Chronologie du Spontaneous Music Ensemble 1965-1994 incluse dans mon article Spontaneous Music Ensemble and John Stevens publié par Improjazz en février et mars 2007
1 / 65/66 Débuts / Premières rencontres & retrouvailles
The Watts Rutherford Quartet avec Trevor Watts, Paul Rutherford et John Stevens se forme après un séjour de quatre ans dans la RAF, entre autres à Cologne où ils croisent un jeune Alex von Schlippenbach qui "jouait comme Bill Evans".
Le Trevor Watts Paul Rutherford Quartet devient le Spontaneous Music Ensemble à la suggestion de Paul Rutherford.
Les bassistes seront successivement l'australien Bruce Cale, Jeff Clyne, Harry Miller et Chris Cambridge. Lieu : The Swan dans Drury Lane.
LP Challenge en 1965 sur le label Eyemark avec Kenny Wheeler Trevor Watts Paul Rutherford Jeff Clyne et John Stevens.
Le SME joue au Little Theatre Club & Betterbook Basement (où officie Bob Cobbing le poète sonore) avec Watts, Stevens, Rutherford, Kenny Wheeler, Barry Guy, Evan Parker et Derek Bailey. Le LTC est un théâtre expérimental au quatrième étage d'un bâtiment à l'arrière du Garrick Theatre. John Stevens y organisera régulièrement des gigs de 1965/66 à 1974.
Break : Stevens et Parker vont jouer à Copenhagen entre autres avec John Tchicaï , Hugh Steinmetz et le groupe qui deviendra Cadentia Nova Danica (cfr album MPS SABA avec Breuker)
Selon Evan, ils étaient plus "free" et plus aventureux.
2/ 67/68 SME avec Evan Parker
Seeing sounds and hearing colours : nouvelle direction initiée par John Stevens suite à l'expérience danoise avec une diversification des instruments, des formes et des textures : Trevor y joue du hautbois, du soprano , de la flûte. Participent : Guy, Bailey, Parker, Rutherford, Watts et Wheeler.
Va-et-vient entre le LTC & Ronnie Scott’s Old Place (2 gigs par soir). Le SME se réduit au trio Watts /Parker/ Stevens puis au duo de Parker et Stevens. Le groupe devient la chose de John Stevens. Parker s'y cooncentre au sax soprano car John désire un instrument plus aigu et propice au détail pour la mini-batterie à la quelle Evan Parker a contribué en sélectionnant tambours chinois, crotales cloches et en en construisant l'infrastructure. Lieu : les Cousins dont ils se font virer suite à un gig scandaleux avec le mime danseur Lindsay Kemp, futur démiurge de David Bowie et Kate Bush.
Trevor Watts quitte le SME et fonde Amalgam avec Paul Rutherford et Barry Guy. Invités du SME : Wheeler & Bailey. Evan Parker & John Stevens jouent fréquemment en duo en1967 (Summer 1967 Emanem 4005) et successivement en trio avec les bassistes Peter Kowald, Barre Phillips & David Holland au sein du SME
Stevie Winwood introduit Evan Parker chez Island , un nouveau label. LP Karyobin pour le label Island enregistré avec John Stevens, Evan Parker, David Holland, Derek Bailey et Kenny Wheeler, preneur de son : Eddie Kramer l'ingé son de Jimi Hendrix. Présente : Yoko Ono.
Au LTC & Ronnie Scott’s Old Place , le SME joue avec Chris Mc Gregor, Dudu Pukwana, Louis Moholo, Mongezi Feza & Johnny Dyani qui se sont établis à Londres et y enregistrent.
Tony Oxley est batteur maison au Ronnie Scott's et joue avec Ben Webster, Lee Konitz, Bill Evans... Joseph Holbrooke trio ( Bailey Oxley et Gavin Bryars) donnent un unique concert au LTC.
John et Evan aux journées de Baden Baden en remplacement de John Tchicaï et rencontre avec Don Cherry Albert Mangelsdorff Fred Van Hove Brötzmann etc... Le SME est invité à Berlin en avril 68 suite à une performance dans un Arts Lab où ils enregistrent avec Yoko Ono (qui a gardé la bande)
Session avec Rashied Ali, David Holland, Peter Kowald, Stevens, Watts et Parker pour Island. Parker quitte le SME après la tournée allemande de Machine Gun avec Brötzmann en mai 68 et fonde Music Improvised Company avec Bailey, le batteur Jamie Muir et la participation de Gavin Bryars puis de John Tilbury avant qu'Hugh Davies se joigne au groupe. John Stevens rencontre une chanteuse de cabaret jazz dans un club et elle est engagée illico : Maggie Nicols
3/ SME avec Trevor Watts a/ 1968/71 & b/ 1972-76
a/ 1968/71
Berlin novembre 68 , le SME ( Trevor Watts, Maggie Nicols, Carol Ann Nichols, John Stevens) participent au premier Total Music Meeting organisé par la future FMP (Brötzmann, Kowald, Schlippenbach, Jost Gebers...). John Mc Laughlin y joue avec le SME. Evan Parker y joue avec le Brötzmann Octet. Ils rencontrent Sonny Sharrock, Gunther Hampel, Jeanne Lee, Pharoah Sanders.
SME = Trevor Watts (alto), Maggie Nicols, Johnny Dyani & John Stevens augmenté sporadiquement de Bailey, Peter Lemer, Pepi Lemer, Carolann Nichols, Kenny Wheeler, Mongezi Feza, Rutherford, Norma Winstone. LP SME – Oliv 69 produit par Giorgio Gomelsky pour son label Marmalade Ingé son : Eddie Offord. Mais le centre des activités est le Little Theatre Club. John organise une soirée le vendredi et le samedi soir très tard. Derek Bailey joue le jeudi avec plusieurs musiciens parmi lesquels Jamie Muir dont l'inventivité non conformiste l'influence. John demande à Derek de jouer au premier set. En effet , il arrive souvent qu'il n'ait aucun auditeur et donc, les musiciens ont leurs collègues comme auditeurs . C'est de cette époque que provient l'habitude de partager les gigs à deux ou trois groupes afin d'augmenter le nombre d'auditeurs, d'écouter ses collègues pour favoriser les échanges.
