The Spring Trio Andrew
Lisle Simon Rose Daniel Thompson
Cram Records https://cramrecords.bandcamp.com
A l’heure où
j’écris ces lignes, The Spring Trio n’est pas encore sur le bandcamp de Cram records, mais il a tourné en boucle sur ma chaîne.
Concert entier enregistré aux Foley
Street Improvised Music Concert Series en avril 2014, cet enregistrement
bénéficie de la possibilité pour le groupe de jouer d’une seule traite plus de
cinquante minutes. Il est de tradition que les gigs londoniens soient partagés
en trois ou quatre sets avec chaque fois un groupe différent. La perspective de
pouvoir développer leur entente musicale sur la durée permet aux improvisateurs
d’aller jusqu’au bout de leurs idées et moods du moment et d’atteindre un réel
point de non retour. Le guitariste Daniel Thompson, qui programme la série
de Foley Street, au premier étage du
pub King and Queen (1 Foley Street) à
deux pas de l’artère commerçante d’Oxford Street, a voulu expressément réserver
deux parties par soirée pour chaque formation invitée: https://foleystreet.wordpress.com/past-concerts/ . Le rêve pour qui a vraiment quelque chose à dire. Et donc, après une
pièce de résistance de 38 minutes, il y a encore deux morceaux de huit et sept
minutes. Durant plusieurs longs moments du concert, le saxophoniste (baryton) Simon Rose est au centre du trio,
entraînant le percussionniste Andrew Lisle et le guitariste Daniel Thompson dans les spirales de sa
respiration circulaire mouvante truffées d’harmoniques. Mais leur itinéraire
est parsemé de séquences d’échanges ou de moments diaphanes, intimes où Rose
égrène une harmonique dont il modifie l’ampleur, le volume ou la hauteur avec
une belle précision par dessus les grattements et griffures de la six cordes.
Lisle sollicite les frictions des
cymbales avec un archet ou à la pointe de ses baguettes. Il n’hésite pas à le faire lorsque le trio
tourne à plein régime faisant écho aux morsures du saxophoniste sans qu’en
sente ralentir la cadence. Du grand art dans certains détails et une volonté de
créer du neuf avec un langage sonore éprouvé en mettant en correspondance les
inventions individuelles avec un réel à-propos. Tout au long de ce set
inventif, des moments ébouriffants ou des micro-détails requièrent l’attention
et font vraiment plaisir. On n’est pas venu pour rien … Moi je vote
pour !!
Saxophones :
Avant-garde
contemporaine pointue ou continuum libertaire du jazz : The
Mirror Unit vs The Russian Concerts ?
Mais
plaisirs d’écoute incontestables.
The Mirror Unit Tim O’Dwyer & Georg Wissel Wind makes Weather Creative sources 311
On ne
pourrait recommander l’entièreté du catalogue
Creative Sources vu son expansion faramineuse, mais la sagacité et l’esprit
d’analyse de son responsable, Ernesto Rodrigues, fait que nombre de parutions
récentes sont de réels plaisirs de l’écoute et certaines peuvent servir de
pièces à convictions dans un grand jury « sérieux » en ce qui
concerne la validité de l’improvisation libre comme méthode de création
musicale contemporaine. Des enregistrements qui n’auraient pas à rougir face à
celle de compositeurs chevronnés au niveau du contenu et de la fascination de
l’auditeur averti. Voici un excellent exemple : the Mirror Unit. Il était
une époque où les duos de saxophone faisaient florès : les années’ 74
jusque 81, lors du grand boom de la free-music post free-jazz. Braxton, Lacy,
Evan Parker montraient alors la voie. The Mirror Unit, qui réunit face-à-face deux saxophonistes parmi les meilleurs de la scène improvisée, est la plus
belle prolongation de cet esprit novateur qu’il m’ait été donné d’entendre dans cette démarche : deux becs, deux
anches, deux colonnes d’air, des clés, deux souffles, le tout animé par une
collusion totale et avec l’aide de préparations de l’instrument, le sax alto. Tim O’Dwyer et Georg Wissel créent ici une œuvre singulière, une musique
exigeante, voluptueuse, radicale, inspirée. L’un est originaire d’Australie,
l’autre de Cologne. Certains croient que la musique improvisée s’arrête à
quelques noms – notoriété oblige - balisés par une critique moutonnière. Voici
