Live 2013 Paul Lovens
& Stefan Keune FMR CD407 – 0116
On connaît trop peu le
saxophoniste Stefan Keune
(sopranino, alto, ténor, baryton), un véritable original de la free-music qu’on
a entendu souvent avec John Russell. Le voici dans un superbe face-à-face avec
un des amis de toujours du guitariste (JR), le légendaire percussionniste Paul Lovens, sa cravate, ses selected
and unselected drums and cymbals et sa frappe inimitable. Il y a très longtemps
que Lovens n’initie plus aucun disque lui-même si ce n’est ceux que ses
partenaires tentent de publier à gauche et à droite. Enregistré à Bruxelles par
un véritable expert, Michaël W Huon,
le premier morceau (29’49'') se caractérise par une belle énergie et une prise de
son détaillée au niveau de la frappe des cymbales. Comme il s’agit de Paul
Lovens, ce qui semble un détail fait de Live in 2013, un document de
première main. Le deuxième acte (31’37’’) a été enregistré à Munich et est un
merveilleux pendant de la première manche. Il ne faut pas prendre Stefan Keune pour un
faire valoir, il s’agit d’un souffleur de
premier plan dans son domaine : il se distingue immédiatement dès les premières notes du tout
venant du free-jazz. Sa manière très personnelle de faire éclater les notes,
d’imploser la colonne d’air, d’étirer et de comprimer les sons avec une
articulation folle, héritée des avancées d’Evan Parker et du Trevor Watts
sopraniste des premières années 70 est vraiment unique, tel Butcher ou Gustafsson pour prendre des exemples connus. La conjonction des univers du souffleur et
du batteur fonctionne à plein. Le percussionniste prouve encore que son imagination est intacte et que son jeu fourmille de détails imprévisibles. Paul Lovens peut se faire épuré en limitant son jeu à une action singulière ou à des frappes éparses suggestives d'un ordre musical né du désordre. Ce à quoi répondent les morsures et contorsions de l'anche de Keune. La pochette est ornée d’un dessin stylisé des
deux musiciens par Kris Vanderstraeten, lui-même un percussionniste unique en
son genre. FMR s'affirme comme un des labels essentiels des musiques improvisées tous terrains confondus...
Garuda Philipp Wachsmann – Lawrence
Casserley Bead Records
Voici mes
notes publiées dans la pochette de cet enregistrement remarquable et somme
toute assez rare.
En sanskrit,
Garuda
signifie l’aigle et se définit comme un homme oiseau fabuleux dans la religion
hindouiste. Rien d’étonnant qu’après un premier morceau marqué par la griffe
sonore insigne du violoniste Philipp Wachsmann, la musique s’élance
insensiblement et vole dans l’espace, lequel est abordé sous des facettes
différentes, vu chaque fois sous un angle et dans des dimensions différentes,
par des incessantes mutations. L’électronique sensible de Lawrence Casserley
prolonge, capte et transforme les sons du violon quand celui-ci adopte un
atteggiamento insaisissable vis-à-vis des sons de son partenaire. Le violon
lui-même s’est entouré des faisceaux lumineux d’une préparation électronique
subtile, laquelle commente ses zig-zags avec flegme et sobriété. D’une note
répétée en staccato, par un grattement de corde, un frottement quasi-éthéré
ou quelques pizzicati élastiques,
Wachsmann suggère une histoire, une pensée, un sentiment inconnus dans le flux
parfois diaphane, dense ou volatile du live-signal-processing de
Casserley. Il y a une pièce où le
violoniste joue avec lui–même, je crois et d’autres où son action semble un
fétu de paille charrié par le fleuve électro-acoustique. L’idée de virtuosité
est abandonnée au profit des gestes du corps inscrits dans le son ou d’une
digitalisation de l’émotion. Casserley réduit un moment son action à un détail
ou métamorphose un rien dans des percussions inouïes. Une évocation sérielle
s’échappe dans un nuage fuyant le vent d’ouest, une mélodie s’ébauche dans un
soleil finissant. On ne saurait traquer les champs esthétiques ou décrire le
style de ces deux musiciens : ils sont en éveil et nous posent autant de
questions que notre imagination est capable de percevoir et d’admettre. Vouloir retracer et évaluer leurs intentions
équivaut à se perdre dans un labyrinthe. On oublie de faire des comptes et on
écoute. L’agitation est vaine : s’arrêter conjure ici le sur place. Une
intense simplicité dans une extrême complexité, l’esprit de sérieux évacué pour
des jeux apparemment simples rivés sur l’infini. Mais sans solution de
continuité. Un chantier, une expérience de l’instant plutôt qu’une œuvre.
