Derek Bailey Solo on Milwaukee 1983 Cassette
Incus Réédition 2011.
Illustration de la cassette originale
Il y a plus
de trente ans, je me trouvais à l’Incus Festival 1985 (et ensuite à l’édition
1986) à Londres, à l'Arts Theatre Club, Great Newport Street à deux pas de Leicester Square. Programme extraordinaire et deux grandes tables avec des albums du label Incus et
autres que je m’efforçais d’acquérir petit à petit… Derek Bailey proposait
quelques copies d’une cassette enregistrée à Milwaukee en 1983 et celle de sa
performance parisienne avec le danseur butoh Min Tanaka. Je dus me concentrer
sur les dernières parutions Incus et des albums introuvables de X Pact (Fuchs Hirt Schneider Lytton et
Floros Floridis avec Lytton, AMMO de Minton Turner etc…). J’écoutais très
régulièrement les solos de Derek, tels Aïda
(enregistré par les fidèles Jean-Marc Foussat et Adam Skeaping en 1980), une
extraordinaire invention acoustique à la guitare, les Public and Domestic Pieces (Quark / Emanem) et Improvisation
(Cramps), plus la demi-face de Solos Vol
2 sur Caroline produits par Fred Frith (avant de mettre la main bien plus tard
sur Old Sounds, New Sights en CD,
réédition du double album Morgue japonais. Que n’ai-je économisé l’argent de
deux ou trois pintes de bière, des paquets de cigarettes ou un vinyle de jazz
pour cette cassette auto-produite. Enregistrée au Woodland Pattern, la librairie de Milwaukee où Hal Rammel et ses
amis présentent toujours des concerts,
cette performance est en réalité le plus beau développement des trois
improvisations d’Aïda, Paris
enregistrée au Dunois et Niigata Snow
et An Echo in Another’s Mind à
l’I.C.A., lieu situé sur Pall’s Mall’s à proximité des palais princiers et
royaux et réceptacle des performances et concerts les plus révolutionnaires les
uns que les autres (dont Company). Derek Bailey s’est imposé comme un
inconditionnel de l’improvisation libre pure et dure, rejetant l’idée et le
titre de compositeur. En pratique, si vous écoutez attentivement ses solos
acoustiques à la file, vous finissez par vous convaincre que par le truchement
des enregistrements de ses concerts solos, il s’est construit une œuvre confiée
aux micros et la bande magnétique en écoutant, réécoutant, analysant les
séquences, les intervalles, les harmonies (sérielles) l’évolution seconde par
seconde de tous ces éléments sonores et musicaux et recyclant les idées forces
avec d’autres paramètres pour en faire évoluer et transcender l’architecture
générale et la multitude de détails qui donnent le caractère précis d’une performance.
Le jeu parcimonieux d’harmoniques éparses face au silence et tout aussi
fascinant que le tourbillon du plectre dans l’éclatement des six cordes contre
frettes serrées et paume des doigts de la main gauche magiquement relâchés se fait ici silence et son à la fois. Aussi intarissable que peu loquace. La deuxième face de la cassette contient un
solo électrique où il joue avec sa technique à l’acoustique en relâchant sa
pédale de volume. Le son acoustique des cordes de sa « demi-caisse »
(hollow-body) est enregistré directement
avec un micro, un autre dressé face à l’ampli, rééditant ainsi sa technique
avec deux pédales et stéréo. D’où l’intérêt de cette cassette légendaire
disponible aussi en version CD. J’ignore encore si le son du CD a une meilleure
définition que celle de la cassette rééditée par Incus en 2011. L’aboutissement
de cette démarche solitaire se révèle dans Notes (Incus 48) et Drop Me Off at
96th (Scatter02CD). A suivre à la trace et re-suivre.
Five arias for naica Benjamin Vergara Fred Lonberg Holm Aaron Zarzutzki inexhaustible editions ie-013
Inexhaustible editions et son responsable Laszlo Juhasz ont fait le pari de présenter avec élégance et grand professionnalisme, la musique improvisée sans concession, nue et chercheuse. Chercheuse de sons, de textures, de bruissements, de connivences insoupçonnées, créatrice d’un univers imaginaire avec en exergue, l’esprit d’écoute, de partage et d’instants de grâce renouvelés avec le moins de redite possible. Le violoncelle (Fred Lonberg Holm) se fait craquant, luisant, bruiteur, aiguillon, grogneur, siffleur, forcené dans la saturation physique, toujours imaginatif et ludique. Le trompettiste (Benjamin Vergara) suggère, frictionne la colonne d’air, questionne le tube et l’embouchure, détricote un motif mélodique, sussure des nuances étirées et articule en évoquant le Leo Smith du CCC. Le synthé (Aaron Zarzutzki), aussi aux objets, se fait minimaliste, ouvrant l’espace et s’immisçant avec perspicacité dans les liens qui sous-tendent les univers parallèles du cordiste et du souffleur. Le talent d'exécution des ritardandos et hésitations de la première des cinq arias, vaut à elle seule le détour... et le reste s'impose naturellement. Un album de musique honnête et conséquente qui illustre bien les possibilités et la fascination de l’improvisation libre : libre de référents, de méthodes, de buts et de prétentions. Remarquable et à (re)commander.
