11 janvier 2013

Accent on Tenor Sax


Suite For Helen F. Ivo Perelman Double Trio Boxholder BXH 038 039.
Ivo Perelman Double Trio - Suite For Helen F. (2 CDs Set) (FLAC) - 2003
Le brésilien Ivo Perelman est un immense saxophoniste ténor qui nous fait toujours croire aveuglément aux vertus expressives de l’instrument. Albert Ayler ? John Coltrane ? Allez écouter Ivo Perelman au lieu d’écouter des disques ! Leo Records a produit un tas d’excellents albums, de Seeds Vision and Counterpoints jusque ces Mind Games et ces Family Ties avec Dominic Duval et Brian Wilson ou Joe Morris et Gerald Cleaver. Mais aucun n’a la folle énergie et l'absolu de cette double suite dédiée à cette peintre expressionniste abstrait qui fut de la mouvance Pollock, Kline, De Kooning, ceux-là même qui se pressaient pour écouter Monk et Trane, Steve Lacy et Cecil Taylor au Five Spot bien avant qu’Ornette n’arrive à New York en 1960Ivo Perelman qui vit lui aussi à New York est un peintre expressionniste coloré de talent. Il dédie donc cet extraordinaire Double Trio composé par les contrebasses de Mark Dresser et Dominic Duval et les batteries de Gerry Hemingway et Jay Rosen et, sans doute, aussi ses propres œuvres reproduites dans la pochette et le livret, à Helen Frankenthaler, une artiste méconnue.  Les deux compacts sortis en 2003 se partagent en sept parties, toutes en double trio avec Perelman au centre. J’écris extraordinaire Double Trio, car si ses camarades font très bien leur job avec une folle énergie et une belle intelligence, le clou de l’affaire (ou du tableau) c’est le jeu, le souffle, la sonorité, les déchirements, l’orgie, la rage, le son le plus ALBERT AYLER qu’on peut rêver. Celui de Spiritual Unity et du concert du Cellar Café. Oui, l’An Zéro du free jazz ! (L’album Prophecy avec Sunny Murray et Gary Peacock, 1964). Mais avec quelque chose d’autre. Un parfum de samba et un art de raconter des histoires. Dans For Helen F., le son du ténor est exposé - exploré sous de nombreuses perspectives avec des angles uniques.  Quand Ivo se lance dans une zone risquée, c’est pour exploser de plus belle et relancer la fascination. La Part one (17:46) est à elle seule un morceau d’anthologie. Les percussionnistes jouent aussi des parties fines et apaisées où on peut goûter les sons en toute quiétude, avant la tempête. Les contrebassistes s’écoutent. Hemingway et Rosen, Duval et Dresser qui se superlativisent pour laisser ensuite le ténor nous tendre d’autres merveilles et un art du chant tout personnel. Il a le chic d’étirer toutes ces idées juqu’à l’extinction pour repartir de plus belle avec quatre camarades de jeux qui vivent pleinement les enjeux. Plus que çà tu meurs ! La perle rare où la routine du free jazz s’oublie. Indescriptible !
Ce Double Trio, il faut le chercher d’urgence, car Boxholder est le label distribué le plus étrangement du monde. Sa distribution est aussi dingue que la musique enregistrée dans cet album est folle ou l’inverse. Dingue parce que le son de saxophone ténor que vous entendez là est (par miracle) unique. Un son mordant, brûlant, expressivement chaleureux, expressionnistement lyrique, évocateur de rêves éveillés, de sommes éternels qui explosent avec une urgence inconnue. Les brötzmanniaques vont se régaler (et relativiser leur compulsion unilatérale). La double fournée de basses et de percussions crée une tension peu commune et ainsi porté, Ivo Perelman se surpasse, avec l’aide d’une prise de sons intelligente. Un vrai délire sonique dans les détails. Bref, des années-lumière d’Out of Space, terrien et céleste à la fois. Courrez – tous !!  Soyez fou ! Une musique comme celle-là se mérite. Je vous souhaite bien de la chance pour mettre la main dessus (l’album). On n’a rien sans mal. J’ajoute encore  que Boxholder tient à votre disposition un trio pas piqué des vers avec feu Wilber Morris et Michael Wimberley, The Eye Listens (BXH 012). Rarissime et parfait !! 

