Jean Luc Petit Matière des souffles
improvising beings ib27
Julien Palomo, le responsable d’improvising beings est un des plus grands risque-tout de
l’édition numérique en musiques improvisées. Soit il produit un coffret post
psychédélique – acousmatique de 8cd avec un revenant improbable comme Sonny Simmons et s’entiche du pianiste
maudit, pionnier du free jazz français, François
Tusquès, du trompettiste bohème Itaru
Oki ou d’un Giuseppi Logan
miraculé et se fait passer presque pour un ringard auprès de la free-musicosphère. Ou, alors, il présente
des improvisateurs libres plus radicaux complètement inconnus en solo comme le
tromboniste Henry Herteman ou ce
clarinettiste contrebasse, Jean-Luc
Petit, dont on se demande d’où ils sortent. Sans oublier le
« critique » amoureux d’Improjazz et batteur sensible, Luc Bouquet, en trio avec Jean Demey et Ove Volquartz , lui aussi à la clarinette contre basse…Vraiment atypique ... Les branchés se foutent du trompettiste Itaru Oki, par
exemple, lui aussi abonné aux salles obscures. Mais comment expliquer qu’un musicien aussi couru qu’Axel Dörner enregistre un duo avec lui ?? Leur Root of the Bohemian est une véritable merveille ! Le dernier coup dingue de
Palomo est le coffret de 4 cd’s de Jean
Marc Foussat alternative oblique et le double album hommage à feu Abdelhaïd Bennani avec Alan Silva, Burton Greene et Chris
Henderson aux percussions électroniques. Bref un rassemblement de tous les
artistes dont aucun festival classieux et bien sur soi (même d’improvisation)
ne veut. Quand on aime, on ne compte
pas !
Matière des souffles est l’archétype du titre téléphoné, car
toute une avant- garde radicale parle de matières et de textures et aussi de
souffles… Mais l’écoute de ce disque
solo sans prétention pour sax baryton et clarinette contrebasse révèle un amour
du son, une qualité de timbre graveleuse, sombre, un parcours les yeux rivés
aux étoiles, une déambulation poétique, un allongement du temps dans la rêverie
d’un jour qui n’en finit pas. Le souffle d’Abrasives Incursions fait
légèrement grincer le grave, vibrer l’air comme un tremblement amoureux qui se
retient de peur de tout perdre. La technique de Jean-Luc Petit n’est pas étalée, mais le contrôle du son est bien
présent jusqu’au fond de la note ou au bord du murmure, en douceur. On dirait
un Joe McPhee qui joue pour lui-même, perdu au fond d’un jardin… au baryton. La
clarinette contrebasse - Improvising beings a aussi produit un autre clarinettiste contrebasse, Ove Volquartz ! – se déplace sur
un nuage ou dans un léger brouillard.
Ce n’est pas
révolutionnaire, radical ou « nouveau », non ! Mais ! Il y a une
émotion profonde, vécue, qui ne crie pas mais se déplace dans une apesanteur somnambule
(Le
Noir et le Goudron). Puis, il se retourne, sent qu’il est suivi et
accélère le pas avec des harmoniques piquées. Le grave est toujours présent,
mais change de teinte, d’éclairage. L’ombre se dissipe… Simple et merveilleux,
ce Jean-Luc Petit. Chaque note, chaque son est pesé, senti, ouvragé sans
précipitation avec de belles nuances de timbre. Une belle histoire comme on
n’en entend peu. Julien Palomo a eu la main heureuse et nous aussi. Superbe cadeau de Noël.
