Blue Ivo Perelman Joe Morris Leo Records CD LR 734
S’il y a
bien un label dédié aux musiques improvisées qu’aucun amateur n’arrive à suivre
à la trace (on est ici au n° 734 !),
c’est bien Leo Records.
Toutefois, il y a maintenant un artiste du label dont je me voudrais de manquer
l’écoute de ses (nombreux) nouveaux albums, c’est bien Ivo Perelman ! Tant attendu par les Perelmaniaques (sorry,
mais on sait qu’il y a aussi les Brötzmanniaques, les Braxtophages, les
Zornophiles ou les Gustafssoniques …) , le duo avec le saxophoniste brésilien
et le guitariste Joe Morris,
lui-même aussi contrebassiste dans plusieurs de ses opus récents en quartet
dont le magnifique Breaking Point avec le violon alto de Matt Maneri (CD LR 753).
Matt, Joe et Ivo avaient d’ailleurs produit une pépite en trio alto guitare et
sax ténor : Counterpoint LR 730. C’est dire si ce présent enregistrement
complète la galerie perelmanienne. On peut trouver que Leo a tendance à
sur-documenter certains artistes et qu’une partie de leurs productions sont
redondantes, dans le cas d’Ivo Perelman,
une large partie de son catalogue Leo s’inscrit judicieusement au-delà de la
documentation exhaustive. En effet, l’intérêt profond pour les différentes
configurations instrumentales autour du saxophone ténor d’Ivo, du piano de Matt
Shipp, de l’alto de Matt Maneri, de la guitare de Joe, des contrebasses de
Michael Bisio et de Joe (again !) et des percussions de Gerald Cleaver et
de Whit Dickey se marie providentiellement avec un plaisir d’écoute à la fois intense
et profond. C’est rare. Sommairement, on dira que le saxophone de Perelman
marie les caractéristiques lyriques de deux légendes du saxophone ténor qui
incarnaient deux voies antagonistes dans le jazz des sixties : Archie
Shepp et Stan Getz. Ivo fait chanter le registre très aigu du ténor grâce à une
maîtrise miraculeuse des harmoniques. Mais croyez bien que Joe Morris n’est pas en reste : jouant uniquement de la
guitare acoustique (modèle folk ?) dans des registres qui tutoient le
comping du jazz moderne, croisent des harmonies contemporaines savantes ou
juxtaposent de grands écarts un peu comme le faisait Derek Bailey. La qualité
de son jeu est l’écrin parfait pour les créations mélodiques instantanées du
souffleur, un véritable chanteur de haut vol du saxophone. On y retrouve la
tradition sublimée par des extrapolations infinies. Que voulez-vous encore que je vous serve là : ses sons aussi sont de Lion !! Un saxophoniste ténor à suivre autant qu'Evan Parker et Paul Dunmall !
Connu
comme un vieux sou dans la free-jazzosphère depuis l’époque héroïque où Albert
Ayler et Sunny Murray renversaient toutes les conventions musicales, le
pianiste Burton Greene a toujours incarné une vision émancipée et syncrétique
du jazz à l’instar d’artistes aussi singuliers et différents que Sun Ra, Paul
Bley ou un Ran Blake. C’est d’ailleurs au fabuleux duo de Ran Blake et Jeanne
Lee qu’on songe à l’écoute de ce superbe disque en duo avec la chanteuse Silke
Röllig. Les notes de pochette relatent qu’elle eut sa révélation musicale du
jazz (son premier concert) lors d’un gig du pianiste en 1987 et qu’ils
collaborent depuis 2004. Une coïncidence patronymique qui mérite d’être relevée
: l’artiste graphique de la première série européenne d’albums dédié au
free-jazz sur le label Fontana Philips vers 1964 1965 s’appelait Marte Röllig.
Cette artiste illustra des albums de Dollar Brand, Paul Bley, Cecil Taylor,
Archie Shepp et John Tchicaï en quartet et dans le NY Contemporary Five, Ted
Curson, NY Art Quartet (Tchicaï Rudd Workman Graves) et Marion Brown. Le groupe
seminal de Burton Greene , Free Form Improvisational Ensemble avec
Alan Silva méritait largement de figurer dans cette série initiatique. Par la
suite, Burton fut un habitué des labels européens comme BYG, Futura, Hat Hut,
Horo, Circle et Musica. Son parcours musical atypique et les différentes
sources de sa musique font de lui un musicien un peu trop curieux pour les
critiques, visiblement à l’écart des mouvements importants. Il défraya la
chronique quand le critique Leroi Jones dénigra sa personnalité et sa pratique
musicale de manière injustifiée dans le magazine Down Beat et je pense que
cette incartade a dû avoir à l’époque des conséquences négatives sur sa
carrière, car cette histoire fut reprise en boucle par des artistes notoires.