Composition : Familie avec différents SME en studio et concerts.
Session avec Steve Swallow, Trevor et John engagée par le label ECM mais refus de John pour l'editing suggéré par Manfred Eicher.
Jam avec Lennon et Yoko Ono, John Tchicaï, Watts et Stevens au festival de Cambridge publiée par Apple (Battle of the Lions).
Débuts des workshops avec débutants et vocalistes etc..
SME / CND happenings et concerts de trente à soixante participants (Montreux Festival).
Preneur de son : Bob Brown et Trevor Watts
Amalgam : LP Prayer fr Peace (Trevor Watts Clyne Stevens et Barry Guy) pour le label folk Transatlantic qui publie aussi The People Band.
LP SME The Source (label Tangent) et naissance de Louise Stevens
et Source concerts avec Ray Warleigh, Wheeler, Smith, les frères Pyne Marcio Mattos etc….
LP So What Do You Think avec Watts, Bailey, Wheeler & Holland /Tangent.
Les pièces des ateliers Sustain et Click deviennent les morceaux du SME.
SME 1971: Julie Driscoll (Tippets) voix / T. Watts soprano / Ron Herman basse / J. Stevens perc. LP Birds of Feather pour le label Byg. Concerts en Norvège, France, Italie. Au Festival Pop de Palerme devant des milliers de spectateurs, le SME joue sous les huées en recevant des projectiles que Trevor évite en sautant de côté tout en jouant. A la fin du concert, on doit les enfermer pour leur sécurité.
Bobby Bradford rencontre le SME et enregistre le contenu de deux albums réédités par Nessa. Julie Tippetts quitte le groupe fin 1971 et le SME joue à Berlin avec Irène Schweizer, Arjen Gorter et Radu Malfatti.
b/ 1972/76 SME duo au LTC.
Extraordinaire version du SME avec Johny Dyani Trevor Watts Mongezi Fesa John Stevens qui joue au festival de Molde. Martin Davidson d'Emanem découvre ce SME + Derek Bailey au Little Theatre Club en 1972 et devient un suporter acharné du groupe et de la scène improvisée
Suite à cette évolution, le Spontaneous Music Ensemble se focalise sur le duo Stevens - Watts où les deux musiciens développent des modes de jeux basés sur l'écoute et un travail de déconstruction du rythme et des pulsations en répétant tous les jours. Trevor adopte le sax soprano, instrument fétiche de la SME music. Mais il enregistre So What Do You Think We Are ? avec Bailey, Wheeler et Dave Holland pour Tangent, label qui éditera aussi un superbe disque d'Amalgam : Innovation.
Bethnal Green & Ealing Workshops hebdomadaires : Search & Reflect. John Stevens et Trevor Watts mettent au point les techniques de workshops avec la voix, les drones, One - Two, Search and Reflect basées sur l'écoute, la perception des pulsations et la communication sensorielle. Des dizaines de musiciens y participent : c'est la Deuxième Génération : David Toop, Paul Burwell, Steve Beresford, Nigel Coombes, Larry Stabbins, Roger Smith, Colin Wood, Robin Musgrove, David Solomon, Gary Todd, Herman Hauge, Marcio Mattos, Marc Meggido, Lindsay Cooper, mais aussi John Russell, Nigel Coombes, Phil Wachsmann, Peter Cusack, Simon Mayo etc… Ces musiciens sont invités à se joindre au SME et / ou à se produire au LTC.
John Stevens se joint à Free Space avec Terry Day, Herman Hauge, John Russell, Nigel Coombes etc…
Deux concerts réguliers chaque semaine au LTC : SME duo + trio avec Kent Carter, Evan Parker ou Derek Bailey (cfr CD Dynamics of the impromptu FMR) et des dizaines de groupes où se mêlent les jeunes musiciens et les pionniers dont Chris Mc Gregor, Lol Coxhill. Preneur de son : Martin Davidson. C'est de ce bouillonnement de groupes interchangeables de la "seconde génération" qui a inspiré Derek Bailey dans la création de Company.
A Records label de Watts et Stevens : SME For You to Share 1970 & Amalgam Plays Higgins & Blackwell.
Label Emanem : SME Face to Face qui sortira en 1975 alors que groupe avait encore évolué, The Crust de Steve Lacy avec Bailey et Stevens, Love’s Dream de Bobby Bradford avec Watts, Stevens et K Carter et tournée de ce quartet avec Amalgam , le groupe de Trevor. Amalgam se compose de Trevor Watts, Stan Tracey puis Keith Tippett, Lindsay Cooper, Kent Carter, Terry Quaye, Watts et Stevens. Album Innovation pour Tangent.
1974 Concert à l' ICA 14 jan 74 : SME : Bailey Parker Watts Kent Carter et John Stevens ( cd Quintessence Emanem).
SME/SMO += à St John Smith’s Square Church janvier 75 et LP du concert SME/SMO += sur A Records.
1976 SME =TW + JS + Roger Smith. Amalgam devient électrique et John lance le groupe « jazzrock » Away à partir du personnel d'Amalgam qui continuera avec le batteur Liam Genockey et ensuite le guitariste Keith Rowe. Trevor quitte définitivement le SME.
4/ 77 / 94 SME String / avec Roger Smith & Nigel Coombes.
77 SME String : ColinWood violoncelle, Nigel Coombes violon, Roger Smith guitare espagnole, John Stevens SME percussion kit
LP SME Biosystem Incus. Colin Wood quitte en 1978.
