Thuya (Québec – Berlin String Trio) Gerhard Uebele Klaus Kürvers Rémy Bélanger de Beauport Creative Sources CS 378 CD
Parmi la production féconde du label Creative Sources, j’ai pointé cet album, Thuya (la graphie du titre sur la pochette utilise un Y dont la casse est inconnue sur mon Mac), car la musique est jouée par un trio de violon – violoncelle - contrebasse absolument remarquable et comme disait si bien le Dr Johannes Rosenberg, c’est en réunissant des instrumentistes de la famille des violons ensemble à l’exclusion d’autre instrument, que la nature profonde des violons, altos, violoncelles et contrebasses se révèlent sur leur meilleur jour. Il s’agit de créer un maximum d’empathie. Et d’ajouter, cela se vérifie encore plus dans le cadre de l’improvisation libre… Le violoniste Berlinois Gerhard Uebele, entendu il y a longtemps en compagnie d’Ernesto Rodrigues au début de l’existence du label Creative Sources, le contrebassiste Klaus Kürvers, lui aussi Berlinois, entendu lui aussi avec E. Rodrigues, mais surtout dans une extraordinaire quartette de contrebasses, Sequoia (Rotations / Evil Rabbit), et le violoncelliste Québecquois Rémy Bélanger de Beaufort que je découvre à l’instant dans cet excellent Thuya (Québec – Berlin String Trio) . Deux concerts de novembre 2015 (pièces de 8 à 11) et de mai 2016 (1 à 7) à Berlin. Une écoute magnifique, une recherche de sons et un sens de l’empathie concertante, mais aussi déconcertante, décomplexée (les bases de leurs inspirations sont multiples et puisent autant dans l’expérience contemporaine, dans la pratique de l’improvisation radicale et l’expressivité des musiques populaires où le violon est un instrument majeur). On a droit à tout un éventail de frottements, de cadences, de rêves… Complexité à plusieurs voix qui fusent de toutes parts et explosent en séquences sombres qui se moirent lentement et dont les timbres et les lignes s’interpénètrent tout en douceur. Le trio décline de nombreuses facettes, crée des cheminements peu prévisibles; les glissandi, les frottements s’entrecroisent, la musique s’anime après un long moment de communion introspective, des motifs s’ajoutent, évoluent, se transforment, créant l’impression enchanteresse d’avoir traversé un paysage vivant et partagé un moment de grâce. La qualité des cordistes, le travail à l’archet, la majesté de la contrebasse de Kürvers, la pureté du son de Uebele, l’empathie spontanée de Bélanger font de cet album, une petite merveille. Deux beaux concerts auxquels on aurait aimé assister.
Gravity : String Theory Creative Sources CS 301 CD
Sans nul doute, un des plus
beaux projets réalisés par la galaxie des improvisateurs portugais fédérés
autour de l’altiste Ernesto Rodrigues
et de ses amis. Tous les instruments utilisés par les dix-huit musiciens
présents sont « à cordes » qu’elles soient frottées (violons, violes
de gambe, violoncelles, contrebasses), pincées (guitares, cithares, harpes) ou
frappées / pincées par un mécanisme à clavier (piano, clavecin). Gravity
est une longue improvisation qui occupe toute la durée du compact, excellemment
enregistrée et préparée pour le disque par Ernesto lui-même. Quand on imagine
les difficultés rencontrées pour trouver un lieu décent, rassembler autant de
musiciens, les focaliser sur une idée bien précise comme cet orchestre à
cordes, on peut d’ores et déjà saluer le travail extraordinaire de ces
musiciens portugais réunis par Ernesto
Rodrigues, lui-même venant de produire en 2016 pas moins de dix-huit albums
avec ses collaborations sur son propre label avec plus de 400 réfférences à ce jour. Un disque avec 18 musiciens et 18 albums Creative
