Décliné Clinamen trio Louis-Michel Marion Jacques Di Donato
Philippe Berger Creative Sources 304
Lorsque nous découvrîmes les premiers albums d’Ernesto
Rodrigues et des « réductionnistes » sur Creative Sources, nous
n’aurions jamais imaginé que l’aventure de CS puisse s’étendre à plus de trois
cents albums, certains dispensables et d’autres, comme celui-ci, vraiment
attachants et vivants. Une fois passé la rage éditoriale « minimaliste »
qui faisait de CS, une plate-forme puriste, le label s’est étendu à un large
panorama des musiques improvisées et expérimentales. Il s’agit très souvent
d’enregistrements autoproduits et un des points forts du label se situe au
niveau de l’exigence de la qualité sonore enregistrée, du focus sur une
direction musicale précise pour chaque projet et le graphisme optimal de la
pochette où chaque artiste est libre d’exprimer une contre-partie visuelle à la
musique proposée. Décliné est un excellent trio d’improvisation libre démontrant
à l’envi un bon nombre des qualités et caractéristiques propres à cette
expression musicale : exploratoire, insituable, communautaire,
combinatoire de multiples aspects de l’activité instrumentale, imaginative,
rebelle, à l’écart des définitions faciles, généreuse, secrète. Le nom du trio Clinamen
se réfère à la théorie des atomes d’Epicure et à l’écart qui, dans leur chute, leur permet de se rencontrer pour formers des corps, selon le texte du
philosophe latin Lucrèce. Une belle idée pour exprimer les mystères de la
rencontre au travers de l’improvisation collective. Qu’un vieux routier du jazz contemporain et de
la création musicale comme le clarinettiste Jacques Di Donato libère ici complètement le rapport physique du
souffleur avec le bec, l’anche, la colonne d’air nous fait dire que la scène de
la musique improvisée révèle toujours bien des surprises. Il fut un temps où
cet artiste se produisait dans des « créations » improvisées
subventionnées de l’époque mitterandienne. Vu de loin, il se situait dans la
mouvance Portal, Sclavis et compagnie. Et donc pour un observateur francophone
étranger à la scène hexagonale, c’est une belle surprise. Avec ses dizaines
d’années de périples musicaux au compteur, Di Donato surprend et nous convainc
par son inlassable recherche de sons, de prises de bec, de souffles inusités
sur sa clarinette « classique ». Il n’hésite pas à mettre sa pratique
de l’instrument en danger en évitant un énième variation du couinage post
aylérien. L’accompagnent dans ce très bel effort sincère et émouvant, le
contrebassiste Louis-Michel Marion
et le violoniste alto Philippe
Berger. Dans une série d’improvisations intitulées par une déclinaison
autour du mot clinamen, le trio Clinamen nous offre une multiplicité
d’approches instrumentales, de pistes ludiques qui, chacune, évitent (soigneusement
ou spontanément ?) de se rejouer et se complètent. Tension, relâche,
pression, éclair, détente, frappes, doigtés, retenue, application, écoute,
oubli, corps, mémoire, on entend ici un éventail de configurations sonores,
d’actions instrumentales qui nourrissent l’appétit insatiable de l’écouteur
attentif des musiques improvisées libres. Il se passe toujours quelque chose de
neuf, chaque pièce étant bâtie –dans l’instant- sur des matériaux recalibrés et
redessinés d’une main experte. C’est profondément honnête par rapport à la
démarche improvisée et brillant au niveau de l’exécution et de la recherche
instrumentale et musicale. Vraiment exemplaire.
Simon Rose Stefan
Schultze The Ten Thousand Things
Red Toucan RT 9350
Fort heureux qu’un artiste aussi persévérant et original que
le saxophoniste Simon Rose voie son
excellent effort en compagnie du pianiste « préparateur » Stefan Schultze publié par un label
notoire québecquois (et tout aussi persévérant), dont le catalogue égrène les
noms de musiciens incontournables (Léandre, Parker, Liebman, Golia, Brötzmann,
SH Fell) et assume une véritable prise de risques. Depuis ces débuts dans la scène londonienne
et son premier enregistrement avec le contrebassiste Simon H Fell (un
géant !) et le batteur Mark Sanders où il sonnait encore un peu vert (Badland
Bruce’s Finger 14), Simon Rose s’est construit à l’écart des grands festivals
et des lieux fréquentés, un chemin personnel vraiment remarquable dans
l’univers du saxophone improvisé des Evan Parker, Coxhill, Mitchell, Mc Phee,
Leimgruber, Brötzmann, Gustafsson et consorts et où se pressent beaucoup
d’appelés et trop peu d’élus. Le contraste et la complémentarité entre un
pianiste à la fois « contemporain », éduqué et énergique, et un
saxophoniste baryton autodidacte crée une tension, un échange qui renvoie de
prime abord à la tradition du « call and response » de la free music
telle qu’une large partie de son public raffole. Il y a d'ailleurs quelque chose de brötzmanniaque voire de gustafsonique chez Simon Rose. Mais l’écoute en éveil de nos
deux duettistes nous conduit vers leur réflexion, leur concentration, leurs
exigences. Onze pièces spontanément organisées autour d’idées force et d’une configuration préparée du clavier survolé par des tournoiements
mélodiques d’harmoniques mordantes et d’effets de souffle spiralés ou percutés.
