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Accent On Tenor Sax
Optic John Butcher and John Edwards
Emanem
Depuis
un concert londonien du trio Butcher/ Durrant/ Russell augmenté de Radu
Malfatti et de Paul Lovens en avril 1986 et leur album Conceits (label Acta), j’étais convaincu
que John Butcher avait un sérieux avenir dans la musique improvisée. Contacté
par lui quelque 14 ans plus tard, j’inaugurais une série de concerts à
L’Archiduc, un bar Art – Déco incontournable de la vie bruxelloise, en programmant le
duo John Butcher & John Edwards. J’invitais aussi le duo du clarinettiste
basse Jacques Foschia et du percussionniste Mike Goyvaerts en janvier 2001.
Jacques, un clarinettiste d’envergure (cfr son cd solo Clair Obscur / Creative Sources), avait fait
connaissance avec les deux John quelques mois plus tôt dans le London
Improvisors Orchestra.
Notre ami Kris Vanderstraeten fit l’affiche et le bar fit le plein d’un public
enthousiaste. Un autre grand ami, Guy Strale, prit l’initiative de
l’enregistrer avec un enregistreur à bandes et mon frère Luc réalisa le
transfert de Cocktail Bar, Michaël Huon étant malheureusement immobilisé. Les
deux John essayèrent quelques cocktails maison, écoutèrent Jacques et Mike du
haut de la mezzanine et nous firent un set mémorable. Celui-ci ouvre Optic, publié par Emanem deux ans
plus tard. Le sax ténor de Butcher poursuit plusieurs idées alliant et
alternant growls nerveux, spirales détachées et syllabes fractionnées décalées.
Au- delà d’une manière de soliste en duo, un puzzle en trois dimensions ou une
déconstruction construite avec une application méthodique qui suit pourtant
l’intuition de l’instant. Qu’il passe au soprano insensiblement, le son même du
ténor semble se prolonger, les idées du ténor se métamorphosant avec la
dynamique du soprano. John Edwards est le véritable alter-ego du souffleur. Il
adopte toutes les positions de jeux qu’il lui est possible et rien que pour
cela Optic
est une anthologie. Un dialogue peu commun, une entente parfaite : à
l’Archiduc, le public respecte le silence et les sons, la barmaid stylée est
ultra-discrète : il y règne une écoute magique.
Family
Ties Ivo
Perelman Joe Morris Gerald Cleaver ; Living Jelly Ivo Perelman Joe Morris Gerald
Cleaver ; the Gift Ivo Perelman Matt Shipp Michael Bisio ; the
Clairvoyant
Ivo Perelman Matt Shipp Whit Dickey Leo Records .............
Quatre
albums différents pour un saxophone ténor sensible, goûteux, chercheur avec une
sonorité, des sonorités uniques. Le trio fait de la batterie intelligente de Gerald Cleaver et consécutivement, la contrebasse
(Family Ties)
et puis la guitare de Joe Morris (Living Jelly). Deux trios avec Matt Shipp au piano et la contrebasse
de Michael Bisio
(the Gift)
et, ensuite, avec le batteur Whit Dickey (the Clairvoyant). Ces cinq musiciens, se
fondent dans une véritable communauté, chacun partageant la scène, des tournées
et des enregistrements les uns avec les autres. Chacun de ces trios rend la
musique d’Ivo Perelman passionnante. Plutôt que de s’affirmer comme souffleur –
cracheur de feu propulsé, rôle dans lequel il nous a prouvé qu’il est
inégalable ou l’égal des David S Ware, Archie Shepp jeune, Evan Parker et
quelques autres, Ivo Perelman s’applique à créer un dialogue à parts égales avec
chacun des protagonistes. Cette démarche chercheuse, qui parie sur l’improvisation,
l’écoute et le partage nous livre de superbes moments où les membres de chaque
trio se mettent collectivement et tour à tour en évidence. La connivence des
quatre trios renouvelle l’intérêt de l’auditeur pour le saxophoniste et ses
amis. Il n’y a quasi pas de redites et surtout de belles trouvailles, des
perles. Il faut dire l’énergie subtile et la colloquialité du saxophoniste
ténor, qui étire, tord et dilate le son de son instrument avec un sens inné de
la mélodie et du chant inscrits au creux de chaque harmonique, de chaque
morsure, de toutes les volutes de son souffle enflammé. Les deux batteurs
rivalisent de subtilité et d’invention, la contrebasse de Michael Bisio est
phénoménale et Matt Shipp a un style original, issu d’une pratique sincère du
jazz, qui n’appartient qu’à lui. Oubliez les Herbie, les Chick, les Brad, les
Bill, les Keith, les Cecil et tous les repères. Ses pairs appellaient
affectueusement Coleman Hawkins « Bean », « haricot » à
cause de sa ressemblance avec le cerveau humain en raison de son intelligence
musicale supérieure. Et bien cela va comme un gant à Matt Shipp, lequel a créé
sa musique jazz contemporaine au piano sans passer par les cases références
obligatoires du Monopoly du jazz. Quant à Joe Morris, il a trouvé pour sa
guitare le point d’équilibre exact entre la percussion et le saxophone. Ce
saxophoniste brésilien merveilleux fait évoluer sa musique sensiblement et,
avec ces quatre albums, vous avez l’embarras du choix.
