In
Layers Onno Govaert Marcelo Dos Reis Luis Vicente
Kristjàn Martinsson FMR CD4271116
Excellent
quartet de jeunes musiciens qui nous offrent ici des improvisations
complètement libres d’une grande lisibilité et un vrai sens de la dynamique. Kristjàn Martinsson a préparé son piano
et en joue au clavier, faisant tinter les cordes amorties par les objets
(clous, boulons, morceaux de bois, gommes etc… , je suppose). Dans les larges
interstices ouverts par le jeu parcimonieux de la percussion et du piano dans Glaze
(I), la guitare de Marcelo Dos Reis,
fait entendre des intervalles distendus et le trompettiste Luis Vicente explore la colonne d’air et l’embouchure. Fresco
(II) : les échanges s’emballent, la trompette se fait lyrique et décolle
par dessus les vagues du pianiste. Il cultive les registres extrêmes avec une
ductilité spontanée et s’affirme au fil des enregistrements (Fail Better ! et Chamber 4). Onno Govaert affiche une conception sonique et libérée de la
percussion en amortissant la frappe et diversifiant les sons à l’instar des
Paul Lovens et des Roger Turner. Créant avec conviction un territoire commun
qu’ils traversent dans un cheminement à la fois construit, évolutif et instantané,
les quatre improvisateurs se révèlent dans une véritable musique de groupe avec
une identité propre et une profonde capacité aux dialogues croisés. Lorsqu’ils
sont entraînés dans un flux intensif, il faut tendre l’oreille pour retracer le
jeu enfoui de la guitare et c’est bien un challenge difficile à relever lorsque
le pianiste, le batteur et le trompettiste choisissent cette démarche. Fort
heureusement, dans le remarquable Underdrawing (VI) le jeu sensuel du
guitariste se distingue clairement et c’est tout autour que se polarisent
l’invention sonore de Vicente et Govaert et les arpèges aériens réitérés de
Martinsson. Un beau final !
Alterations Void
Transactions : Peter Cusack Steve Beresford Terry Day David Toop.
Unpredictable Series.
Groupe aussi improbable
par les instruments et la personnalité de chaque musicien, qu’excentrique et
légendaire, Alterations s’est réuni tout récemment après trente années
de silence. En fait, je me souviens très bien de leur mémorable dernier concert
lors du Festival Incus en avril 1986 et j’ai pu écouter chacun de leurs albums.
C’est à tout point de vue un groupe inclassable. Leurs musiques se font croiser
moultes pratiques musicales, idées, attitudes et références et parfois collisionner les
inspirations individuelles. Véritablement imprévisible comme le revendique leur
label Unpredictable. Pour ces concerts de juin 2016
enregistrés à l’occasion de l’Alterations Festival, un coffret collector
reprenant quatre concerts dont celui du Festival Incus mentionné plus haut,
avait été publié avec
une pochette arty différente pour chaque copie.
Crédits de Void Transactions : Acoustic Guitar, Field Recordings – Peter Cusack. Drums, Percussion, Objects, Balloons, Bamboo Pipes – Terry Day. Electric Guitars, Bass,
Flutes, Objects, Fiddle - David Toop. Piano, Electronics, Objects – Steve
Beresford. Design Blanca Regina Design and Tomi Osuma and Liner Notes – David Toop. Mixed and Mastered
by – Dave
Hunt. Recorded By
– Syd
Kemp London Café Oto June 18-19 2006.
Impossible de passer par
le menu chaque composante musicale et de décrire les permutations orchestrales
de ces multi-instrumentistes qui font coexister la chèvre et le chou dans une
dérive improbable. A eux seuls, les Alterations
constituent un courant dans la musique improvisée libre la débordant de ses
« limites » non-idiomatiques (british), tout à fait à l’écart des
modèles référentiels, tels Spontaneous Music Ensemble, AMM, le duo
Bailey-Parker, Butcher/Durrant/Russell, IST (Davies Fell Wastell) etc… On y
trouve une dimension qu’on qualifierait volontiers de post rock ou post punk ou
que sais-je et l’esprit du People Band. Donc voici un groupe mémorable qui,à
près de trois décades d’intervalle, se manifeste à nouveau de manière bien
réjouissante. Osons espérer que leur message tout particulier se fasse
entendre, car il tranche indubitablement dans la lingua franca des musiques
improvisées.
Auslanders : Live in Berlin Richard Scott ‘s
Lightning Ensemble & Jon Rose
Vernacular Recordings 001 / Sound Anatomy 006
Le Lightning Ensemble de Richard Scott est en fait un
trio britannique composé du guitariste acoustique David Birchall, du percussionniste Phil Marks et de Richard
Scott au synthé modulaire, présents en trio pour une longue improvisation
de 24 minutes, Jon Rose se joignant
à eux pour un deuxième morceau de 16 minutes. L’intérêt du trio réside dans la
manière très originale par laquelle Scott intègre le flux de son jeu
électronique dans les échanges acoustiques pointillistes de Phil Marks et David
Birchall, musiciens ici focalisés dans un jeu volatile très retenu dans la
lignée du Spontaneous Music Ensemble
à l’époque de Face To Face (Emanem 1973).Richard est d’ailleurs un fan absolu
du légendaire percussionniste dont le très mini-kit est à la base de cette
intransigeante discipline. Cela contraste assez fort avec le côté « rentre de dans » très animé du même
Phil Marks au sein du trio Bark!