Bref, un artiste méconnu du jazz authentique qui nous livre ici un bon moment
en servant avec beaucoup de talent et de sincérité les compositions et les
textes de cette chanteuse à la voix singulière et aux idées musicales
originales. Sa voix d’alto me touche au niveau de l’émotion même si cela
babille du côté de l’enfance avec la légèreté requise, fort heureusement.
L’écoute du disque est profondément agréable autant parce qu’ils vont tous deux
droit à l’essentiel et qu’il y a autant d’âme que leur musique est dénuée de
prétention. La connivence fonctionne à travers l’entièreté du programme (13
compositions originales) créant une unité de ton dans la sensibilité et le jeu
collectif, difficile à atteindre si les deux artistes ne s'engagent pas
totalement dans le projet. Le jeu de Burton Greene est une merveille de swing
et emprunte à des sources plus originales, nettement plus nature que le
sempiternel billevansisme consensuel…
angularités, dissonances, polymodalité, constructions audacieuses, bagage
musical transversal, vivacité du blues... on songe à ces pianistes qui ont
ouvert des portes : Mal Waldron, Jaki Byard, Andrew Hill, Paul Bley, Ran Blake.
Comme eux, Burton Greene est un
original incontournable et sa contribution magnifie le chant et la musique de Silke Röllig en démontrant quel
véritable improvisateur il peut être. Son jeu percussif – rythmique sur
différentes parties dans le dernier morceau, Syl and the Arshayic People
, mérite de figurer dans une anthologie Moi je vote pour ! La politique d’Improvising Beings est de vouloir
conférer un air d’éternité à des improvisateurs que le « marché » a mis sur des
voies de garage et cela dans une vision transversale en ce qui concerne les
styles et les domaines musicaux. Avec Space is Still the Place, son
producteur, Julien Palomo et les
deux artistes font vraiment œuvre utile ! Admirable.
PS : Oeuvre d'Aurélie Gerlach pour le recto de la pochette.
PS : Oeuvre d'Aurélie Gerlach pour le recto de la pochette.
Le Chant du Jubjub François Tusquès Itaru Oki Claude Parle et Isabel Juanpera improvising beings IB 43
Une belle réunion d’inclassables et, pour
une très rare occasion, une
participation éloquente de l’accordéoniste Claude
Parle, un pilier de l’improvisation et de la musique expérimentale à Paris
depuis un demi-siècle quasi jamais documenté. Isabel Juanpera dit ou chante quelques textes au milieu des
souffleries du trompettiste Itaru Oki
et de l’accordéon de Parle que structurent la logique imparable et ludique du
pianiste François Tusquès, même avec
trois doigts. Tout est possible, le morceau d’ouverture évalue la
multiplicité des repères du blues. Isabel dit Essayez tout ce que vous ne savez
pas et on entend ensuite Claude
Parle tenter des broderies dégingandées sur la trame paisible posée par le
pianiste dans un dialogue tangentiel créé dans l’instant qui s’avance à pas
compté vers une atmosphère lourde et sombre, enlevée par les tourbillons à
vingt doigts. On évoque le Paris du jazz (free), il y a un demi siècle : Madame
Ricard, Don Cherry Bue, Au Chat qui Pêche, en soulignant l’inspiration
rebelle et nomade des instants inoubliables vécus par Tusquès et Parle. Je vous
informe que Claude Parle avait joué en avril 1971 avec le trio de Don Cherry
avec Johny Dyani (quasiment le même jour que celui de l’enregistrement du
disque Orient – Eagle Eye & Togetherness) et que Tusquès fut parmi les
jeunes musiciens parisiens qui jouèrent avec Don (JF Jenny Clark, A Romano, H
Texier Jacques Thollot) vers 65-66. Quant à Itaru Oki, il est un pur
représentant de cette ouverture sur l’universel dont Cherry fut l’initiateur… Et
son rapport à l’instrument (pavillon improbable) est unique en son genre. Il
faut entendre les convergences et l’écoute entre Oki et Parle au fil des
morceaux parmi les notes choisies avec soin par Tusquès et ses variations
subtiles des éléments thématiques de chaque pièce. C’est un beau moment de
partage de la musique entre trois personnalités fortes, contrastées et qui se
bonifie au fur et à mesure du déroulement du concert. Les interventions parlées
de Juanpera, outre leur charme un rien désuet ont le bonheur de relativiser les
élans d’Oki et Parle et recadrent la concentration. On notera les échappées du
trompettiste qui se meurent dans le silence et son solo du Final Nostalgique introduisant
les dernières mesures de Tusquès dans un blues bien senti qui me rappelle que
je remettrai volontiers son L’Étang Change sur la hi-fi pour
terminer la soirée (album solo IB de FT). Un beau concert à l’Ackenbush, lieu
incontournable à Paris.