Sources, dont quatre présentent la musique d’ensembles collectifs plus
imposants tels le présent String Theory, Théatron, IKB et Variable
Geometry Orchestra, ces deux derniers ensembles n’étant pas à leur coup
d’essai. Les effectifs du Variable Geometry Orchestra dans Quasar, leur nouvel album, culminent à 46 musiciens. Collectivement et
musicalement, il s’agit donc d’une œuvre et un travail de longue haleine et on
peut d’ores et déjà considérer la personnalité d’Ernesto Rodrigues, l’animateur infatigable de Lisbonne aussi
incontournable que celles d’Eddie Prévost, Rhodri Davies, Michel Doneda ou Franz
Hautzinger, par exemple, parmi les artistes qui ont contribué à renouveler la
pratique de l’improvisation libre ces vingt dernières années vers des formes
empreintes de minimalisme, mot qualifiant grossièrement les tendances lower-case,
réductionnistes, new silence, etc... Et quoi de plus exemplaire que ce Gravity
qui, débutant par un ostinato fantomatique, visite les agrégats de sons, de
frottements, de pincements, de curieuses vibrations, de grincements dynamiques
dans une vision kalidéoscopique et arachnéenne de l’action instrumentale
cordiste. Violoncelle ou guitare préparées, miasmes de violon, grattages, sons
fantômes, bruissements mystérieux. Bien qu’il semble qu’un parcours obligé soit
tracé, certains instruments interviennent de concert comme si le moment était
choisi : l’improvisation libre et leurs qualités innées d’écoute mutuelle,
d’action et de réaction simultanées et de finesse dans l’empathie, permettent
aux compagnons de String Theory de tracer un chemin, de construire un univers à
la fois homogène et hétérogène suivant le point de vue sur lequel on se place.
En effet, une communauté de sentiment, une température ambiante partagée par
chacun se dessine et relie toutes les spécificités sonores, timbrales, les
dynamiques, les affirmations franches et les connivences enjouées qui
affleurent au long des trente neuf minutes trente cinq secondes. Les actions
des musiciens peuvent se révéler très diversifiées ou concentrées dans un même
élan selon le feeling de chacun. Gravity est un enregistrement unique
dans les annales de la musique improvisée et c’est pourquoi je vais m’attarder par
la suite sur les projets sœurs IKB, Variable Geometry Orchestra
et Théatron
dans les chroniques suivantes. Ce n’est pas tous les jours que des formations
orchestrales aussi étendues et intégrées dasn une communauté locale soient documentées dans le domaine de
l’improvisation contemporaine. Les musiciens : Ernesto Rodrigues - viola, harp Raquel Fernandes - violin Maria do Mar - violin David Maranha - violin Guilherme Rodrigues - cello Yu Lin Humm - cello Helena Espvall - cello Miguel Ivo Cruz - viola da gamba Bernardo Álvares - double bass João Madeira - double bass Abdul Moimême - classical guitar, 12 string acoustic guitar, mandolin Flak - acoustic guitar Emídio Buchinho - acoustic guitar John Klima - acoustic bass guitar Adriana Sá - zither Joana Bagulho - harpsichord Simão Costa - piano.
PS : Donc un peu de
patience : les chroniques relatives à IKB
et VGO seront publiées incessamment,
l’écriture de ces chroniques n’est pas instantanée et nécessite un peu de temps.
À suivre dans les pages suivantes.
Ernesto Rodrigues viola, Yu Lin Hum cello, Hernâni Faustino double bass, Nuno Torres sax alto, Eduoardo Chagas trombone, Rodrigo Pinheiro piano, Emidio Buchinho electric guitar, Flak acoustic guitar, André Hencleeday tenor psaltery, Carlos Santos, electronics, Nuno Morão percussion.
