Alexander Frangenheim solo Talk for a Listener Creative Sources CS 278
Alexander Frangenheim est un de ces incontournables de
l’improvisation libre, une de ses personnalités sans qui cette musique
s’étiolerait. Très proche compagnon de du
tromboniste Gunther Christmann et du percussionniste Paul Lovens, il a animé
son label Concept of Doings mettant
en valeur sa musique et celle du tromboniste avant de confier ses tableaux
soniques à Creative Sources depuis qu’il a emménagé à Berlin. Contrebasse
acoustique en solitaire, conversation à soi-même, talk 1-11, frottements, filages, pression sur les cordes, cadences
décalées, glissandi, archet explorant les aigus au bord du chevalet, formes,
déconstructions, chantier, de l’élégiaque au grinçant, et une superbe sonorité. Une belle musique
apaisée ou virevoltante, sinueuse ou accidentée. Bach
revisité par Schönberg. Aria ou
ellipse. Improvisation libertaire dans l’instant ou pièces quasi-composées. Une
sensibilité secrète et un son aisément reconnaissable. Un panorama de la
contrebasse contemporaine au travers de cheminements guidés par une sincérité
jamais prise en défaut.
Berlin Kinesis WTTF
Quartet Phil Wachsmann Roger Turner Pat
Thomas Alexander Frangenheim Creative Sources CS 313.
Pochette
cartonnée, du neuf chez C.S. ! Un album fascinant suite au premier CD de
ce quartet intrigant, Gateway 97 sur
le même label et à plusieurs concerts en Allemagne et ailleurs durant lesquels
ils ont gravé les huit pièces où il est question de More, Less, Front, Back et Little. Little : petit à petit, un peu
plus, un peu moins, plus devant, moins derrière. Un calibrage permanent de la
perspective, du portrait vivant glissant vers arrêt sur image ou s’évanouissant
dans un perpétuel changement de registre. Je me suis fait souvent entendre dire,
quelques années après l’enregistrement de Gateway
97 (en 1997), que ces musiciens jouaient au passé de l’actualité de
l’improvisation radicale d’alors, new silence, réductionnisme et post AMM. J’ai
même lu que cette musique venait du free jazz. Et bien, je ne connais pas
d’équivalent dans la masse des enregistrements de l’improvisation libre, auquels
j’ai eu accès, qui approche l’univers musical de ce groupe. Intégrant une
multitude d’éléments sonores et musicaux dans une construction kaléidoscopique où
à aucun instant on entend ce qu’il convient d’appeler « un solo » ou
un enchaînement de phrases développant un discours individuel. La continuité
est perpétuellement brisée. Ici chaque membre du WTTF ajoute ou soustrait
une intervention subrepticement et chacune de leurs idées - interjections s’emboîte dans celles des autres avec cette capacité remarquable que chacun
pense à s’arrêter de jouer quasiment à tout moment et à bon escient. Quand cela ressemble à une voix, cela ne dure jamais plus que dix ou quinze secondes. Une
science de la retenue poussée très loin avec un parti pris ludique. Des jeux à
tiroirs multiples sur une myriade de pulsations qui semblent déconnectées l’une
de l’autre. Si Alexander Frangenheim
et Paul Wachsmann sont faits pour aller
l’un avec l’autre, contrebasse et violon complices, Pat Thomas semble faire bande à part et alterne le clavier du piano
et l’échantillonnage complexe. Roger
Turner s’intercale avec un sens de l’épure et une légèreté qui fait dire
qu’il ne joue sûrement pas de la batterie. Sa personnalité hyperkinétique
commente en grattant et piquetant le sommet de ces instruments percussifs,
cymbales et objets métalliques, frappes déclinées sur des peaux amorties au
timbre changeant sous la pression des doigts. Le guitariste prodige Roger Smith
qui tirait son extraordinaire science rythmique de la pratique des percussionnistes
free parlait de sérialisme rythmique. Thomas et Wachsmann utilisent des sons
électroniques par bribes projetées entre un pizz et un roulement. Lyrisme
secret, spasmes décalés, pas d’élan démesuré ni d’emphase. Une science du
mouvement.
Willem Breuker Kollectief Angoulême
18 mai 1980 FOU Records FR CD 09 & 10.