John Stevens a beaucoup d’autres projets hors de SME : Away, Dance Orchestra, Splinters avec Pete King, PRS (avec Simon Picard & Paul Rogers), Freebop avec Gordon Beck , Folkus, Detail avec Dyani & Frode Gjerstad, Fast Colour avec Dudu Pukwana, Pinise Saul, Annie Whitehead, Nick Stephens et Ernest Mothle.
Sessions au pub the Plough à Stockwell avec Barry Guy, Watts, Parker, Mike Osborne, Brötzmann etc…. Le trio Watts /Guy/ Stevens enregistre les deux LP No Fear & Interaction (Spotlite) au Riverside studio + Endgame avec Riley (Japo). Disques chez Vinyl en Allemagne dont l'extraordinaire Chemistry avec Ray Warleigh, Trevor Watts, Kenny Wheeler et Jeff Clyne, sans doute son plus beau disque de "jazz".
1981 SME / SMO en concert à Notre Dame Hall et LP de ce concert sur SFA avec Watts, Maggie Nicols, Rutherford, Coxhill, Riley, Nicols, Coombes et Smith. (Trio and Triangle Emanem)
Les concerts du SME se raréfient durant les années 80.
John tourne avec Charlie Watts, Courtney Pine, Dyani et ses groupes.
90’s : nouvel intérêt, mais Coombes quitte en 92 après l'enregistrement de Surfaces (CD Konnex ou ReSurfacing Emanem).
Duos avec Bailey “Playing” et Parker “Corner to Corner”
92 SME : John Butcher / Smith/ Metcalfe Stevens
93 : Karyobin réédité par Chronoscope
May 94 : Concert Conway Hall LMC Festival: SME trio avec Butcher au sax ténor, Roger Smith et Stevens SME-kit A New Distance CD Acta réédité par Emanem.
Last Detail avec Kent Carter et Gjerstad. Keep on Playing en duo avec Gjerstad.
Novembre 94 : décès de John Stevens.
1995 Martin Davidson entreprend son programme de rééditions et d’inédits du SME et de Stevens sur le label Emanem.
FOR JOHN STEVENS
After a well-meant eulogy
which tries to be specific
but almost reduces you
to everybody's virtues
and after you've been rendered down
to a handful of ashes and bonedust,
It is finally time to drink your
local, a closed world
of noise, and smoke,
and booze, and awkward humour.
'tis chucking-out time
it hasn't really happened:
this is a gig, no more. And you?
Stuck in the traffic somewhere,
Cursing God and man.
Out in the night, though,
the truth makes itself known to us:
you have been indispensable,
but now we must learn to manage.
Funeral-rites are the start
of a slow letting-go.
Memory is salvage, or invention;
and bereavement, a powerless fury.
by RICHARD LEIGH
Guests.
Le père du British Blues, « Le » Mime, Le Mac et l’Architecte.
Une tradition bien ancrée dans le monde du jazz consiste, pour les musiciens à l’affiche, à inviter des artistes présents dans la salle durant un passage en club, généralement vers la findu concert. John Stevens l’a poussée à un point ultime de sophistication provocante et aventureuse. Durant l’été 67, le SME, réduit au duo Evan Parker & John Stevens, assure la première partie du duo Alexis Korner (guitare et chant) et Victor Brox (cornet et chant) au club « Les Cousins ». C’est dans ce club et au LTC que le concept de la SME – Music vit le jour et où le duo rencontra Peter Kowald. Alexis Korner est le personnage central du revival du Blues en Angleterre. Il invita Muddy Waters et Otis Spann à s’y produire, fut le coresponsable de la fondation des Rolling Stones, et ses enregistrements sont remarquables …
En 1967, tout comme John Stevens avec le free-jazz, Korner s’émancipe des contraintes formelles du blues pour en donner une version « free ». Pour clôturer le concert les quatre musiciens forment un quartet surprenant avec guitare, cornet, sax et percussion. Dès le départ, si la SME music marque une coupure avec les conventions du (free) jazz, c’est aussi un processus ouvert et cette jam en est l’illustration.
Lors d’une soirée aux Cousins, Stevens invite l’extravagant mime Lindsay Kemp à se joindre au groupe. Kemp deviendra le maître à penser de David Bowie et Kate Bush, ses élèves, et se taillera une réputation sulfureuse avec ses créations décadentes, orgiaques et sanguinolentes et son homosexualité théâtrale. On imagine le trio Kemp – Evan Parker – Stevens un soir d’août 67 ! Le mime fait un sort d’un mannequin de plâtre qui se trouve près de la scène en le détruisant complètement et transforme le club en foutoir. Le SME se fait évidemment virer illico des Cousins.
A la même époque, John McLaughlin habite à Ealing dans la même maison que la famille Stevens. Comme Jack Bruce, Graham Bond et beaucoup d’autres, il joue au Little Theatre Club. Il essaye volontiers de jouer « free ». Fred Van Hove se souvient avoir fait un concert avec John McLaughlin à Malines vers 1967 (avec Peter Kowald et Barry Altschul). Lors du premier Total Music Meeting de novembre 1968 à Berlin, le Spontaneous Music Ensemble est au programme avec John Stevens, Trevor Watts, Maggie Nicols et Carol Ann Nichols (aucune relation de parenté). Trevor se rappelle très bien de deux chanteuses « inexpérimentées ». John McLaughlin se joint au groupe et une photo de Maggie et du guitariste prise lors du TMM 68 se trouve sur le site de la chanteuse. Au même programme, le Peter Brötzmann Octet (avec Evan Parker), et la présence de Pharoah Sanders et Sonny Sharrock dans le public.