donc un chef d’œuvre, égal à mon avis, à l’excellente collaboration d’Evan
Parker et Urs Leimgruber, Twins (Clean
Feed). Avec ingéniosité, ils ont trafiqué leurs saxophones en y insérant des
objets (gobelets plastiques, par exemple) pour produire d’autres sons. Si leur
connivence dans le jeu « conventionnel » est totale avec ces figures
et ces intervalles qui s’emboîtent comme par miracle (#1 Authentic City), leur osmose dans les sifflements et bruissements
d’infra-sons, scories du souffle, est renversante. Une basse cour déjantée mue
par une logique insoupçonnable… la variété des timbres, leur dynamique et leurs
interrelations font que des écoutes répétées en délivrent à chaque fois une
multiplicité d’instants de grâce. Leur musique basée sur une écoute mutuelle
exigeante se présente à la fois comme une recherche de sons effrénée et une
architecture minutieuse. Chaque pièce (il y en a huit) a son propre champ
d’investigation et pourrait faire figure de composition. Je ne vous fais pas la
description par le détail, car, comme je l’ai déjà écrit, c’est une perte de
temps, tant cette musique est belle à écouter et réécouter encore et encore… Un tel chef d’œuvre ne pouvait qu’être
enregistré à Wuppertal au Peter Kowald
Ort. Pochette ornée d'une peinture de Turner.
François Carrier Michel Lambert Alexey Lapin
The
Russian Concerts Volume 1 & 2 FMR CD 367 et 381.
FMR (Future Music Records), le label dirigé par le percussionniste Trevor Taylor, est ouvert à un éventail
varié de musiques alternatives, expérimentales, improvisées radicales et free
jazz souvent de très bonne qualité, sans hésiter à donner leur chance à des
musiciens inconnus. Travail de longue haleine aussi bien que coup de cœur
improbable avec la foi du charbonnier sans calcul. FMR soutient sans faiblir
des artistes relativement outsiders
comme l’extraordinaire saxophoniste Paul Dunmall (pas moins de 60 albums pour
le label dont les 50 premiers ont été rassemblés dans un coffret hallucinant).
Parmi les artistes au catalogue, reviennent fréquemment le saxophoniste
québecquois François Carrier et son alter ego le percussionniste Michel
Lambert. Celui-ci est un solide batteur développant avec succès une polyrythmie
profuse et tournoyante et le saxophoniste a une superbe sonorité d’alto pleine
et charnue qui chante toute seule et n’hésite pas à trancher, parfaite pour le free jazz. Leur amitié musicale solaire
se propage en compagnie de musiciens chevronnés comme ce disque Leo avec Jean
Jacques Avenel, un beau témoignage du contrebassiste malheureusement disparu. Le
trio avec le pianiste Alexey Lapin ayant déjà honoré le label Leo Records, FMR
a judicieusement choisi de documenter deux concerts réussis de ce triangle
sensible enregistrés en Russie. Carrier et Lambert ont déjà gravé deux
remarquables collaborations avec des pianistes et non des moindres : Bobo Stenson (Entrance 3 Ayler records) et Paul
Bley (Travellin Lights avec Gary
Peacock ( !) Just in Time). C’est dire l’excellence de ces deux artistes.
Tout comme les saxophonistes Paul Dunmall, Evan Parker, Peter Brötzmann, Ivo
Perelman, Fred Anderson, Glenn Spearman, Mats Gustafsson, Frode Gjerstad et
Edward Kidd Jordan, François Carrier improvise librement sans recourir à des compositions,
thèmes et autres structurations. Durant les années 70, il n’y avait que des
saxophonistes européens pour évoluer de la sorte (Brötz, Evan, Rudiger Carl,
Lazro) et, parmi les américains, Sam Rivers était bien le seul à faire
confiance à l’improvisation totale (même s’il recyclait des formules
rythmiques). Pas mal de musiciens d’alors déclaraient être (aussi) des
compositeurs à la suite de Braxton et Lacy ou en héritiers de Charlie Parker et
tenaient à rattacher leur univers musical à l’évidence d’un thème chantant et
reconnaissable, sans doute pour ne pas perdre leur auditoire dans les méandres
de l’improvisation. De nos jours, l’improvisation libre est devenu un usage
courant dans le jazz libre minimisant ainsi la frontière entre le free-jazz afro-américain
et l’improvisation dite non idiomatique.
