Jean – Marc Foussat & Jean-Luc Petit D’où vient la lumière ?? Fou Records
Jean-Marc Foussat fut durant plus d’une décennie ou deux le preneur de son dévoué de l’improvisation libre aussi bien française qu’internationale. Fouillez dans le catalogue Incus époque vinyle , l’Intakt des débuts ou certains labels atypiques et vous trouverez son nom accolé à ceux de Derek Bailey, Company, Joëlle Léandre, Evan Parker et cie … Il avait tenté d’être musicien auparavant et ce n’est que depuis un peu plus d’une décennie qu’il s’affirme comme un drôle de zèbre atypique. La création éperdue de son label FOU, (après celle de Potlatch qu’il a laissé à Jacques Oger …) lui a permis de documenter ses nouvelles aventures (et des instants chavirés mémorables) . Pas facile d’évoluer dans cette scène d’improvisation pointue en maniant des engins ( VCS 3 etc..) qui se comportent presqu’à l’encontre des paramètres de l’improvisation libre question localisation et résonance dans l’espace, réaction directe, maniabilité etc.. . Il faut donc inventer , imaginer, suggérer, évoluer… et à cet égard, D’où vient la lumière ! est recommandable. Le titre de l’album est tiré d’un texte surréaliste écrit par Daniel Crumb, Volupté des Visitations ou Le Tango moins les doigts où il est question d’obsessions, du ventre de la Vierge, de la Conception , de la Visitation, de l’ange Gabriel et on cite l’empereur Constantin, Bach et Messiaen . Bref , un cadeau de Noël !
Et donc ça fait des sons d’hélicoptères, des vibrations d’aspirateurs, un clapotis aquatique, des sirènes, une rotation de moule à poterie , des grésillements, etc…le tout projeté à la ronde . Jean – Luc Petit a embouché sa clarinette contrebasse qui survole, plane, tressaute comme un fantôme d’un autre temps, celui du rêve, de l’inconscient. Sa position n’est pas aisée, mais son souffle secrète des vibrations qui collent à la situation. On l’entend aussi au saxophone et c’est un peu plus mordant. Jean –Luc évoque le meilleur de Roscoe Mitchell. Les instruments à vent qui vibrent émettent d’un point très précis dans l’espace et l’électronique diffuse presqu’aveuglément à plus de 180° dans celui-ci. Une fois démarrée , la machine continue sur sa lancée, elle joue en continu alors que le souffleur peut moduler la dynamique, insérer des silences, changer de cap sur un coup de tête. Cet assemblage est un nœud de contradictions, comme si vous demandiez à une motocyclette de danser avec une ballerine ! Mais fi ! Le flux charrie des histoires oubliées, des regrets qui s’évanouissent, de nouveaux espoirs… il y des moments réjouissants où ça gargouille ferme … l’atmosphère obsédante fait crever les nuages et briller des éclairs. Comme la pratique de la musique improvisée n’est pas sensée répondre à des critères X, Y ou Z ou encore lambda, mais tenter parfois vainement d’en réinventer, on peut ici suivre les traces des musiciens, acteurs de l’instant, sans avoir l’impression qu’ils ont répété un rôle préparé… . Vraiment honnête !!