Quelques années plus tard, au pub The Plough de Stockwell (le deuxième quartier général de Stevens après le Little Theatre Club), John Stevens, Stan Tracey, Ron Herman et Trevor Watts chauffent la baraque un vendredi soir. Un jeune couple, Paul Shearsmith et Ann Mc Donald sont en train de vider des pintes de bière sous le charme de la musique. Soudainement, ils se mettent à crier, complètement ivres, en essayant de dialoguer avec les improvisateurs. Après un dernier verre, John Stevens leur demande s’ils jouent tous les deux d’un instrument. Paul Shearsmith a bien un vieux cornet fuité dans un coin et aucune formation musicale, mais répond à l’invitation. La semaine suivante, sur la scène du LTC, il se rend compte qu’il lui est très difficile de contrôler les sons. Il achètera un meilleur cornet pour suivre les ateliers de Stevens à la Rochelle School de Shoreditch durant années 72/73. Ann et lui deviendront des piliers du Little Theatre Club. On peut l’entendre dans le disque Together Again (Face Value FVR 001) avec Roger Smith, Alan Smith, Jerry Bird et Robin Musgrove, des anciens des ateliers de John. Depuis cette époque, il est architecte de profession et c’est ainsi qu’il est connu par les improvisateurs de sa génération (« Paul Who ? » -«The Architect ! » -« Oh Yes ! »). Lors de l’hommage rendu à John Stevens par le Gathering au Freedom of The City 2003 (un incroyable assemblage d’une trentaine de performers et improvisateurs !), j’entendis Paul Shearsmith souffler des perles aux moment les plus opportuns avec une rare émotion. Comme quoi, John Stevens n’a pas perdu son
temps.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
30 avril 2015
23 avril 2015
Solos recordings of Yoko Miura, Marcio Mattos and Evan Parker's Monoceros re-issue
Cielo 2 Yoko Miura Setola di Maiale SM 2710
Le piano est par excellence
l’instrument auquel on s’attend naturellement à en entendre une performance
solo ou une composition consacrée à lui seul. Les possibilités permises par la multiplicité des
doigtés possibles et simultanés en font l’instrument orchestral qui, dans les
conventions musicales ou la musique conventionnelle, se suffit à lui-même. Cela a toujours semblé nettement moins évident pour le trombone ou le tuba. Il a
vraiment fallu attendre la deuxième partie du XXème siècle pour entendre des
concerts entiers dévolus au seul saxophone (Anthony Braxton), trombone (Albert
Mangelsdorff) ou au violon (Malcolm
Goldstein) etc… . Enregistré à Milan et New York en 2013 par l’excellente
pianiste Yoko Miura, Cielo
2 rentre tout-à-fait dans la démarche qu’on est en droit d’attendre de
la nature instrumentale et musicale du piano. Pour qui ignore son parcours, on
peut noter de belles collaborations au top niveau avec le contrebassiste Teppo
Hauta – Aho, le live sound processor Lawrence Casserley ou le clarinettiste Ove
Volquartz. Cielo 2 fait suite à un
premier album Cielo et j’ai presque envie de parler de Cielo puissance 2, vu l’excellence du chemin parcouru depuis cette
première expérience d’enregistrement. Ce
qui est particulièrement remarquable est sa capacité à assumer jusqu’au bout un
ensemble d’idées, de langages, d’affects et d'orientations musicales durant les
deux séances d’enregistrements successives. Pour qui connaît Yoko Miura de l’avoir entendu in vivo,
la surprise pourra venir du fait que sa pratique de l’improvisation est à la
fois multiple et très flexible, mais sans aucune compromission ou facilité.
Selon son humeur et ses moods, son jeu peut se cabrer jusqu’avant l’emphase, ou
se contraindre à un jeu minimal et subtil. Haikus pointus ou suite magnificente
et lyrique des quatre mains. Poly-modalité ou abstraction sérielle. Clavier ou cordes. On se souviendra d’une
session avec un piano préparé et bruitiste avec de jeunes improvisatrices très
contemporaines. Il ne faudrait pas enfermer un tel tempérament dans une boîte,
car son talent réside dans le fait qu’elle se mesure au challenge d’assumer et
de transcender son choix du moment et que sa musique est celle de l’instant,
des instants multiples et différents qu’elle habite avec la même force. Même si
sa mine studieuse et énigmatique laisserait penser qu’elle ne puisse évoluer
que dans l’univers d’un concert où elle semble nager comme un poisson dans
l’eau, elle se révèle à son aise dans des aventures aussi disparates les unes
que les autres.
Donc cinq pièces composées dont
le déroulement par l’improvisation instantanée est à chaque fois menée de main
de maître et qui créent une suite, un enchaînement – prolongement du travail
accompli dans chaque morceau précédent. Dans Boogie Woogie Wonderland (plage 3) et dans une sorte de joyeux
interlude, elle fait la démonstration
amusante que son approche rythmique complexe accommode un genre musical aux
antipodes des deux morceaux précédents dont un Epilogue qui ouvre
l’album ! La plage 4, Windy Heath, démarre avec l’ambiance et
la pulsation de la troisième (Boogie)
pour les faire évoluer dans son univers de va-et-vient dans les méandres des
intervalles. Souvent dans le flux et ressac des combinaisons infinies de pulsations
arpégiées aux confins du lyrisme et de l’abstraction, de la mathématique et du
plaisir charnel, son piano chante un univers fait d’espérances, de lueurs des
découvertes, de désillusions, de réitérations sans atermoiement et de la
renaissance alors que tout semble s’effondrer. L’esprit subtil de Yoko Miura fait
coïncider, se questionner et se répondre des pans entiers de chacune de ses
improvisations, trace d’une réflexion musicale profonde.