et du jeu électrique avec effets du guitariste que j’ai eu l’occasion
d’apprécier lors d’une tournée dans le Nord de l’Angleterre. Le Lightning Ensemble se concentre sur une
activité sonore interactive déconstruisant l’acte de jouer avec une excellente
lisibilité. Une gestuelle de l’exploration sonore qu’on pourrait transposer
visuellement dans la peinture abstraite. On peut parler dans le cas du
percussionniste d’une coloration des frappes tant son nuancier sonore est
diversifié d’une fraction de seconde à l’autre.Si cette musique s’intègre dans
le corpus « traditionnel » de l’improvisation libre british initié
par les pionniers d’AMM, du SME de John Stevens, de Music Improvisation Company
(Bailey, Hugh Davies, Jamie Muir, Evan Parker), Paul Rutherford, Phil
Wachsmann, mais aussi Gunther Christmann & Paul Lovens, etc..., elle invite
notre écoute et notre imagination par une complexité qui évoque une
irrésistible effervescence, paradoxale si on considère l’ascétisme minimal des
deux instrumentistes et le surf elliptique de Scott sur les pulsations. Quand
Jon Rose se joint au trio, les quatre musiciens se mettent à percoler et à faire
tournoyer les sons tout en restant dans le registre post SME. Leur puissante
conviction est propre à convaincre un « apprenti auditeur » de la
profonde originalité de leur démarche et du grand plaisir qu’ils nous (et se)
communiquent.
Loz Speyer’s Inner
Space Life On the Edge Leo Records LR CD 782
Le producteur du label Leo, Leo Feigin, n’a pas mal
fait d’évoquer l’Art Ensemble of Chicago pour nous exprimer son enthousiasme
légitime et sa fierté de nous proposer l’Inner Space de Loz Speyer, un excellent
groupe de jazz contemporain qui fait siennes de manière convaincante les
avancées des quartets d’Ornette et de l’Art Ensemble. Si le poly-instrumentisme
exacerbé de l’AEC est absent, on trouve dans ce quintet aussi remarquable et
cohérent, une manière vraiment remarquable d’assembler les voix, de gérer les
contributions individuelles, des colorations dans le jeu instrumental, un
lyrisme évocateur digne des qualités de ce groupe légendaire. Une belle
inspiration proche du blues, un sens aigu du contrepoint, une mise en valeur
des arrangements. Un contrebassiste solide doué d’un réel mélodique, Olie Brice, un batteur efficace et
subtil, Gary Wilcox et un trio de
souffleurs aussi singuliers que pertinents avec une réelle capacité de mêler
leurs voix pour en tirer le suc. Loz
Speyer est remarquablement inspiré à la trompette et au bugle, ses
inflexions très personnelles le rendent plus qu’attachant. Un improvisateur qui
fait passer son message. Les deux saxophonistes sont deux pointures
originales : le vétéran Chris
Briscoe au sax alto et lequel travailla longtemps dans les projets de Mike
Westbrook depuis les seventies ainsi qu’avec Chris McGregor et Rachel Musson au sax ténor et soprano
dont le jeu original se fait régulièrement entendre en Grand Bretagne dans
plusieurs groupes. Je goûte particulièrement les développements sinueux de
Briscoe et la réelle capacité de Speyer à phraser et la belle empathie de Brice
et Wilcox. Il y manque un peu de folie, mais on suppose qu’il faille assister à
une prestation de concert pour que ce groupe bien huilé donne toute sa pleine
mesure. Ce genre de musique mérite un peu plus d’agressivité et de déraison, à
mon humble avis. Un groupe de jazz contemporain vraiment cohérent, bien qu’un
peu trop sage, qui développe un style collectif réussi et original.
Cynosure Trevor
Watts String Ensemble Hi4Head HFHCD 018
Dans mon jeune temps marqué par la découverte du free
jazz, de l’improvisation libre radicale, de la musique contemporaine et de pas
mal d’autres choses créatives, il y eut une ombre médiatique au tableau :
l’incursion de musiciens doués et parfois géniaux dans les élucubrations
ineptes du jazz-rock commercial et de la "fusion". Suivez Soft Machine à la trace album après album ou la trajectoire des
musiciens de « Miles électrique» au fil des contrats et des tournées
et vous allez être édifiés. Au grand dam des puristes, dès 1975, on vit le fer
de lance de la free music « improvisation libre » militante,
prosélyte et collectiviste londonienne, John Stevens et Trevor Watts, se lancer
dans une démarche jazz-rock (ou rock-jazz) électrique, tranchante et virulente
qui laissa perplexe leur mentor inconditionnel, Martin Davidson (label Emanem) et bien d'autres.