The Bleeding Edge  Evan Parker Peter Evans Okkyung Lee Psi 11.10

Un sax ténor et pas n’importe lequel, une trompette et un violoncelle pour une œuvre sombre et diaphane, grave et légère, toute en nuances microtonales. Les souffleurs adaptent l’émission du son au niveau des inflexions subtiles et mouvantes de la violoncelliste : celle-ci sollicite constamment des harmoniques au bout de glissandi qui, étrangement, font étirer les notes vers le bas. On flotte dans les lambeaux de nuages, les brumes, les fumeroles d’une musique introspective, d’un lyrisme intériorisé. Alors qu’il réserve le plus souvent le saxophone soprano à des groupes esprit « musique de chambre » avec instruments à corde et sans batterie (trio avec John Russell  et John Edwards, l’historique duo avec John Stevens , The Needles avec le violoniste Phil Wachsmann), ici Evan Parker se fait largement entendre au sax ténor et au bord du silence. Sans nul doute pour créer l’espace nécessaire à la trompette piccolo de Peter Evans et pouvoir se trouver dans un registre voisin du violoncelle d’Okkyung Lee. Les trois improvisateurs se rejoignent, se confondent, s’écartent et se relancent dans une harmonie émotionnelle confondante. Leur univers transite d’un statisme quasi monochrome vers des volutes effrénées en une fraction de seconde avec le plus grand naturel, sans se départir de cette approche sonore décontractée et sensible. Cinq morceaux plus courts en duos aussi inspirés changent la perspective et le son global d’un trio unique en son genre. The Bleeding Edge nous offre la quintessence de cette musique improvisée libre et d’une approche « apaisée » du saxophone ténor. Cet instrument y saute du grave à l’extrême aigu (harmonique) en une seule émission ou un seul coup de langue. Evan Parker, comme saxophoniste ténor est à la fois et à tour de rôle le Lester Young et le Chu Berry, le Coltrane, le Warne Marsh et le Jimmy Giuffre de la free-music. J’ai réécouté dix fois The Bleeding Edge. Une très belle surprise.
Pour ceux qui aiment le côté plus expressioniste – mais toujours avec des nuances - d’Evan Parker : Foxes Fox live at the vortex (Psi 12.01) avec Louis Moholo, Steve Beresford, John Edwards et Kenny Wheeler en invité.

Dig Deep Trio Paul Dunmall Tony Bianco Paul Rogers FMR

Poussé, épaulé, entraîné, emporté (etc…) par la formidable paire contrebasse - batterie de Paul Rogers et Tony Bianco, Paul Dunmall de lance dans une course effrénée autour d’une échelle asymétrique de notes en porte-à-faux digne des grands Sonny Rollins et John Coltrane à leur plus écorché. Notre homme est happé par une force inconnue qui l’arrache du plancher des vaches vers des sommets inacessibles. Le ténor ultime de l’après Interstellar Space. Malaxant les modes et les scales dans tous les sens permis par la logique et l’intuition, Paul Dunmall projette une flamme et une énergie inouïe. Ce musicien complet et exceptionnel aime varier les univers sonores de l’expérimental au free folk en jouant aussi du soprano, des clarinettes et de la cornemuse. Ici, vous pouvez entendre sa musique au sax ténor – uniquement - dans une compulsion frénétique hallucinante où (vraiment) très très peu de saxophonistes ténor sont capables de le suivre. Quand il s’arrête de souffler c’est son alter-ego Paul Rogers qui fait vrombir les boyaux de sa contrebasse à sept cordes avec une maestria confondante. Au fil des ans, Tony Bianco, un polyrithmicien infernal, a su trouver sa place dans ce trio hautement énergétique. Paul Dunmall est un phénomène du jazz libre et je décris par le menu sa biographie dans un article plus ancien dans ce blog.  