Hot End Do Tell plays the music of
Julius Hemphill Amirani
Mark Weaver au tuba, Dan Clucas au cornet et Dave
Wayne à la batterie interprètent six compositions du saxophoniste
disparu. Julius Hemphill nous a
laissé des compositions inoubliables comme Dogon
A.D., The Hard Blues ou G Song. Sorry pour mon ignorance, mais ce sont les
seules que j’ai écoutées il y a quasiment quarante ans. Particulièrement Dogon AD avec Baikida EJ Carroll à la trompette, Abdul Wadud au violoncelle et Phil Wilson à la batterie sur l’album
éponyme (Arista Freedom). Ici la version du trio DoTell donne plus
d’espace à la batterie alors que la partie de Phil Wilson était minimaliste
pour donner de l’espace au violoncelle. Le tuba pulse le rythme dans une voie
relativement proche de celle du violoncelliste de l’enregistrement original de
1972 (Dogon AD Mbari réédité par Arista). Le cornettiste prend sur lui la
partie soliste avec les honneurs après avoir marqué les accents du thème aux
instants précis ce qui fait tout le sel de ce morceau inoubliable. La musique
d’Hemphill est gorgée de blues et nous faisait entendre des échos chitlin du
Rn’B du Sud. Cet aspect afro-américain spécifique est bien rendu par le
cornettiste soulful à souhait. Cette filiation blues est moins prégnante ici,
car Do
Tell s’est attaché avant tout à rendre intéressant l’aspect formel des
compositions, de leurs éléments rythmiques et mélodiques et leur interaction. Le
cornettiste, tout-à-fait dans la lignée deep
soul, a bien du mérite à souffler et à faire vibrer son instrument, un des
plus difficiles à manier. J’aime vraiment ce qu’il fait , comme dans the
Hard Blues. En écoutant cet
excellent souffleur et en le comparant avec Bobby Bradford, vous comprenez
pourquoi BB est considéré par les musiciens comme un génie de l’instrument et
qu’il avait sa place dans le quartet d’Ornette vers 1962. Cela n’enlève rien au
talent de Dan Clucas. De même, Mark Weaver a une belle mise en place en
apportant le zeste de funk nécessaire à la musique du trio. La cohérence et la
mise en place de l’ensemble et le son du cornet créent une belle carte de
visite pour une musique vivante qui réjouira le public curieux du Nouveau
Mexique et alentour.
Frode Gjerstad Fred Lomberg-Holm Nick Stephens
Louis Moholo Distant Groove FMR
cd385-115
Alternant la
clarinette et le sax alto avec un coup de clarinette basse, le souvent inspiré Frode Gjerstad est entouré d’une solide
équipe d’improvisateurs de haut-vol. Louis
Moholo est une légende vivante de la batterie. On l’entendit déjà, il y a
presque cinquante ans, à Antibes avec les Blue Notes, à Buenos Aires avec Steve
Lacy et à Amougies avec Chris Mc Gregor. Depuis lors, il ne s’est jamais arrêté
de jouer exclusivement avec ses compagnons les plus proches sans chercher à
faire carrière tous azimuts. Keith Tippett, Elton Dean, Mc Gregor, Harry
Miller, Irene Schweizer, Jason Yarde, Sean Bergin, Tchicaï à l’occasion. Nick Stephens fut le lieutenant de John
Stevens durant une vingtaine d’années dans de nombreux groupes et s’est révélé
un super-contrebassiste entre autres avec Frode
Gjerstad. Son label Loose Torque a documenté leur association durable avec
un bel album avec Louis Moholo. Gjerstad a débuté sa carrière dans les années 80 avec John Stevens et Johnny Dyani
dans le trio Detail, quoi de plus naturel et logique que de le retrouver
aujourd’hui avec Stephens et Moholo, soit LE bassiste et LE batteur
de référence de chacun de ces musiciens disparus et inoubliables. Le
violoncelliste chicagoan Fred
Lonberg-Holm est un véritable
routier de l’improvisation ayant travaillé intensivement avec le batteur
Michael Zerang, Hamid Drake, Ken Vandermark et dans le Peter Brôtzmann Octet.
