Iridescent Strand Thanos Chrysakis Sue Lynch James O’Sullivan Joe Wright Aural Terrains
Iridescent Strand, une œuvre sonore
constituée de cinq parties numérotées I, II, III, IV et V. Un ensemble
instrumental atypique : Thanos
Chrysakis, le responsable du label, laptop computer et synthétiseurs, Sue Lynch, sax ténor, flûte et
clarinette, James Sullivan, guitare
électrique et Joe Wright, sax ténor
+ « dynamic feedback system ». Une telle instrumentation indique au
premier abord que les artistes travaillent au cœur de la musique alternative
expérimentale et/ou improvisée. Leur méthode dans l’improvisation, leurs modes
de jeux, l’étagement des sons et leur imbrication dans l’instant créatif les
rapprochent plus du courant AMM que de l’interactivité qui découle de
l’expérience du Spontaneous Music Ensemble, John Russell, Phil Wachsmann
etc… Comme toujours pour ses propres
productions pour Aural Terrains, le compositeur - improvisateur Thanos Chrysakis a opté pour une œuvre
graphique géométrique sur le recto de la pochette. Avec une couleur dominante
verte foncée – noire, elle est faite de courbes disposées autour d’alignements
verticaux, de surfaces arrondies d’un côté hachurées et traversées de
lignes droites horizontales ou obliques
parallèles évoquant (peut être) une partition graphique. L’imbrication des sons
électroniques abrasifs et étirés, des froissements des colonnes d’air des
saxophones, du traitement du feedback, des effets saturés de la guitare, des
drones décalés, leur étalement dans le temps trouvent quelque correspondances
temporelles avec l’ordonnancement de ces motifs géométriques et leur
perspectives. Ceux-ci sont l’œuvre du
graphiste Carlos Santos, lui-même
responsable du graphisme du label Creative
Sources. On découvre des liens esthétiques évidents entre ce label portugais
et la musique d’Iridescent. Une écoute attentive de leur continuum sonore, dont
chaque partie plonge dans le silence par la vertu du fading ou d’une coupure
nette (dans la partie V) à la fin de chacune d’elles, révèle la profonde
cohérence et l’intensité croissante et obsessionnelle de la musique. Un
déroulement dans l’infini qui ne trouve de solution que dans l’instant et par
l’activité sonore collective et une écoute astucieuse. Un excellent album.
Marsh Gas Ian Brighton Bead 3 réédition FMR CD0521-1018
Enregistré à une époque où les documents / enregistrements illustrant
l’alors jeune « european free
improvised music » étaient rarissimes par rapport à ceux des décennies
2000-2010, Marsh Gas est un album majeur que j’ai écouté des dizaines de
fois dès 1977, année de sa parution. Ian Brighton, maître d’œuvre de sa
conception et guitariste audacieux, avait convié le contrebassiste Marcio Mattos, le tromboniste Radu Malfatti, le guitariste Roger Smith et le violoniste Phil Wachsmann au légendaire West
Square electronic Studio de Barry Anderson à Lambeth. Ce lieu fut l’épicentre
de l’école « Phil Wachsmann » de l’improvisation Londonienne avec des
ateliers, des cours de musique électronique en liaison avec l’improvisation,
des concerts et le travail intensif avec des danseuses. Phil Wachsmann fédérait
les énergies de ces jeunes improvisateurs issus du Little Theatre Club qui évoluaient en parallèle à Bailey, Parker,
Guy, Rutherford, Lytton documentés par Incus (la première génération). Les
improvisateurs de la deuxième génération
s’étaient réunis autour du label Bead. La troisième parution de Bead, Marsh
Gas, contient des duos
guitare électrique – contrebasse Brighton / Mattos dans Bullrushing, guitare électrique – trombone Brighton / Malfatti dans
Brotherhood Alone et trio guitare
électrique, violon et guitare acoustique Brighton/ Smith/ Wachsmann dans The Wizard Dream , lequelclôturait la
face A. Le premier morceau de la face B, Silver River Shuffle, rassemble
Brighton, Malfatti, Mattos et Wachsmann et se révèle être un rare document
(pour l’époque) d’un quartet librement improvisé « British ».