Antonio Panda Gianfratti Marco Scarassatti
Otomo Yoshihide Paulo Hartmann PsychoGeography
An Improvisational Derive Not Two MW 981-2
Trois
brésiliens et un japonais. 6 morceaux intitulés par une macédoine de chiffres
qui dégringolent sous la virgule et s’agglutinent en couleur pastel pour former
un réseau à la fois clair et opaque. Une musique dynamique, inclassable. Platines,
guitares électriques, effets, percussions, viola de cocho, selfmade
instruments/ sculptures sonores, prepared 3rd bridge guitar, fretless prepared
guitar. Malgré l’impression qu’une telle association se révélerait pur le moins
chaotique, on est surpris par la multiplicité des formes, la cohésion du groupe
et de l’intense écoute mutuelle, la démarche poétique, la précision du travail
instrumental liée à une profonde lisibilité, l’invention sonore mariée à
l’esprit d’à propos, une beau niveau de réussite. En essayant l’improbable, les
quatre musiciens prouvent, s’il est encore nécessaire, que la pratique de
l’improvisation libre est une clé essentielle de la création musicale
authentique. Je me laisse fasciner par ses sons formant une jungle de vibrations,
un maquis de frémissements, des couleurs luisantes, légèrement résonnantes et
réverbérantes, des frottements de cordes lumineux. Musiques fortuites et
pourtant essentielles, sans vouloir se référer à un sub-genre improvisé. Avec
Otomo, pourtant, déchirures électriques dans du velours sans surenchère, effervescence
noise contenue par le flegme des Brésiliens durant la phase la plus animée de
cet album éminemment « concerté » en toute spontanéité. Sens profond
de la dynamique et étonnante cohésion.
Cristiano Calganile ST( )MA. We Insist Records
Support by Amirani Records
Double album
Vinyle + DVD. Cristiano Calganile
Solo : Drums, Percussions, Objects,
DrumTable Guitar, Effects. Enregistré les 15, 16, 17 avril 2013 à la Casa del
Popolo à Lodi. Video de chaque morceau enregistré contenu dans un DVD. Disque
Objet, Textes italien et anglais de l’auteur inclus dans un triptyque en papier
fort et photos format 33T : visage du musicien, scarabée, astre… Crédits
et remerciements à tous ceux sans qui la musique n’existerait plus. Design de
l’enveloppe, une pochette blanche.
À écouter et à méditer. À lire…Témoignage d’une
pratique de la percussion – batterie – recherche sonore dans le présent – dans
l’instant. Composition musicale. Post Rock. Par delà les étiquettes, une
musique honnête, rêveuse, faite de boucles rythmiques, de répétitions
d’éléments mélodiques en décalage,
illusion du temps qui fuit. Intrigante DrumTable
Guitar. Dérive vers le rythme primal. Synchronisation de cellules éclatées,
de fragmentations des pulsations. Un travail original sur le rythme, son
enrichissement, son évanouissement. La greffe sonore nourrit les frappes,
dérange l’ostinato mouvant, les bruissements de Medicazioni Liturgiche,
frictionnent la résonnance métallique et son écho électrique. Crissements,
montage, sculpture sonore vivante. Un excellent travail à la croisée des
chemins de traverse : recherche sonore, sens de la forme, poésie, clarté
des intentions. Fin abrupte. Hésitations. Les Italiens sont prolixes. Mais
l’artiste en dit autant par sa relation fondamentale au silence, que par les sons. Exemplaire et inclassable.
Caroline Kraabel LAST1 LAST2 Emanem 5048
Intéressant
projet collectif conçu et dirigé par Caroline Kraabel avec la participation de
Robert Wyatt. Sur le recto
de la pochette, une photo de mur et de clôture, celle qui empêche les migrants
de traverser la frontière britannique à Calais où se pressaient des milliers de
réfugiés et migrants du Moyen Orient et d’Afrique dans des conditions
sanitaires indignes. Comme le souligne Caroline, nous sommes tous des migrants
ou des fils de migrants. Les revenus de l’album, enregistré au Café Oto en
2016, sont destinés à soutenir les organisations d’aide aux réfugiés
Care4Calais et Utopia 56.