Enregistré
en concert à une période charnière de son existence, cet Angoulême 18 mai 1980 est un splendide témoignage du Willem
Breuker Kollektief, un orchestre phare du nouveau jazz européen. Fondé
en 1974 pour mettre en musique les idées musicales et sociales de Willem Breuker, le WBK rassemblait de
jeunes musiciens intéressés par la free music naissante d’alors et avec un
solide bagage musical, devenus bons lecteurs et fédérés par un sens collectif à
toute épreuve. Comme l’avait alors expliqué Breuker, une partie de ses
musiciens étaient en quelque sorte ses élèves, et il comptait tirer parti de
leurs qualités individuelles même si au départ plusieurs d’entre eux n’étaient
pas des improvisateurs « totaux » d’envergure comme pouvaient l’être
à l’époque ses collègues, les Bennink, Mengelberg, Maarten Altena, Evan Parker,
Derek Bailey, Fred Van Hove, Brötzmann et cie.
Mais le WBK des débuts pouvait compter sur des piliers très doués et
expérimentés tels que le bassiste Arjen
Gorter, le pianiste Leo Cuypers
et le tromboniste Willem Van Mannen,
auteur de deux intéressants morceaux de ce double cd, Pale Fire et Big
Busy Band. Il est certain que Gorter eût fait une belle carrière en
free-lance sur les scènes de la free-music européenne. Breuker et lui avaient
travaillé avec Jeanne Lee et Gunther Hampel entre 67/68 et il n’était pas rare
d’entendre le bassiste avec Louis Moholo, Irene Schweizer, Han Bennink et
consorts. En phase avec le Einheit Frontslied enregistré par
Brötzmann-Van Hove-Bennink en 45 tours et les compos du Globe Unity, un superbe Live in Berlin du WBK fut publié
conjointement par SAJ et BVHaast, le
label breukérien. Cet album fit les beaux jours des amateurs des années 70 avec
sa musique endiablée faite de riffs assez dissonnants martelés par la batterie
de Rob Verdurmen, écumant la satire
et le clin d’œil par tous les pores. Piochant dans l’esthétique de Kurt Weil, sur l’œuvre duquel WB
faisait autorité, ses arrangements convoquaient curieusement, les musiques
populaires (cirque, marches, tango), les innovations des minimalistes et le
free-jazz expressionniste, alliant puissance et subtilité. En mai 1980, le pianiste Henk de Jonge a remplacé Leo Cuypers et le corniste Jan Wolff avait
quitté le navire, mais le trompettiste Andy
Altenfelder ne les avait pas encore rejoints. Aussi la musique s’est un peu
plus rapprochée du jazz avec des arrangements plus travaillés et le groupe
s’est taillé une réputation explosive. Ce ne sont pas moins de 4000 personnes
qui assistèrent à ces concerts d’Angoulême
et ce public leur fit des rappels déchaînés. Jean-Marc Foussat, le responsable de FOU, en a tiré une image son relativement correcte. J’écris
image car, il fallait avant tout être
présent pour saisir toute la dimension théâtrale de la musique et écarquiller
les yeux face aux gags scéniques plus drôles les uns que les autres. Le Kollektief
fit le tour du monde et joua pour les foules dans des festivals destinés au
plus large public, comme le Mallemunt sur la place de la Monnaie à Bruxelles. Comme
pour Sun Ra, ses musiciens lui furent fidèles jusqu’à la disparition de Breuker
et le WBK continua encore à se produire par la suite. La musique de Sun Ra et
son Arkestra et ses enregistrements ont acquis un public très large si on considère
le flot de rééditions et inédits en vinyleet cd’s. La musique du WBK se veut
tout aussi populaire, et il serait temps que des enregistrements tels que
celui-ci soit mis dans de bonnes mains pour l’édification des jeunes
générations. FOU records est en train de tracer une belle série d’incunables
avec cette parution historique qui fait suite à Live aux Instants Chavirés
(Kowald Lazro Nozati) 28 Dunois juillet 82 (Bailey Léandre
Lewis Parker). Fort à parier qu’il y aura encore d’autres surprises aussi
intéressantes quand on sait le travail quasi systématique de prise de sons réalisé par Jean-Marc Foussat durant les années 80.
