, dialogues imaginatifs free … grappes de notes arrachées à la touche des instruments à corde, interactions multiformes… Dans le n°2 (Don’t Lie To Me), l’usage de courtes pauses instille le dialogue qui au fil des minutes s’intensifie de manière éminemment ludique avec des contrastes où chacun prend l’avantage quelques dizaines de secondes pour passer le relai alors que le bassiste assène des coups puissants à faire décoller le manche du corps de la contrebasse. N° 3 (Charles Wharles) : on se rend compte alors que le concertina provient effectivement d’un instrument oriental, l’orgue à bouche (khène au Laos, shô en Chine), tant Simon Thoumire sait insuffler de curieuses inflexions aux intervalles. Dans cette session, Paul Dunmall laisse jouer avant tout ses invités qui créent ici des paysages sonores mouvementés et distendus, son sax soprano s’insinuant seulement pour y ajouter la touche adéquate à l’équilibre. Avec les bagpipes de Simon Thoumire, on atteint une autre dimension, extatique, Dunmall soufflant hasardeusement avec une des pipes. Quand l’improvisation libre rencontre l’esprit du « folklore imaginaire » dans sa plus grande splendeur avec pas mal d’imprévus. Si vous êtes des amateurs ou des inconditionnels de Dunmall et que vous vous limitez aux albums avec batteurs dans une veine, disons plus « free – jazz », ce serait l’occasion de découvrir un autre univers musical, inédit.