Brighton, Mattos et Wachsmann collaboraient alors dans le groupe Strings avec le percussionniste Trevor
Taylor qui vient juste de publier un nouvel album sur FMR (Strings).Avec
Malfatti , le percussionniste Frank Perry et le violoncelliste Colin Wood, le
guitariste et le violoniste avaient enregistré le fantastique Balance
(Incus 11), un des meilleurs témoignages de cette musique improvisée british
naissante. Marsh Gas débutait par un très beau solo de guitare, Plickie,
extrait d’un concert dans la cathédrale de Chelmsford dont une suite
orchestrale intrigante avec Brighton à
la guitare, le saxophoniste alto Jim
Livesey, dont c’est le seul enregistrement improvisé connu, et the Sound
in Brass handbells – dirigé par Andrew Hudson. Le deuxième morceau de
la face B, raconte une histoire
avec des personnages imaginaires représentés par des sons ou personnalités
sonores, Ian Brighton et sa guitare étant Plickie comme on peut l’entendre au
début de l’album où il se présente au public. Ce projet musical s’est développé
en intégrant la participation active d’enfants autour d’une histoire dont
certains éléments sont dessinés dans la pochette du CD. Le gnome Plickie
est en fait le petit frère le plus proche de Derek Bailey et le jeu de Ian
Brighton est vraiment la révélation de ce disque. Son imagination et ses
capacités à trouver des sonorités inouïes sont égales à celles de Bailey, même
si leur degré de virtuosité n’est pas comparable. On trouve évidemment un
territoire commun entre les deux guitaristes, mais surtout, Ian Brighton se distingue lorsqu’on
écoute soigneusement. Par exemple le duo Malfatti - Brighton est une pièce d’anthologie incontournable,
aussi voisine qu’éloignée de la paire Bailey - Rutherford inclus dans Iskra
1903 (Incus ¾ 1973 rééd Emanem) et dégageant une énergie tout à fait
différente. The Wizard Dream, est un
des premiers enregistrements d’improvisation d’instruments à cordes violon –
guitares dont la trame sonore est à l’époque la musique la plus éloignée de
l’identification au free-jazz tout comme les dix minutes de Silver River Shuffle. Les deux plages
restantes, The Chapel of Splintered Glass et Marsh Gas avaient été enregistrées dans la cathédrale de Chelmsford
parce que le grand père de Ian, un expert spécialiste des cloches y avait été
le sonneur plus de 70 ans auparavant. Le duo sax guitare de Brighton – Livesey agrémenté
des sonorités cristallines de cloches manuelles
délivre un magnifique dialogue (Chapel of
Splintered Glass). Un bon conseil : si vous aimez déjà (beaucoup)
Derek Bailey, détournez vous de ses dernières productions (Carpal Tunnel, All
Thumbs, String Theory etc…) et précipitez-vous sur Marsh Gas. Je rappelle que Brighton a aussi travaillé et enregistré
avec Tony Oxley, Barry Guy et Wachsmann (February Papers Incus 18). Avec une approche similaire au départ, mais
une sensibilité très différente, Ian Brighton réalise une musique originale et tout
aussi passionnante que celle du maître de Sheffield. La dernière pièce en solo
intitulée Marsh Gas nous mène dans un univers de résonances (l’église),
de timbres inouïs, de glissandi uniques avec une amplification légère et soigneusement
spécifique combinée à la réverbération de l’église. À l’époque, 1975, Ian Brighton est un des
guitaristes improvisateurs les plus exemplaires et après avoir disparu des
radars revient sous les feux de la rampe grâce aux efforts de FMR
( trois CD’s tous récents : Kontakte
Trio, Imaginings et Strings). Indispensable !