Palm of Soul Kidd Jordan Hamid Drake William Parker Aum Fidelity

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Publié en 2006, cet excellent cédé m’avait été chaudement recommandé par Gustave Cerrutti, un ami de longue date de la tribu Improjazz. A-t-il été chroniqué dans Improjazz ? Je ne m’en souviens pas. Parmi la très longue liste récente des enregistrements de William Parker et d’Hamid Drake, celui-ci tient une place spéciale. Primo, parce qu’il permet d’entendre clairement un des grands saxophonistes ténors afro-américains libertaires vivants, le Néo Orléanais d’adoption Edward « Kidd » Jordan, un créateur aussi authentique que peuvent l’être son ami Fred Anderson, Charles Gayle, David S Ware, David Murray, Sam Rivers et quelques autres ( ou l’étaient, car Rivers Anderson et Ware nous ont quitté depuis la rédaction de cette chronique). Dans les cédés publiés par le label Eremite, Edward Kidd Jordan partage l’espace et le temps avec Fred Anderson. Dans ce trio, il est la voix principale. Secundo, le tandem Drake – Parker a amené toute sa panoplie (HD , drums, tablas, frame drum and voice et WP , bass, guimbri, gongs, bowls, talking drum ) et toute son inspiration pour créer au moyen de cet instrumentarium un moment multicolore qui fasse sens. Tertio, comme je l’ai déjà signalé dans ces colonnes lors d’une chronique d’un triple cédé de David Ware, il est parfois dommage que des artistes essentiels publient des disques mal faits – (nettement) mois intéressants – véhiculant des clichés – manquant singulièrement de véritable inspiration (choisissez la formule à souligner), alors que ces musiques ont tant de mal à se faire entendre. A cet égard, Palm Of Soul, enregistré à NYC peu après le désastre Katrina qui avait poussé Edward Jordan à rejoindre la Grosse Pomme, est parfaitement exemplaire. Depuis sa sortie il y a plus de trois ans, c’est l’album qui pour moi résonne le plus profondément  avec l’esprit et les vibrations de la musique afro-américaine dans cette approche musicale. Le son du sax ténor de « Kidd » est indubitablement le son de l’Amérique Noire dans ce qu’il a de plus intime et de plus profond. Inimitable. Ce musicien est moins connu que certains de ses pairs simplement parce qu’il s’est engagé toute sa vie durant à transmettre son savoir musical et son expérience à des générations de musiciens. Le travail en douceur sur les sons, les timbres et les rythmes réalisé par le contrebassiste et le percussionniste apportent une dimension exceptionnelle au souffle du Néo-Orléanais, au-delà des clichés, des réflexes et des genres. Vu la profusion d’enregistrements de William Parker et dans une moindre mesure d’Hamid Drake, ce disque est sans doute passé inaperçu alors que c’est sans doute une des plus beaux moments auquel ces musiciens ont pu participer depuis des années. Dois-je attirer l’attention sur le fait que la musique du trio est librement improvisée ? Si des mélodies surgissent ici et là en forme de repères thématiques, elles sont créées spontanément. De tels musiciens ont assez de feuilles que pour se passer de papier à musique. S’ouvrant par un swingant Peppermint Falls qui dérape et s’éteint après 56 secondes, Palm of Soul s’étale Forever entre le cisèlement délicat des cymbales et la subtile frappe des gongs. Un chant lunaire sort du bec du saxophone avec une ferveur lancinante et flotte dans les lueurs fantomatiques des deux percussionnistes, réitérant deux notes à chaque détour imprévu de la mélodie improvisée. Le temps se suspend. Tant d’eau et de vent tombèrent du ciel cette année-là sur la ville du Croissant, qu’après un tel déluge, il fut bon que les trois musiciens jouassent sans précipitation (hm…). Dans une Living Peace, le ténor de Jordan et l’archet de Parker s’ébrouent suivi par un Drake qui emboîte un tempo propice à un chant issu d’une Eglise Noire imaginaire, un cantique crié par les oubliés, ceux-là même à qui il ne reste plus que leur conscience et leur âme. Dès la huitième minute, après que l’on ait entendu la vraie voix de Coltrane (*) comme en songe, le rythme s’accélère dans une spirale qui débouche elle-même sur un shuffle qui ralentit progressivement pour éclater non loin des Ghosts chers à Albert Ayler. Jordan joue des harmoniques / cris du saxophone les plus proches de la voix humaine, plus exactement les voix du blues. On songe à Skip James, Robert Pete Williams ou J.B. Lenoir ** . William Parker et Hamid Drake sont toutes ouïes et l’histoire se prolonge tout au long de ce Palm of Soul pour mon plus grand ravissement, comme avec le guimbri et la voix d’Hamid dans Unity Call. Le final Last of the Chicken Wings atteint au sublime. Chair de poule ? Quand il se révèle aussi sincère et dénué de toute roublardise, le jazz libre est une musique éternelle qui accompagne les mortels du XXIème siècle jusqu’à la fin du monde. Absolument essentiel.
* La musique de Kidd Jordan n’est pas happée par les maëlstroms coltraniens et ne projette pas d’explosions soniques aussi déchirantes que celles d’Ayler et Coltrane. Non seulement Jordan est un septuagénaire et les deux légendes avaient toute l’énergie de la jeunesse (Coltrane disparut à l’âge de quarante ans en 1967 et Albert Ayler à trente-quatre ans en 1970). Mais, la richesse profonde du son « au repos » de EDJ et l’émotion qu’il suscite alors sont avoisinantes.
** L’écoute et la compréhension des poètes – chanteurs – aventuriers afro-américains des années vingt à soixante me semble être une expérience indispensable pour pénétrer le message de créateurs comme Albert Ayler, Coltrane, Ornette Coleman, Kidd Jordan, Archie Shepp, David Murray, David S Ware, Charles Gayle, etc……. : Skip James, Gary Davis, Big Joe Williams, Robert Pete Williams, Booker White, Fred Mc Dowell, JB Lenoir, Muddy Waters, Sonny Boy Williamson II, Howlin’Wolf, Memphis Minnie, et puis Aretha Franklin, Wilson Pickett, etc…