Le travail du pianiste est vraiment remarquable, puissant et expressif malgré
une sobriété voulue. Son jeu évite
arpèges et digitalité discursive. Le son du piano est sollicité telle une
machine sonore reliée à des accords secrets et des intervalles choisis. La
musique du duo dispense rêves et d’imprévues suggestions. Le titre, Ten
Thousand Things, nous rappelle que cette musique improvisée est faite
d’une multitude de détails qui s’imposent à nous, disparaissent et renaissent
au fil d’écoutes répétées – et dont je ne me priverai pas en ce qui concerne ce
disque ! TTT figure parmi les beaux albums de musique libre improvisée
du milieu de cette décennie, à la fois chercheur, lyrique, intransigeant et
communicatif d’émotions sincères et entières.
Nicola Guazzaloca Tecniche Arcaiche Live at Angelica Amirani amrn044 / Aut records aut017
C’est fort heureux que le label Amirani consacre plusieurs
de ses belles publications à cet enthousiaste pianiste et activiste de
l’improvisation contemporaine qu’est Nicolà
Guazzaloca. Amirani, soit Gianni Mimmo, s'est associé au label Aut records de Davide Lorenzon pour cette production. Pour quiconque connaît un tant soit peu les musiciens
improvisateurs italiens et leur topographie, Guazzaloca est le premier nom qui
vient à l’esprit quand on évoque la scène active de Bologne. Le grand talent de
pianiste et de créateur bien sûr, mais aussi son travail d’animation d’ateliers,
de concerts – laboratoires et son sens de l’éthique et de l’engagement.
Parmi les explorateurs du piano, Nicolà Guazzaloca se situe
plutôt du côté des claviéristes radicaux tels Veryan Weston, Agusti Fernandez
ou Fred Van Hove que des éventreurs soniques comme Jacques Demierre ou Sophie
Angel. Une commande du clavier impressionnante et un goût italien évident. Si Tecniche
Arcaiche commence par des stridulations et un subtil grattage des
cordes dans la table d’harmonie, le plat de consistance est une formidable improvisation
avec le clavier du piano. Une puissance qui met en vibration toute la machine et fait mieux qu’évoquer celle d’Alex von Schlippenbach. Une science des doigtés
et des nuances jamais prise en défaut, un lyrisme tellurique, un sens de la
ballade contrariée. Bien sûr, on y entend la pratique du jazz, même si ce n’est
pas du jazz, un esprit contemporain
avec toute l’énergie de la free music, la vraie, celle des Irene Schweizer,
Alex von S, Fred Van Hove. C’est très fort ! Voilà un pianiste qu’un
organisateur avisé devrait faire jouer avec les Mark Sanders, Paul Lovens,
Roger Turner, Clayton Thomas ou Paul Rogers. Live at Angelica (le
festival de musique expérimentale de Bologne) nous fait entendre son côté le
plus brillant alors que le précédent Tecniche Arcaiche (amrn 035) délivrait sa
facette plus introspective. Un pianiste essentiel.
John Cuny Hugues
Vincent tagtraum improvising beings ib42
Improvising
beings : détrompez-vous ! Ce label dirigé par Julien Palomo avec
l’aide inconditionnelle d’Aurélie Gerlach, Michel Kristof et Benjamin Duboc
n’est pas que le refuge de free-jazzeux plus que septuagénaires… (Sonny
Simmons, Alan Silva, Burton Greene, Giuseppi Logan, François Tusquès, Itaru
Oki…). Pour preuve, ce beau duo contemporain du pianiste John Cuny et du violoncelliste Hugues
Vincent. Neuf pièces improvisées tour à tour intenses, retenues, saturées,
introspectives, minimalistes, bruitistes, denses ou squelettiques. Neuf intentions
savamment mises en forme et menées de main de maître vers leur solution aux
titres polyglottes (japonais, français, allemand, indien, thaï). Le travail à
l’archet de HV offre des infinis miroitements, variations de timbres et
vibrations aériennes face au toucher transparent et au détachement de JC face
au clavier. Territoires sous – marins
fait entendre une électrification factice de la corde du violoncelle, sans
doute préparée avec une ou des pièces métalliques, ponctuée par la résonnance
d’une frappe sur les cordes du piano, elles-mêmes émettant des vibrations par
le truchement d’objets et de tiges…. On songe au travail de Fred Blondy, même
si John Cuny est un artiste au moins aussi original. Hugues Vincent avait produit un excellent duo avec le
violoncelliste Yasumune Morishige
(Fragment ib28) et John Cuny
s’est distingué dans le quintet Cuir (chez Ackenbush Fou R CD 08) , deux
albums qui tranchent dans la production actuelle. Deux musiciens à tête
chercheuse et à suivre !!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......