Strings Phil Wachsmann Trevor Taylor Marcio Mattos Ian Brighton FMR CD496-0618
Ce quartet historique avait été initié il y a plus de quarante ans et si
trois des musiciens, Brighton (guitare),
Wachsmann (violon) et Mattos (violoncelle et
contrebasse) figuraient dans l’album Marsh
Gas (1975 Bead 3, une pièce incontournable de l’improvisation libre
réédité cette année par FMR). Ce nouvel album intitulé Strings est le tout
premier enregistrement de cette formation en quartet. En quartet, dis-je, car
en 1988, faute d’avoir jamais publié leur premier album, ils avaient fixé dans
le digital alors naissant, le très méconnu Eleven Years from Yesterday en
quintet avec le percussionniste Trevor
Taylor le pianiste Peter Jacobsen. Ce fut le premier album produit par FMR,
le label de Trevor Taylor alors
intitulé Future Music Records en collaboration avec Bead, le label collectif
que Wachsmann a repris plus tard à son compte. On trouva aussi Wachsmann et
Brighton dans le groupe Balance (Incus 11 avec Radu
Malfatti, Frank Perry et Colin Wood, autre incunable merveilleux) et le groupe
de Tony Oxley (February Papers Incus 18, album précurseur de la nouvelle improvisation, tendance qui se
profilera vers l’an 2000. L’intérêt de
la musique de Strings vers 1977 résidait dans le développement d’un type
d’improvisation chambriste contemporaine qu’on qualifie aussi de « non
idiomatique » caractérisée par le remise en question radicale des
paramètres de jeu et des techniques instrumentales combinées avec
l’amplification électrique et des éléments/ effets électroniques
auxiliaires. Mais rassurez-vous, ce
nouveau CD n’est pas un revival, même si on reconnaît clairement Mattos et
Wachsmann par endroit avec leurs col legno caractéristiques, le jeu
pointilliste, une hyper interactivité, l’atonalité et l’ouverture totale aux
bruits musicaux etc… . En effet, Trevor
Taylor n’avait quasiment jamais enregistré dans les années 70 si ce n’est
un solo inclus dans l’anthologie improvising percussionnist (avec
Lytton, Prévost, Stevens et Perry et parue en 2005 chez FMR). Et donc, nous
n’avons aucune idée comment aurait pu sonner Strings en 1977 faute d’enregistrements
de TrevorTaylor à l’époque. Les sonorités et la dynamique actuelle du groupe
Strings sont conditionnées par l’usage exclusif du vibraphone et de
percussions électroniques de Taylor. Il n’y a pas de batterie (peaux et
cymbales), mais quelques petites cloches dont les sonorités cristallines
s’envolent par dessus des entrelacs et arabesques chaotiques des trois
cordistes. Le violon et le violoncelle font corps l’un à l’autre se complétant
merveilleusement tout en jouant avec des cadences et des intensités
différentes, constamment variées et mouvante, sans oublier l’altération des
sons grâce à leur dispositif électronique hyper sophistiqué dans son utilisation.
On notera les pizzicati hésitants de Wachsmann et ses moulinets vifs et
délicats à l’archet en sottovoce. Ian Brighton crée des trames sonores où le
jeu de la pédale de volume, le timbre clair et la conception de
l’amplification s’insère à merveille dans
le son du groupe. Taylor inscrit ses interventions par petites touches qui
répondent à une action précise de ses camarades au milieu d’une interaction
très fouillée où le silence de chacun alterne en permanence avec leurs interventions
excellemment ciblées et toujours renouvelées. Un sens du timing impressionnant.
Si ce type de musique à laquelle on associe Derek Bailey, John Russell ou Paul
Rutherford est relativement récurrent sur la scène (insect music, improvisation
British), la démarche de Strings se singularise grâce au vibraphone
de Trevor Taylor qui apporte un
aspect mélodique, une interactivité supplémentaire, plus de relief et de
perspectives dans cette multiplication complexe de signes et signaux abstraits qui s’entrecroisent et s’enchaînent
dans un sens très aigu et surprenant de la discontinuité . L’utilisation
individuelle de l’électronique en relation au jeu instrumental induit une
dimension fascinante enrichissant véritablement l’improvisation
collective. Retards, brèves répétitions, glissandi, aura sonore, percussivité,
transformations sonores, métamorphoses, etc… Le développement de leurs
improvisations suit un cheminement insondable, la logique étant ici largement
éclipsée par une intuition ludique joyeusement excentrique tout en paraissant
naturelle et allant de soi. Un excellent chef d’œuvre qu’on peut réécouter à
plusieurs reprises durant deux ou trois jours sans se lasser.
