Veryan Weston Jon Rose Hannah Marshall Tuning
Out Emanem 5207
Digne
successeur des albums Temperaments (Jon Rose & Veryan Weston Emanem 4207
paru en 2002) et Tunings & Tunes (Jon Rose & Veryan Weston HEyeRMEars
Discorbie HDCD 011), le doucle cédé Tuning Out va encore plus loin dans
l’exploration sonore de claviers anciens et de violons initiée par le
violoniste australien Jon Rose et le
pianiste Veryan Weston avec le
concours de la violoncelliste Hannah
Marshall. Si dans les étapes précédentes du projet, il s’agissait, entre
autres, d’accorder autrement pianofortes et clavecins en tenant compte de
l’histoire, de la science (des sons) et de l’imagination (notes de pochette de Temperaments), ici c’est Veryan Weston
qui enfonce à mi-parcours les tirants de jeu, obtenant ainsi des microtons
aléatoires. L’album retrace les pérégrinations du trio lors d’une tournée
britannique d’églises situées à Liverpool, York, Sheffield, Newcastle et
Londres en mai 2014. Certains de ces orgues d’église sont anciens et ne sont
pas au diapason moderne A = 440 Mhz. Une valeur de 420 Mhz est très probable,
ce qui oblige les deux cordistes à adapter leur jeu et la tension de leurs
cordes à ces fréquences, nouvelles pour eux, mais qui furent le lot des
générations passées, il y a plus d’un siècle ou deux et plus. Pour l’amateur
averti de free-music, les sons de ces orgues évoqueront l’accordéon de Fred Van
Hove ou le concertina de Rudiger Carl ou le fameux vinyle du même Van Hove, Church
Organ. Ce n’est pas la première fois que Veryan Weston enregistre avec un orgue (Daybreak de Ian Smith,
Emanem 4059 –avec Derek Bailey - ou une plage de Worms Organizing Archdukes
avec Lol Coxhill, Emanem 4074) mais c’est la première fois qu’il se lance aussi
intensément dans le travail à l’orgue. Pour information, l’orgue est un
instrument que Jon Rose connaît aussi pour l’avoir pratiqué. En outre, Jon Rose
est crédité « violins » sur
la pochette, mais il m’a aimablement informé qu’il s’agissait du violon
« normal », d’un violon ténor en scordatura « and a Hardanger fiddle also tuned scordatura ». La première chose qui frappe
l’oreille est la symbiose sonore et chromatique du violon, du violoncelle et de
l’orgue dans ce trio improbable au point qu’il faille entendre des percussions
avec l’archet col legno battuto sur
les cordes pour qu’on se dise ah oui il
y a un violon quelque part. La musique a une qualité chambriste remarquable et
se situe complètement dans la ligne de l’improvisation libre : de jeux
avec les sonorités, le refus de la virtuosité conventionnelle, mais aussi des
dialogues au ralenti qui prennent tout leur temps de différencier les sons par
le menu. Il s’agit d’une démarche profonde qui interpelle les fondements même
de la musique : l’accord « parfait » et les relations tonales
dans une perspective historique vers un futur imaginaire situé à l’écart des
démarches modernistes des compositeurs du XXème. Ce trio a une singularité très
particulière qui mérite qu’on s’y colle question écoute. Lors d’une interview,
Evan Parker avait émis l’idée que cinq ou six disques représentatifs de
l’improvisation libre (à vous d’en faire la courte liste) permettaient à un
auditeur d’en comprendre la démarche. Mais on a vraiment envie d’ajouter Temperaments
ou Tuning Out à ces quelques albums bornes miliaires de
l’improvisation libre, car après en avoir entendus des centaines, le plus avisé
des écouteurs assidus ne se serait vraiment pas attendu à une telle musique !!
On a droit à de longues suites de plus
d’une demie heure mis à part le morceau introductif du premier cd à la Blue
Coat Chapel de Liverpool qui fait quand même 18 minutes. La musique
transcende une série de démarches en se
créant une identité inclassable. On a évacué toute la violonnerie conventionnelle ou même contemporaine pour une approche
qui sollicite les harmoniques et produit un son viscéral aussi joyeusement
ludique qu’austère. Je pense qu’en jouant avec un orgue ancien accordé
autrement qu’en tempérament égal, Hannah Marshall et Jon Rose approfondissent
les écarts entre les notes et les étirent de manière curieuse en symbiose avec
les sonorités des tuyaux dont Veryan Weston tire les effets les plus
appropriés. C’est un véritable régal.
Daniel Thompson – Steve Noble live
at hundred years gallery confront ccs 52
Mark Wastell n’interrompt pas les productions Confront qu’il consacre à
l’improvisation radicale la plus pointue et la plus achevée en emballant
chaque concert enregistré d’un beau boîtier métallique, lequel permet sans
doute de le retrouver plus facilement dans les collections interminables des
afficionados. Enregistré à la Hundred Years Gallery, un lieu
remarquable en bordure de la Kingsland
Road qui s’étend du Nord au Sud à travers l’ East End et relie les lieux
les plus fameux de l’improvised
London : Café Oto, Vortex, Hundred Years Gallery, toute la Stoke Newington High street et les défunts Klinker, et qui tranche par sa programmation plus locale et
focalisée sur ce qui se fait de plus frais en ville. En témoigne ce superbe
concert qui sort des sentiers battus : une rencontre entre le
percussionniste Steve Noble et le
guitariste acoustique Daniel Thompson. Steve Noble se
concentre sur les effets de résonance des cymbales (épaisses), gongs et
crotales sur les peaux des tambours et leurs vibrations mouvantes
autour desquelles serpentent les phrases arachnéennes de Daniel Thompson. Il y
a une volonté de recherche, une qualité sonore, une finesse qui expriment in
vivo l’essence de cette improvisation radicale qui n’en finira pas de nous
étonner, même en disque, si on a acquis le flair de dénicher les
enregistrements comme celui-ci, vraiment enthousiasmants et hors du temps.
