Day One Carlos Zingaro
/ Ulrich Mitzlaff / João Pedro Viegas / Àlvaro Rosso 4tet JACC
Violon, violoncelle,
contrebasse et clarinette basse, ensemble d’improvisation contemporaine, le Zingaro/Mitzlaff/Viegas/ Rosso 4tet conjugue l’écoute intense,
l’intuition de formes superbement construites dans l’instant, un sens de
l’épure que ne renie pas une expression conviviale. Quelques traits, une idée
mélodique décalée ou rythmique, des enchaînements brefs d’impulsions et de
coups d’archet synchrones et une trame s’ébauche, des jeux épars se complètent.
Improvisation concertante et mesurée pour créer un espace commun où la musique
prend son temps, prend corps et les musiciens leurs marques. Cela s’appelle
jouer comme les quatre doigts de la main. Des miniatures ou des pièces de
consistance comme Cells and Patterns 14:47 and Little Grey Men 13:13
créent une diversité de propositions qui alimentent l’écoute. Ecriture,
improvisation, contemporain ? Viegas souffle les
harmoniques à demi saturées ou l’anche semble vibrer toute seule se confondant
avec le chœur des cordes. Une certaine sagesse dans le jeu collectif ou une
philosophie de la complémentarité paisible. Des cadences frottées tressautent
et la clarinette basse sécateur tranche et frictionne les barres de mesures. De
beaux équilibres avec quelques éclats maîtrisés ou échevelés (Little Grey Men). Day One est un beau
moment partagé qui se laisse réécouter. On pense aussi aux projets de Kent
Carter pour Emanem avec Albrecht Maurer et les clarinettistes Theo Jorgensmann
et Etienne Rolin (Rivière Composer’s Pool), Kent Carter dont Zingaro fut le
compagnon dans un trio mémorable.
Grounds Louis-Michel
Marion poème méditation sur la corde grave
Cinq Strophes Louis-Michel
Marion solo Kadima Collective.
La presse spécialisée ou semi-spécialisée qui traite du jazz contemporain et de l’improvisation tend à se
focaliser sur une série d’artistes notoires alors que ce qui rend la scène
improvisée fascinante est cet univers quasi-infini de musiciens de grand talent
dont on ne se lasse pas. Parle-t-on contrebasse et les plumitifs nous
reviennent sempiternellement avec Joëlle Léandre, Barry Guy, Barre Philips, feu
Peter Kowald et maintenant, John Edwards. On a déjà presque oublié Paul Rogers,
on ignore un Simon H Fell (qui est aussi un chef d’orchestre – compositeur de
grande envergure), Ulli Philipp, Damon Smith et beaucoup d’autres… Le
contrebassiste Louis-Michel Marion
est un véritable improvisateur dont la participation dans le Clinamen
trio et leur cédé « Décliné »
(avec Jacques Di Donato et Philippe
Berger) fait de lui un musicien à suivre. J’en ai fait la chronique dans un
numéro précédent.
A la longue c’est chiant
d’écouter toujours les mêmes. Un musicien aussi célébré qu’ Evan Parker, qui
a ouvert toute grande la porte sonore du saxophone alternatif et que beaucoup
idolâtrent, est, lui, un inconditionnel de ses collègues qu’il trouve passionnants :
John Butcher, Lol Coxhill, Michel Doneda, Stefan Keune, Urs Leimgruber, Ned
Rothenberg, Tom Chant etc… trouvant que le fait d’être né plus tôt etc… n’est
pas un argument… de vente… Donc, faites comme Evan Parker, partez à la
découverte d’autres improvisateurs même s’ils ne jouent pas dans les festivals
qui comptent … Et donc, comme contrebassiste, Louis-Michel Marion est un sérieux client
Le propos de Grounds,
enregistré en 2012 est de travailler, explorer, faire trembler la seule corde
grave à l’archet en allant jusqu’au bord de l’audible à la limite de l’infrason. Ce
pourrait être un exercice de style, mais notre praticien exigeant et talentueux
en fait un mirage de l’inconnu, une recherche éperdue de vibrations bienfaitrices
durant trente-trois minutes. Un moment radical, intrigant…
Si vous préférez quelque
chose de moins extrême, une bonne pioche sur le label israélien Kadima : Cinq
Strophes du même Louis-Michel Marion. Voilà ce qu’on aime dans la
contrebasse improvisée depuis le fabuleux et prémonitoire Journal Violone de Barre
Philips enregistré en 1968 et le Was Da Ist de Peter Kowald :
une vibration multi-dimensionnelle, un jusqu’au bout de la recherche, la beauté
du geste, une écoute de soi exigeante, des couleurs, des sons qui bruissent,
grincent, éclairent, des pizzicati qui dérapent, s’éparpillent, croisent un
archet effilé… L-M Marion fait aussi subtilement deux choses à la fois avec
inspiration comme dans ces magiques first
steps de la plage 2. Travail à l’archet géant ! Rien à envier à
Peter Kowald ! Cette musique a une âme et procure un plaisir, celui de
l’artisanat fait main des sons libres arrachés à l’inertie du gros violon,
sublimant les incartades auxquels sa nature consent en un instant de vérité.
