Tony Levin Quartet Live in Viersen Tony Levin – Paul Dunmall – Andy
Sheppard – Jerry Underwood Rare Music 033
Bold Times Hannes Bauer – Paul Dunmall – Paul Rogers – Tony Levin Rare Music
034
Language of the Spirit Paul Dunmall – John
Edwards – Tony Levin Rare Music 035
Life of Dreams
Tony Levin – Paul Dunmall – Evan Parker – Ray Warleigh Rare Music 036
Live at The
Vortex, London Evan Parker – Kenny
Wheeler – Paul Dunmall – Tony Levin – John Edwards Rare Music 037
Eclairé par les peintures tridimensionnelles et multicolores de son ami le pianiste
Rob van den Broeck sur les pochettes, le batteur Tony Levin nous a légué ses
derniers adieux enregistrés avant de nous quitter le 1 août 2011.
Il manque à l'appel de cette chronique quelques autres cédés de cette fournée en compagnie du grand Mike
Osborne, disparu lui aussi récemment et d’Evan Parker etc… Mais avec ces cinq albums aussi beaux et vivants les uns que les autres,
l’auditeur pourra se convaincre de la profonde originalité de ce batteur, un
des meilleurs qui aient existé dans l’univers du jazz libéré. Tony Levin est
reconnaissable par son style polyrythmique qui n’appartient qu’à lui. Il jongle
avec plusieurs cycles rythmiques encerclant un tempo qu’il ne souligne jamais.
Les pulsations et les résonances de ses tambours voyagent comme les trois
éléments qui font gronder la terre : le vent, l’eau et le feu. Un album
nous fait entendre trois souffleurs sans basse, Live In Viersen et cette configuration, avec Paul Dunmall au sax baryton, Andy
Sheppard et Jerry Underwood aux ténors, met en évidence des constructions
rythmiques originales qui s’accordent avec les compositions spécialement
conçues pour l’ensemble. Si ce type de musique nous est familier, son
architecture est inhabituelle. L’énergie combinée des trois souffleurs –
cracheurs de feu emporte tout sur
son passage comme un typhon sur une mer complètement démontée au milieu du
Pacifique. Les frappes démultipliées de Levin sur les peaux et les cymbales
semblent se métamorphoser en crêtes écumantes et en lames agitées par un
véritable Neptune jongleur. Je parle ici de constructions et d’architecture,
mais la musique nous fait songer à un assemblage polymorphe en perpétuel
mouvement dont les multiples articulations permettent des girations
télescopiques sans que l’équilibre n’éclate. Jamais entendu rien de pareil. Ce
qui m’enthousiasme chez Levin c’est cette capacité à développer son jeu
personnel quoi qu’il arrive : il improvise sans arrêt tout en soignant l’
interactivité avec ses partenaires dans un groupe très homogène. Les souffleurs
sont absolument exceptionnels. Life of Dreams propose une version plus douce de ce groupe sans basse avec cet exceptionnel
(encore un) mélodiste qu’est le sax alto Ray Warleigh, épaulé par les deux
géants des saxophones ténor et soprano que sont Evan Parker et Paul Dunmall. Il y
a des moments élégiaques et raffinés dans cette Vie de Rêves et la flûte de Warleigh s’y prend délicieusement.
La suite des morceaux est parsemée de duos raffinés ou chargés d’intensité
électrique quand vient le tour des deux ténors. Evan et Paul en deviennent
mordants à souhait. Ray Warleigh a été longtemps un des saxophonistes de studio
les plus demandés de la pop durant des décennies, mais joua souvent avec John
Stevens durant les années soixante et septante. Il est aussi un des quatre légendaires Trois
Mousquetaires du sax alto du free
– jazz britannique avec ses frères d’armes Elton Dean, Trevor Watts et Mike
Osborne. La musique de Live in Viersen s’envole à partir de compositions, alors que pour Life of Dreams, les souffleurs improvisent des arrangements en
combinant leurs souffles dans des entrelacs de phrases suspendues dans
l’atmosphère, telles les facettes de cristaux de glace miroitant au
soleil. Le quartet de Bold
Times intègre l’ahurissant
tromboniste Hannes Bauer au trio Deep Joy (Tony et les deux Paul) dans un quadrilogue aussi énergétique
qu’équilibré. Le travail du contrebassiste laisse pantois, à la fois
violoncelle, contrebasse et sarangi en furie. On retrouve l’atmosphère du Chasin
the Trane au Village Vanguard
avec Evan Parker, Dunmall et Kenny Wheeler ad-lib drivés par la paire Tony
Levin – John Edwards dans Live at the Vortex, « le » club londonien par excellence.
Paul Dunmall nous fait voir comment il a intériorisé le Langage de l’Esprit avec ces deux acolytes. La puissance et
l’invention du contrebassiste John Edwards se révèlent idéale pour le chant du
cygne de ce batteur inoubliable. Après Elton Dean, Tony Levin est parti et les
camarades de sa génération vieillissent. Mais il a légué son testament musical
à la vague suivante : Paul
Dunmall, Paul Rogers, John Edwards et son fils Miles Levin, batteur lui aussi,
sont les géants d’aujourd’hui. A découvrir aussi les rencontres de Miles Levin
et Paul Dunmall sur les labels Duns Limited et FMR………
Sonny Simmons - François Tusquès Near Oasis improvising beings IB 10
Sonny Simmons, un son acide et mordant, une agilité dolphyenne, une mémoire de tous les Birds de notre fantasmagorie jazzeuse, le souffle curieux du cor anglais et toujours, après tant de décennies, un appétit pour la musique libérée à l’écart des modes. François Tusquès, le pionnier initiatique du free-jazz hexagonal, propagateur multiculturel et pianiste aux tressautements authentiquement monkiens. Ici Round About M et Bolivar Blues ressuscitent ces intervalles et cette pression caractéristique simultanée sur les touches blanches et noires. D’autres pionniers européens des origines de la free music continentale ont cette filiation au plus profond de leurs veines, de leurs neurones et dans la jointure de leurs membres (même inférieurs car, oui, on « pédale » un piano !) : Alex von Schlippenbach et Misha Mengelberg. Avec eux, François Tusquès rejoint les Ran Blake, Randy Weston et le jeune Jaki Byard. Le monkisme est à la source de l’art Coltranien, des doigtés de Sonny Rollins et de Steve Lacy. Steve a gravé Only Monk et More Monk ! On l’entend chez Evan Parker et Anthony Braxton, Lol Coxhill et John Tchicaï, Ornette et Don Cherry… Cet art anti-académique qui déraille le piano a influencé tous ces révolutionnaires dans une véritable transubtantiation musicale et humaine. Rien que pour cela, ce disque sera cher à ceux dont Monk a illuminé la vie. Car Tusquès ici, c’est le son de la vraie vie et son comparse en personnifie l’envol. Sonny, une légende hors norme du jazz libre des sixties et seventies, y est magnifiquement enregistré tout comme dans cette trilogie des albums « Cosmosamatics » sur le label fantôme Boxholder (avec Michael Marcus et Jay Rosen). Avant de mettre la main sur ces perles, Near Oasis est un excellent maître achat. Arrêtez de rechercher en vain le vinyle « Free Jazz » de Tusquès avec Portal et cie (disques Mouloudji 1965) et allez l’écouter à Paris ou ailleurs aujourd'hui. Vous rendez-vous compte qu’ils ont dû aller au Vision Festival à NYC pour qu’on les enregistre afin que je vous en parle ici. A l’ère d’internet et de Facebook, la jazzosphère franco-française est incompréhensible………… Heureusement, les improvising beings veillent !!
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......