Steve Noble s’est fait remarquer avec Brötzmann, Joe McPhee, Derek Bailey et
Coxhill mais après des décennies de
pratique (commencées vers 1984) dans cette extraordinaire communauté
londonienne, il personnifie aussi l’improvisation libre avec toute son innocence
lucide et assumée. Il a trouvé en Daniel Thompson un partenaire à la hauteur et
qui finira par nous étonner tant son jeu acquiert audace et pertinence au fil des mois, disque après disque, dans une
veine difficile « le post Bailey/
Russell » acoustique. Enchanteur !!
Imagined Time
Philipp Wachsmann Paul Lytton
Bead Records CD 11
Label initié
il y a plus de quarante ans par une bande de potes, Phil Wachsmann, Pete
Cusack, Simon Mayo, Tony Wren et Richard Beswick, Bead Records a documenté toute une génération d’improvisateurs dont
les susnommés et des artistes rares comme Ian Brighton, Larry Stabbins, David
Toop, Paul Burwell, Steve Beresford, Clive Bell, Matt Hutchinson et publia le
premier disque des Alterations…. Une
autre époque ! Depuis l’ère cd, on y trouve le cheminement d’un des
pionniers de l’improvisation libre dont l’influence fut déterminante pour de
nombreux improvisateurs, Phil Wachsmann. Son travail avec Fred Van Hove, Paul
Rutherford , Barry Guy, Tony Oxley, Phil Minton, Radu Malfatti, Derek Bailey etc…
dans les années 80 et 90 font de lui un créateur de premier plan et le
violoniste de prédilection de beaucoup. Mais cet arbre quasi-généalogique ne
doit pas cacher la forêt de son talent exceptionnel. Il y a longtemps que
Wachsmann a remisé les extraordinaires et très sinueuses envolées
violonistiques qui sollicitaient un variété confondante de techniques alternatives
basées tant sur une connaissance approfondie du dodécaphonisme et des séries
que sur les possibilités soniques de l’instrument. Aujourd’hui, il se concentre
dans la substance et la réflexion sur l’acte d’improviser, en illustrant
comment Less peut être More. Paul Lytton, batteur de l’impossible de l’ultra
polyrythmie, nous engage dans son univers improvisé fait d’éléments de
percussion étalés dans l’espace et à même le sol, d’ustensiles en tout genre
(dont ceux de la cuisine), de cordes tendues sur un cadre et amplifiées dont il
modifie le son avec ses live-electronics et des pédales de hi-hat. On est très loin de la batterie
virevoltante hyperactive du trio avec Evan Parker et Barry Guy. Paul et Phil
ont joué ensemble au temps de leur jeunesse quand le percussionniste habitait
Londres et se sont retrouvés avec King
Übü Örkestrü, le London Jazz
Composers’ Orchestra de Barry Guy et l’Electro-Acoustic
Ensemble d’Evan Parker. Leurs deux tempéraments bien différents se
rejoignent ici pour de subtiles rêveries où le violon tâte des mélodies sorties
de nulle part et des fragments d’improvisation et le percussionniste gratte,
frotte ou agite les surfaces des pièces improbables de son capharnaüm sonique.
Les titres : Biodigm One, Two,
Three etc … suggèrent que les
paradigmes de la musique improvisée sont ceux de la vie même des musiciens qui
s’écoutent et s’entendent à nous méduser.
Wachsmann et Lytton sortent des sentiers battus et manient l’art de la
suggestion et celui de l’écriture automatique. Un disque remarquable par des
improvisateurs incontournables.
Voici une
ode au bruitisme, aux sons obtenus en grattant, frottant, secouant, percutant
de mille manières le bois, les peaux, les métaux, le plastique, le polystyrène,
etc.. dans une multitude d’occurrences dont les paramètres changent sans arrêt.
Pas de batterie mais une table - et le sol - recouvert d’instruments de
percussion, d’ustensiles détournés de leur fonction, de batteurs à œufs amplifiés
avec un micro contact ou des cordes de guitares dont la tension oscille avec
une pédale de grosse caisse. Secondé par une installation électronique
divagante, Paul Lytton actionne plusieurs objets et ses cordages simultanément en créant une polyphonie bruissante qui n’appartient qu’à lui. Donc ceux qui
s’attendent à un disque de percussions en seront pour leur frais ! C’est
sans doute l’enregistrement de home-made instruments le plus efficace et le
plus délirant qu’il nous est donné d’entendre. Dans ces eaux là, on peut citer des artistes comme
Hugh Davies, qui fut une de ses influences, AMM première manière, Steve
Beresford avec sa table de jouets et gadgets, Adam Bohman et ses objets
amplifiés. Cela convaincra les amateurs de noise. Mais aussi et surtout, Paul Lytton n’a pas son
pareil pour coordonner ses gestes et tirer parti des sonorités produites par
ses actions simultanées, décalées et
enchaînées avec une belle précision et une forme d’humour flegmatique. Ces sons
industriels bruts, voire grinçants sont mouvants et semblent insaisissables,
l’auditeur étant perpétuellement en éveil face à ce capharnaüm qui semble s’agiter
tout seul. Certains
passages sont complètement inouïs ! Un ovni sonore inclassable de grande classe.
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