Sonic Flares Henry Kuntz Humming bird en téléchargement gratuit

Henry Kuntz est un des improvisateurs libres – activistes de la scène improvisée US qui pointa du nez dans la deuxième partie des années septante, la génération des Henry Kaiser et Charles K Noyes, avec qui il a enregistré plusieurs albums, mais aussi La Donna Smith, Eugène Chadbourne, David Moss, le Rova Sax Quartet, Greg Goodman, Lesli Dalaba, et bien sûr John Zorn. Cette mouvance des années 76 -77 se connecta avec les improvisateurs européens et Bells le magazine d’Henry Kuntz contribua à répandre la bonne nouvelle (http://bells.free-jazz.net/the-bells-contributors/henry-kuntz/). Ses albums vinyles Hummingbird, Ancient Days, Light of Glory et Cross Eyed Priest où on l’entend au saxophone ténor avec Greg Goodmann, Henry Kaiser, Charles K Noyes et John Gruntfest en 1979 / 80, sont toujours disponibles via le site Metropolis theshop.free-jazz.net. On peut aussi y télécharger ces superbes Sonic Flares pour saxophone ténor solitaire (1998) car Kuntz n’a jamais décroché depuis cette époque héroïque. Un son déchirant entre l’Albert Ayler du trio Spiritual Unity « live » et  les Saxophones solos d’Evan Parker en 1975, le Brötzmann et le Joe McPhee des années 70’s. Un son brut, une émotion vitale, des harmoniques brûlantes et des sifflements contrôlés, des coups de bec mordants, un jusqu’au boutisme faussement désinvolte qui ne néglige pas de conter une véritable histoire avec un sens mélodique soujascent. Il construit de remarquables multiphoniques en alternant ostinato de suraigus et coups de langue et enfile des glissandi caractéristiques et des harmoniques fines qu’il mélange comme les graphes d’une civilisation disparue. Un thème mélodique implicite, distendu à outrance, ressurgit sans crier gare et colore toute son improvisation (19’13). Un explorateur authentique de la musique libre.
A écouter aussi : Henry Kuntz : Wayang Saxophony Shadow Saxophone, Hummingbird CD-6 2006 – solo sax ténor and four tenor multitrack recordings. One and One HB CD 1-2 1998.

