Keith Tippett Giovanni Maier Two For Joyce Live
in Trieste Long Song
Records LSRCD 127/2013
Un duo enregistré dans la banlieue industrielle de Venise en
hommage à James Joyce. Un piano magistral et un contrebassiste qui relève le
défi durant les 49 minutes de cet excellent concert. Giovanni Maier est un
proche du contrebassiste Roberto Bellatalla (ils ont enregistré un superbe trio
avec le batteur Michele Rabbia). Comme Roberto Bellatalla fait lui-même partie de la fratrie
londonienne Tippett – Moholo et compagnie depuis des lustres, au sein de Dreamtime, avec qui Keith Tippett a souvent
joué et enregistré, cette association de Giovanni Maier avec le légendaire pianiste britannique est tout à
fait naturelle. Une belle contrebasse puissante et sensuelle pour épauler avec
beaucoup de classe et de retenue un de nos pianistes favoris tout en énergie,
en nuances et avec son extraordinaire articulation. Les deux partenaires nous convient à un parcours de
l’univers tipettien dans toutes ces déclinaisons. A la fois improvisateur de
l’instant et compositeur dans la durée, le pianiste nous livre une construction
tour à tour intime, étincelante et assumée. Après une brillante envolée
scandant des motifs africains, nos deux partenaires ménagent un passage
introspectif où les harmoniques à l’archet et le jeu dans les cordes se
rejoignent. Une comptine au piano préparé se mêle à des pluckings délicats, les
cordes graves résonnent dans la table d’harmonie, alternant subtilement deux
modes de jeux sans crier gare. Keith Tippett et Giovanni Maier ont fait ici un
superbe concert et comme les albums de Keith dédiés au piano en solo ou duo se
font rares au fil d’une très longue carrière, on ne boudera pas notre plaisir.
Home John
Russell - Fred Lonberg-Holm Peira
Ce sympathique micro-label chicagoan nous présente un
magnifique duo de deux personnalités incontournables de l’improvisation libre.
Le guitariste John Russell et le
violoncelliste Fred Lonberg-Holm
se sont rencontrés dans l’appartement du guitariste à Walthamstow pour un
superbe échange. Voilà pourquoi Home. L’enregistrement réalisé par
Russell a une qualité technique remarquable quand on connaît les circonstances
de celui-ci : une petite pièce encombrée de livres, d’étagères de cd’s,
ordinateurs, archives etc… La musique est superlative : la distinction du
guitariste et les sonorités particulières de son jeu, intervalles dissonnants
issus du dodécaphonisme, harmoniques obtenues avec des plectres en pierre, etc…
n’ont d’égales que les nuances et la dynamique du violoncelliste. Cet album est
un témoignage merveilleux, s’il en est, de tout ce qu’il y a moyen de partager,
de jouer et de vivre en improvisant librement sans contrainte avec deux
instruments à cordes.
Southville Summer Dominic Lash – Ricardo Tejero Clamshell records CR
11
Contrebasse (Lash) et saxophone tenor / clarinette (Tejero,
…plus sifflets) pour une belle mise en commun de deux camarades associés depuis
des années au sein de la communauté improvisée londonienne et du London
Improvisors Orchestra dont ils sont des
piliers incontournables. Chacun des sept morceaux de l’album enregsitré en 2012
est consacré à un mode de jeu spécifique et des tournures précises qui donnent
à ces échanges une identité forte. Le contrebassiste joue à égalité avec le
souffleur qui sollicite une belle variété d’effets sonores intégré dans un
discours construit qui va du mélodique (Allfoxton), au bruitisme intelligent
(Fernleaze) en passant par le classique vingtiémiste (Grittleton). J’apprécie
particulièrement l’excellent travail de Dom Lash à la contrebasse aussi bien à
l’archet qu’au bout des doigts et auquel les souffles conjugués de Ricardo
Tejero offrent une belle contrepartie. Le parti-pris « efficace » de
consacrer chaque pièce à une direction musicale différente concentre
l’attention de l’auditeur pour le meilleur. Rien ne se perd et au bout du
compte, on a parcouru un beau voyage. Des partisans de la musique honnête du
partage et de l’écoute.
Wouf ! Un superbe duo clarinette et (violon) alto par
deux jeunes musiciens qui sont à la proue de la relève des improvisateurs
britanniques. Dès la première écoute, il est clair que l’altiste Benedict
Taylor est sans nul doute un des
violonistes les plus intéressants de la scène improvisée à s’être révélé
récemment. Avec l’excellent clarinettiste (virtuose) Tom Jackson, il forme un duo remarquable et leur Songs
From Badly - Lit Rooms est
déjà un enregistrement de référence pour tous les membres du Comité d’Evaluation
de la Violonnerie Improvisée de la Fondation
Johannes Rosenberg. Benedict Taylor fait
littéralement gonfler, distendre les paramètres des sons de son instrument avec
un jeu très détaillé de pression de l’archet sur les cordes. Un raffinement sensuel
et inouï avec les harmoniques, les transformations du son dans le même coup
d’archet surviennent avec un savant mélange de logique et d’intuition,
l’altiste tirant magnifiquement parti de la tessiture du violon alto dans des
méandres micro-tonaux. Les intervalles sont étirés ou distendus de manière très
personnelle voire intime, fruit d’une oreille musicale finement exercée. Une
colorisation inédite des timbres. Tom Jackson joue avec précision et
inventivité de superbes contrechants, inventant une contrepartie subtile dans
un style proche de la musique contemporaine. Son jeu à la clarinette
relativement « classique » se met de temps en temps à étirer les
intervalles, faisant bonne mesure avec son partenaire. On entend poindre ça et
là des écarts avec le chromatisme qui entrent en sympathie agissante avec les
soubresauts soniques de son partenaire. Il peut aussi bien naviguer sur un
autre plan en se concentrant sur son phrasé « contemporain » très
droit laissant son acolyte s’échapper dans de merveilleux glissandi. Pour
toutes ces raisons et le fait qu’ils essayent plusieurs points de vue dans les échanges,
il s’agit d’un superbe premier album. Enregistré live dans des lieux différents et avec des
acoustiques parfois imparfaites sans que cela soit gênant. Peu importe, la
musique est super-réussie et la qualité acoustique n’infère en rien sur mon
parti-pris et mon plaisir d’écoute pour leur superbe musique. Voici donc deux
improvisateurs vraiment talentueux engagés dans l’improvisation libre dont je
me dois de saluer l’arrivée providentielle dans la scène britannique.