Au programme
de ces deux concerts à Delbury Hall à Shropshire et au Café Oto : Ascension
15.03, Resolution 15.23, Central Park West 3.26, Transition 11.24, Psalm 18.57
(CD 1) et Ogunde/Ascent 11.24 Naima 5.35 The Drum Thing 7.27 Sunship 9.03 Giant
Steps 7.12
Expression/Affirmation 13.30 Alabama
7.11 My Favourite things 8.18 (CD 2). Le saxophoniste Paul Dunmall est sans nul doute un des rares grands re-créateurs de
la musique de John Coltrane. Il a
déjà enregistré deux formidables recueils de la musique du géant disparu au
Delbury Hall : Tribute to Coltrane
et Thank You John Coltrane pour le
même label. La pochette est aussi sommaire et discrète que la musique est
incendiaire. Nous sommes ici loin des enregistrements Atlantic et avec Miles
Davis. Plutôt au cœur du maelstrom des tournées avec le quartet historique et
du duo avec Rashied Ali. Tout-à fait échevelée et bourrée d’énergie, le rendu
des morceaux de Coltrane par Dunmall est radical et le plus vif qui soit même
si le jeu navigue entre les deux ou trois périodes situées entre 1961 et 1967.
La qualité de l’enregistrement du Café Oto aurait pu être un peu meilleure pour
pouvoir goûter les nuances du timbre du saxophone. Tony Bianco conduit ses fûts avec une furia hallucinante en
croisant idéalement les rythmes et les pulsations. L’invention mélodique de
Dunmall évoque Coltrane mais son exceptionnelle musicalité fait qu’il
s’approprie le matériau comme s’il en inventait la trame. Tony Bianco a acquis
une véritable intelligence sensible de cette musique : elle transcende
l’énergie incandescente du duo. Une vraie sincérité. Pour tout amateur de la musique de Coltrane et de
saxophone ténor, ces enregistrements épiques sont une aubaine ! Rien ne
sert de discourir, comme disait Coltrane, la musique parle pour elle-même.
Tenor Titans
serait-on tenté d’écrire !! Un autre album sur le label Rare Records réunit Paul Dunmall et Evan Parker avec Kenny Wheeler et John Edwards (Live
at the Vortex London RM 036). Le défunt batteur Tony Levin ayant là un jeu plus aéré, c’était la version relax de
l’association des deux saxophonistes. Existe aussi un Birmingham Concert
réunissant les deux souffleurs sur le même label (RM 026) en compagnie de Levin
et Barry Guy que je n’ai pas écouté. Avec ce très puissant émule de Rashied Ali
qu’est Tony Bianco drivant le trio,
c’est aux extrêmes que sont poussés Paul et Evan. Pas loin de l’Interstellar
Space du tandem Coltrane / Ali,
mais avec cette constance appliquée, systématique des souffleurs britanniques.
Dans les échappées les plus lyriques et les plus inextricables, reste une dose
de self-control. Un trio magique ! Il
y eut aussi un trio semblable confié à la « cire » : Utoma
(Emanem) avec Bianco, Dunmall et Simon Picard, un autre ténor de poids,
complètement sous-estimé. Le présent album trouve Dunmall, Parker et Bianco en pleine bourrasque face au large démonté
et aux embruns extrêmes. Une tempête colossale se soulève. Mais avec deux
capitaines de cet ordre et un tel timonier, on est certain d’arriver à bon
port : au septième ciel. Triple détachés, sons déchirants, harmoniques
pressurées, boucles infinies dans un grand écart à travers les échelles les
plus complexes. Je m’arrête d’écrire car
c’est vraiment trop délirant à écouter. 10/10 pour Red Toucan.
PS : Nombre d’auditeurs
relativement informés classent généralement les musiciens dans une échelle
d’importance en fonction de leur notoriété et de leur virtuosité. Ils
constateront ici qu’Evan, un innovateur visionnaire et Dunmall, un styliste
unique, jouent à égalité à tout point de vue. Dunmall est sans doute un des très rares saxophonistes ténor capables de jouer au même niveau musical que Parker. Il n’y a que la musique qui
compte.
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