SOL(Os) Marcio Mattos Emanem 5035
A la fois contrebassiste et
violoncelliste et actif dans la scène improvisée londonienne et européenne
depuis 1969, Marcio Mattos a tracé un remarquable parcours avec un bon nombre
de personnalités et de groupes de premier plan. Spontaneous Music Ensemble
« The Source », Elton Dean, Chris Briscoe, Eddie Prévost, Larry
Stabbins, Veryan Weston, Georg Gräwe à la contrebasse et Phil Wachsmann, Jim
Denley, Martin Blume, Axel Dörner dans le groupe Lines, Carlos Zingaro, Simon H Fell, Mark Sanders, Phil Minton,
Fred Van Hove, Evan Parker et le quartet de Roland Ramanan au violoncelle en ce
qui concerne les enregistrements. Quand on se penche avec attention sur ceux-ci
au violoncelle, on réalise que son travail couvre un spectre très important de
possibles et que son jeu a une dimension rythmique à l’écart de tous les
clichés et trouvailles ressassées depuis le bon temps où s’étaient affirmé
successivement Jean – Charles Capon et Ernst Reyseger. Le sommet est atteint
par le Stellari Quartet ou son
violoncelle se joint au violon de Phil Wachsmann à l’alto de Charlotte Hug et à
la contrebasse de John Edwards. Leur cédé Gocce Stellari publié aussi chez
Emanem est une véritable merveille. Alors, cet album de solos me fait bien
plaisir ne fut ce que par le fait que Martin Davidson ait fait appel après
autant d’années de carrière à Marcio Mattos pour son premier album personnel,
SOL(os), dédié à l’astre du jour et à son observation scientifique. On l’entend
donc à la contrebasse et au violoncelle, avec ou sans électronique. Commençant
par trois morceaux à la contrebasse acoustique stylés et focalisés sur un
aspect remarquable de l’instrument, Mattos nous livre une succession de six pièces au violoncelle en alternant
successivement l’instrument entièrement acoustique et le violoncelle modifié
par le truchement de l’électronique. Certains doigtés en pizzicato évoque une
musique traditionnelle imaginaire, ailleurs le frottement de l’archet évoque
l’espace intersidéral. Pour clôturer, un mini-concert récent d‘une bonne
vingtaine de musique à la contrebasse augmentée par un traitement électronique,
Prominence. L’artiste utilise
l’électronique de manière subtile et parcimonieuse pour altérer, enrichir ou
transformer le son du violoncelle et de la contrebasse et sa couleur tout en
restant fidèle à la tessiture et au timbre de l’instrument. Donc, son usage
particulier de l’électronique est un bel enrichissement de la palette et de la
dynamique. Marcio Mattos dispose
d’une solide technique et d’une grande aisance de jeu, mais il évite de
surjouer et d’en faire une prouesse. Son approche spontanée est très ludique et
le développement musical / enchaînement des séquences des sons et traitements
sonores est purement le fruit d’une sensibilité heuristique, d’un abandon des
sens (écoute, plaisir) dans l’instant et la découverte. Son parcours à travers
les possibilités des cordes frottées, tirées, percutées et bruissantes est
vraiment remarquable. On trouve des correspondances et une même pensée musicale
dans le travail du son pour chacun des deux instruments, lesquels sont acceptés comme
étant l' extension de l'un vers l’autre et réciproquement. Une oeuvre du musicien orne la pochette : il s'agit d’un disque ou plat en
céramique qui évoque le soleil. Pour résumer, il s’agit d’un
excellent travail et une belle carte de visite d’un improvisateur majeur de la
scène londonienne historique. Un grand nombre de ses collègues ont acquis une
notoriété incontournable et parmi ceux-ci, Marcio Mattos a le chic de se
commettre systématiquement dans des aventures de premier plan alors que sa
personnalité est relativement passée inaperçue à l’échelle européenne. Et donc,
très souvent, quand vous lisez le nom de Marcio Mattos dans le line-up d’un
album de musique improvisée, spécialement crédité au violoncelle, vous pouvez
le marquer d’une croix blanche, car ses projets ne se répètent pas et méritent
quasi toujours une écoute très attentive. Bref, Marcio Mattos est un artiste
que je suis encore à la trace comme les Fred Van Hove, Paul Lovens, Paul
Hubweber, Michel Doneda, Charlotte Hug, Veryan Weston, Roger Turner, Gunther
Christmann, Phil Minton, Phil Wachsmann, Evan Parker, Stefan Keune, Furt,
Jacques Demierre, Franz Hautzinger etc…
Evan Parker Monoceros psi 15.01 1978
Vers la fin des seventies, le
fin du fin en matière d’enregistrement acoustique était le procédé «direct-cutting», soit la gravure
immédiate sur le disque - maître sans passer par la bande magnétique et la console. Bon nombre
de duos de pianistes et contrebassistes
de jazz ont sacrifié à cette vogue, surtout parce qu’elle garantissait la plus
grande fidélité sonore en conservant au maximum les fréquences et la dynamique.