Eco d’Alberi Edoardo Marraffa Alberto Braida Antonio Borghini Fabrizio Spera. Porter PRCD 4054
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Dès les premières notes, ce son caractéristique du sax ténor qui évoque Chicago ou une de ces villes du MidWest. Rien d’étonnnant, les deux premiers morceaux sont enregistrés au Vision Festival, NYC en 2008,  Tutto Cielo et Radice (12:22 et 14:33). La clarté d’un ciel bleu méditerranéen (Tutto Cielo) est rapidement entrevue, les trois autres musiciens sonnent très agréablement comme des jazzmen qui maîtrisent leur sujet et se libèrent  avec ardeur. Très vite, le vent se lève et les spirales du ténor ne trompent personne : un son pur, des vibrations pleines, un cri qui en fait chanter les harmoniques naturelles, des torsions microtonales. Edoardo Marraffa a l’étoffe de ceux qu’on écoute, qu’on regarde parce qu’on les écoute et qu’on voit dans un rêve. Bouf, après quelques minutes, il s’évade au sopranino (sax), un instrument difficile qu’il contrôle remarquablement. Alberto Braida a l’auto-discipline de jouer pour le groupe et Fabrizio Spera a un véritable sens du swing, même libre. Antonio Borghini joue de la contrebasse avec puissance avec un pizzicato qui s’accommode aux croisements polyrythmiques et un coup d’archet à la sonorité remarquable. Radice, le bien nommé (racine en italien). On entend la profondeur du ténor avec plus d’évidence et bien envoyée, et puis, là aussi, stop et le groupe plonge, implose le cercle du rythme et après quelques appels et questions,  les coups redoublés de Fabrizio (de belles figures) emportent (ou poussent) Edoardo dans les aigus criants et Antonio dans un ostinato très engagé. Des lambeaux de mélodies happés d’un coup de bec et de vrais trucs de cracheur de feu. Une bonne improvisation à quatre. Calls, enregistré à An Insolent Noise  à Pise en 2009, est le plat de résistance (32 :00). Une belle cohésion dans le groupe. L’enregistrement a fait le choix de livrer la batterie toute entière, enveloppante. Le sax au centre chante, hurle, éructe, vocifère alternant harmoniques (speaking in tongues, on pense à Ayler, sérieusement) et des staccati furieux qu’il fait chanter même dans toute leur violence. Expulse de ses poumons, une rage chaude et froide. A 6:40, passe la main au pianiste qui, lui, accroche l’oreille avec un jeu fourmillant tout en soufflant à peine. La suite, bien construite et bien enchaînée, fait découvrir des prises de becs soniques (des plumes s’envolent) permettant au pianiste d’inventer à loisir et de relancer des tournoiements. Le terrain est mouvant et les rôles s’échangent. Tout au long, Edoardo Marraffa garde le cap de l’invention, de l’énergie, du lyrisme, entraînant et entraîné par ses camarades. 14:20 le sopranino entre en scène, il en joue sur un mode léger et puis le quartet se précipite. Le piano tournoie, le bassiste percute, entourés par les cymbales et les toms : le ténor revient et insiste pour que le volume baisse …… les harmoniques des cordes surgissent et un duo mesuré piano contrebasse intimiste change la donne tout en nuances (22 :00). Le sax se fait désenchanté un moment avec ces microtons élégants et caractéristiques … et c’est reparti avec des surprises. Le ténor encore plus fort et le piano qui tournoie. La prise de son très claire, déséquilibre un peu le groupe dans l’espace stéréo. Les morsures inspirées du ténor dans Up Toward the sun (9 :10) répondent au jeu dynamique de Fabrizio Spera et ses figures complexes, aux coups de boutoir de la contrebasse et aux accords percutés de Braida. La colonne d’air déchirée et émiettée s’assourdit face aux vagues emportées d’un trio uni comme quatre mousquetaires et se remet à surfer avec rage pour ensuite imposer une ballade majestueuse chaloupée par le percussionniste et avec un son faussement romantique qui finit par imploser de l’intérieur. Fin ! Un très bon moment avec ses hauts et ses bas, mais à un niveau solide. Edoardo Marraffa est un saxophoniste ténor qu’il faut suivre à la trace et qui mérite qu’on l’entende (plus qu’) un peu partout. Il a aussi en lui ce que j’aime dans le jeu d’un Lol Coxhill, décalé dans la tonalité. Il faut absolument qu’il puisse sortir plus souvent de l’isolement de la botte péninsulaire. On y mange le mieux du monde, même à bon marché, mais, étant à l’écart du va-et-vient entre les métropoles, Berlin, Amsterdam, Cologne, Londres, Paris, Zürich etc…. c’est un peu la Dolce Vita. Les Parker, Brötzmann, Butcher et Gustafsson ont mûri dans un flux de rencontres et d’opportunités trépidantes dont Edoardo a un besoin urgent pour évoluer et nous offrir le meilleur de lui-même. Je ne connais pas d’autre sax ténor qui a une telle étoffe aussi distinctive et ce serait idiot de se passer de ses services. Et pour cause, c’est vous qui serez servi : c’est un solide client, très original. Je suis fan !

