SFS THE
RAGGING OF TIME SIMON H FELL COMPOSITION N° 79 Simon H Fell
Sextet : Richard Comte Simon H Fell Paul Hession Shabaka Hutchings Percy
Pursglove Alex Ward Bruce’s Fingers BF 127
Lorsqu’on est un tant soit peu informé du
travail de compositeur, chef d’orchestre et concepteur d’univers comme celui de
Simon H Fell, la question se pose : “Comment se fait-il que SFH ne soit
pas plus sollicité par des labels ou des festivals pour que sa musique et ses
projets soient écoutés et documentés ? ». Depuis plus de quinze
ans, Red
Toucan et Clean Feed ont publié chacun un enregistrement de ses
compositions de jazz d’avant-garde intégrant les avancées de
l’improvisation libre et de la musique contemporaine (SFQ Four Compositions et
SFE Positions & Descriptions
Composition n° 75). C'est très peu en regard de la haute qualité de son travail et de la production exponentielle d'enregistrements sensés illustrer ce genre de démarche à qui ce compositeur fait sérieusement de l'ombre, une fois que l'on est conquis par sa conception musicale, la façon dont il la réalise et son exigence artistique. Depuis l’époque du SFQ, il y eut ce
brillant grand orchestre composite pour qui interprétait / improvisait son
extraordinaire Composition No. 62: Compilation IV - Quasi-Concerto
For Clarinet(s), Improvisers, Jazz Ensemble, Chamber Orchestra &
Electronics publié par son label Bruce’s Fingers. Peu de critiques et de personnalités
« branchées » accordent la moindre importance à sa démarche. En outre, c’est un improvisateur libre impliqué dans des aventures qui semblent
paradoxales : entre le noise agressif avec le guitariste Stefan Jaworzyn ou le « new
silence » du trio IST avec Rhodri Davies et
Mark Wastell jusqu’aux trios free-
free- jazz avec le souffleur allumé Alan Wilkinson et le batteur Paul
Hession ou Badland avec le
saxophoniste Simon Rose et Steve
Noble, un des batteurs fétiches post-benninkiens. On peut l’entendre aussi
avec le violoniste Carlos Zingaro et
le violoncelliste Marcio Mattos dans
un quartet exquis ponctué par la frappe de Mark
Sanders et un autre quartet, celui du trompettiste Roland Ramanan toujours avec Sanders et Mattos. Et bien sûr son super
duo improvisé avec Derek Bailey sur Confront ! The Ragging of
Time est le fruit d’une commande du festival de jazz de Marsden :
il s’agissait de faire revivre autrement
la musique « jazz – hot » « New Orleans » en
la transgressant et la réactualisant. Dans le troisième morceau, c’est même l’influence
de Charlie Mingus qui surgit, ce qui
est bien normal vu que Mingus était un fan de Jelly Roll Morton, et le thème
fait allusion à Eric Dolphy. Le
batteur Paul Hession, un fidèle de SHF, emporte le sextet avec légèreté entraînant
la section des vents, très originale : clarinette, clarinette
basse un peu dans le rôle du trombone et trompette. La batterie est clairement enregistrée
avec un beau sens de l’espace et de la topographie de l’instrument, mettant en valeur
les astuces du batteur. Le clarinettiste virtuose Alex Ward, souvent
impliqué dans les projets du maître, développe aussi un travail d’écriture
voisin dans ses propres groupes (Glass
Wall and). Shabaka Hutchings a assimilé le message d’Eric Dolphy à
la clarinette basse et son jeu sert habilement de contrepoids aux arabesques de
la clarinette de Ward et aux envolées de Percy Pursglove. Celui-ci a un
son qu’on entendrait bien dans un projet à la Gerry Mulligan, aux antipodes du
son funky armstrongien de la trompette New Orleans. Mais comme la
musique de Mulligan avait elle-même ses racines dans le swing et le
traditionnel, cela fonctionne. Après chaque énoncé très travaillé du thème de Lebam
Lebam (Un Cauchemar), la première composition de 23’, le groupe dérape
et joue avec les sons, chacun des musiciens étant l’improvisateur central de la
séquence improvisée. La guitare par ci, la clarinette par là avec le batteur
qui décale le rythme et éparpille les frappes sur son kit. Surviennent un
mini-concerto bruitiste pour trompette ou un trio clarinette basse batterie
puissant et enlevé. Aussi, des solos brefs, des arrêts sur image ou des
accélérations subites, changements de registre etc… Bref on ne s’ennuie pas.