La difficulté était qu’il était alors impossible de retoucher et de couper dans
le développement temporel de l’œuvre enregistrée et qu’il fallait que la
balance initiale soit la plus optimale possible. C’est ainsi que le deuxième
album solo « absolu » d’Evan Parker, Monoceros, fut réalisé en studio, le premier album étant l’enregistrement
de sa première performance solitaire en 1975 (Saxophone Solos). Publié initialement par son label
Incus en 1978, Monoceros avait été réédité en 1998 par Chronoscope. Cette
édition sera bien vite sold-out et il n’y a aucune forme de fétichisme
collectionnite dans ce fait. En effet, après avoir fait éclater et transgresser
la pratique improvisée du saxophone « free-jazz » qu’il soit ténor ou
soprano, telle qu’elle a été proposée par Coltrane, Ayler et Steve Lacy, Evan
Parker est parvenu à nous surprendre
successivement à trois reprises dans sa démarche solitaire. Disons le
franchement, une fois que des artistes aussi essentiels qu’Ornette Coleman,
Albert Ayler ou Steve Lacy, (et un tas d’autres) sont arrivés à maturité, la forme sonore et la structure de leur
langage instrumental ne varient plus, bien qu’ils éblouissent toujours par la haute qualité
musicale de leurs prestations et de leurs enregistrements. De là toute la fascination
qu’exerce Coltrane, par l’évolution permanente de son style d’années en années
et des mutations accomplies. C’est aussi en quoi Evan Parker est un artiste
unique. Saxophone Solos a/k/a Aerobatics
(Incus 18) était considéré lors de sa sortie comme une rupture, un point de
non-retour. Mais lorsque nous découvrîmes Monoceros
(Incus 27) deux ans plus tard, nous avions été sidérés par un extraordinaire
bon en avant sonique, une extension vers l’impossible. Lorsque Six of one (Incus 39) fut publié en
1981, et bien que l’intérêt pour cette musique commençait à tomber au creux de
la vague, ceux qui prirent encore la peine d’y jeter une oreille furent
époustouflés qu’Evan Parker puisse encore, après Monoceros, jongler et croiser avec autant de lignes mélodiques, de
sons inouïs, de timbres impossibles à juxtaposer avec cette aisance surhumaine. Il mêle à ce chassé croisé de sonorités extrêmes, des entrelacs mélodiques. Dois – je en rajouter ? Un Steve Lacy s’est montré capable en quelques
années d’étendre son langage, épuré par excellence et fait d’une feinte
simplicité monkienne, dans une multitude d’occurrences, créant des dizaines de
compositions aussi familières que profondément originales. Evan Parker a fait
littéralement exploser le potentiel du saxophone soprano, et ses ressources
sonores inconnues jusqu’alors. L‘écoute attentive de chacun des albums précités
(Solos 1975, Monoceros et Six of One et
/ ou les suivants comme The Snake Decides
et Conic Sections) sont nécessaires
pour réaliser l’étendue de son talent immense et la capacité inouïe à se
dépasser dans l’inouï. Sa pratique du saxophone a contribué puissamment à faire
découvrir un champ d’action musical pour des artistes essentiels comme Michel
Doneda, Wolfgang Fuchs, Urs Leimgruber, John Butcher, Mats Gustafsson, Larry Stabbins, John
Zorn, auxquels il faut ajouter de toute évidence, un Stefan Keune ou John
Oswald.
Cet album a marqué aussi la
génération des comtempteurs de la musique dite alors « répétitive »
durant les seventies et auquel le travail d’Evan se réfère tout en se
démarquant par sa physicalité extrême… Son jeu au soprano est fait de doigtés
croisés par lesquels il obtient des sons « fantômes » qui en se
mêlant aux notes jouées (à toute vitesse) créent des sons supplémentaires. Il
ajoute à ce procédé la respiration
circulaire et des variations à la fois violentes, très dosées et
(paradoxalement) infimes obtenant ainsi des harmoniques dont il contrôle
l’émission au niveau de la magie pure. En utilisant simultanément ces
techniques, il crée une véritable illusion de polyphonie sur un seul instrument
et cela n’est possible qu’au saxophone soprano, parce que c'est un instrument conique. Sa musique se réfère à celle d’un Steve
Reich ou d’un Terry Riley, mais aussi au pibroch écossais, aux launeddas sardes
ou aux doubles flûtes du Rajasthan, voire les chants collectifs des pygmées.
L’usage de fréquences extrêmes fait littéralement vibrer les tympans au point
qu’on sent l’oreille interne bouger dans son alvéole. Par la suite, d’un
concert à l’autre, il est parvenu à colorer chaque performance de manière
spécifique en rendant sa musique universelle. En plus, si vous écoutez un de ces premiers enregistrements, Karyobin (Spontaneous Music Ensemble avec John Stevens/ Derek Bailey/ Dave Holland/ Kenny Wheeler 1968) alors qu'il était encore loin de maîtriser cette technique, vous réalisez qu'alors ces improvisations évoluaient en suivant un phrasé et des structures intervalles qui n'appartenaient déjà qu'à lui. Plus que ça, tu meurs. Entre cette phase de 1968 et celle de Six of One en 1981, il y a eu l'expérience de Music Improvisation Company et des duos avec Bailey et Lytton, où la frontière entre la "note instrumentale" et le bruit est abolie. Certaines des techniques utilisées, comme la respiration circulaire et le phrasé atomisé, ont été travaillées dans le but de suivre (ou anticiper) la guitare de Derek Bailey ou la percussion de Paul Lytton sur leur terrain. Donc pour conclure, Monoceros s'agit d'une trace unique, fugitive dans un parcours exceptionnel qui permet de saisir la construction et l'évolution de la musique d'Evan Parker dans une phase cruciale de son développement avec un plaisir de l'écoute intense et un choc esthétique sans précédent.
Absolument fascinant !!
31 mars 2015
More stuff from the beginning of Spring
Mill Hill Adrian
Northover & Daniel Thompson Raw Tonk Records RT011
Again ! Daniel Thompson
devient un guitariste acoustique incontournable de la scène britannique et il a
trouvé avec Adrian Northover, un excellent collaborateur au niveau du souffle
avec ses saxophones sopranino, soprano et alto. Mais pas que ! Adrian et
Daniel comptent parmi les activistes les plus impliqués à créer les
conditions du développement et de
l’extension des musiques improvisées dans sa pratique au jour le jour. Tous
deux contribuent à organiser des lieux et des soirées dédiés à la libre
improvisation avec une réelle continuité dans l’agglomération londonienne.
Adrian Northover co-organise le Horse Improv Club dans la banlieue sud
(Vauxhall, Kennington) avec la saxophoniste Sue Lynch et l’incontournable Adam
Bohman, artiste dont le Café Oto a réalisé une très belle exposition des œuvres
graphiques (à quand une publication de sa littérature délirante ?). Daniel
Thompson est le responsable de la série Foley Street dans le West End et
intercède aussi à la Hundred Years Gallery et à Arch One pourque des projets
intéressants puissent se concrétiser.