Magnifique.
Pool North Adam Golebiewski Latarnia records #
LA005
Un excellent album de
percussions solo sur « drumset, objects » enregistré en 2014 par ce
musicien sorti de nulle part, en Pologne. Dans la lignée du meilleur des Roger
Turner, Paul Lovens ou Lê Quan Ninh. Les titres évoquent des approches de
l’instrument comme point de départ d’improvisations réussies et de beaux agrégats
de sons froissant et résonnant : métaux, peaux, bois, plastique dans une
gestuelle qu’on croit deviner : Straight
Mute, Decay, Left Hand Shake, Manner and Timbre… Sans « edits »
ni collages ! Il fut une époque lointaine où ces
albums de percussions solos improvisés étaient monnaie courante (Bennink, Lytton, Centazzo, Oxley,
Johansson, Schönenberg, Favre, Turner, Moss, Siracusa, Lê Quan …). Par la
suite, quelques-uns s’y sont encore risqué :
Eddie Prévost et Gino Robair, avec Singular
Pleasures, il y a plus d’une dizaine d’années, Tatsuya Nakatani, et tout
récemment Paul Lytton à nouveau avec ? ! Alors voici Pool North d’Adam Golebiewski, une pièce rare en
somme. Un solo de percussion nimbé de silence, de résonances et de fureurs est
une expérience à part, tout comme le piano seul, mais dans une dimension toute
autre, l’instrument n’étant pas tributaire d’un accordage ou d’échelles de
notes conventionnelles. Les peaux sont
ici recouvertes d’objets qu’on froisse, secoue, frappe, gratte, frotte, avec
une simultanéité finement coordonnée pour donner l’illusion d’un désordre en
mouvement … Le grondement de cymbale frottée sur une peau du morceau d’entrée (Straight Mute) et ses variations inouïes
avec les harmoniques vaut à lui seul l’achat du disque. Son langage se
distingue clairement de celui d'Eddie Prévost (Loci
of Change) ou de Tatsuya Nakatani. Chaque plage apporte sa portion de vie et d’invention
et justifie une écoute répétée. N’hésitez pas un instant à plonger dans cet
univers, vous en serez récompensé, même si le nom de l’artiste ne vous dit rien.
Pour reprendre le terme en usage, foncièrement non-idiomatique et vraiment
talentueux. Belle pochette en carton recyclé.
http://adamgolebiewski.bandcamp.com/releases
http://adamgolebiewski.bandcamp.com/releases
Reissues :
Fred Van Hove - Peter Jacquemyn - Damon Smith Burns Longer Balance Point
Acoustics BLP BPA-2
Cet album fut en son temps
considéré comme une borne miliaire de la free music, réunissant deux
personnalités hors pair et insignes des deux facettes de la free music des
années soixante / septante lors d’un concert historique organisé en 1974 par
Martin Davidson le fondateur d’Emanem et producteur de ce double album vinyle.
Le lieu, Wigmore Hall, est l’antre du classique bon teint). Deux
facettes : la musique afro-américaine libre et la composition contemporaine alternative,
l’improvisation totale (Derek Bailey) et l’organisation de celle-ci (Anthony Braxton).
Extraordinaire rencontre où Bailey utilise sa fameuse amplification stéréo avec
deux pédales. Hautement recommandable ! Trève de commentaires, il faut
écouter !! La pochette a un côté dérisoire avec les deux musiciens assis dans un moche jardinet de la banlieue londonienne, mais c'est voulu !!
Encore une réédition, celle
du dernier solo « absolu » d’Evan
Parker pour son label Incus en 1986. Musique « archi-connue »
pour les afficionados, mais comme il joue très peu en solo depuis une quinzaine
d’années, ce disque devient un véritable must. The Snake Decides a été enregistré
dans une église par l’as des as des ingénieurs du son, Michaël Gerzon, le génial inventeur du micro Soundfield. Ce génie de
la prise de sons est un des plus grands inventeurs en la matière et fut le compagnon enthousiaste des improvisateurs radicaux londoniens durant les années
80. Disparu trop tôt, Gerzon nous laisse en souvenir des enregistrements d’Evan
Parker. Ce qu’il y a de particulier dans celui-ci, c’est que le niveau
permet aux fréquences d’atteindre la limite ultime où le son live va
« craquer ». Il en résulte une puissance sonore, un mordant, une
vibration physique qui transforme l’écoute en transe. Variations faussement
polyphoniques des extrêmes du sax soprano dont la perce conique permet à ce
musicien, un des plus grands saxophonistes vivants, un jeu inouï avec les
harmoniques. Avec un jeu de langue par à coups, la respiration circulaire, des doigtés croisés et
une maîtrise surhumaine du son, Evan Parker crée un univers sonore démentiel où
se croisent et se superposent des extensions hallucinatoires du souffle. Même
si c’est devenu un « lieu commun » depuis 1977, c’est toujours aussi
« Incroyable » !
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