Sandy Ewen Tributaries
Chiastic Society >X<
5 2016
Découverte assez récemment avec le contrebassiste Damon Smith dans quelques enregistrements significatifs, Sandy Ewen délivre ici une excellente démonstration de ses talents à la guitare préparée, trafiquée, objétisée... Chacune des six pièces se focalise sur un champ d’action ou une direction bien déterminé qui se distingue clairement des autres par l’ambiance, la dynamique, les textures et les couleurs tout en constituant côte à côte un ensemble homogène. Dans la ligne des Keith Rowe et du Fred Frith solo 1980 (etc…) , Sandy Ewen crée une œuvre forte, abrasive, électrogène, bruitiste sans générer le moindre ennui, que du contraire. Elle sollicite les ressources sonores de son instrument en utilisant – on le devine – des objets susceptibles de gratter, frotter, percuter, faire vibrer les cordes ainsi que la surface de plusieurs éléments de la guitare. Sa démarche fait parler l’instrument en soi et son processus d’amplification électrique comme si ceux-ci étaient réduits à l’état de nature, ensauvagés, loin de toute structuration de type mélodique et harmonique, mais avec un souci de faire évoluer l’idée de départ dans le sens de la construction et des détails. Un radicalisme de bon aloi avec une certaine retenue. La qualité sonore et la dynamique de ces enregistrements et la sensibilité d’Ewen font que je réécoute à l’envi et avec un peu plus de plaisir. Ses œuvres graphiques abstraites, colorées et translucides (trois sur la pochette) expriment ses préoccupations musicales : chaque image partage le même univers en transposant un matériau similaire dans des formes renouvelées. Un excellent travail qui mérite largement d’être découvert in vivo !
Découverte assez récemment avec le contrebassiste Damon Smith dans quelques enregistrements significatifs, Sandy Ewen délivre ici une excellente démonstration de ses talents à la guitare préparée, trafiquée, objétisée... Chacune des six pièces se focalise sur un champ d’action ou une direction bien déterminé qui se distingue clairement des autres par l’ambiance, la dynamique, les textures et les couleurs tout en constituant côte à côte un ensemble homogène. Dans la ligne des Keith Rowe et du Fred Frith solo 1980 (etc…) , Sandy Ewen crée une œuvre forte, abrasive, électrogène, bruitiste sans générer le moindre ennui, que du contraire. Elle sollicite les ressources sonores de son instrument en utilisant – on le devine – des objets susceptibles de gratter, frotter, percuter, faire vibrer les cordes ainsi que la surface de plusieurs éléments de la guitare. Sa démarche fait parler l’instrument en soi et son processus d’amplification électrique comme si ceux-ci étaient réduits à l’état de nature, ensauvagés, loin de toute structuration de type mélodique et harmonique, mais avec un souci de faire évoluer l’idée de départ dans le sens de la construction et des détails. Un radicalisme de bon aloi avec une certaine retenue. La qualité sonore et la dynamique de ces enregistrements et la sensibilité d’Ewen font que je réécoute à l’envi et avec un peu plus de plaisir. Ses œuvres graphiques abstraites, colorées et translucides (trois sur la pochette) expriment ses préoccupations musicales : chaque image partage le même univers en transposant un matériau similaire dans des formes renouvelées. Un excellent travail qui mérite largement d’être découvert in vivo !