Les deux indissociables finirent par s’étriper quant au leadership de ce
projet, l’Amalgam légendaire de Trevor
Watts. S’il faut croire ce dernier, l’inénarrable John Stevens s’évertuait
à phagocyter Amalgam, groupe créé par
Watts, justement, pour échapper à la main mise du batteur sur le Spontaneous
Music Ensemble et créer sa musique personnelle. Stevens créa ensuite
son propre groupe Away et décrocha un
beau contrat avec Vertigo, Robert Calvert remplaçant l’incontournable Watts au
saxophone. Celui-ci, tout aussi imprévisible, finit par engager rien moins que
Keith Rowe comme guitariste « bruitiste » pour remplacer les
guitaristes rock au sein d’Amalgam,
Steve Hayton et Dave Cole. Dans cette évolution surprenante de Trevor Watts qui
le mena à ses projets Moiré Music et Moiré Drum Orchestra, je n’ai qu’un seul
regret : que ce Trevor Watts String Ensemble n’ai pu
être enregistré dans de meilleures conditions matérielles. En effet, on a droit
à un son cassette rugueux et pas assez clair. Et c’est vraiment dommage, car je
ne connais rien de pareil. Un batteur rock carré qui s’efforce à démultiplier
les rythmes : le très remarquable Liam
Genockey. Celui-ci remplaça un Stevens désobligeant à la dernière minute en
1975 et s’installa durant plus de vingt ans dans les groupes de Trevor sur la
chaire fûts et cymbales. Un saxophoniste alto et soprano, extraordinaire avec
une énergie et une musicalité époustouflantes : Trevor Watts. Deux guitares électriques, une basse électrique, un
violon, un violoncelle, une contrebasse dans une alchimie simultanément
mélodico-rythmique binaire et polyrythmique vraiment complexe : Dave Cole, Steve Hayton, Colin Mc Kenzie,
Steve Danachie, Sandy Spencer et Lindsay Cooper. A l’époque où les Larry
Corryell, John McLaughlin, Chick Corea se laissait glisser sur une pente
savonneuse mercantile pleine de clichés et pourvoyeuse de billets verts, il y
eut Trevor Watts et son utopie à
contre-courant qui n’hésitait pas à mettre le feu aux poudres. Dans les cercles
pointus free-jazz et avant-garde, ce tournant rock jazz lui fut reproché, mais
il n’en eut cure, trouvant par la suite dans la scène internationale musiques
du monde et multiculturelle un exutoire rémunérateur pour son Moiré
Drum Orchestra. Dans son parcours musical, TW String Ensemble figure
un peu comme un chaînon entre d’une part, les Amalgam acoustique free
jazz et puis free-rock et l’orchestral Moiré Music et Moiré Music Orchestra.
Cet enregistrement live « en répétition » survint en 1976, soit trois
ans avant la mutation surprenante d’Amalgam avec le bruitisme provocant
et ultra radical de Keith Rowe
(quadruple album Wipe Out/ Impetus) et témoigne des audaces inconsidérées de
Trevor, lequel insistait pour que coexistent dans la meilleure entente possible
et à la fois parallèlement et en symbiose des démarches musicales très
différentes voire hétérogènes, qui mêlent conceptions et sonorités rock, jazz,
funk, avant-garde et même des échos des musiques celtiques dans une imbrication
complexe et délirante. TW n’était pas à un paradoxe près et il risquait, avec
un tel projet, sa réputation auprès des critiques, organisateurs, producteurs
responsables. Même si cette musique
sonne violemment rock par rapport au jazz, elle ne fait aucune
concession pour être « mélodique » et « accessible ». N’est
ce pas ? La « fusion » proposée par les businessmen, fut un
effet de mode « smooth » et lénifiant, celle de Trevor Watts fut
particulièrement explosive et corrosive.
Ses thèmes soigneusement concoctés défilent sur des chapeaux de roues
avec des rythmes difficiles à enlever et une furia irrépressible, sauvage,
emportant tout sur son passage. Les
musiciens ont une trame très précise à suivre, mais ils peuvent en déroger en
laissant le libre cours à leur imagination au fil des morceaux qui évoluent pour
la plupart autour de la dizaine de minutes. Vraiment indescriptible. On songe un
peu au concept des groupes harmolodiques d ‘Ornette
Coleman mais la musique de Trevor Watts est plus radicale et abrupte. Cynosure
fut publié initialement chez Ogun en
1977 et H4H s’apprête à publier un autre album Ogun, Closer To You, une
perle d’Amalgam en trio. Il faut
s’attendre, peut-être, à ce que Watts fasse rééditer une deuxième fois certains
albums d’Amalgam qui figurent
actuellement au catalogue CD du label FMR. Celui-ci s’est livré au fil des ans
à une réédition massive et inespérée du catalogue Watts / Amalgam/ Moiré Music etc…,
mais certaines rééditions souffrent au niveau du son, vraisemblablement repiqué
des 33 tours. Avec Hi4Head, même si la prise de son originale est loin d’être
satisfaisante, on a l’assurance que tout a été fait pour le mieux, avec un
digipack de qualité. En outre, les morceaux inédits, Dance Trance et Chip, qui clôturent l’album, ont une
meilleure lisibilité que les précédents. Une singulière aventure.
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