Ivo Perelman Matt Shipp Whit Dickey Butterfly Whispers Leo records CD LR 740
Poursuivant un parcours d’excellence, le saxophoniste ténor brésilien Ivo Perelman grave ici un remarquable ouvrage avec l’aide attentionnée de deux camarades sensibles, le pianiste Matt Shipp et le batteur Whit Dickey, lesquels avaient travaillé intensément en compagnie du grand David S. Ware, autre saxophoniste ténor d’envergure, lui malheureusement disparu. Leur collaboration est quasiment devenue une affaire de famille , car les enregistrements de Perelman et Shipp en duo, en trio ou quartette avec Whit Dickey, s’amoncellent , sans parler du très beau Tenorhood du souffleur avec le batteur. Pff.. après cet album que je n’ai pas chroniqué mais qui vaut bien les autres , tels le magnifique Callas (duo IP/ MS), on pourrait avoir la sensation de passer l’écoute attentive de ce Butterfly Whispers rien que parce que ces deux albums en duo (Tenor et Callas) et les Two Men Walking et Counterpoint avec Mat Maneri surpassaient en musicalité et en singularité les opus gravés en trio ou en quartet avec ces derniers, le bassiste Michael Bisio, le batteur Gerard Cleaver… il est parfois nécessaire à se contraindre à quelques disques dans le flux d’une production aussi fournie et régulière que celle de notre ami saxophoniste brésilien qui nous a habitué à quelques chef d’œuvre. Mais il y a quelque chose qui se creuse , qui s’approfondit insensiblement chez Ivo Perelman et ses deux acolytes … Les volutes de son saxophone ténor et la cambrure des accents et des « agréments » (si on se réfère à la littérature de la musique de clavecin à l’époque bénie où le tempérament égal n’existait pas et où les accordages changeaient selon les régions et les humeurs des prélats) tendent à s’écarter des tons exacts avec une spécificité et une identité toute Perelmanienne. On peut dire cela d’Ornette, de Lol Coxhill et de quelques autres. Ivo Perelman est du lot à force d’avoir remis sa matière à l’ouvrage, oublié l’appel des feux de la rampe pour se concentrer sur son art. Les harmoniques au-delà du registe aigu, il les fait chanter comme si c’était une voix humaine. Ses deux camarades construisent avec lui des architectures instantanées qui ressemblent à des cabanes au fond de la forêt, des huttes au tréfonds des affluents de l’Orénoque ou à l’orée de la forêt première où seuls les Pygmées s’aventurent six mois par an. Des histoires simples, qui évitent la frénésie ou l’acrobatie, recèlent à l’ombre d’un virage, une luxuriance des timbres les plus chauds. Une dizaine de tableaux font évoluer les affects de leur connivence, les pulsations, les intervalles de manière à ce que, jamais lassé, l’auditeur les suive à la trace. Le pianiste qui allie puissance et dynamique, joue l’ossature, les lignes de fond, les couleurs essentielles sans trop toucher la mélodie qu’il laisse au chanteur / poète du ténor et le batteur commente leurs doigtés avec une science et un instinct sincères. Des rythmes naissent et disparaissent dans l’éther des pulsations flottantes, des mélodies font transparaître un chant intérieur. Fi de l’esbroufe ! Si ces trois-là nous impressionnent (puissance, énergie, vitesse ??...hm ) , c’est avant tout par l’émotion profonde partagée à laquelle leur communion s’adresse, ressentie par l’auditeur comme celle du vivre ensemble, de l’écoute, de l’élégance du trait, des paroles du regard, de l’indicible.
Andreas Backer Voice Improvisations Creative Sources CS297CD
Voici un oiseau rare ! Il ose, car ils sont peu nombreux, il ose improviser de la voix. Phil Minton, Jaap Blonk, Demetrio Stratos, aussi Benat Achiary, le batteur David Moss, et moi-même, Jean-Michel Van Schouwburg. Andreas Backer, a beaucoup travaillé le son de la voix, sa saturation, l’aspiration de l’air en contrôlant le tressaut de l’épiglotte, les sons infimes qui peuplent le gosier si on a le courage d’aller les chercher. Voici un langage, un glossaire vivant, des phonèmes inouïs qui complètent le lexique de Phil Minton ou celui de Demetrio Stratos. Rien que Gutt et ses voyelles prononcées dans la gorge vaut son poids d’air frais dans une anthologie. Il y a aussi un multipiste polyphonique à voix douce qui a une veine expérimentale. Le point de vue d’Andreas Backer est de créer une variation d’une approche bien définie dans le même morceau comme s’il peignait un tableau. Neuf occurrences vocales, certaines vraiment remarquables comme cette histoire racontée dont l’expression se métamorphose de growls en glossolalie en jodels avec une belle articulation (the Story about Hector & Elaine). L’aigu de la gorge de Voicetronics agrémenté d’électronique diverses, contient des passages où la voix naturelle semble avoir été moulinée par un sound processing. Moi , je vote pour ! Ça nous change des saxophones , des guitares ou de l’électronique… Excellent et impressionnant. Et à suivre !!