Débutant par un drone grave, Suspensão
est un bel exemple du développement du son collectif en suspension ou en sustain
si on veut se référer au travail de John Stevens avec le Spontaneous Music
Ensemble ou Orchestra. Confer la toute
récente compilation du Spontaneous Music
Orchestra, Search and Reflect (Emanem
5216), où figure le fameux enregistrement de Sustain du SME + = SMO le 25 janvier 1975. À l’intérieur du
mouvement des sons suspendus interviennent subrepticement des interjections et
des improvisations éclatées bien calibrées qui cadrent parfaitement avec les
drones. Le pianiste frappe une note grave en pressant sur la corde ou joue des
notes isolées, le tromboniste articule avec empressement une ventilation
bruissante, le saxophoniste amortit ses coups de langue sur le bord de l’anche
et fait trembler la colonne d’air. De la trame globale se dégage un crescendo
minutieux où les mains se libèrent, les sons éclatent sourdement et l’alto
d’Ernesto Rodrigues se faufile prestement en sourdine, empilant les
harmoniques. De manière progressive avec quand même quelques à-coup tranchants,
les musiciens font transiter le flux dans des climats variés, le décor évolue.
Vers la moitié du parcours, l’orage menace, la fébrilité gagne les
participants, le jeu est tendu. Du moins, l’attaque des instruments, cordes,
piano, percussions, guitare suggère une violence sourde, rentrée, comme si la
foudre allait éclater. Mais, au sein de cette bourrasque invisible, deux ou
trois ou quatre des musiciens ont maintenu le drone, ces sons en suspension qui
conservent une hauteur précise un long moment et dont les timbres et la texture
évoluent insensiblement. Puis vient une lueur, le ciel se dégage et l’auditeur
sent poindre un sentiment d’apaisement. Les instrumentistes volatiles se
déposent successivement sur la trame et les sons se relâchent en une stase nonchalante. La symbiose au sein de l’ensemble se fait
jour dans le détail sonore et l’affect partagé tacitement transparaît au fil
des secondes, qui s’évanouissent par centaines, créant un flux vers l’infini.
Une performance collective de haut vol fédérant des musiciens d’horizon divers, hautement concernés par l'instant partagé.
Iridium String
Quartet Maria Da Rocha Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Miguel Mira
Creative Sources CS 350 CD
Il était temps ! Oui, il
était temps que notre ami Ernesto Rodrigues et ses camarades fassent un quatuor
violonistique. Violon (Maria Da Rocha) alto (Ernesto Rodrigues), violoncelle (Guilherme Rodrigues), contrebasse (Miguel Mira), la belle formule. Comme l’a si bien souligné Johannes
Rosenberg, compositeur, improvisateur, violoniste exceptionnel,
ethnomusicologue et théoricien de l’art total du violon, les instruments de la
famille du violon ne révèlent leur nature profonde, la symbiose infinie de
leurs timbres, que rassemblés dans un même orchestre de cordes frottées. Iridium
est un des plus beaux enregistrements des groupes documentés par
Ernesto via son label Creative Sources,
et cette raison n’y est pas étrangère. Je me rappelle bien avoir écouté et
chroniqué, Drain, un autre cd d’Ernesto et Guilherme Rodrigues
avec le violoniste Mathieu Werchowski il y a quelques années. Leur jeu instrumental évoquait alors
pour moi le travail sonore d’un ébéniste qui fait grincer le bois sous toutes
ses coutures. Il y a encore un peu de cela dans Iridium. Deux longues pièces : 2466 ° C et
4428 ° C. Dans 2466 °C, les cordes frottées semblent préparées de manière à
transformer la résonance, le jeu de l’archet et des doigts sur la touche et leurs
pressions spécifiques empêchent d’une
manière ou d’une autre la vibration « naturelle » conventionnelle du
violon, du violoncelle ou de la contrebasse. Il consiste à produire des drones
– sustain sur une note, grave ou aiguë, lesquelles agrègent leurs sons secs et bruissant,
les harmoniques, les frottements mécaniques, les notes fantômes, à la trame,
les timbres grinçant comme si le vernis qui geignait ou criait et non le bois