Mill Hill … ? Enregistré
à Mill Hill par Ian Hill, les titres des morceaux se réfèrent au processus de
la minoterie (moulins à moudre…). Colloid,
Arrastra, Huller, Grist, Buhrstone font allusion à des techniques précises
décrites dans les notes de pochette, laquelle est une belle enveloppe de papier
fort gris avec une sérigraphie à l’encre noire, sans mention des artistes. La
musique, elle, évoque on ne peut mieux cet esprit fait-main artisanal fait de
cordes pressées et tirées, d’accords distendus, de zigzag dans les harmonies,
de souffle libéré des conventions et d’une écoute mutuelle interactive. On est
surpris d’entendre un guitariste qui s’avance sur le terrain des Derek Bailey
et John Russell en trouvant des solutions très personnelles et originales aux
innombrables questions posées à la six-cordes lorsqu’on s’y aventure totalement
sans regarder derrière. Adrian Northover développe une démarche introspective
de la respiration continue à une variété de murmures contrôlés et infrasons
retenus au bord du silence. La combinaison souffle cordes fonctionne à
merveille dans le dialogue permanent et Mill Hill est un bien beau disque qui
mérite des écoutes répétées.
Noi Credevamo (e crediamo ancora) Gaetano
Liguori Idea Trio avec Roberto Del Piano & Filippo Monico BULL 060
Disque divisé en deux parties
du même trio en 2011 et en ….. 1972 (!!) quand ils étaient jeunes et beaux
et CROYAIENT (Noi Credevamo). Le pianiste Gaetano Liguori est un pionnier
incontournable en Italie de la transformation du jazz libertaire d’essence afro
– américaine vers une identité européenne assumée. Giancarlo Schiaffini,
Giorgio Gaslini, Marcelo Melis, Andrea Centazzo, Guido Mazzon, Mario Schiano,
Toni Rusconi, sans oublier le photographe Roberto Masotti à qui on doit leur
portrait en 1974. Aujourd’hui, ils croient encore dans tous les idéaux
progressistes malgré certaines désillusions. Pêle – mêle, les Beatles, Marx, Lénine,
le Viet Nam et le peuple Palestinien, Albert Ayler, Sergio Leone, Mingus, les
Partisans, Woodstock et le Néorealisme
etc… La liste exhaustive dans la pochette se termine par les mots
résister, résister, résister. Enregistrée au légendaire studio Mu-Rec (ex-Barigozzi)
de Milan par Paolo Falascone, la suite E Crediamo ancora incorpore entre
autres une série d’hymnes comme le Chant des Partisans qui surgissent au détour
d’une improvisation et sur lesquelles le pianiste improvise avec goût et un
doigté formidable propulsé par les rythmes croisés de Filippo Monico et la
basse électrique virevoltante de Roberto Del Piano. Les spécialistes à l’écoute
aveugle vous diront que le pianiste est italien, même si certains passages
évoquent le « Cecil Taylorisme »
des critiques des seventies. Remarquable par sa logique musicale, Liguori
transite aisément d’un bouillonnement free à plein clavier vers la musque
tonale swinguante en reconstruisant
d’une manière lumineuse ce qu’il a démantibulé énergiquement. Ces deux compagnons
n’ont rien perdu de la verve de leurs jeunes années. Au total huit morceaux
sans titres mais aux sentiments forts et un brin nostalgiques.
La deuxième partie « Noi
Credevamo » enregistrée comme démo en mai 72 est un vrai morceau
d’anthologie historique datant d’une époque où les Brötzmann, Parker, Van Hove,
Schweizer et Schlippenbach comptaient chacun à peine une demi-douzaine d’enregistrements au compteur et passaient
pour des sous-fifres de deuxième ordre aux yeux de la critique européenne et demeuraient
complètement inconnus outre Atlantique. A prendre aussi au sérieux que les
témoignages du suédois Per Henrik Wallin
ou ceux de François Tusquès. Cinq morceaux sans titre pour un total de
vingt cinq minutes. Débutant avec un
thème proche de l’esprit des trios de Paul Bley époque Carla et Annette dans
une veine plus rhapsodique, le trio construit un univers mystérieux où le thème
est exploré en plusieurs sections sur divers tempos qui s’accélèrent. La
batterie introduit le deuxième morceau avec une déflagration et le pianiste
démarre aussi sec dans une veine agressive et clusterisée à coups de manche et
de poignets, on pense à ses collègues Van Hove, Schlippenbach et Schweizer. Je
dois dire qu’il exprime merveilleusement un contenu mélodique dans ce déluge de
notes. Le troisième commence dans un jeu sur le silence où la basse électrique
de Del Piano se place au centre et développe son phrasé avec les accélérations
subites du pianiste. J’aime particulièrement le morceau quatre pour ces
enchaînements surprenants. Un free maîtrisé et construit avec une énergie
libératrice et des surprises de parcours. Les morceaux sont ici joués avec une
limite temporelle entre quatre et sept minutes sans doute pour caser cinq
compositions (ouvertes) dans le temps d’une bande magnétique. Mais on imagine
bien le développement possible sur scène. Pour un premier album, ces trois
jeunots d’alors étaient vraiment talentueux. Pas étonnant que le trio Liguori
fut dans la ligne de mire de Philippe Carles et Daniel Soutif de Jazz Magazine
durant les années septante.
Spécialement pour ces
enregistrements d’archives, ce cédé est à recommander pour quiconque veut retracer les enregistrements marquants
de la scène improvisée / free-jazz européenne par des musiciens qui se sont engagés
très jeunes pour que cette conception révolutionnaire de la musique vive et
n’ont jamais failli depuis.