Variable Geometry Orchestra Lulu Auf Dem Berg Creative Sources CS325CD
Composé d’un personnel imposant avec une grande variété instrumentale et sous-titré stream conscienciousness, le Variable Geometry Orchestra est un point de rencontre d’improvisateurs portugais sous la conduite du violoniste alto Ernesto Rodrigues. Cet enregistrement de mai 2015 offre des occurrences sonores entre l’aléatoire et l’intentionnel qui mettent en valeur la combinatoire des sons obtenus par les participants et leurs silences. Il y a une grande part d’invention personnelle chez les vingt-six participants, tous totalement impliqués dans cette superbe mise en commun des sons et de l’écoute. Voici la liste des musiciens : Ernesto Rodrigues viola, conduction, Gerhard Uebelle violin, Guilherme Rodrigues cello, Miguel Mira cello, João Madeira double bass, Hernâni Faustino double bass , Adriana Sá zither, Paulo Curado flute, Mariana Chagas flute, Bruno Parrinha alto clarinet, Paulo Galão clarinet, bass clarinet, Nuno Torres alto saxophone, Albert Cirera tenor & soprano saxophone, Sei Miguel pocket trumpet, Yaw Tembe trumpet, Fala Mariam alto trombone, Eduardo Chagas trombone, Maria Radich voice, dance, Armando Pereira accordion, António Chaparreiro electric guitar, Abdul Moimême electric guitar, Carlos Santos synthesizer, André Hencleeday electronic percussion, João Silva harmonium, electronics, Nuno Morão drums, Carlos Godinho percussion. Soit la nébuleuse Ernesto Rodrigues. Des drones mouvants, irisés et dont la texture et les composants se transforment insensiblement et souvent rapidement. Un changement de perspective intervient avec des interjections toutes dans le même moule quelque soient l’instrument, donnant à penser qu’Ernesto parvient à bien se faire comprendre. Les instruments électroniques / électriques colorent l’ensemble en se distinguant à peine. Un silence intervient suivi de crépitements d’orage qui se prépare, une note tenue comme une sirène bloquée entourée de bruitages aqueux puis de murmures d’outre-tombe relance une stase évasive qui tournoie lentement. La conduite d’ER est subtile. Un superbe mouvement orchestral se dessine dans l’espace, chaque instrument de souffle s’emboîtant l’un dans l’autre alors que les percussions grondent sourdement. Des bribes de sax free s’échappent suivies par des interventions de cuivres, la musique s’anime : un solo de trompette free accompagné de clusters se détache et une zone introspective quasi électro-acoustique où la trompette joue quelques notes appuyées dans l’effet de résonance du lieu (Panthéon National !?), se tait puis revient au premier plan. On pense à Bill Dixon, mais c’est sans doute involontaire de la part du musicien. Un fond sonore permanent composé de sons électroniques et d’un agrégat impénétrable d’instruments acoustiques permettent à différents instruments d’émerger dans une sorte d’avant-plan sans crier gare et d’apporter des détails presqu’infimes à l’ensemble. Quand la majorité se rejoignent finalement dans un vrai silence, il reste un son aigu continu de corde frottée, lequel attire imperceptiblement vers lui d’autres instruments créant un continuum en mutation constante qui plonge lentement dans le silence. Soit presque cinquante minutes consistantes qui s’imposent à l’écoute. Vraiment remarquable.
Vorfeld Scott Gratkowski Sieben Entrückte Lieder Creative Sources CS339CD
La percussion aérée de Michael Vorfeld et le synthé modulaire de Richard Scott forment une compagnie idéale pour les clarinettes contrebasse, basse et si-bémol de Frank Gratkowski. Vorfeld sollicitent les métaux (cymbales, petits gongs, lamelles posés sur une table) avec l’archet ou les fines baguettes alors que Scott semble parfois jouer de percussions accordées avec son appareil. Une intégration des sons de chacun dans ceux des autres fait que la musique est homogène d’une pièce à l’autre parmi les sept Lieder. L’électronique de Richard Scott a une dimension rythmique tout comme dans son groupe Grutronic ou son camarade Paul Obermayer du trio Bark. Il traite les sons synthétiques avec une belle dynamique. Le souffleur effleure les timbres ou égrène des intervalles de vignette en vignette, l’une plus interactive que l’autre (Kurs Haltend vs Hauch Mit). Un disque intéressant d’un groupe à écouter en concert et formé de trois artistes qui m’avaient apporté des moments remarquables, voire mémorables avec d’autres projets. Je me rappelle de l’excellent duo de percussions de Vorfeld avec Wolfgang Schliemann, Alle Neunen Rheinlander Partie sur Creative Sources, du superbe Quicksand de Gratkowski avec Lovens et Georg Gräwe sur Meniscus ou l’album mystérieux de Grutronic sur Psi. Un album CS OK .