Free
Zone Appleby 2005 Gerd
Dudek, Evan Parker, Paul Dunmall, John Edwards, Paul Rogers, Phil Wachsmann,
Kenny Wheeler, Tony Levin et Tony Marsh Psi.
Live
at the Vortex
- London.
Evan Parker, Kenny Wheeler, Paul Dunmall, John Edwards et Tony Levin Rare
Records.
Foxes
Fox live at the Vortex : Parker Louis Moholo - Moholo John Edwards Steve
Beresford + Kenny Wheeler Psi
London
Meets Altbüron
Paul Dunmall Simon Picard Paul Rogers Christian Weber Tony Levin Duns
Limited Ed 060.
Utoma Paul Dunmall Simon Picard Tony
Bianco Emanem.
Un fil
conducteur. De cette réunion au festival d’Appleby (Free Zone 2005) où Evan Parker a carte blanche, Psi a
sélectionné quelques moments sublimes où l’histoire du sax ténor est sublimée.
Dans un Red Quartet de 20 minutes, Evan Parker et Gerd Dudek joignent leurs deux ténors à
l’unisson, puis l’un après l’autre et enfin en réunissant leurs idées dans une
véritable effet de miroirs. Ils épargnent les notes que l’autre joue dans une
alternance de mouvements conjoints et disjoints et une précision télépathique
et spontanée, poussés par Levin et Edwards. Ensuite, le Red Earth Trio 2 permet d’entendre Gerd Dudek nous
offrir le meilleur du sax ténor tranchant et emporté avec Tony Marsh et Edwards
à nouveau, c’est un rare moment enregistré. Il n’y a quasi plus
d’enregsitrements disponibles de Dudek dans ce registre qui fait plus
qu’évoquer Coltrane dans Impressions ou Chasin the Trane au Village Vanguard en 1961. Le Red Earth Nonet de quinze minutes a une séquence
où les trois ténors se confondent, se croisent, se dépassent mutuellement. Une
fraternité du souffle et une saine consanguinité. Ils en oublient leurs styles
respectifs pour jouer comme si tout ce qui comptait, c’est que la musique soit
dans l’instant une seule merveille indivisible. Les deux Tony, Levin et Marsh, nous ont quitté récemment et avec ce Nonet providentiel les voici réunis
pour la postérité. Vous retrouverez la même émotion profonde dans ce Live
at The Vortex
(2003) où Paul Dunmall et Evan Parker se retrouvent avec Wheeler, Edwards et Levin. Là encore l’émulation, l’écoute
fait des miracles. Les deux ténors jouent l’un pour l’autre et cette générosité
intelligente illumine tout le concert et entraîne les autres protagonistes. Le
saxophone ténor est sans doute l’instrument préféré de beaucoup pour la chaleur
et le son unique qu’il dispense dans les mains appropriées de nos souffleurs
favoris. Je soutiens l’idée que ceux-ci, surtout s’ils sont des improvisateurs
sincères (sans arrière-pensée et qui ne calculent pas), nous offrent le
meilleur d’eux-mêmes lorsqu’ils soufflent ensemble et s’unissent. Et encore
plus ! Sonny Rollins ne disait-il pas que John Coltrane était son meilleur
ami ? C’est bien une dimension qui échappe à tous les comptables du jazz
et de leurs idéologies. On ne mesurera jamais les sentiments qui unissent ces
musiciens ; comme le dit le titre d’un des longs morceaux : Unknown
reasons. Kenny
Wheeler est
encore de la partie dans Foxes Fox Live au Vortex (2007), inspirant sans doute
Parker vers plus d’ouverture dans une partie de saxophone ténor parmi les plus
puissantes et animées qu’il ait jamais enregistré. Steve Beresford lui nous fait entendre ce
qu’improviser veut dire et John Edwards fait un véritable miracle "Charlie Haden speed" à couper le souffle, drivé par la
propulsion fantastique de Louis Moholo-Moholo. Une puissance à la contrebasse qui vous laissera pantois. Et voici le scandale : un
quatrième saxophoniste ténor vient se joindre à cette fatrie : le trop
méconnu Simon Picard qui habite aujourd’hui Zurich. Avez – vous jamais écouté Simon
Picard ?