François Carrier est sans nul doute un excellent exemple de cette
tendance. Quelque soit votre musical bias, il faudrait être masochiste ou de
mauvaise foi pour ne pas se laisser emporter par le lyrisme sincère et entier
de ce merveilleux saxophoniste et les trames percussives de son acolyte. Les
volutes soufflées du saxophone sont tracées dans les sonorités acceptées du saxophone alto
(conventionnelles) dans un mode rubato avec quelques effets sonores expressifs,
mais sans utiliser ces techniques alternatives initiées par Ayler ou Evan
Parker. Mais il y a dans ce souffle une
âme entière, un lyrisme à la fois contenu et expansif, une intelligence de jeu.
Et le pianiste Alexey Lapin, vraiment remarquable s’y intègre parfaitement tant
par ses solutions pianistiques inventives et une belle inspiration. Un vrai
groupe et pas une rencontre d’un soir. Une véritable perspective s’en dégage et
qui fait qu’on est entraîné par leur fougue et leurs pérégrinations tout au
long de ces longues dizaines de minutes qui s’échappent insensiblement
emportées par l’énergie du trio. Voilà !
Ce sont de très beaux concerts et le volume II est mieux enregistré. Une belle
trajectoire que je salue même si mon approche musicale personnelle est
sensiblement différente.
Open Field + Burton Greene Flower Stalk Cipsela CIP 002
https://cipsela.bandcamp.com/album/flower-stalk
https://cipsela.bandcamp.com/album/flower-stalk
Cipsela est
un micro- label portuguais qui a publié un cédé énorme : Carlos Zingaro
Live at Mosteiro de Santa Clara a Velha, une œuvre étincelante, homogène et palpitante
de bout en bout par un violoniste exceptionnel. Elle a été chroniquée ici même il y a quelques semaines. Voici un autre violoniste, alto
celui-là, au sein du groupe Open Field, João Camões, qui mérite une écoute attentive (Bien Mental avec Foussat et Parle, FOU records) pour son expressivité salutaire.
Lui et ses deux camarades du trio Open Field, le bassiste José Miguel Pereira et le guitariste
(nylon acoustique) Marcelo dos Reis,
créent des univers dans lesquels le pianiste vétéran Burton Greene n’a qu’à se glisser en fonction de l’orientation
musicale de chaque morceau. Open Field, champ ouvert,
semble-t-il à des esthétiques variées qui vont d’une musique de chambre feutrée
et vingtiémiste à l’expressionnisme fougueux (Camões dans Rising Intensity). Le guitariste Marcelo
dos Reis a une approche « classique » épurée et le bassiste tient un
rôle de soutien dans Angels on the Roof où s’intègre
adroitement les superbes sonorités de Burton
Greene au piano préparé. Une atmosphère en suspens, minimaliste s’étire et
lorsque les notes du piano s’égrènent, les rôles se renversent et les cordistes
frottent, créant une ambiance éthérée, sifflante, qui s’enfonce petit à petit
dans le silence. On the Edge est lancé par un thème ornettien au violon alto
auquel se joignent les notes de la basse et la toile de la guitare. De ce thème, le violon développe une improvisation jusqu’à
une accélération où le piano se joint à eux en entraînant le groupe dans des
ostinatos changeants où le rôle moteur est partagé par Greene et Camoès.