Trio X Live In Vilnius Joe Mc Phee – Dominic Duval – Jay Rosen No Business Records double vinyl 33 cm 45t
Live In Vilnius David S Ware Quartet No Business Records double vinyl 33 cm 33t.
David S. Ware Quartet Live in Vilnius 2LP
La vengeance du vynil ! Alors que les cédés mettent de plus en plus de temps à se vendre, un public jeune se rue sur les vinyles qui partent comme des petits pains, neufs ou rééditions. Jimi Hendrix - the Doors – Can – Nirvana – Sonic Youth et des groupes genre 13th Floor Elevators, Strawberry Alarm Clock etc…  de l’ère psyché sixties, mais aussi Pierre Henry ou Sun Ra, le grand champion du nombre de titres réédités dans la sphère jazz. Avec les plaques de No Business Records, c’est le free jazz qui en profite. Ce label de Vilnius en Lithuanie propose deux doubles albums du David S Ware Quartet (David S Ware sax ténor – Matt Shipp piano – William Parker contrebasse – Guillermo Brown batterie) et du Trio X (Joe Mc Phee sax ténor et trompette – Dominic Duval  contrebasse – Jay Rosen percussion ). C’est d’ailleurs lors de leur séjour en Lithuanie qu’a été réalisée la video de Trio X (The Train and the River CIMPVIEW). Avec des pièces de Monk (Blue Monk et Evidence) et d’Ornette Coleman (Lonely Woman et Law Years), un arrangement de My Funny Valentine de Rodgers – Hart , un air de Dvorak et des créations du groupe, Live in Vilnius est une vraie merveille et un condensé de musique afro-américaine. Le trio dégage une atmosphère qui résonne comme la synthèse rêvée des trios d’Albert Ayler avec Sunny Murray et Gary Peacock (Spiritual Unity/ ESP 1964) et de Jimmy Giuffre avec le batteur Randy Kaye et le contrebassiste Kiyoshi Tokunaga (Music for Birds Butterflies and Mosquitoes & River Chant/ rééd Candid 1971-1973). Il y a une certaine douceur (par rapport à la musique de Ware), une relaxation, qui est propice à l’expression des sentiments les plus profonds des musiciens. Un feeling, une mélancolie, une sonorité unique qui passe merveilleusement avec le ténor de Joe. Cet homme est un vrai poète de la musique qui nous raconte les histoires les plus vraies. Ses deux compagnons apportent un environnement de rêve. La qualité du son et du jeu de la basse de Duval est superlative (quelle puissance naturelle !). Rosen est complémentaire et adéquat. Joe joue aussi du baryton sur un morceau. Il y a une vibration dans ces deux disques qui  font que l’on peut les écouter une nuit entière. Ca joue naturellement. La plus belle suite à ces merveilleux albums solo de 1976-77 (Tenor, Variations On a Blue Line/ Round Midnight, Glasses / Hat Hut) réédités par John Corbett.
  Live in Vilnius du David S Ware Quartet est lui aussi une excellente réussite. Ce groupe si uni et huilé vers la fin des années 80 et le début des années 90 devrait avoir dû souffrir en matière de cohésion suite aux autres centres d’intérêts de William Parker et de Matt Shipp, ensemble ou séparément. On entend William Parker dans tant d’entreprises qu’on se demande d’ailleurs parfois ce que font les autres contrebassistes. Il est vrai que certains de ses collègues les plus appréciés (Fred Hopkins, Malachi Favors, Wilber Morris) ont malheureusement disparu. Par rapport