Je répète, superbe, voire indispensable si vous aimez le
violon et l’alto improvisés.
Gongfarmer 36 Jim Mc Auley LongSong Records.
Ce label italien vient de frapper fort avec ce superbe
témoignage solo d’un guitariste
exceptionnel, Jim Mc Auley. Remarqué il y a plus de dix ans dans un album en
trio de guitares avec Nels Cline publié par Derek Bailey sur son label Incus,
Jim Mc Auley manie aussi bien la guitare classique que le dobro ou la national
métallique, instruments emblématique du
blues. Un morceau est dédié à John Carter, un autre revisite le saltarello. Des
objets sont utilisés dans les cordes en en tirant les meilleurs effets.
Gongfarmer 36 est un témoignage de
de ce qu’un improvisateur / instrumentiste de haut niveau est capable de
faire avec des guitares. Plutôt que de « spécialiser » dans un style
ou une démarche, Jim Mc Auley réussit tout ce qu’il entreprend, nous offrant un
panorama vivant et convaincant de son talent en travaillant le son en
profondeur, l’articulation, les intervalles, l'exploration... Il trouve le ton juste avec
chaque instrument et chaque approche. Un guitariste improvisateur radical qu’on
écoute et réécoute avec plaisir et un intérêt renouvelé : on a l’impression de
n’avoir pas fait le tour. Oubliez les références citées dans le texte de pochette
(Bailey, Fred Frith) et écoutez la musique. Une surprise de première classe,
catégorie « musique honnête ».
FluiDensity Brian Groder Tonino Miano Latham Records Limited Edition Impressus IR
Records.
Brian Groder est un de ces fantastiques trompettistes qui
pullulent en Amérique et qui s’est, lui, créé un style jazz contemporain
personnel et intéressant. Je vous passe les détails de sa carrière, rien que
d’avoir enregistré un superbe quartet avec le légendaire Sam Rivers (un musicien que j’adorais étant jeune) est en soi
une référence peu commune (Torque / Latham Records). Selon les notes de pochette
signées George Grella, la musique du duo de Brian Groder avec le pianiste
Tonino Miano se rapporte autant à la tradition du jazz « jusqu’à Cecil
Taylor » qu’à la « musique nouvelle » d’origine classique. Ces
deux musiciens, instrumentistes superlatifs avec un très solide bagage musical,
ont une approche distanciée par rapport à l’engagement physique qui sous-tend
l’improvisation libérée issue du jazz et
cette qualité des improvisateurs qu’est la fantaisie. Etant plongé dans
l’univers des improvisateurs et de l’improvisation depuis des décennies au point d’en être devenu un moi-même,
je ne ressens pas le feeling de l’improvisation dans cette musique excellemment
jouée, avec une justesse toute classique, pensée et réfléchie en profondeur.
Pour faire court, on pourrait qualifier leur musique d’une sorte de troisième
courant de chambre. Il s’agit plus de variations sur une composition que
d’improvisations. Le son de la trompette est éminemment classique et balance
merveilleusement le jeu orchestral du pianiste, d’une très grande finesse. C’est en quelque sorte une musique jazz
pour amateurs de musique classique jouée magistralement et, de ce point de vue,
c’est une réussite incontestable. Je serais curieux d’entendre Groder en
compagnie de Blaise Siwula, François Grillot etc.. ( ils viennent de travailler
ensemble), car notre trompettiste a une technique et un contrôle du son de
première. Et je suis certain que dans ces contextes, il fera un superbe
travail. On peut donc féliciter ces musiciens pour leur excellence.
Toutefois, la référence « Cecil Taylor » citée dans notes de pochette me semble absente dans
le travail du pianiste. Etant personnellement un passionné des Cecil Taylor,
Paul Bley, Mal Waldron, Randy
Weston, Jaki Byard et Thelonious Monk et un inconditionnel de Fred Van Hove et
Alex Schlippenbach depuis ma tendre jeunesse, j’ai personnellement des difficultés
à apprécier le piano tempéré « plain vanilla » et son expressivité.
J’ai trop écouté Howlin Wolf, John Coltrane, Ornette Coleman, Skip James, Jimi
Hendrix, Duke Ellington et Charlie Mingus, la musique des pygmées, celles
d’Inde du Nord et du Sud, les musiques africaines, javanaises etc… et donc mon
oreille est déformée à tout jamais. Je m’en excuse.
Un super duo quand même.
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