Lorsque le solo de Camoès se met à déraper, un signal est donné et on admire la
facilité avec laquelle le pianiste plonge dans les cordages et révèle des
sonorités peu usitées du piano préparé. Le guitariste n’est pas en reste non
plus dans cette ambiance musique contemporaine cagienne. Le contraste sonore entre
le piano de BG et l’alto expressionniste est total. On pense à Billy Bang ou à
Leroy Jenkins, tant la sonorité de Camões est « nasalisée ». Greene
Hands dévoile la superbe sonorité du pianiste au toucher cristallin
vraiment remarquable. Dans le dernier morceau, Joao Camoès souffle dans un mey, et cela fait un écho intéressant à
la pratique des musiques moyen-orientales et yiddish de Burton Greene, un
expert en ce domaine. L’absence de batterie et de souffleur et l’assemblage
« disparate » (une guitare classique avec un grand piano, c’est
compliqué à agencer) du groupe fait de ce disque attachant, un bon exemple de comment il y a
moyen de tenir la route avec un groupe un tant soit peu disparate et
d’intéresser le public d’un concert avec la meilleure volonté du monde et sans
se prendre au sérieux. Un disque qu’on aime à écouter comme le morceau atypique
qui clôture le disque, Ancient Shit, et dont la métrique
particulière, très folklore imaginaire
et accentuée par des claves sonores et le piano préparé, apporte un touche de
fraîcheur un peu cinglée et bien réjouissante. Il faudrait inviter Burton Greene çà et là plus souvent, il
est complètement cool !!
Browne / Thompson / Sanderson The 1926 Floor Polish Variations Linear
Obsessional Recordings 2014 LOR 059 50 copies.
Un concert
enregistré à Aylesbury, la patrie de Lol Coxhill. Mark Browne sax alto & collected objects, Daniel Thompson acoustic guitar, Richard Sanderson melodeon : soit
trois activistes de l’improvisation londonienne. Celle-ci s’est distinguée par
l’émergence de personnalités hors norme qui ont eu une influence considérable
sur la free-music, de AMM à John Stevens, d’Evan Parker et Derek Bailey à Paul
Rutherford, Barry Guy et Lol Coxhill, sans oublier les percussionnistes Tony
Oxley, Paul Lytton et Roger Turner, etc etc… et un sens de la communauté qui
fait que quiconque pratique cette musique se sent le bienvenu et devient involved. Comme une partie des pionniers
disparaissent (Stevens, Bailey, Hugh Davies, Rutherford, Coxhill, Elton, Tony
Marsh) et que plusieurs musiciens ont quitté la ville (Keith Tippett, Trevor
Watts, Phil Wachsmann, Evan Parker, Maggie Nicols, Mark Sanders) ou le pays
(Oxley, Lytton, Paul Rogers, Simon H Fell, Simon Picard, Louis Moholo), le
paysage improvisé londonien des années 2010 n’en demeure pas moins riche,
contrasté, improbable et toujours aussi attractif. Produit à petite échelle par
un incontournable, Richard Sanderson,
musicien électronique inventif, sur son label à coucher dehors, The
1926 Floor Polish Variations relate une tentative réussie de marier la
chèvre et le chou avec talent, une part d’ironie, de fausse candeur et une
conviction imperturbable. Il en résulte de belles inventions individuelles du
saxophoniste Mark Browne, épigone du
free playing tous azymuths mouvance Evan Parker - John Butcher et du guitariste
acoustique Daniel Thompson dont la
voie complète heureusement celle de John Russell. Le mélodeon de Sanderson liant les deux instruments dans le trio avec un
air détaché. Pour l’information, le mélodeon est un accordéon
diatonique bi-sonore. Il comporte une rangée de boutons (10 le plus
souvent) pour la mélodie à la main droite et 2 (le plus souvent) ou 4 soupapes
pour l'accompagnement à la main gauche. La partie mélodique dispose de 4 voix
(rarement 3) qui peuvent être mise en jeu ou hors jeu individuellement par des
tirettes. La pièce de résistance du concert qui suit 3 morceaux de taille
moyenne entre 5 et 9 minutes, The Right Foot In The Door, nous
fait entendre Richard Sanderson
perpétrer des sons extrêmes son instrument. On croirait une basse cour qui
s’étrangle, alors qu’il distille ailleurs une atmosphère de manoir hanté. Mark Browne pointe des harmoniques
ultimes et vrille la colonne d’air dans une stridence vocalisée. Ce disque est
un témoignage vivant de cette habitude qu’ont les improvisateurs londoniens d’essayer
tout ce qui est possible entre les personnalités les plus diversifiées de leur
communauté, pour voir ce qui va se passer et aussi par un sentiment d’amitié et
d’admiration mutuelle. Sentiment qui chez eux a plus de poids que tout le
reste. Et donc, on trouve dans ce disque des choses curieuses qui méritent d’être
découvertes.
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