PS Création graphique remarquable pour la pochette !
PS Création graphique remarquable pour la pochette !
Autre
concert à l’Ackenbush : Tournesol dont le dessin stylisé or sur fond noir de la
pochette symbolise l’irisation des frottements et drones de ce trio guitare
contrebasse et percussions. Une demi-heure de soft noise et de ramifications
vibratoires où l’action de chaque improvisateur s’interpénètre dans celles des
autres au point où l’on ne distingue pratiquement plus qui fait quoi. Les
agrégats de timbres évoluent très lentement au fil des minutes sans que
l’intensité ne flanche d’un iota ou n’enfle. Un chaos concerté porté par
l’écoute mutuelle. Dark Tree nous avait gratifié de l’excellent Sens Radiants du trio Lazro Duboc
Lasserre et il est intéressant d’écouter les deux albums à la file pour goûter
mieux leurs univers respectifs dans une même perspective. Cette démarche
bruitiste – drones nécessite chez les
musiciens un sens de la dynamique, une concentration et une sensibilité qu’il
est malaisé de communiquer à l’auditoire avec la conviction de Desprez Duboc et Loutellier. Une
question de dosage, de précision dans le traitement des sons qu’il faut
sublimer vers une réel état de transe, palpable dans les instants qui se
succèdent au fil des trente quatre minutes de Pour – Que - La nuit – S’ouvre. Une belle expérience
sonore !!
Enregistré
en 2014 au dEN studio à Novara, Flawless Dust illustre avec bonheur la musique du guitariste Garrison Fewell avant sa disparition subite l’année dernière. En
compagnie du saxophoniste soprano italien Gianni
Mimmo, un exégète de la cause lacyenne, il tisse un réseau d’accords,
d’intervalles, de dissonances fugaces en en calibrant les variations comme un
véritable orfèvre. Un jeu racé à la six cordes électrique qui se contente d’être légèrement amplifiée
tant s’exhale de son toucher sensible
autant de musicalité que par son choix instantané et minutieux de chacune de
ses notes. On dira même que la qualité de son toucher est au centre de sa
musique Le souffle de Mimmo rappelle inévitablement celui de son maître, Steve
Lacy, même s’il cultive une véritable personnalité au travers de cet héritage
comme le prouve amplement cet enregistrement. Sans doute, un de ses
enregistrements les plus significatifs : il s’y laisse aller dans la
vibration du son. Les neuf pièces improvisées parsèment leur poésie au travers
des idées musicales développées avec soin. A noter une subtile préparation de la guitare dans A Floating
Caravan. Aucune précipitation, on prend le temps de jouer : la
musique respire et il faut attendre Other Chat ou Grainy
Fabric , les deux derniers morceaux pour que la voix du
saxophoniste devienne tranchante et son débit empressé. Donc il s’agit
pour moi d’un excellent album réalisé par des improvisateurs solides, sensibles
et très expérimentés. A écouter en soirée au bord de la terrasse ou au coin du
feu selon les saisons pour se relaxer sans se poser de question existentielle
sur la motivation artistique : quand on tient de tels musiciens à portée
de lecteur CD, il ne nous reste plus qu’à se laisser porter par la musique tout
en flottements apaisés. Si je n’avais pas autant d’enregistrements sur ma table
d’écoute, je les remettrai quelques soirs de suite. Dehors, le soleil s’enfonce
en rougeoyant dans la brume…
Encore un grand merci pr cette critique sensible mais louangeuse (pr mon humble avis ! )
RépondreSupprimerMais justifiée en ce qui concerne François Tusques ...
Il est vrai aussi k g rencontré J.F Jenny Clark à la belle époque du Chat qui pêche ...
C'est Jac (Berrocal) ki me l'avait présenté ...
J'avais aussi rencontré Alan, Beb Guérin ... On faisait ds gigs à la Vieille Grille aussi ...
Thollot aussi de temps en temps ... avec qui j'avais (on avait) décidé de retravailler mais allez donc convaincre les organisateurs de festivals & ls tenanciers de boites d'engager un trio avec Jacques comme drummer moi & Itaru .... Bon, on va rester zen pr une fois ! ! ...