Frost burning The Forestry Commission Biliana Voutchkova Alexander Frangenheim
Antonis Anissegos FMR CD470-0318
Biliana Voutchkova
violon, Alexander Frangenheim contrebasse et Antonis Anissegos piano. Trois improvisateurs dans un remarquable échange à la fois chambriste
classieux avec un bel usage du silence, et une diversité de modes de jeux, et
une belle énergie percutante cadrée par un sens proactif de l’écoute et
d’interventions ciblées avec un bel à propos. Sept improvisations dénommées
archive 5 :52 ou 7 :07 selon la durée de chaque morceau. Tout
l’intérêt de leur collaboration est basée sur la multiplicité des cadences et
action individuelles qui prennent le temps de respirer et de suspendre leur
geste afin de créer des équilibres sans cesse inversés ou renversés. Le travail
à l’archet se concentre sur le sonore et l’intensité des vibrations à la limite
du grattage bruitiste et conjugant les accents à la tangente des secousses pointillistes
de leurs partenaires. Ailleurs le jeu parsemé dans les cordes bloquées du piano
donne l’occasion à la violiniste d’exciter les cordes de son instrument dans
des glissandi surréels. Le morceau suivant est complètement zen avec Anissegos
qui égrène chocs brefs et notes solitaires sur un léger fond de drone à la
contrebasse. C’est sans nul doute un des tout meilleurs albums d’Alexander Frangenheim et il nous permet
de découvrir le travail exquis et passionné de Biliana Voutchkova et la démarche intelligente d’Antonis Anissegos. Hautement recommandable !
Dream Libretto Marylin Crispell Tanya Kalmanovitch Richard Teitelbaum. Leo CD LR
849
Pour qui connaît Marylin Crispell par le truchement de ses albums solos, de
sa collaboration cruciale avec Anthony Braxton entre 1984 et 1994 dans le
groupe qui comprenait Mark Dresser et Gerry Hemingway, son duo avec ce dernier
etc… ce Dream libretto sera une
surprise de taille. Cet album inspiré par la poésie de Robert Gibbons est
constitué de deux parties : en trio avec les électroniques de Richard
Teitelbaum et la violoniste Tanya Kalmanovitch Memoria / For Pessa Malka en cinq courts volets et puis les
miniatures en duo avec la même violoniste, the River. Une évidence
s’impose : pour ce livret de rêve, le jeu de piano, la dynamique et la
conception de la musique est à la fois basée sur le toucher de la pianiste mis
en valeur par une démarche minimaliste retenue faisant la part belle au
silence, à la méditation, à l’espace, mais aussi l’élégance et la grâce. Cela
évoque Morton Feldman et les formes contractées et dodécaphoniques de
Schönberg. Teitelbaum offre des paysages sonores dans les quels les lents
arpèges distanciés étalent le merveilleux toucher de Marylin Crispell, la
violoniste apportant sa touche personnelle de plus en plus présente au fil des
pièces du trio. Ainsi lancées, les deux musiciennes partagent cinq instantanés
en suspension où la moindre note, le moindre vibration équilibre l’édifice
fragile et éphémère. Tanya Kalmanovitch a une sonorité chaleureuse et puissante, pas trop académique : on
entend clairement des zestes de micro tonalité dans les traits sûrs de son
archet et la pression de ses doigts sur la touche. Une belle œuvre plutôt contemporaine rafraîchissante
et réussie !
Dark Energy Paul Dunmall Alan Niblock Mark Sanders FMR CD506-0918
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