Vous ratez quelque chose ! Lors d’une conversation avec deux saxophonistes
français, Audrey Lauro et Guillaume Orti, j’essayais d’expliquer le phénomène
Dunmall et son copain Picard. Tout d’un coup, Guillaume se souvient d’avoir
entendu le double cd Babu (Slam) il y a de nombreuses années et dans lequel nos
deux souffleurs faisaient cause commune. «Ces deux-là, dit-il, ce sont deux
tueurs !! ».
En clair, pour un vrai connaisseur, le top du saxophone ténor ! Dunmall,
un saxophoniste follement prodigue de ces enregistrements, nous y démontre que
sa manière s’accomplit dans de multiples directions dans différents domaines
qui sollicitent une vaste étendue de pratiques, d’expériences, de savoirs
musicaux, dunmallisant à tout jamais les héritages de Coltrane, mais aussi Rollins, Rivers,
Griffin… . Dans London Meets Altbüron, un triple CD du label Duns
Limited, Simon Picard a organisé la séance d’enregistrements en une série de duos entre
chaque instrumentiste et répartis sur les compacts 1 et 3. On les y entend tous
les deux au saxophone soprano avec les contrebasses de Christian Weber et de Paul Rogers pour
le plus bel effet. Sur le cédé central, deux longs quintets qui nous convient pour
plusieurs moments d’équilibre et d’énergies, le deuxième avec une foire
d’empoigne aux saxophones ténor, des speakings tongues à la britannique. Rien que ce
quintet vaut à lui tout seul l’achat du coffret (encore disponible via le site
ww.mindyourmusic.com). Ces deux saxophonistes ont travaillé tout le jazz de
fond en comble avant de se lancer dans l’aventure et ont une capacité de
renouvellement quasi-perpétuelle. Si vous avez encore quelques doutes, Utoma qui réunit encore Dunmall et
Picard avec le batteur-rouleau-compresseur Tony Bianco, remettra définitivement les
pendules à l’heure. Ce cédé est toujours au catalogue d’Emanem et il est inconcevable de parler
de saxophone ténor d’aujourd’hui sans avoir écouté ce brûlot. Rarement ou
jamais la connivence entre deux sax ténor ne magnifia autant leurs musiques
respectives et l’instrument que dans ce disque qui résume à lui tout seul cette
véritable confrérie du souffle et ces fameux espaces interstellaires
immortalisés par le grand Coltrane. Un autre coffret de quatre cédés Duns
Limited est
toujours disponible : Deep Joy du Deep Trio, Tony Levin Paul Dunmall et
Paul Rogers
(2004/2000/1995 Duns Ltd Ed 041). Vous comprendrez qu’avec de tels albums à
portée de la main, je ne puis plus continuer à écrire sur d'autres saxophonistes. Seulement à écouter les
« Live at The Vortex » et ces Duns Limited rarissimes – de 80 à 100 copies,
dépêchez-vous !
Jean Michel Van Schouwburg
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