C’est guilleret, léger, swingant, et surtout très bien enregistré … Pour ceux
qui aiment les Ken Vandermark Five, certains projets de John Zorn comme News from Lulu, ou d’Aki Takase et
compagnie jouant Fats Waller ou réactualisant le blues. Ils seront ravis.
Mais plusieurs choses distinguent SFS
de ces autres groupes auxquels je fais allusion. L’équipe n’hésite pas à surfer
sur les vagues du délire plus longtemps qu’à son tour et chaque duo, trio,
quartet illustre des approches différentes dans le domaine de l’improvisation
libre. Suite à des écoutes répétées, on réalise que chaque séquence improvisée
est indiquée dans la partition et leur réussite est le fruit d’un intense
travail de répétition afin de la rendre la plus spontanée possible comme s’ils s’échappaient délibérément des contraintes rythmiques et mélodiques le plus naturellement. Simon H Fell
pousse le bouchon assez loin au niveau conception de l’écriture et de la
structure dans le détail. Un délice pour l’auditeur attentif ! Chaque fois
que le thème de Lebam revient sur le tapis, les musiciens en jouent une variation
de l’arrangement avec des différences qui portent parfois sur quelques notes
révélant un éclairage différent de la mélodie, de la structure ou de la
métrique. Des nuances d’exécution hésitante de la partition lorsqu’ils replongent
dans le morceau « jazz » swinguant suggèrent qu’ils l’auraient
abandonnée, en se jetant dans le délire improvisé, et qu’ils reprendraient son
exécution à un instant précis deux pages et quelques portées plus loin, le
temps de l’incartade libératrice. Stylistiquement, le compositeur a adopté
l’esprit de re-création du style New Orleans (ou Chicago) plutôt que d’une exécution fidèle à la lettre. Mon opinion
est qu’il évite la tentation du persiflage, mais il se trouvera bien quelqu’un
pour estimer le contraire. Tout dépend bien sûr de votre familiarité avec ce
style de musique, un des composantes de l’évolution du jazz dont nous nous
éloignons au fil des décennies. Une des sections improvisées voit les souffleurs
entourer l’improvisateur de bribes du thème qui flottent dans l’espace. Dans le
deuxième morceau, Unstable Cylindrical Structure évoquant Mingus et Dolphy, la
guitariste Richard Comte, le seul français du sextet est le soliste central.
Son approche destroy un chouïa de trop à mon goût. Mais on sait que Simon aime
les extrêmes et la tension est palpable entre le thème qui s’enroule sur la
rythmique impaire et la rage froide et explosive de la guitare. Par rapport aux
travaux « sérieux » de SHF (ceux-ci n’ont rien à envier à un Braxton
ou un Barry Guy), The Ragging of Time a un côté fun assumé. Sans doute
pour plusieurs d’entre vous, c’est le moment venu de découvrir le phénomène Simon H Fell, dont on goûtera l’excellence à la contrebasse (il fut le contrebassiste préféré de Derek Bailey), et le talent de ses camarades, boostés dans
ce projet par l’envergure peu commune de ce compositeur – catalyseur – chef
d’orchestre singulier. On trouve, entre autres, dans sa démarche une dimension
temporelle unique, liée à la cohabitation interactive de styles d’écritures et
d’improvisations qui s’imbriquent et interagissent entre elles de manière très
originale. Simon H Fell illustre brillamment la xenochronicity chère à Frank Zappa.
Parviennent-ils à exprimer ainsi Les
Usures
du Temps ? C’est la question subsidiaire. L’écoute des trois
compositions (il y a encore The Human Omelette, 21’) s’avale d’une traite sans qu’on en ressente
la durée, plus de 67 minutes au total et l’enregistrement reprend l’entièreté
de la performance. Magnifique et magistral : les superlatifs
pleuvent !!
J-M Van Schouwburg
PS : je pense que le travail intense et très précis de SH Fell méritait vraiment que cette chronique parue tout récemment soit réécrite. Je doute qu'elle soit à la hauteur du compositeur improvisateur chef d'orchestre que quiconque (journaliste, organisateur, personnalité médiatique) se targue d'être branché en jazz contemporain d'avant-garde et autres "creative music" se doit de prendre connaissance.
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