aux premiers enregistrements du quartet comme Third Ear Recitation et l’album Sony, il y a une épuration du propos pour dire l’essentiel et venir droit au but. J’avais parfois trouvé certains morceaux du groupe un peu trop maniérés, comme dans l’album Godspelized et le mixage de leurs enregistrements trop « remplis » à mon goût. Ici tout baigne pour convaincre l’auditeur au cœur, sans aucun procédé. La musique est moins complexe que dans certains albums, mais le message émotionnel et l’originalité indiscutable du DSWQ font bien plus que passer la rampe. Si vous voulez découvrir le pianiste Matt Shipp, c’est bien sûr dans ses propres albums qu’il faut aller chercher. Cela dit, ces disques contiennent un excellent concert. Dans Ganesh Sound, un drone grave, à la fois très subtil et primal, émis par la paire Shipp – Parker introduit  un solo halluciné de Ware. Après deux notes, on sait que la messe est dite ! Le groupe joue comme une vraie équipe, bien qu’au service du leader. Mais avec une voix pareille, qui s’en plaindrait ? Dans Stargazers, la basse (très) puissante de Parker assure un rythme sans défaut autour duquel pivotent les figures de Guillermo Brown, offrant au pianiste un soubassement indestructible pour propulser en avant ses accords énergiques (puissance !!) laissant monter la tension dans l’attente du chant enfiévré du sax ténor.  Celui-ci a bien vite fait de se lancer dans une improvisation en synchronie sur les rythmes flottants, tout en déchiquetant la mélodie et vibrer la colonne d’air comme un éléphant dans sa course. Ce mammifère, honoré par spritualité hindoue à laquelle se réfère le musicien, a une mémoire exceptionnelle et c’est bien la caractéristique du souffle de David Ware : il évoque ses aînés de façon quasi charnelle sans pour autant rejouer aucun d’eux. Une profonde sincérité se dégage de l’ensemble. David S. Ware a assumé la démarche qu’on attendait d’un Pharoah Sanders  après la mort de Coltrane. Les deux albums du quartet pour Sony n’ont pas changé un iota à leur message musical. Donc, j’oublierai volontiers la mauvaise impression que m’avait faite les longueurs contenues dans un triple compact Aum Fidelity, chroniqué dans ces lignes il y a quelques années.  Ce double album live est vraiment le chant du cygne d’un ensemble qui a eu le mérite d’entraîner le jazz libre à l’avant plan de la scène musicale aux USA. Ils prennent ici le temps de jouer pour la postérité (l’introduction de Stargazers) en livrant la bonne mesure d’énergie ….dans la démesure. Le batteur Guillermo Brown, un rythmicien exceptionnel, fait oublier les collègues qui l’ont précédé (Marc Edwards, Whit Dickey et Susie Ibarra). David S Ware est non seulement un des plus authentiques saxophonistes ténor post Coltrane - Ayler, mais aussi  un véritable improvisateur de l’instant. Il sait exacerber le son de l’instrument et les accents de la mélodie. ! La preuve réside dans ces sillons. Dépêchez-vous de trouver encore cet album - limité à 1000 exemplaires - avant qu’il n’en reste plus. Le Trio X lui est à 500 copies.  Deux bonnes pioches pour le sapin de Noël !!  Jean Michel Van Schouwburg 

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