LAST1 est
une composition/conduction de Caroline
Kraabel pour un grand orchestre et un enregistrement de la voix de Robert
Wyatt chantant un texte de C. Kraabel. Les musiciens n’avaient pas entendu cet
enregistrement de Wyatt auparavant et ignoraient à quel moment sa voix si caractéristique
était diffusée. L’orchestre est composé de membres récurrents du London
Improvisers Orchestra pour la plupart : Veryan Weston, piano, Phil
Wachsmann, violon, Hannah Marshall, violoncelle, neil Metcalfe, flûte, Alex
Ward, clarinette, Tom Ward, clarinette basse, Jackie Walduck, vibraphone,
Roland Ramanan, trompette, Caroline Hamm, trombone, David Jago, trombone, Sue
Lynch, sax : ténor et seconde conductrice, Cath Roberts, baritone sax,
Seth Bennet, double bass, Guillaume Viltard, contrebasse Mark Sanders,
percussion. Durée : 29:20
LAST2 réunit
un quartet : Caroline Kraabel, sax alto et direction musicale, Richard E
Harrison, percussion, John
Edwards , contrebasse, Maggie Nicols, voix avec la participation
pré-enregistrée de Wyatt, chantant une texte de Caroline Kraabel. Une stratégie
de jeu est élaborée en connaissance du contenu de la bande pré-enregistrée de
Wyatt et en fonction des moments précis où elle est diffusée.
La voix de
Wyatt est toujours aussi originale, extrêmement personnelle, aussi sincère,
profonde qu’irréelle. La musique collective dirigée ou initiée par Caroline
Kraabel tisse petit à petit un écrin, une trame autour du texte. Last2 me fait
redire que la communauté londonienne recèle des improvisateurs
« inclassables » car ils ont très souvent la capacité d’adapter leurs
passions au service de toutes les idées qui leurs sont présentées par leurs
pairs sur une base collaborative aussi enthousiaste que spontanée. Une forme de
respect qu’on entend dans la musique.
Kanazawa Duos Hideaki Shimada with Evan
Parker and Roger Turner
Pico-07
Hideaki
Shimada est un violoniste original qui transforme le son de son instrument
électrifié avec une installation électronique de manière vraiment originale. Il
privilégie le travail du son et se focalise sur une qualité de dialogue
tangentielle - élastique avec ses deux partenaires successifs. Ce que j’aime
particulièrement dans le duo avec Evan Parker (20 :12 – 6 avril 2016) est
cette presque nonchalance avec laquelle ils prennent de jouer, de moduler et de
dévier les lignes, et de la part du violoniste, de savoir se concentrer sur son
cheminement sonore, fait de timbres très fins
et d’une électronique très travaillée et au moyen de celles-ci proposer
des formes inusitées. L’écoute profonde d’Evan Parker, se mesure à ces moments
précis où il infléchit sa sonorité en captant les sons remarquables de son
partenaire tout en se montrant très mesuré par rapport à sa pyrotechnie
acrobatique « of the Lungs ». Concernant Shimada, mon impression se
confirme dans le duo avec Roger Turner (29 :40 – 22 septembre 2016) où les
deux artistes explore la densité de l’espace de jeu – fréquences immanentes du
lieu, avec des manipulations sonores plus qu’intéressantes. Son art est très
précis, méthodique et détaillé, où chaque son compte. Les manipulations de
l’archet et des cordes sont complètement intégrées à celles de l’électronique
comme si l’un naissait de l’autre et vice et versa. Roger Turner questionne
l’acte de jouer dans l’instant en laissant des espaces de blanc tout à
l’écoute, créant l’espace nécessaire à son vis-à-vis pour qu’il donne la pleine
mesure de son art austère. En fait, Turner a cette qualité de pouvoir marquer
sa présence sur scène en jouant « avec des riens » de manière peu
perceptible mais néanmoins engagée et dramatique Réalisant une belle symbiose entre la pratique
d’un instrument conventionnel et le jeu avec l’amplification et l’électronique,
Hideaki Shimada est un artiste original qui a trouvé deux improvisateurs très
expérimentés qui joue à fond la carte de l’adaptabilité à son univers
particulier. Une belle réussite qui échappe à la routine de la free music pour
festival sans imaginaire et ….
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