Doubleganger Amarillo Setola di Maiale SM2610
Deux guitaristes noise
post-rock, batterie swinguante et free, chanteuse mystérieuse et bruissante, et
bassiste solide. Après le vacarme de Warrior, une minute rassurez-vous,
un Tomahawk
lancé dans un mode swinguant et aéré avec la voix fantomatique de Pat Moonchy. Les cinq de Doubleganger privilégient les effets de
guitare dans un mode abrasif et expérimental et une lisibilité remarquable, un
sens de l’exploration sonore alternant avec des tempos renouvelés et jamais
pris en défaut. Columbus est le moment féérique où le babil dans des langages
imaginaires de Moonchy rencontrent la batterie bruissante de Pascale « Lino » Liguori,
pilier du jazz milanais et grand-père du guitariste Lucio Liguori. Les rythmiques impaires n’ont pas de secret pour ce
jeune homme de 88 ans comme on peut l’entendre Sorachi où, après que la
chanteuse ait contribué dans le tempo idéal, les deux guitaristes s’échappent
dans des échanges vif-argent (Lucio et Amaury
Cambuzat). Il y a aussi des changements de cap à l’humeur du moment qui
respirent bon l’improvisation assumée. Au total un album aéré, aventureux et
sans prétention qui a le bonheur de relier le swing (du grand-père), la
vocalité alternative avec le noise des gamins de la manière la plus naturelle
qui soit. Aussi les deux guitareux et le bassiste (Angelo Avogadri) ménagent la dynamique sans forcer le volume,
heureusement. Cela mérite son écoute !!
Lucio e Pat ont été durant de
longues années les animateurs du Moonshine , un lieu amical et exceptionnel,
dédié aux musiques improvisées à Milan. Quand à Lino Liguori, c’est un pilier du jazz italien de l’ère swing-bebop
qui a suivi ses enfants dans leur quête de la liberté jazzistique : il a
joué avec son propre fils Gaetano Liguori (album Terzo Mondo label Palcoscenico) et fut le batteur du Concerto della Statale avec le
saxophoniste légendaire Mario Schiano et
le bassiste Roberto Bellatalla enregistré lors de l’occupation de l’Università Statale de Milan et paru
sur le disque du même nom, et que tous les schianologistes et autres férus de
free considèrent comme le témoignage
de cette époque héroïque et troublée.
Hesitancy Ensemble
Progresivo Ricardo Tejero Alison Blunt Adrian Northover Marcio Mattos Ricardo
Sassi Creative Sources CS 266
Voici un groupe assez
particulier de praticiens de l’improvisation engagés dans la vivace scène
londonienne et rassemblés ici par le saxophoniste et clarinettiste Ricardo Tejero
autour de ses compositions propres, conçues comme des structures pour improvisateurs
libres et intitulées Progresion numérotées de 20 à 29 dans le désordre. Plusieurs
plages en quintet dont le mouvement central culmine à 19 minutes et quelques
duos courts de Tejero avec le violoncelliste Marcio Mattos, la violoniste
Alison Blunt et le guitariste Ricardo Sassi s’intercalent entre les ensembles
et l'énergique duo Northover et Tejero clôturent
le disque. Chaque pièce en quintet a une couleur, une dynamique une manière
de réguler les échanges ou de sourdre la spontanéité. J’apprécie
particulièrement les intercalements subtils de la troisième plage, Progresion 29, Ida y Vuelta 5:48 avec
une rythmique suggérée auquel chaque instrument contribue de manière contrastée
et personnelle avec une belle lisibilité. Roberto Sassi privilégie les effets
qui colorent son jeu de guitare et dont le minimalisme achevé et concis est mis
en évidence dans le duo Double R, les
deux Ricardo, en somme. La pièce de résistance, Progesion 20, Dilema, développe une entrejeu faits de phrases
brèves, de notes tenues, de tons suspendus, de legato monochrome, de voicings
vaporeux au bord du silence. Un cheminement mène à une improvisation du sax
soprano sur un ostinato électronique (Mattos) avec guitare électrique. Les sections
improvisées s’enchaînent avec une vraie logique impliquant successivement
chaque musicien, clarinette, guitare , sax ou violoncelle comme meneur de jeu
en suivant un cheminement préétabli. Tout cela sonne de plus en plus spontané,
vivant et engagé tout au bénéfice de la structure de Ricardo Tejero qui équilibre les
interventions de chacun pour en optimiser la variété et l’ensemble des
couleurs, dynamiques et trouvailles sonores. Bref, c’est vraiment réussi. Quand
arrive la marche qui marque l’introduction du troisième mouvement faits de
pulsations brisées ou de cloche-pied enfantin, passé les deux tiers de Dilema, on est surpris que le temps et la musique coulent si naturellement. Tejero, musicien sensible et secret, préfère la qualité
des échanges et des équilibres, sans devoir rendre trop complexe son écriture.
Je me serais attendu à plus de mordant et de conviction dans le final de cette
pièce de 19 minutes qui fonctionne pourtant bien jusque là. Progesion 21 , Mannock entame un rythme de ginguois solutionné par des legatos
monochromes des cordes et le soft noise de la guitare , enchaîné par une
cadence légère du violoncelle suivie par l’ensemble dont se détache un solo de
clarinette. Une musique de chambre parfois à la limite d’un folk cubiste un
brin noise et minimal. Les intentions du compositeur sont évidentes :
comment structurer l’improvisation par une succession d’événements
sonores. La plage 8 se rapproche d’un
jazz contemporain de chambre qui vire vers le noise. Cette musique est bien et
j’apprécie chacun des musiciens ensemble et séparément. Mais l’Hesitancy à incarner une forme de
vitalité dessert un peu le projet malgré ses qualités oniriques et le
développement intéressant de chaque mouvement… J’ai un excellent souvenir du
groupe de Ricardo Tejero au Boat Ting avec une musique similaire et la présence
de son compatriote, le batteur Javier Carmona.
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