Clarinette
et clarinette basse pour Jean – Brice
Godet, sax alto pour Michaël Attias,
contrebasse pour Pascal Niggenkemper
batterie pour Carlo Costa. FOU records,
administré et animé par un vrai FOU des musiques improvisées, Jean Marc
Foussat, a publié déjà de belles surprises dans des registres variés. Ce
quartet dirigé par Jean-Brice Godet et enregistré à Brooklyn pourrait être
qualifié de (jazz) West Coast contemporain, la nostalgie en moins et avec des
modes originaux . Les sept compositions
sont de Godet. Takanakuy (Dance Danse
Tanz) révèle un swing sautillant où excelle le sens mélodique et le timbre
de la clarinette basse. Les titres Ballade
suspendue, Eloge de la chute suggèrent
les idées musicales développées par le quartet. On trouve pêle-mêle un
thème giuffrien joués à l’unisson (Werde
Ich), quelques errances free fugaces, des beaux développements du rythme,
une réelle entente et une écriture soignée vecteur d’une belle sensibilité
(sans tarabiscotages). Il se paient le luxe de faire dériver la construction
d’un thème vers le son libéré en conservant l’esprit de la composition. Mujô est un moment sensible introduit
très librement avant le superbe thème dodécaphonique joué avec la plus belle
connivence sur une rythmique binaire et dont on remarquera les improvisations
logiquement subtiles des souffleurs. C’est un disque de jazz (free ??) comme on les aime.
Bertrand Gastaut a publié récemment un magnifique John Carter – Bobby Bradford
sur son label Dark Tree, NO Uturn.
Voici un bel enregistrement qu’on écoutera à la file après ce dernier piur se
détendre avec délectation.
Granularities Scenes of Trialogue Lawrence
Casserley Martin Mayes Gianni Mimmo Amirani.
Durant l’année qui précéda
cet enregistrement intriguant (2010, c’est déjà loin), Lawrence Casserley réalisait la complexe mise au point de la granularité de son système de Live
Signal Processing, un impressionnant conglomérat de plusieurs
logiciels qui lui permettent de
travailler en temps réel le son direct d’un improvisateur instrumentiste ou
même plusieurs en le transformant spontanément. Partagé entre les volutes
pointues et lyriques de Gianni Mimmo,
un spécialiste remarquable du sax soprano, et les difractions de la colonne
d’air du cor de Martin Mayes,
Casserley crée en temps réel des correspondances et des extrapolations
digitales avec leurs souffles conjugués ou alternés. Il manie aussi des
instruments de percussions dont un gong, des cymbales et effleure une sanza
dans le Final. L’album présente une suite équilibrée de différentes occurrences
sonores, témoignage du potentiel musical et formel de ce trio atypique.
Décrites comme des Scènes d’un Trialogue, elles le sont effectivement tant la
signification du néologisme trialogue rend effectivement les interactions en
présence qui se résolvent dans chacun des neufs actes et entractes de cette
mise en scène des sons du collectif. J’ai le sentiment que cette description
formelle du découpage de la musique jouée en référence à une pièce de théâtre, comme
elle est indiquée dans la pochette, est le fait du saxophoniste transalpin,
celui-ci affectionnant de verbaliser poétiquement ses émotions et ses
impressions créatrices. On imagine les deux British moins exégétiques et
explicites. Cela dit, cela n’enlève rien à la créativité et à la singularité
des échanges improvisés lesquels évitent la technicité instrumentale voyante
pour aller à l’essentiel dans un temps suspendu, flottant soulevé par les
permutations électro-acoustiques.
Si Gianni Mimmo aime à confronter sa pratique avec des artistes
différents (Gianni Lenoci, Harri Sjöström, Hannah Marshall & Nicolà
Guazzaloca, Daniel Levin, Alison Blunt) avec un réel succès sans se départir de
sa manière personnelle, Lawrence
Casserley affirme au fil de ses enregistrements une capacité peu ordinaire
à reconsidérer les paramètres dynamiques de son processing et ses modes de jeux
face à de nouveaux comparses concrétisant ainsi que l’improvisation est bien
l’art de la surprise. Quant au joueur de french
horn Martin Mayes, un membre de
la première communauté improvisée londonienne durant les seventies et établi en
Italie depuis des décennies, je n’ai malheureusement pas assez de références
pour dire autre chose que c’est un musicien fort intéressant si j’en juge son
travail ici-même et l’album solo Unique Horn publié par Random
Acoustics il y a pas mal d’années. Donc un message à découvrir !
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