28 mai 2019

Davide Rinella / Jean-Jacques Duerinckx & Anatole Damien/ Andrew Lisle & Alex Ward/Bobby Naughton Leo Smith & Perry Robinson


Davide Rinella armonica cromatica solo quando ero un bambino faró l’astronauto Setola di Maiale 

Encore une de ces merveilles musicales qui pullulent dans les recoins créatifs de notre vielle Europe. Sans crier gare et avec grâce et application, Davide Rinella nous offre un magnifique inventorium de son savoir-faire  et de son imagination avec son instrument, l’harmonica chromatique. Inventorium est un néologisme latin, crase des mots inventaire et invention. On y entend une série de possibilités sonores et timbrales de l’harmonica chromatique qui servent de clés – tremplins pour de magnifiques inventions – bagatelles, histoires de souffles et d’anches en suspension, contes de l’imaginaire, vecteurs d’émotions nues. Parfois, le jazz libéré ou une manière de blues méditerranéen s’invite avec vocalisations délicates et glissandi millimétré, ou un tango saccadé et tortueux. Une volonté de trouver des formes nouvelles et d’élargir ses registres à l’expérimentation et à la recherche de sons liés à une expressivité où la liberté et la fantaisie de l’improvisation sont le moteur de l’inspiration. Ça s’écoute avec plaisir, intérêt et parfois surprise. En effet, une profonde sincérité (celle de la musique honnête sans faux semblant) anime toute l’entreprise et quand la virtuosité se déploie c’est pour revenir nous saisir avec les traits les plus fins, les agrégats de sons les plus déchirants, exprimer un timing surprenant et jeter des silences imprévus ou ses multiphoniques   si caractéristiques. Il peut s’acharner à distordre le flux et le timbre conventionnel  pour faire grogner son instrument comme si étant bâillonné  et empêché de s’exprimer, il parviendrait à faire passer l’essentiel de son message. Quand au bout d’un long moment , on pense avoir fait le tour de son répertoire de sons imprévus – nouveaux – imprévisibles, on est surpris par ce qu’il parvient encore à extraire de son petit instrument.   Un magnifique album parsemé de pièces enchanteresses où se déploie une authentique talent d’improvisateur – chercheur et une maîtrise peu commune.

Dry Wet Jean Jacques Duerinckx – Anatole Damien FMR

Jean-Jacques Duerinckx joue presqu’exclusivement le difficile sax sopranino sous toutes ses coutures avec ou sans bec en explorant le son, les effets de timbre, la percussion des clés, la compression de l’air, le souffle à l’état brut, la valorisation du silence de manière détaillée et peu prévisible. On peut frôler le  Après la cassette « Serpentes » du trio avec le guitariste John Russell et le violoncelliste Matthieu Safatly (Weekertoft), Dry Wet est son deuxième enregistrement et celui qui, sans doute, trace son portrait musical. Il a trouvé  dans le guitariste Anatole Damien, un complice au même diapason, celui de la recherche sonore qui intègre le bruitisme dans une démarche musicale organique, traces phoniques d’une écoute alternative. La guitare électrique mise à plat sur une table est mise en réseau avec une kyrielle de pédales et d’effets électroniques et est pensée comme source sonore / objet amplifié manipulé aux moyens d’objets frottés contre les cordes, le duo transitant d’une zone neutre jouée du bout des doigts à des échanges chargés d’intensités où la dynamique est toujours présente. Tout l’intérêt réside dans l’imaginaire déployé et l’inventivité des deux improvisateurs dans leur univers propre coexistant dans un dialogue peu prévisible, mais tissé avec une belle évidence. Tree Action / Action Tree (12 :03) est à cet égard exemplaire. Passant du bruissement introspectif à une effusion lyrique lunaire aux intervalles écartelés, JJ Duerinckx a acquis un style très personnel que l’invention sonore d’Anatole Damien bonifie. Jean-Jacques et Anatole d’au moins 25 ans son cadet sont deux activistes incontournables de la scène bruxelloise appelés à briller sur la scène internationale. Et Dry Wet en est une parfaite démonstration.