de la caisse de l’instrument qui chante. Dans 4428°C, on utilise plusieurs jeux
percussifs du bois de l’archet sur les cordes pour agrémenter les drones et
diversifier les textures. En se tenant à cette technique, les musiciens font
évoluer la pièce insensiblement vers des échanges plus vifs où la dimension
rythmique en pulsations libres et brefs coups d’archets rebondissant prennent une
aspect ludique. Soudain, le jeu en drones reprend, s’épaissit, se tend et
devient plus tendre, malléable, lyrique. Après quelques minutes, le violon et
l’alto sont frottés intensément en pressant l’archet avec insistance avec un
son nasillard évoquant une voix de fausset qui dérape, puis se décontractent
dans un faux unisson. La pièce évolue ensuite dans des frottements presque muets et se
termine avec des grincements et des chocs qui s’arrêtent abruptement comme si
on avait coupé la bande sans aucune respiration. Il y aurait peut être une
marche à suivre guidant l’exécution ou est-ce complètement libre ? Rien
n’est mentionné sur la pochette cartonnée. Ces manières toutes particulières de
faire sonner les cordes à l’archet en utilisant ces techniques alternatives
nous font découvrir ces sons étranges dans des variétés infinies au niveau de
la texture, de la coloration, de la densité, de l’intensité qui se mêlent,
s’agrègent, se pénètrent, se fondent dans une fascinante bande-son. Si cette
démarche très appliquée peut sembler assez monocorde et répétitive de prime
abord, une écoute attentive nous en révèle la richesse. Ces quatre
improvisateurs étendent au maximum les possibilités sonores dans le cadre d’une
approche musicale au départ très restreinte de sons soutenus basés bien souvent
sur une seule note. Paradoxalement, ils font donc preuve d’une grande imagination au niveau instrumental et invention sonore et cet album Iridium est un chef d’œuvre du genre.
Relephant Fred Lonberg
Holm & Adam Golebiewski Bocian
records
Duo dynamique violoncelle
& percussion réunissant une valeur sûre, Fred Lonberg Holm qu’on a pu entendre souvent en bonne compagnie
(Ken Vandermark, Joe McPhee, Frode Gjerstad, Michael Zerang et Brötzmann) et un
percussionniste polonais dont j’ai beaucoup apprécié l’album solo Pool
North (Latarnia), Adam
Golebiewski. J’avais d’ailleurs chroniqué cet album vraiment passionnant. (http://orynx-improvandsounds.blogspot.be/2015/11/microlabels-improvises-et-reeditions.html). Le violoncelle est amplifié et truffé
d’électronique, dans une esthétique sonore « post-rock » dynamique. Sous les mains de Adam G, la percussion acquiert une dimension ludique au moyen d’objets placés sur
sa batterie, avec une solide coordination des gestes et une surprenante
variété sonore: simultanément les roulements croisent les grattages de
surfaces métalliques, des cloches ou des cymbales tintent dans l’aigu, un
archet frotte cymbales et gongs : dans un même élan des frappes contrastées
relance l’attention. Cela évoque un peu Roger Turner, Lovens ou encore Oxley,
bien qu’il ait un style personnel et identifiable, mais aussi la démarche de
Ponthévia. Des surprises donc de la part du percussionniste et une expertise
remarquable dans le jeu des cymbales avec l’archet amplifiée par les peaux.
Mais surtout une grande qualité de dialogue et de symbiose dans l’action au
point qu’il semble qu’on entende qu’un seul et même musicien, alors qu’ils
jouent à deux. Malgré l’insistance du violoncelliste à jouer amplifié et
« déformé » électroniquement (on perd des nuances de jeu à mon goût),
la coordination instantanée des gestes et l’empathie au maximum entre les deux improvisateurs
font de Relephant un album réjouissant, de l’improvisation libre pur
jus. Une free-music sans concession, brute, énergique et pleine de détails
croustillants dans les sonorités, les timbres, les craquements dont je ne
voudrais pas me séparer. Un air de famille avec le légendaire Was It Me du tandem Lovens-Lytton.
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