On le trouve aussi dans l’improvisation libre pointue avec Charlotte Hug ou
John Russell. Et donc son association avec Zerang et Hamid Drake ne peut que le
mener à jouer avec le sud-africain Louis
Moholo, car ces deux percussionnistes sont connectés à une autre conception des
rythmes, plus africains qu’afro-américains. Et comme Gjerstad a aussi pas mal
joué avec Hamid Drake … Donc, tout çà pour dire que la réunion de ces musiciens
est véritablement organique et basée sur des connivences profondément amicales. Des vies entières. Le titre Distant Groove semble nous informer que cette session est
consacrée à des improvisations à l’écart de ce free-jazz bouillonnant et musclé
auquel on serait en droit de s’attendre de leur part. Ils tissent leurs toiles
en créant un espace pour que chaque musicien puisse « respirer »,
bien souvent en « pulsations » en fréquences lentes ou medium. Ce
relâchement dans l’effort permet au saxophoniste d’explorer les altérations des
timbres et les variations infinies du cri et des harmoniques. Dans ce contexte,
Gjerstad ne joue pas « au-dessus » des trois autres comme le font
généralement moult saxophonistes free expressionnistes qui pilotent
littéralement leur trio avec une énergie projetée au maximum. Le norvégien,
lui, intériorise plus ses interventions au sein du quartet dans un rapport
d’égalité sonore, aidé en cela par l’approche d’écoute mutuelle du
violoncelliste. Nous avons donc affaire à un Louis Moholo coloriste inspiré des
sons, loin de l’onde de choc polyrythmique
qui soulève littéralement un orchestre. L’album Sult (FMR) du
duo Moholo – Gjerstad était une belle surprise d’interactions subtiles. On
retrouve ici cette volonté de découverte interpersonnelle où chacun épaule les
autres ou s’échappe instinctivement des contraintes en proposant d’autres
voies. Un bel album.
Lisbon Connection & Elliott Levin w Luis Lopes
Hernani Faustino Gabriel Ferrandini JACC records
Lisbon Connection : avec ses labels de musique improvisée et jazz
libre intrépides comme Creative Sources
et Clean Feed, ses lieux ouverts et
le Festival de la Fondation Gulbenkian, Lisbonne est devenue un vrai lieu de
rencontres pour ces musiques. D’autres petits labels suivent dans la
foulée comme Cipsela (un solo exceptionnel du violoniste Carlos Zingaro) et JACC records dont le magnifique Day One Quartet avec encore Zingaro et le clarinettiste João Pedro Viegas, a été chroniqué ici il y a peu. Le guitariste Luis Lopes, le bassiste Hernani
Faustino et le batteur Gabriel
Ferrandini aiment recevoir un invité de passage dans leur ville, tout comme
leur camarade Rodrigo Amado. Cette connection de Lisbonne avec le saxophoniste
et flûtiste Elliott Levin est bien
réjouissante. Levin est lié à la mouvance Sun Ra et qon ne l’a quasi jamais vu
en Europe et s’il a « une carrière », elle semble bien discrète. Son
style au sax ténor a quelque chose d’original et touchant dans sa manière de
tirer sur les notes et de pincer l’anche (Ayler). On se souvient de ses albums
CIMP A Fine Intensity et Soul Etude avec le tromboniste Tyrone
Hill du Sun Ra Arkestra. Free-jazz donc, mais dans un mode improvisation totale
comme Brötzmann et les autres. Après un prélude vocal du saxophoniste qui
s’exclame, on entend se dresser le sax ténor charnu, intense et speaking in tongues. J’aime beaucoup car
c’est authentique. La prise de son ne l’avantage pas, ce qui est un peu
dommage. Dans les morceaux suivants, on l’entend rebondir à la flûte et c’est
une autre facette de sa musique. Hernani
Faustino et Gabriele Ferrandini
forment un tandem où se marquent une réelle empathie, un drive énergique et
l’esprit d’aventure. Avec Lopes, ce sont des activistes infatigables qui
évoluent dans un mode tranchant en repoussant les limites du free-jazz tout en se
frottant à des improvisateurs incontournables avec beaucoup de plaisir. Cela
doit être un plaisir de jouer avec eux. Le guitariste Luis Lopes est assez noise – rock avec des effets. Dans Lis Bow / Blow … Ahh ! , après le
beau moment de flûte, vroumm… la
guitare décolle « à fond » et le groupe accélère en trio : ça
« dépote » ! Ensuite
le saxophoniste intervient quand la
guitare s’arrête. Dès lors, le tandem basse - batterie descend de régime pour
épouser le jeu plus modéré, mais plein d’âme du saxophoniste. Ce sont de solides
musiciens … mais j’ai une petite réserve quand même. Il y a un déséquilibre
dans cette association entre Levin d’une part et les Lisboètes de l’autre,
question approche musicale. C’est ce que j’ai ressenti en écoutant l’album et
surtout le dernier morceau… Cela dit, si vous cherchez des saxophonistes ténor
free, Elliott Levin est un client à suivre tout comme les opus mieux cadrés des
Lisboètes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......