Andrew Lisle – Alex Ward Doors Copepod 11.

Duo du batteur Andrew Lisle et du clarinettiste/ guitariste Alex Ward, une des personnalités les plus incontournables de la scène Londonienne. Deux morceaux à la clarinette (Front- 16 :29 et Open– 18 :00), deux morceaux à la guitare électrique (Back - 17 :10 et Closed - 17 :26). Front qui ouvre l’album et Open ont été enregistrés le 24 août 2016, Back et Closed le 15 septembre 2016, une session différente pour chaque instrument. Tout au long de l’album, le batteur suit et s’inscrit dans la démarche d’improvisateur et compositeur du clarinettiste / guitariste. Celle-ci partage des points communs dans la pratique des deux instruments dans le choix des intervalles et des harmonies et le sens de la construction musicale. Toute fois si son jeu à la clarinette est marqué à la fois par le jazz d’avant garde dans la lignée Anthony Braxton – Vinny Golia, son jeu de guitare est hanté par l’esprit du (free) rock et marqué du sceau d’une énergie inépuisable avec un sens du tuilage et de la spirale hyper actif et grandement efficace. J’aime par dessus tout son jeu de clarinette truffé d’effets de timbres et de sons dans lequel il instille une dimension musicale de haut niveau, une richesse au niveau mélodico-harmonique et une superbe expressivité. On n’est pas loin du grand Anthony Braxton. Le style elliptique du batteur convient parfaitement aux constructions complexes du souffleur et à la magnificence de son jeu cohérent en diable. Rien que pour ses improvisations à la clarinette, je ne me passerai jamais de ces Doors qu’elles soient celles de devant ou de derrière, ouverte ou fermée.

The Haunt Bobby Naughton Perry Robinson & Leo Smith No Business Records

Réédtion d’un album rare du label Otic présentant la musique du vibraphoniste Bobby Naughton. Après un premier disque pour le label Japo (Understanding), et sa participation aux groupes de Leo Smith (Divine Love / ECM, Mass on the World /Moers, Go In Numbers /Black Saint) entre 1976 et 1984, Bobby Naughton a disparu de la scène active jusqu’il y a peu. Avec deux artistes du calibre du clarinettiste Perry Robinson et du trompettiste Leo Smith, cet enregistrement de 1976, une année phare du New Jazz en matière d’enregistrements et d’effervescence créative, cette réédition se doit d’attirer l’attention, surtout que les commanditaires du label No Business ont le nez singulièrement creux. C’est en fait un petit miracle d’entente et d’interpénétration réciproque et heureuse de trois personnalités musicales complémentaires qui nous délivrent une musique chatoyante où le sens de l’improvisation lyrique contemporaine s’épanouit sur des structures composées magnifiques. Une musique où le souffle, la vibration, la qualité de timbre sont mis en mouvement pour transmettre la quintessence du jeu, du toucher. Tendresse et volupté jouées en rythme libre. Free jazz soft ou « cool ». Une manière de suite aux travaux de Jimmy Giuffre avec Paul Bley et Steve Swallow. Quand feu Nat Hentoff soulignait à l’époque la haute qualité de leur travail collectif et l’importance de Bobby Naughton parmi les vibraphonistes de sa génération (Hutchinson, Burton, Hampel), il avait vu juste. Voici un chef d’œuvre oublié des années 70 laissé de côté face aux disques fabuleux signés Braxton, Lacy, Murray, Taylor, Rivers, Pullen, Bailey, Parker, Rutherford, Bley, Mangelsdorff, George Lewis, Lester Bowie, Frank Lowe, Mike Osborne,  etc….  À découvrir d’urgence et une fois pour toutes, Leo Smith se révélant déjà, en 1976, être un très grand jazzman contemporain arrivé à maturité et parmi les plus grands. Avec des as comme Perry Robinson et Bobby Naughton, on nage dans le bonheur.

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