Uliben duo Shared Memory Creative Sources CS327CD
Uliben ! Derrière ce vocable improbable qu’on méprendrait pour un prénom moyen-oriental atypique, se cache le superbe duo de contrebasses d’ Ulrich Philipp et de Benoît Cancoin. Shared Memory nous fait entendre la magnifique contrebasse de Cancoin aux prises avec le live signal processing de Philipp, lui-même un contrebassiste exceptionnel issu du free-jazz violent de la panzer-muzik teutonne passé armes et bagages dans l’improvisation chambriste la plus raffinée et l’art sonore pointu. Le coup d’archet de cet autodidacte vaut bien l’or de tous ses confrères prestigieux. Avec Torsten Müller, Hannes Schneider, Georg Wolf, Alexander Frangenheim, Matthias Bauer, Sebastian Gramss, Klaus Kürvers, Ulrich Philipp fait partie du cercle peu connu en France et ailleurs des contrebassistes radicaux haut de gamme d'Allemagne qui, sur les traces de Peter Kowald au départ, furent éblouis par les possibilités sonores de la contrebasse telles qu’exposées par Barre Phillips dans son Journal Violone de 1968 et Barry Guy avec ses Statements publiés il y a bien longtemps par Incus. Plus proche de la musique contemporaine que du free-jazz. Quant à Benoît Cancoin, il représente le profil de ces innombrables improvisateurs radicaux de la lointaine province française qui sont devenus des maîtres de leur art et persévèrent malgré le peu de cas qu'on fait de leurs musiques. J'ai chroniqué récemment le superbe "Décliné" dans lequel officie le contrebassiste Louis-Michel Marion et je devrai bientôt m'y mettre avec "Estasi" avec un troisième contrebassiste, Fred Marty. Ces trois albums chez Creative Sources ! Trois contrebassistes français quasiment inconnus publiés par le même label étranger et on peut parier que ces trois-là se connaissent à peine !
Et c’est avec surprise que j’aborde le live signal processing multiple et un tant soit peu désorientant d’Ulrich Philipp complètement focalisé sur la contrebasse de son camarade Benoît Cancoin qui signe ici une performance enthousiasmante, où les doigtés se répètent invariablement avec des décalages infimes et superbement maîtrisés. L’originalité de la démarche de Philipp se matérialise par exemple dans le dédoublement réellement imperceptible ou imperceptiblement réel des pizzicatos des douze premières minutes de joint repository (40:32) et des altérations électroniques basées sur un sens du temps assez fantastique. Le jeu de Cancoin devient fracturé comme si des fragments avaient été découpés et recollés à la « sampleuse ». C’est fait de telle manière qu’un doute persiste. Le sampling diffère du processing du fait que dans le processing le micro de la source instrumentale est ouvert en permanence, à charge du processeur de métamorphoser l’instrument sans discontinuer. La pièce évolue avec un lent travail à l’archet et une complémentarité troublante par le biais du processing alternée par des grésillements ou des battements sourds qu’on entend bien être générés par ceux du contrebassiste. Le temps d’arriver à l’écrire et voilà que l’archet s’affole puis se tait laissant les palpitations électroniques s’entrechoquer et se débattre dans les croisements imprévisibles des rythmes digitaux et des sons extrapolés de ceux de la contrebasse. Un troisième mouvement intervient quand des col legno sur les cordes assourdies de la contrebasse s’insèrent dans l’effervescence de Philipp. C’est à ce moment que le duo opère à fond sans qu’il soit toujours possible de lever l’ambiguité entre les deux parties. C’est à la fois souvent très intéressant, avec des phases passionnantes et un vrai savoir-faire et un parti-pris de répétition quand la partie initiale de joint à l’archet émerge à nouveau en fin de parcours avant un action dramatique et un final grave parsemé de glitch. Le morceau suivant, concerted recollection (4:41) est une parfaite démonstration de la singularité d’uliben. Je ne sais pas depuis combien de temps Phillip travaille cette démarche difficile et complexe, mais le résultat est concluant et mérite le déplacement, bien qu’il ne m’en voudra pas si je signifie que son travail à la contrebasse, trop peu diffusé via les enregistrements, nous aurait fait autant plaisir, si pas plus.
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